actualité internationale congrès mondial journée mondiale

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actualité internationale congrès mondial journée mondiale
J M
ECPM association loi 1901
• 5 rue primatice 75013 Paris France
• Siret : 43350831400013 • NAF : 913E
• Tél. : 01 47 07 61 60 • Fax : 01 47 07 65 10
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Ensemble
contre
la peine
de mort
C N
DATE DE
PARUTION :
*50D
actualité internationale
congrès mondial
journée mondiale
L’injection létale en question
2007, Paris, capitale de l’abolition
« Les échecs de la justice »
La méthode d’exécution « du futur » a pris un coup
de vieux. Suspendue dans certains États américains,
rejetée en Inde, la mort par empoisonnement
fait voir son vrai visage. •••> p. 3
Pour sa troisième édition, le rendez-vous international
des acteurs de l’abolition se tiendra à Paris
du 1er au 3 février 2007. Retrouvez en exclusivité
l’avant programme!•••> p. 12
Innocents, mineurs, handicapés mentaux,
discriminations, tortures… Le 10 octobre 2006,
4e Journée mondiale contre la peine de mort,
dîtes non à l’injustice ultime !•••> p. 14
Journal
de
l’abolition
Avec le soutien de
L’actualité internationale de l’abolition de la peine de mort
Publication de l’association Ensemble contre la peine de mort. Contact rédaction : [email protected]
Diffusé aux adhérents. Directeur de publication : Olivier Déchaud
Comité éditorial : Emmanuel Maistre, Michel Taube
n° 8 • septembre 2006
par
Michel
Taube
Délégué
général et
porte-parole
d'ECPM
Il y a vingt-cinq ans, la France
en finissait avec une justice qui
tue et abolissait enfin la peine
de mort. Il y a vingt-cinq ans,
Robert Badinter, et à travers lui
des générations d’abolitionnistes,
avocats, politiques, intellectuels
et citoyens, obtenaient ce que
Hugo et Jaurès avaient rêvé
de « plus haut et de plus noble »
pour la France (pour reprendre
les termes de ce dernier).
L’association Ensemble contre
la peine de mort avait à cœur
et se devait de revenir sur
ce moment historique, avec
un dossier complet dans ce
nouveau numéro du Journal
de l’abolition. Depuis six ans
que l’association a été créée,
nous avons pu mesurer
ô combien notre action pour
internationaliser ce combat
est redevable aux militants
qui ont permis à la France
de tourner cette sombre page
de son histoire judiciaire.
Cet hommage trouve une
actualité inédite en France
avec la décision du président
de la République, Jacques
Chirac, de demander la révision
de la Constitution pour y inscrire
un article disposant que la peine
de mort est abolie en toutes
circonstances, notamment
en temps de guerre. Nous avons
bon espoir que cette révision
sera adoptée sous peu par
le Congrès de Versailles.
Le combat aujourd’hui est
international : la 4e édition
de la Journée mondiale contre
la peine de mort aura lieu
le 10 octobre, lendemain
de la date de promulgation de
la loi française (9 octobre 1981).
Le 1er février 2007, la France
accueillera le 3e Congrès mondial
contre la peine de mort organisé
par notre association avec le
soutien de la Coalition mondiale
contre la peine de mort.
Autant d’occasions de dire
NON à la Pologne qui vient
de proposer le rétablissement
de la peine de mort en Europe.
Qu’on se le dise, la France,
dernier pays d’Europe
occidentale où coula le sang
d’un condamné exécuté, sera
à la tête du combat pour
construire une Europe à jamais
libérée de ce châtiment barbare.
Tel est le sens de notre
engagement, dans le sillon
de l’action de Robert Badinter
et des abolitionnistes qui
obtinrent l’abolition en 1981.
25 ans
sans
guillotine
dossier
Spécial 25e anniversaire de l’abolition en France•••> p. 4
Rencontre avec
Robert Badinter
Grand
entretien
avec l’ancien garde
des Sceaux
grâce à qui
l’abolition a été votée en
France sous Mitterrand
en 1981•••> p. 4
Interview de
Claude Sérillon
Homme
de presse
et écrivain,
il a couvert
les grandes
affaires
criminelles des années 1970.
Témoin d’une justice qui
tuait encore•••> p. 6
50D81
Patrick Baudouin
à l’école
La peine
de mort en
débat: une
classe de 4e
échange
avec Patrick
Baudoin, avocat, président
d’honneur de la Fédération
internationale des ligues des
droits de l’homme•••> p. 9
Contribution de
Michel Foucault
Impliqué
contre
la peine
de mort,
en 1981, le
philosophe
réagit au lendemain du vote
de l’abolition dans un entretien accordé à Témoignage
Chrétien. Réédition•••> p. 11
Retrouvez les dessins
de Plantu contre
la peine de mort
pour la première fois
réunis dans cette
édition spéciale.
*50D82T*
actualité internationale
2
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Monde
20 000 personnes attendent actuellement
leur exécution à travers le monde
Dans son dernier rapport sur la peine de mort dans le monde
publié le 19 avril 2006, Amnesty International a répertorié
plus de 20 000 personnes en attente d’exécution. En 2005,
5 186 condamnations à mort ont été prononcées dans
53 pays, et au moins 2 148 personnes ont été mises à mort
dans 22 pays.
En tête, la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite et les États-Unis
qui comptabilisent pas moins de 94 % des exécutions. Mais
loin devant ses « concurrents », la Chine totalise à elle seule
80 % des exécutions, et reconnaît officiellement avoir
procédé à 1 770 exécutions. Selon un expert, Pékin mettrait
à mort plus de 8 000 personnes chaque année. Au moins
94 condamnés en Iran et 86 en Arabie saoudite, ont été
exécutés en 2005. Les États-Unis affichent 60 exécutions.
Cependant, la tendance mondiale en faveur de l’abolition se
confirme : au cours des 20 dernières années le nombre
d’États ayant procédé à des exécutions a été divisé par
deux et 2005 enregistre une baisse mondiale des mises à
mort pour la quatrième année consécutive.
Asie
Philippines
L’abolition
Le 6 juin 2006, les parlementaires philippins ont approuvé un décret-loi abolissant la peine de mort. La loi a été promulguée peu après par la présidente
Gloria Arroyo. Le Sénat a voté le projet
de loi à l’unanimité, après un vote plus
controversé à la Chambre des représentants où le projet avait été approuvé
par 119 voix sur 139. La promulgation
de la loi a entraîné la commutation automatique en peine de prison à vie des
1 200 détenus condamnés à mort. Les
exécutions faisaient, depuis 2000, l’objet d’un moratoire dans le pays. Avec
les Philippines, l’Asie (hors Asie centrale
et Océanie) compte sept pays abolitionnistes et quatre autres qui n’ont plus
exécuté de condamnés à mort depuis
dix ans.
Chine
Audiences publiques
pour les procès en appel
La Chine envisage très prochainement
de rendre publiques les audiences de
tous les procès en appel relatifs à des
condamnations capitales devront se
dérouler en audience publique. Par
ailleurs, au cours de ces procès, les
avocats défenseurs pourront plaider et
les prévenus être entendus en déposition. Les audiences seront également
filmées, de façon à pouvoir être visionnées par la suite. « De cette manière, a déclaré Xiao Yang, le président
de la Cour suprême du peuple, notre
système judiciaire fera appel aux standards les plus élevés. » Jusqu’à présent, les Hautes cours provinciales approuvaient les condamnations capitales
sur la seule base des dossiers entendus, sans les avocats et les prévenus.
Ces nouvelles mesures devraient permettre d’éviter des condamnations à
mort sur la base d’aveux extorqués par
la police ou par les procureurs en recourant à la torture. Zhang Jun, le viceprésident de la Cour, a en effet expliqué que « dans un document de la
Cour suprême traitant des erreurs judiciaires qui ont conduit à des exécutions, il a été démontré que dans la plupart des cas on avait eu recours à la
torture pour extorquer des aveux ».
Corée du Sud
Projet de loi à l’étude
Le 21 février 2006, le ministre de la Justice de Corée du Sud a annoncé qu’il
examinerait la possibilité de substituer
la peine d’emprisonnement à vie sans
liberté conditionnelle à la peine de mort.
Un projet de loi a été déposé en ce sens
par le député Yoo Ihn-tae, du parti Uri
et été soutenu en 2004 par 175 parlementaires de la majorité et de l’opposition. « Ces démarches visent à mettre
en place un système de justice pénale
respectueux des droits humains », a
expliqué le ministre qui a annoncé
la mise en œuvre d’une étude des
cas allemands, français et d’autres
pays abolitionnistes, pour déterminer
les possibles répercussions que pourrait avoir l’abolition sur la société et
sur la prévention du crime. Les conclusions de cette étude seront déterminantes. Sur cette base, le ministre sera
appelé à décider s’il soumet le projet
de loi abolitionniste au parlement.
La dernière exécution en Corée du
Sud remonte à 1998. Cinquante-sept
condamnés à mort attendent actuellement leur exécution.
Inde
Les plus hauts responsables
opposés à la peine capitale
« Si quelqu’un me demande mon opinion en tant que citoyen ordinaire, je
répondrai que nous ne devrions pas
avoir la peine de mort dans notre législation » a déclaré, mercredi 19 octobre 2005, le ministre de la justice indien Y K Sabharwal au quotidien The
indian Express avant de préciser que
l’abolition ne pouvait relever que de
l’Assemblée parlementaire et qu’en tant
que ministre il appliquerait la loi. Le
débat sur la peine de mort a été relancé
en Inde après que le président Abdul
Kalam’s eut conseillé au Gouvernement
d’accorder la clémence pour une
grande part des condamnés à mort
indiens. Le 14 août 2004, l’Inde avait
repris les exécutions après neuf années
de moratoire. Il y a plus de 160
condamnés dans les couloirs de la mort
de New Delhi.
Canada
Ottawa ratifie le 2e protocole et
s’affirme abolitionniste
Le 25 novembre 2005, le Canada a ratifié le 2e protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques de l’ONU, visant
à abolir la peine de mort. Le Canada est
ainsi devenu le cinquante sixième État
partie à ce traité.
Dans sa déclaration, le ministre des Affaires étrangères, Pierre Pettigrew, a
souligné que « l’adhésion au traité par
le Canada s’inscrit dans nos démarches
visant à faire connaître clairement notre
position relativement à cet aspect important des droits de la personne. Le
Canada s’oppose à la peine de mort et
appuie la tendance internationale en faveur de son abolition. Nous exhortons
tous les États qui ont encore recours à
la peine de mort à l’abolir ou à imposer
un moratoire sur son utilisation, et à devenir partie au 2e protocole facultatif. »
États-Unis
Zaccharias Moussaoui
échappe à la peine capitale
Finalement le français Zaccharias
Moussaoui n’ira pas dans les couloirs
de la mort. Le Tribunal Fédéral
d’Alexandria en Virginie l’a condamné à
la prison à perpétuité. Seul détenu jugé
pour les attentats du 11 septembre
2001, le français Zaccharias Moussaoui
avait plaidé coupable le 22 avril 2006
devant le tribunal d'Alexandria en Virginie. Contre l'avis de ses avocats, le
franco-marocain de 36 ans n'avait pas
contesté les charges retenues contre
lui, dont quatre étaient passibles de la
peine de mort. Il a ainsi reconnu avoir
participé avec les 19 pirates de l'air du
11 septembre 2001 et les dirigeants
d'Al-Qaïda à un vaste complot pour
tuer des Américains en utilisant des
avions de ligne détournés. Lors du procès, le jury a considéré que Moussaoui
avait menti au FBI lors de son arrestation et jugé que ses mensonges étaient
responsables en partie des morts pro-
France
Vers l’abolition
constitutionnelle
Le président Jacques Chirac a annoncé, mardi 2 janvier 2006, lors de la
cérémonie des vœux devant le Conseil
constitutionnel, la mise en œuvre d’une
réforme de la Constitution afin d’y
inscrire l’abolition de la peine de mort.
« Une telle révision, en inscrivant
solennellement dans notre Constitution
que la peine de mort est abolie en
toutes circonstances, consacrera l’engagement de la France. Elle témoignera
avec force de notre attachement aux
valeurs de la dignité humaine », a souligné le chef de l’État.
Récemment, le Conseil avait statué
qu’une réforme de cet ordre serait nécessaire afin de ratifier le 2e Protocole
facultatif du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques de l’ONU,
qui vise à abolir en toutes circonstances
la peine de mort. Aucune précision n’a
été donnée sur les modalités et délais
de la mise en place du processus de réforme constitutionnelle.
(voir article page 16)
voqués par les attentats. Le 3 mai,
après sept jours de délibéré, les jurés
sont parvenus à un verdict: contre toute
attente, Moussaoui a été condamné à
la prison à perpétuité. À une voix près,
il échappe à la peine de mort.
Compte tenu de son statut de « terroriste », Zacarias Moussaoui devrait terminer sa vie à ADX Florence, Colorado,
une prison de haute sécurité qui rassemble les détenus américains considérés comme les plus dangereux.
États-Unis
Baisse des condamnations
à mort depuis 5 ans
Parue le 28 février 2006, la dernière édition de Death Row Usa, le rapport trimestriel de la National Association for
the Advancement of Colored People
(NAACP), organisation qui milite en faveur des droits civiques pour les minorités ethniques aux États-Unis, rapporte
une baisse de 8 % de la population des
couloirs de la mort américains au cours
des cinq dernières années : elle est ainsi
passée de 3 652 détenus en 2000 à
3 373 au 1er janvier 2006.
Ainsi, selon le Death Penalty Information Center et sur la base de ce rapport,
106 personnes ont été condamnées à
mort en 2005, alors que 125 l’avaient
été en 2004 – des chiffres bien moins
élevés que les 300 condamnations à
mort enregistrées jusqu’à la fin des années 1990.
C’est la Californie qui détient toujours
le record du nombre de condamnés à
mort avec 649 détenus, suivie par le
Texas (409 détenus), la Floride (388 détenus), la Pennsylvanie (231 détenus), et
l’Ohio (196 détenus).
À l’échelle nationale, les couloirs de la
mort américains rassemblent 45 % de
Blancs, 42 % de Noirs, et 10 % de « Latinos ». Parmi les États dont la population de condamnés à mort est supérieure à 10, le Texas (avec 70 % de
minorités) et la Pennsylvanie (69 %) présentent proportionnellement le taux le
plus élevé de minorités dans le couloir
de la mort.
États-Unis
90 minutes d’exécution
C’était le 2 mai 2006, au centre correctionnel de Lucasville, dans le nord de l’Ohio aux États-Unis, Joseph Clark, 57 ans, a
vécu un véritable supplice. Son exécution a duré 90 minutes. Ancien toxicomane, il avait été condamné à mort en 1984 pour
une série d’attaques à main armée. La procédure d’exécution veut que deux voies intraveineuses soient installées, une dans
chaque bras. Après avoir placé une aiguille dans le bras gauche de M. Clark, l’équipe d’exécution a cherché une veine dans
son bras droit pendant environ 25 mn, en vain. Un des bourreaux a même tenté de « piquer » dans sa jambe droite, sans plus
de succès. L’injection commencée, Joseph Clark a levé la tête et hurlé « Ça ne fonctionne pas ! Ça ne fonctionne pas ! ».
La veine trop fragile du condamné à mort avait éclaté lors de l’injection du sédatif (thiopental de sodium). Après l’intervention du condamné, les bourreaux ont tiré le rideau sur la vitre derrière laquelle les témoins assistaient à l’exécution.
Ils ont pu entendre alors Clark gémir, pleurer, grogner. Le rideau a été rouvert 40 minutes plus tard, à 11 h 17. Le condamné
avait les yeux fermés. Il a soulevé la tête plusieurs fois, respiré profondément avant de s’étendre, sans vie. Le décès a
été prononcé à 11 h 26, soit 90 minutes après le début de son exécution. Cet incident intervient au cœur du débat sur la
méthode d’exécution par injection létale qui s’est ouvert il y a plusieurs mois aux États-Unis. Certains adversaires de la
peine de mort arguent en effet que l’injection létale contrevient au huitième amendement de la Constitution, qui interdit
les châtiments « cruels et inhumains ».
Afrique du nord
et Moyen-Orient
Algérie
Vers l’abolition ?
L’Algérie a l’intention d’abolir la peine de
mort. C’est ce qu’a déclaré à la radio algérienne, en mars dernier, Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative pour la promotion et
la protection des droits humains, indiquant qu’un projet de loi en ce sens était
en examen depuis plusieurs mois au ministère de la Justice, retardé seulement
par quelques ultimes résistances. L’abolition de la peine de mort, selon Ksentini, « s’impose d’urgence et s’avère une
étape essentielle vers la constitution
d’un État de droit et la réalisation du processus de réforme de la justice », ajoutant que « la peine capitale est totalement absurde et n’a aucun effet
dissuasif sur le phénomène de la criminalité ». Ksentini espère que l’Algérie,
qui a ratifié de nombreuses conventions
internationales, sera le premier pays
arabe à abolir la peine de mort. Il a également rappelé que depuis 1993 aucune
condamnation n’a été exécutée et que
le président Abdelaziz Bouteflika avait
gracié, au cours de ses deux mandats,
plus de 200 condamnés à mort. Peu de
temps avant cette déclaration, Abdelhak Layada, un des plus célèbres
condamnés à mort d’Algérie en tant que
cofondateur du GIA, a été gracié et libéré. Il fait partie des quelques 2600 terroristes qui ont retrouvé la liberté grâce
au décret d’application de la Charte pour
la paix et la réconciliation nationale,
contestée par les associations de défense des droits humains et de familles
des victimes du terrorisme.
Arabie saoudite
Cent vingt mineurs
dans le couloir de la mort
Au moins 126 prisonniers sont actuellement détenus dans le couloir de la
Europe
Biélorussie
Manifestants politiques passibles
de la peine capitale
Emprisonnement à vie ou condamnation à mort: telles sont les peines qu’encouraient ceux qui, répondant à l’appel des partis d’opposition, se sont
risqués à manifester à Minsk, en Biélorussie, le 19 mars dernier, pour protester contre le résultat prévisible des élections présidentielles se tenant ce jour-là.
« Ces actions seront considérées
comme des actes terroristes », a ainsi
menacé Stepan Sukhorenko, chef des
services de sécurité intérieure, citant un
article du code pénal qui prévoit la prison à vie ou la peine capitale pour ce
délit. Aleksander Milinkevic, principal
candidat de l’opposition aux présidentielles, avait lancé un appel à ses partisans afin qu’ils se rassemblent immédiatement après la fin du vote, pour
protester contre la victoire présumée
de l’actuel président Alexander Lukashenko. Le président de la Cour suprême biélorusse, Valyantsin Sukala, a
déclaré en février dernier que deux
personnes ont été exécutées et huit
condamnées à mort en 2005.
Amériques
mort saoudien pour des crimes commis alors qu’ils étaient mineurs, a rapporté le site saoudien alarabiya.net, en
citant des sources gouvernementales.
Le pays a ratifié en 1996 la Convention
de l’ONU sur les Droits de l’enfant, qui
interdit la condamnation à mort et la
prison à vie sans possibilité de libération, pour des personnes âgées de
moins de 18 ans au moment du crime.
De fait, le Comité de l’ONU pour les
Droits de l’enfant avait examiné l’année dernière la situation de l’Arabie
saoudite, critiquant, dans son rapport
rendu public le 27 janvier 2006, les
condamnations à mort émises à l’encontre de mineurs, et lui reprochant de
« graves violations des droits fondamentaux » protégés par la Convention.
Il s’est dit en outre « sérieusement préoccupé » par le pouvoir discrétionnaire
sur la base duquel les juges reconnaissent les mineurs comme adultes,
en cas de crimes capitaux. Le Comité
a enfin demandé à l’Arabie saoudite de
cesser les exécutions de personnes
mineures au moment des faits.
Irak
Deux cent soixante
condamnations capitales
et 22 exécutions en deux ans
Le 29 juin 2006, le premier ministre
irakien Nouri-Al-Maliki a fait savoir que
les tribunaux irakiens avaient émis 260
condamnations à mort au cours des
deux dernières années. Parmi cellesci, 22 ont été exécutées. Al-Maliki a
communiqué ces chiffres aux ministres pour souligner la nécessité de
juger rapidement les personnes accusées de violences et d’exécuter les
sentences. Après la chute du régime
de Saddam Hussein, la peine de mort
avait été suspendue par l’Autorité provisoire de la Coalition. Elle avait été
réintroduite peu après le transfert de
pouvoirs aux autorités irakiennes, en
août 2004, lorsque le gouvernement
par intérim a voté une loi rétablissant
la peine de mort pour homicide, séquestration de personnes, vol et trafic de stupéfiants - et depuis octobre 2005, le terrorisme.
Iran
Dix exécutions en une journée,
l’Union européenne
se dit préoccupée
Le 19 avril 2006 à l’aube, dix pendaisons ont eu lieu à la prison d’Evine au
nord de Téhéran. Ces hommes, reconnus coupables d’homicide, s’étaient vu
refuser le pardon des familles de leurs
victimes. C’est la première fois, au
cours de ces dernières années, que
l’Iran annonce la pendaison d’un
nombre aussi important de personnes
le même jour. Le juriste iranien Nemat
Ahmadi a commenté les dix pendaisons en rappelant que l’on n’avait plus
assisté à des exécutions de masse depuis des années en Iran. Selon lui, « le
retour à ce type d’exécutions correspond à la volonté du nouveau gouvernement iranien de renouer avec les
mauvaises habitudes des premières
années qui ont suivi la révolution »,
lorsqu’était encore en vie le fondateur
de la République islamique, l’Ayatollah
Khomeini. Le 5 mai 2006, l’Union européenne a réagi dans un communiqué, réaffirmant son opposition à la
peine de mort et exprimant « sa grave
préoccupation face à l’augmentation
des exécutions capitales en Iran ».
« Cette tendance, poursuit le communiqué, s’est vue confirmée par les dix
pendaisons effectuées récemment
dans la prison d’Evine. »
Afrique
Guinée équatoriale
Première exécution depuis 20 ans
Le 28 avril 2006 a eu lieu la première
exécution en Guinée équatoriale depuis
vingt ans. Fernando Esono, surnommé
Maabis (« je m’en fiche » en langue
fang), a été fusillé dans la cour de la prison d’Evinayong (Centre Est du pays)
où il était incarcéré. De nationalité
équato-guinéenne, Fernando Esono
avait été condamné à mort en 2004 par
la cour d’appel de Malabo pour un premier meurtre. Lors d’une permission exceptionnelle accordée il y a quelques
semaines, il avait pris la fuite et commis
deux nouveaux assassinats pendant sa
cavale. Prévue dans le code pénal
équato-guinéen pour meurtre, espionnage et vol à main armée, la peine capitale n’avait pas été appliquée depuis
plus de vingt ans dans le pays. Pendant
cette période en effet, lorsqu’elle était
prononcée, la sentence était commuée
en réclusion à perpétuité ou en peine
de vingt à trente ans de prison.
Somalie
Un adolescent exécute
l’assassin de son père
Le 2 mai 2006, sur ordre d’un tribunal
islamique, un adolescent somalien de
16 ans a exécuté en public l’homme
reconnu coupable du meurtre de son
père. Il s’agit de la première exécution
publique à Mogadiscio depuis dix
ans. L’exécution, ordonnée et organisée par le tribunal, a eu lieu à Bermuda dans le sud de Mogadiscio, et
a rassemblé des centaines de personnes. Selon les témoins, l’adolescent, Mohamed Moalim, s’est approché du condamné à mort, Omar
Hussein, qui était ligoté à un poteau,
l’a frappé plusieurs fois avec un couteau à la poitrine, à la gorge et à la
tête, jusqu’à ce qu’il meure. Ce jugement a été présenté par les leaders
religieux de Bermuda comme équitable et nécessaire au rétablissement
de l’ordre : « L’Islam est le seul à
même de nous permettre de faire face
à nos difficultés » a déclaré l’imam
Sheikh Ibrahim Mohamed Nur. « Nous
avons appliqué la justice d’Allah et il
n’y a pas meilleure justice. Désormais,
la population de Bermuda saura que
les assassins ne resteront pas impunis, comme dans le passé. »
Liberia A aboli !
Le Liberia a aboli la peine de mort le 16 septembre 2005 en ratifiant le 2e protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU. Le traité a acquis immédiatement statut de loi sur le territoire libérien. Le même jour, Monrovia avait ratifié plus de 80 traités,
véritable record dans l’histoire des traités internationaux. C’est l’œuvre du Gouvernement de transition nationale qui, dirigé par Charles Gyude Bryant, a été mis en place avec l’Accord de paix globale
de septembre 2003 mettant fin à quatorze années de guerre civile, et chargé de reconstruire les institutions du pays. Les dernières exécutions dans le pays avaient eu lieu en 2000.
*50D83T*
actualité internationale
3
L'injection létale
en question…
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Magali Jandaud :
« L'Inde n'a pas voulu
de la piqûre mortelle »
Rien ne va plus ! Aux États-Unis, ce qui était la méthode d'éxecution
du futur, propre et indolore, est remise en cause dans de nombreux
États. Californie, Missouri… ils suspendent les exécutions dans
l'attente que la justice se prononce sur la question de savoir
si l'injection létale est constitutive d'un traitement cruel, inhumain
et dégradant… Depuis la publication en 2005 dans la revue
médicale The lancet d'une étude sur la souffrance infligée aux
condamnés à mort par la piqûre mortelle, les recours se multiplient
devant les tribunaux. Enquête.
L'Inde a rejeté en 2003 le recours à l'injection
létale comme nouveau mode d'exécution. Grâce
notamment à une forte mobilisation du corps médical.
Entretien avec Magali Jandaud, juriste, engagée
dans la défense de condamnés à mort indiens.
Flora Barré La Commission des
Avec
Maela Castel
et Flora Barré,
ECPM vous
propose un
éclairage
pour mieux
comprendre le
débat qui anime
la communauté
judiciaire et
médicale: des
États-Unis à la
Chine en passant
par l'Inde.
L’événement est rarissime aux États-Unis : la Cour suprême américaine a ouvert la voie lundi 12 juin à des
recours contre les exécutions par injection létale. Les
3 000 détenus qui attendent leur mise à mort vont pouvoir dénoncer devant les cours suprêmes locales l’injection et la douleur qu’elle provoque comme violant
le huitième amendement de la Constitution américaine
sur l’interdiction des « châtiments cruels ou inhabituels ». Tout avait commencé quelques mois auparavant
le 25 janvier 2006. Ce jour-là, la Cour suprême bloque
l’exécution en Floride d’un condamné à mort : Clarence
Hill. Elle souhaite déterminer si celui-ci peut faire appel de sa condamnation en se basant sur le fait que
l’injection létale en vigueur dans cet État, ne serait pas
conforme à la Constitution qui interdit les peines
cruelles et inhumaines.
Les avocats de Clarence Hill, 47 ans, condamné à mort
en 1982 pour le meurtre d’un agent de police de Pensacola, affirment que les substances chimiques utilisées
pour l’injection létale ne garantissent pas toujours l’inconscience du condamné pendant l’exécution. Leur appel se base sur une étude publiée en avril 2005 dans la
revue scientifique The lancet qui établit que certains
condamnés à mort exécutés par injection létale aux ÉtatsUnis étaient conscients pendant leur exécution et ont enduré souffrances et torture faute d’anesthésie suffisante.
comme l’arme « propre » de mise à mort. C’est le docteur personnel de Hitler, Karl Band, qui suggéra le premier, dans son programme d’euthanasie T-4, d’exécuter des prisonniers en leur injectant par intraveineuse
des doses mortelles de poison. La méthode fut notamment utilisée dans le camp de concentration d’Auschwitz. Les États-Unis furent le deuxième pays à faire
usage de l’injection létale en tant que méthode d’exécution. Son utilisation sera adoptée en Oklahoma et au
Texas dès 1977, soit un an après la décision de la Cour
suprême fédérale de rétablir la peine de mort. Le Texas
sera le premier État américain à faire usage de l’injection : Charlie Brooks fut exécuté par « piqûre » le 7 décembre 1982. Il mit sept minutes à mourir.
En 2006, 37 des 38 États américains qui appliquent la
peine de mort exécutent les prisonniers par injection
létale (seul le Nebraska fait encore exclusivement usage
de la chaise électrique. La dernière exécution remonte
à 1997). Dix-huit de ces États offrent aux détenus le
choix entre l’électrocution, la chambre à gaz, la fusillade ou encore la pendaison. Depuis une dizaine
d’années, la méthode commence à franchir les frontières nord-américaines. En 1997, elle est autorisée en
République populaire de Chine et à Taïwan, au Guatemala en 1998, et en Thaïlande en 2003. D’autres pays
ont adopté cette méthode mais n’en font pas usage dans
la pratique.
Exécutions suspendues en Californie
En Californie, le doute s’installe également : le juge fédéral Jeremy Fogel avait demandé à la direction de la
prison de San Quentin (Californie), le 15 février 2006,
de modifier le protocole d’injection de cet État, afin de
rendre les exécutions moins douloureuses. Ainsi, pour
la première fois, un juge fédéral reconnaissait le caractère excessif de la souffrance infligée par l’injection létale et acceptait de fait le caractère inconstitutionnel de
la méthode. Le magistrat avait ainsi conditionné l’exécution de Michael Morales, condamné à mort pour le viol
et le meurtre d’une jeune fille de 17 ans en 1981, à une
reformulation du cocktail mortel injecté aux condamnés
à mort, ou à la présence d’un expert médical chargé de
s’assurer que le condamné à mort avait bien été endormi avant l’injection de la substance utilisée pour provoquer un arrêt cardiaque. Personne n’ayant accepté
d’assumer cette fonction, l’exécution de Morales a dû être
indéfiniment reportée. Le juge Fogel a prévu de se pencher à nouveau sur les méthodes de mise à mort californiennes en septembre et jusqu’à cette date, c’est toute
la Californie qui voit ses exécutions suspendues.
En Chine, létale et « mobile »
En Chine, l’injection mortelle a été codifiée en 1996
dans le Code de procédure criminelle. Ce dernier est
entré en vigueur le 1er janvier 1997. S’il est difficile
« Comme des chiens »
Ces récents rebondissements aux États-Unis ne peuvent
se comprendre sans toucher du doigt ce que signifie
la mise à mort d’un homme ou d’une femme par injection létale. La méthode employée est similaire dans
tous les États. Le condamné est tout d’abord installé et
sanglé sur une table matelassée. Dans certains cas, les
tables sont remplacées par des fauteuils, proches de
ceux présents chez les dentistes. Deux cathéters sont
insérés dans chacun des bras du prisonnier. Seule une
perfusion sert à la transmission du poison mortel, la
deuxième est placée préventivement en cas d’échec
de la première injection. Alors qu’un rideau s’ouvre
devant les témoins assistant à la scène morbide, une
série de trois injections (dont la combinaison exacte
change selon les États) est nécessaire pour exécuter le
condamné. Les drogues sont injectées automatiquement : trois fonctionnaires sont chargés d’appuyer sur
les trois boutons. La première substance endort le
condamné, le temps que les deux autres produits fassent leur effet. La seconde, du bromure de pancuronium, paralyse alors les muscles et les poumons, bloquant ainsi la respiration du détenu. La troisième
provoque l’arrêt cardiaque. À compter de la première
injection, le condamné meurt généralement en moins
de sept minutes. Cependant, la procédure complète
d’exécution peut durer jusqu’à quarante-cinq minutes.
Le 2 mai 2006, dans le centre correctionnel de Lucasville (nord de l’Ohio), l’exécution de Joseph Clark s’est
même éternisée jusqu’à quatre-vingt-dix minutes. Depuis 1982 (1re utilisation de l’injection létale), pas moins
de vingt-deux cas d’exécutions ratées ont été rapportés, soit 4 % des injections létales. Les causes de ces
bavures sont diverses : difficulté à trouver une veine
pour insérer le cathéter - beaucoup de prisonniers,
toxicomanes, ont des vaisseaux fragilisés - ou encore
mauvaise diffusion de la drogue dans l’organisme. En
outre, il n’existe pas de règlement national régissant le
déroulement des exécutions, et c’est souvent du personnel non formé qui est amené à pratiquer les anesthésies. Pire encore, aucune évaluation n’est faite pour
savoir si la dose injectée est oui ou non suffisante,
c’est-à-dire si l’anesthésie est assez forte pour faire
perdre conscience au condamné et lui éviter la douleur qui va suivre (Voir l’étude de The Lancet). Enfin,
aucun moniteur d’observation n’est branché sur le détenu durant la procédure d’exécution.
lois indienne a recommandé en
2003 de remplacer la pendaison
par l’injection létale. Cette proposition s’inscrit dans le courant
actuel, dans les pays qui appliquent la peine de mort…
Magali Jandaud,
juriste, engagée
dans la défense
de condamnés
à mort indiens
Magali Jandaud Effectivement,
l’Inde a examiné cette possibilité,
dans la lignée de la tendance actuelle. Le 187e rapport de la Commission des lois, rendu en octobre 2003, effectue une analyse
comparative de différentes méthodes d’exécution : la pendaison,
la fusillade et l’injection létale. Ce
rapport évalue ces méthodes d’exécution sur le critère « d’humanité »,
le degré de douleur infligée, l’existence de mutilation du corps, la facilité et le temps de l’exécution. Ces
critères sont issus des normes internationales ainsi que des résolutions
du Conseil économique et social des
Nations unies sur la question (Rés.
1984/50 et AG 29 / 118). Au niveau
national, c’est l’arrêt Deena de la
Cour suprême (Deena Vs. Union of
India) qui détermine les modalités
d’exécution de la peine capitale :
d’une part, elle doit être aussi rapide et simple que possible, évitant
une appréhension superflue du
condamné ; ensuite, l’acte d’exécution doit provoquer une inconscience immédiate et un glissement
vers une mort rapide ; elle doit être
décente ; et enfin elle ne doit pas
provoquer de mutilation.
À la lumière de ces critères et sur
la base du principe selon lequel
l’État ne doit pas punir par vengeance, la Commission n’a pu que
constater l’inhumanité patente que
recèle la mort par pendaison. On
sait en effet, à travers bien des
exemples, qu’elle n’est pas rapide et
encore moins décente, si l’on considère l’agonie du prisonnier qui dure
parfois plus de quarante minutes et
à qui il faut tirer les jambes pour lui
briser le cou plus vite. On retiendra
les remarques du juge Bhagwati* à
cet égard, estimant que la vengeance et la loi du talion ne sont
pas des objectifs acceptables sur le
plan pénal (remarque qui va
d’ailleurs bien au-delà du simple débat sur la méthode d’exécution).
Pourtant, au final, l’injection
létale a été repoussée ?
d’obtenir des informations détaillées, il semblerait que,
dès le 28 mars 1997, deux premières exécutions par injection létale ont eu lieu à Kunming dans la province
de Yunnan. Cent douze autres ont suivi dans la ville
de Kunming jusqu’au 1er mars 2003. Il s’agit pour le
vice-président de la Cour Suprême du peuple, Liu Jiachen, d’une manière civilisée d’appliquer la loi. Toutefois, l’injection létale a été adoptée à Taiwan et en
Chine non parce qu’elle serait plus douce ou plus humaine mais principalement pour son caractère plus
moderne et efficace. Elle permet d’éviter les scénarios
à répétition d’exécutions ratées par balle dans la nuque
qui ont fait couler beaucoup d’encre dans les médias.
Plus pratique sur le plan logistique, elle permet d’appliquer les exécutions au sein même des prisons où se
trouvent les condamnés, sans déplacement à organiser.
Les gouvernements locaux sont priés d’aider les tribunaux ne disposant pas de chambres d’exécution à leur
construction. Et, lorsqu’une personne est condamnée
à mort dans des circonscriptions qui n’en disposent
pas, les cours intermédiaires peuvent mettre à leur service des wagons spéciaux afin de pratiquer l’injection
létale à la sortie du tribunal. Plusieurs provinces chinoises, ont, depuis 2003, mis en place ces unités mobiles d’exécution dans des camions aménagés à cet effet. La province du Yunnan en aurait ainsi acquis 18
en 2003. La Cour suprême du peuple a invité toutes
les cours chinoises à s’équiper de chambres mobiles
dans lesquelles le détenu est ceinturé à un petit lit de
métal placé à l’arrière du fourgon.
Le monde médical contre l’injection létale
Les syndicats et organisations représentatifs des professions médicales sont parmi les plus virulents opposants à l’injection létale. Aux États-Unis, de nombreux
Une histoire trouble
Si l’injection létale est aujourd’hui de plus en plus désa- organismes tels que la Société américaine d’anesthévouée, elle a été considérée pendant des décennies siologie et l’Association médicale américaine (l’Ama) ont
En effet, bien que prenant acte de
la souffrance immense causée par la
pendaison, la Commission s’est prononcée contre l’instauration de l’injection létale. Elle a jugé que la
« technologie » dans le domaine
n’était pas assez avancée et que rien
dès lors ne garantissait un mode
d’exécution plus rapide et plus décent. En outre, elle a dû faire face
à une ferme opposition du corps
médical. Cependant, la Commission
a conclu à l’unanimité et recommandé que cette question soit réexaminée de manière périodique,
au gré des évolutions scientifiques,
particulièrement dans le domaine
de l’anesthésie, ce qui est une manière de repousser l’échéance d’un
débat qui gêne.
dénoncé l’utilisation du personnel médical pour la mise
à mort. Cette dernière a adopté des règles éthiques
quant à la participation des médecins aux exécutions
de condamnés à mort, selon lesquelles « un médecin,
en tant que membre d’une profession destinée à préserver la vie tant qu’il y a espoir de pouvoir le faire,
ne doit pas participer à une exécution légalement autorisée ». Ces directives morales n’ont cependant une
autorité légale que dans quelques États, et les initiatives
prises, comme ce fut le cas dans l’Illinois, pour sanctionner le personnel médical ayant participé à des exécutions, en violation de la déontologie professionnelle,
ont été entravées par l’introduction d’une législation
préservant l’anonymat de ces médecins qui pensent
s’acquitter de leur « devoir envers la société ». Autre initiative, l’Association médicale de Californie a déclaré
qu’elle allait proposer le dépôt d’un projet de loi afin
L’opposition du corps médical est
forte également aux États-Unis
où l’Association médicale américaine (Ama) s’oppose à la participation du personnel médical à
toute exécution. Le mouvement
est-il comparable en Inde ?
Oui. De nombreux médecins ont
protesté contre cette mesure à travers le pays. Cette vague s’est
confirmée et officialisée lors de la
69e conférence annuelle de l’Association médicale indienne (Ima), où
les médecins se sont fermement opposés au fait d’endosser la responsabilité de pratiquer l’injection létale, la jugeant contraire au serment
d’Hippocrate qui les engage à préserver et sauver la vie humaine, non
à la détruire. Le président de l’Ima
avait d’ailleurs dénoncé auprès des
autorités la « contradiction évidente »
entre la pratique de l’injection létale
et l’éthique médicale. Les médecins
ont appelé à plus de soutien dans
la hiérarchie médicale en faveur des
infirmières et autres professionnels
de la santé, souvent contraints de
participer aux exécutions, car moins
aptes à résister aux injonctions administratives.
Ce mouvement général est-il lié
à la publication dans The Lancet
d’un article scientifique dénonçant l’injection létale comme une
torture ?
Le déguisement de la mise à mort
par injection létale en simple opération médicale a beaucoup été dénoncé. The Lancet a également publié un rapport remettant en cause
l’efficacité et le caractère indolore
de l’injection létale la même année.
De nombreux articles scientifiques
ont d’ailleurs été publiés en Inde à
ce sujet, notamment dans le Journal
Indien d’Éthique Médicale (IJME),
refusant de donner un visage médical à un traitement inhumain.
La décision qui a mené au rejet
de l’injection létale comme mode
d’exécution implique le recours
à la pendaison pour les exécutions à venir alors même que la
Commission des lois avait motivé
sa proposition d’application de
l’injection létale en dénonçant la
pendaison comme un traitement
inhumain. N’y a-t-il pas une
contradiction ?
Si bien sûr, ce qui montre bien la
schizophrénie actuelle du pays sur
la question de la peine de mort. Les
contradictions sont multiples, y
compris dans les décisions de justice. Par exemple, la jurisprudence
Bachan Singh ne juge pas la pendaison comme cruelle et inhumaine.
Mais alors, quel besoin éprouve la
Cour Suprême de poser des critères
d’humanité sur le mode d’exécution
des condamnés ? Cela prouve bien
que ces critères ne sont pas, et ne
peuvent pas, être remplis. Le malaise est évident.
Propos recueillis par Flora Barré
* M. le juge P. N. Bhagwati fut le chef de la Cour
Suprême de l’Inde jusqu’en 1986. Il a ensuite
occupé divers postes au sein de l’ONU.
d’interdire toute intervention d’un membre du personnel médical dans une exécution.
Tout comme l’Association médicale mondiale et l’Ama,
le Colegio de Medicos y Cirujanos du Guatemala s’est
vigoureusement prononcé contre la participation des
personnels de santé aux exécutions et a dénoncé ce
qui constitue une violation de la loi et de l’éthique de
la pratique médicale. On le voit, la décision de la Cour
suprême américaine du 12 juin, qui va permettre à tous
les condamnés à mort de saisir les cours locales, s’inscrit dans un contexte international favorable. Ces coups
de butoir, alliés aux professions médicales, pourraient
amener à une remise en cause définitive de la torture
létale et par là même de la peine capitale, se prennent
à espérer les abolitionnistes.
Maela Castel
*50D82T*
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
La France célèbre
en ce moment
le 25e anniversaire
de l’abolition de la peine
de mort. L’occasion
pour Robert Badinter de
revenir sur les origines
de son engagement
et d’expliquer comment
en 1981, face à une
opinion publique hostile,
il a réussi à bannir du
code pénal cette peine
inhumaine. Dans son
combat, il a pu compter
sur le soutien de
personnages influents
comme MM. Hutin,
Sérillon, Bas et Repiquet,
respectivement patron
de presse, journaliste,
député et avocat.
Ces derniers racontent
ici la façon dont ils ont
mis ce sujet en débat
dans la France des
années 1970. Ils furent
aidés en cela par de
grands intellectuels
comme Michel Foucault,
dont nous republions
une interview de 1981.
Un quart de siècle
sans guillotine ne met
pourtant pas la France
à l’abri d’un retour
à la barbarie. Cet
anniversaire permet
également d’évoquer,
avec de grands acteurs
des droits de l’homme, les
questions qui demeurent
dans la société française
aujourd’hui.
4
Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France
25 ans
sans guillotine
Dossier
coordonné par
Sébastien
Poulet-Goffard
rédaction :
Ève Boccara
Luc Chatel
Pauline Frain
Alexia Leibbrandt
Emmanuel
Maistre
Elenn MouazanBoumendil
Laure Toury
Robert Badinter:
« Une victoire de l’humanité
sur elle-même »
Paris, un matin de novembre 1972. Derrière les hauts murs de la Santé, sous le dais noir, Roger Bontems
est guillotiné pour complicité d’assassinat. À ses côtés: ses deux avocats, Philippe Lemaire et Robert
Badinter. L’exécution furtive de ce client qui n’avait pas tué marque à jamais l’abolitionniste de 44 ans.
C’est à cet instant qu’il devient un adversaire acharné de la peine de mort. Vingt-cinq ans après avoir
obtenu l’abolition en France, l’ancien garde des Sceaux n’a pas oublié l’hostilité de l’opinion publique
qui a précédé, mais aussi accompagné, le vote de la loi. Assis sous un portrait de son allié, le philosophe
Michel Foucault, il revient sur ces années intenses, évoque le combat nécessaire contre les pulsions
de mort d’une société et se réjouit des progrès de l’abolition dans le monde.
Collectionneur de documents
judiciaires historiques, l’ancien
garde des Sceaux possède l’un
des six exemplaires originaux
de la loi d’abolition en France.
Un cadeau de François Mitterrand.
Robert
Badinter
publie chez
Fayard
Contre la peine
de mort
Le père de la loi d’abolition de la
peine de mort célèbre le 25e anniversaire du texte à sa manière. Robert
Badinter publie un témoignage de ses
dix ans de combat hors des prétoires.
Contre la peine de mort est un recueil
de nombre de ses articles, discours
et interviews parus alors que le débat
faisait rage en France et jusqu’en
2001. Le premier texte, écrit en 1970
pour Le Figaro Littéraire, décodait
les raisons pour lesquelles la peine
capitale persistait dans certains pays,
et constatait que le moment était
venu de l’abolir en France. L’ouvrage
a également un objectif pédagogique :
« je souhaite que les jeunes générations prennent conscience que la
marche vers l’abolition n’était pas
une promenade de roses », explique
Robert Badinter. « Certains pensent
que l’on a fait cela comme on vote
le budget. Ce fut une grande bataille
politico-morale. »
Votre combat contre la peine de mort
a commencé dix ans avant son abolition en 1981.
Pourtant, vous aviez plutôt un profil d’avocat
d’affaires. Comment en êtes-vous venu
à vous impliquer dans cette cause et, plus
généralement, dans les questions pénales ?
En réalité, j’ai commencé avec un grand avocat d’assises, Henri Torrès. Entre 22 et 27 ans, j’ai plaidé avec
lui dans de très importantes affaires et connu d’illustres
pénalistes. Mais, quand il a pris sa retraite en 1957,
j’ai effectivement cessé d’avoir une véritable activité
pénaliste : j’ai passé l’agrégation, enseigné et traité
essentiellement d’affaires de presse, de propriété intellectuelle et de droit commercial. C’est donc grâce au
Reportage hasard de la vie que Philippe Lemaire, jeune et déjà
photographique : admirable avocat, est venu me demander de travailler
Pol Boussaguet avec lui : les grands anciens lui déconseillaient en ef-
fet d’aller seul aux assises dans un procès où un client derait s’il avait de grands risques d’encourir la peine
risquait sa tête. Car, face à l’enjeu, l’avocat ne peut se de mort.
permettre d’être malade ou fatigué. C’était pour le procès Buffet-Bontems.
Le tournant décisif de la lutte contre la peine
C’est ce procès qui vous a fait passer
en 1972 au stade de l’engagement.
Quel a été le déclic précisément ?
capitale en France est survenu quatre ans plus
tard : votre client, Patrick Henry, qui a enlevé
et tué un enfant, échappe à la guillotine.
Quelle a été votre stratégie ?
La condamnation à mort de mon client, Bontems, alors
que la cour d’assises avait pourtant reconnu qu’il n’avait
pas tué. Contre toute attente, le président Pompidou a
refusé de le gracier. Quand je suis sorti de la Santé après
l’exécution de Bontems, j’ai considéré que cette situation était insupportable. Je ne pouvais pas admettre une
justice qui tue. Aussi longtemps que la peine de mort
subsisterait en France, je me suis alors promis de ne
jamais refuser de défendre quiconque me le deman-
J’ai compris que si on n’axait pas le procès sur la peine
de mort, l’affaire était perdue. Patrick Henry n’avait aucune excuse, et l’opinion, en transe, voulait sa tête. J’ai
donc décidé de changer le cours du débat : j’ai fait entendre des criminologues, des psychiatres et des philosophes pour transformer le procès de Patrick Henry
en procès contre la peine de mort. L’atmosphère était
terrible, plus encore que pour le procès Bontems : se
retrouver dans la même salle, sur le même banc, avec
*50D83T*
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
L’histoire de l’abolition de la peine de mort en France aura duré
200 ans. Deux cents ans pendant lesquels elle sera plus ou moins
pratiquée, oubliée ou discutée. Deux cents ans qui s’achèvent
le 18 septembre 1981. Ce jour-là, l’Assemblée nationale vote,
par 363 voix contre 117, l’abolition de la peine capitale en France.
Avant la fin du XVIIIe siècle, rares
sont ceux qui, en France, mettent
en doute la légitimité de la peine
de mort. Toutefois, lorsqu’en 1764,
un jeune homme de vingt-six ans,
Cesare Beccaria, publie son traité
« Des délits et des peines », les idées
vont peu à peu évoluer. Une ère
nouvelle commence, des débats
s’ouvrent, ils seront l’amorce du premier mouvement abolitionniste.
De Robespierre à Badinter
(1791-1980)
Deux siècles de vie politique, cinq
grands débats parlementaires ne
surent venir à bout de la peine de
mort de 1789 à 1981. Le premier
débat officiel en France date du
30 mai 1791. Il est initié par LouisMichel Le Pelletier de Saint-Fargeau,
rapporteur du projet de code pénal, qui souhaite l’abolition de la
peine capitale. Le projet est alors
soutenu par Maximilien de Robespierre pour lequel « premièrement
la peine de mort est essentiellement
injuste et deuxièmement elle n’est
pas la plus réprimante des peines et
elle multiplie les crimes beaucoup
plus qu’elle ne les prévient ». Le
rapporteur plaidait alors pour une
abolition cantonnée aux crimes de
droit commun avec une peine de
substitution limitée à vingt-quatre
ans d’emprisonnement. L’Assemblée
nationale constituante refuse pourtant d’abolir. Le nouveau code pénal est adopté avec son célèbre article 3 selon lequel « Tout condamné
à mort aura la tête tranchée. »
Robespierre lui-même, parvenu au
pouvoir, n’aura pas le courage de
mettre en œuvre ses idées politiques, contraires à l’opinion des citoyens. Du 10 juin 1793 au 27 juillet
1794, date de la chute de Robespierre, on estime à 1373 le nombre
de têtes coupées. Ce fut l’apogée de
l’application légale de la peine de
mort en France. La justice révolutionnaire aurait exécuté entre trente
mille et quarante mille condamnés.
Le 26 octobre 1795, la Convention
nationale abolit la peine capitale,
mais seulement à dater du jour de
la publication de la paix générale.
Avec l’arrivée de Napoléon Bonaparte, la peine de mort, qui n’a de
fait pas encore été abolie, est rétablie le 12 février 1810, dans le Code
pénal impérial français.
Le Consulat puis l'Empire feront litière des idées abolitionnistes, et au
lendemain de la proclamation de la
paix générale, la loi du 8 nivôse An
X maintient provisoirement la peine
de mort, le droit de faire grâce étant
toutefois prévu par le sénatusconsulte du 16 thermidor An X, droit
attribué au Premier Consul (depuis
lors, jamais le principe du droit de
grâce accordé au chef de l'Etat quel que soit le régime constitutionnel na été sérieusement discuté).
Le Code pénal de 1810 maintient la
peine de mort et en étend même un
peu le domaine d'application (39
cas) ; la peine de mort reparaît notamment contre les voleurs qui réunissent cinq circonstances aggravantes.
Lors de la Révolution de 1830, de
nombreuses propositions de loi abolitionnistes sont déposées, notamment celle de Destutt de Tracy le 17
août 1830, suivie du vote par la
Chambre des députés d'une Adresse
au Roi demandant l'abolition.
La réforme du Code pénal en 1832
supprime neuf cas passibles de la
peine capitale (complot sans attentat, fausse monnaie, contrefaçon des
sceaux de l'État, certains incendies
volontaires, vol avec circonstances
aggravantes…) et généralise la prise
en compte des circonstances atténuantes.
De nouveaux débats ont lieu en
1838, avec les interventions de Lamartine.
Dix ans plus tard, la Deuxième République abolit la peine de mort en
matière politique mais rejette plusieurs amendements tendant à une
abolition totale. Malgré les discours
deVictor Hugo à l’Assemblée, l’abolition est rejetée par 498 voix contre
216. D'autres propositions abolitionnistes suivront (Savatier-Laroche
en 1849 et celles de Schoelcher et
Raspail en 1851), toutes rejetées.
Sous le Second Empire, l'opposition
républicaine, notamment Jules Favre
puis Jules Simon, essaie de dénoncer le « compromis de 1832 » qui
avait limité la peine de mort sans la
supprimer. En vain.
De nombreuses propositions furent
aussi déposées pendant les premières décennies de la III° République (notamment par Schoelcher,
Louis Blanc, Frebault, Dejeante, Barodet, Brunet et Flaissières) mais il
faut attendre 1906 pour qu’un nouveau grand débat parlementaire ait
lieu.
À compter de 1906, le président de
la République Armand Fallières,
partisan de l’abolition de la peine de
mort, va systématiquement gracier
tous les condamnés à mort. La commission du budget de la Chambre
tant en scène une opinion anti-abolitionniste qui fausse le débat sur la
peine de mort, finalement maintenue. Malgré l’appui de Jean Jaurès,
le projet de loi est rejeté le 8 décembre par 330 voix contre 201.
Sous le Régime de Vichy, le maréchal Pétain refuse la grâce par treize
fois.
Pour Robespierre
la peine de mort était
profondément injuste
des députés vote, en 1906, la suppression des crédits pour le fonctionnement de la guillotine, afin de
mettre à mal la procédure d’exécution des condamnés. Le 3 juillet
1908, le garde des Sceaux, Aristide
Briand, soumet aux députés un projet de loi de Joseph Reinach, datant
de novembre 1906, sur l’abolition
de la peine de mort. L’affaire semble
en bonne voie quand survient le
crime d’Albert Soleilland. Le 27 janvier 1907, ce petit-bourgeois déclassé, vivant de menus larcins et errant d’un meublé à l’autre, viole et
assassine la fille de ses voisins et
amis, Marthe Erbelding, onze ans.
La culpabilité de Soleilland ne fait
pas de doute : il est condamné à
mort. Mais le caractère atroce du
meurtre provoque un déchaînement
des passions, surtout lorsque le
coupable est gracié par Armand Fallières. La presse se déchaîne, met-
Georges Pompidou, qui arrive au
pouvoir en 1969, est considéré
comme hostile à la peine de mort.
Il gracie les six hommes qui sont
condamnés à mort durant les trois
premières années de son mandat.
Mais en 1972, il refuse la grâce présidentielle à deux détenus, responsables de la mort d’une infirmière et
d’un surveillant à la centrale de
Clairvaux. Le 29 novembre 1972,
Claude Buffet et Roger Bontems
sont exécutés. C’est le début de la
croisade de Robert Badinter pour
l’abolition totale de la peine de mort
en France. En 1977, Patrick Henry,
inculpé pour le meurtre d’un enfant, échappe à la peine de mort
grâce au vibrant plaidoyer de l’avocat. La polémique démarre vraiment
en France. En 1978, lors de la discussion du budget de la Justice, les
partisans de l’abolition relancent véritablement l’offensive. Pierre Bas
Europe: terre d’abolition,
tour d’horizon
L'Union européenne, actuellement en mutation profonde,
a une tradition abolitionniste. Avant l'adhésion de dix
nouveaux pays d'Europe centrale et orientale en mai 2004,
c’était la France qui avait procédé à la dernière exécution
d'un condamné, en 1977. L'Europe à 25 (sans oublier les
candidats à l'adhésion) recouvre à présent des réalités assez disparates en matière d'abolition de peine de mort.
Parmi les pays fondateurs de la CEE et signataires du
Traité de Rome en 1957 (la Belgique, les Pays-Bas, le
Luxembourg, la France, l'Italie et l'Allemagne), les précurseurs en matière d'abolition sont indubitablement
les Pays-Bas : la peine de mort y est abolie pour les délits ordinaires depuis 1870. L'Italie et l'Allemagne ont respectivement aboli la peine de mort en 1948 et 1949. Si
l'abolition est entérinée plus tardivement dans les autres
pays fondateurs, les dernières exécutions remontent à
plusieurs décennies. On peut donc parler d'abolition de
facto assez ancienne.
En ce qui concerne les pays qui ont rejoint l'Union
européenne au cours des années 1970 et 80, le
Royaume-Uni et le Danemark font figure de bons
élèves : dernières exécutions britannique et danoise,
respectivement en 1964 et 1950. Le Danemark est totalement abolitionniste depuis 1978, tandis que le
Royaume-Uni l'est depuis 1969 (hors trahison et piraterie violente, depuis 1998). Signalons toutefois qu'en
Grande-Bretagne, plusieurs tentatives de réintroduction de la peine capitale ont eu lieu.
Le 1er mai 2004, dix pays ont fait leur entrée dans
l'Union européenne, portant ainsi le nombre d'États
membres à 25. D'une façon générale, l'abolition de la
peine de mort dans ces pays a lieu dans le mouvement
de transition démocratique intervenu au lendemain de
la chute du Mur de Berlin, sauf pour Malte : en 1971
pour les crimes communs (dernière exécution en 1943).
La Lettonie, l'Estonie, la Lituanie et la Pologne sont
abolitionnistes depuis moins de dix ans. La République
tchèque et la Slovaquie ont aboli la peine de mort en
1990, alors qu'elles ne formaient encore qu'un seul et
même état, la Tchécoslovaquie. Toutefois, après la séparation, en 1993, les deux pays ont inscrit dans leur
Constitution le refus de la peine de mort.
L'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union
européenne est prévue pour bientôt. La Roumanie est
abolitionniste depuis 1989, et la Bulgarie depuis 1998
– mais un moratoire sur les exécutions était appliqué
dans ce dernier pays depuis 1990. Les candidats à l'adhésion, la Turquie et la Croatie, sont également abolitionnistes : la Croatie a intégré l'abolition à sa Constitution en 1990, et la Turquie a voté un ensemble de
réformes incluant l'abolition de la peine de mort en
2002. Néanmoins, Ankara maintient la peine de mort
pour les « crimes commis en temps de guerre ».
Pauline Frain
le même avocat général qui demandait la peine de la foulée, il allait abolir. Je me trompais. Et dès lors,
après l’exécution du jeune Ranucci, il ne pouvait plus
mort !
gracier. Il était évident pour tous que si Patrick Henry
était condamné à mort, il serait guillotiné. Cela a draD’autant que l’irruption de cette affaire influence
matisé à l’extrême son procès à Troyes. J’ai mis les
l’issue d’une autre, celle de Christian Ranucci,
qui est guillotiné alors que sa culpabilité n’a, elle, jurés face à leur responsabilité. J’ai pris leur regard, je
m’en souviens, l’un après l’autre, et je leur ai dit ? : « Un
jamais été clairement établie.
Je n’ai jamais oublié le lien tragique qui unit ces deux jour, bientôt, l’on abolira la peine de mort, et vous
affaires. Aujourd’hui, je suis toujours convaincu que resterez seul avec votre verdict, pour toujours. Et vos
Ranucci était innocent et qu’il a été condamné à mort enfants sauront que vous avez un jour condamné à
parce que Patrick Henry venait d’enlever et de tuer le mort un jeune homme. Et vous verrez leur regard ? ! ? ».
petit Philippe Bertrand. Le président Giscard d’Estaing Un immense silence régnait dans la salle de cour d’asavait pourtant fait savoir en privé qu’il était contre la sises. Je me suis assis. C’était fini.
peine de mort. Il me semblait un grand Européen et,
partout en Europe occidentale, l’abolition avait gagné. Comment se sont passés les procès suivants ?
Il voulait incarner la modernité et avait fait voter la loi Jusqu’en 1981, j’ai sauvé cinq hommes qui avaient déjà
Veil sur l’avortement. Il me semblait évident que, dans été condamnés à mort et dont l’arrêt avait été cassé pour
propose la suppression des
185 000 francs de crédits prévus
pour la rémunération du bourreau.
Les arguments développés à cette
occasion seront repris dans le rapport présenté en 1979, au nom de
la commission des lois, par Philippe
Séguin, sur les propositions de
Pierre Bas, gaulliste, et des groupes
socialiste et communiste. Ces textes
ne seront pas examinés par l’Assemblée mais le débat qu’ils ont
permis d’ouvrir préparera et orientera les délibérations de 1981. Le
10 septembre 1977, Valéry Giscard
d’Estaing refuse de gracier Hamida
Djandoubi qui est guillotiné. Il sera
le dernier en France. Il est également le dernier exécuté de toute
l’Europe occidentale (Europe des 15
avant son élargissement) !
Dossier : Spécial 25e anniversaire de l’abolition en France
5
France: 200 ans
de lutte contre la peine capitale
Badinter contre l’opinion (1981)
Au cours du XXe siècle, l’opinion des
Français sur la peine de mort a
beaucoup évolué. Plusieurs sondages ont montré de grandes différences d’une époque à l’autre. En
1908, le Petit Parisien publiait un
sondage, au lendemain du crime de
Soleilland, dans lequel 77 % des interrogés se déclaraient en faveur de
la peine de mort. En 1960, un sondage de l’Institut français d’opinion
publique (Ifop) montrait que 50 %
des Français étaient contre la peine
de mort et 39 % pour. En 1972, dans
un autre sondage Ifop, 27 % des
sondés seulement étaient contre la
peine de mort et 63 % pour. Le
16 mars 1981, en pleine campagne
électorale pour les élections présidentielles, François Mitterrand déclare ouvertement qu’il abolira.
Georges Marchais et Jacques Chirac, candidats à la présidentielle, se
déclarent également en faveur de
l’abolition. À cette époque, 63 %
des Français sont encore favorables
à la peine capitale. François Mitterrand est pourtant élu président de
la République le 10 mai. Le 25 mai,
il gracie Philippe Maurice, le dernier
condamné à mort français. Le
26 août, le Conseil des ministres approuve le projet de loi abolissant la
peine de mort. Le 17 septembre, Robert Badinter présente le projet de
loi à l’Assemblée nationale : « Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les députés, j’ai l’honneur, au
nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée
nationale l’abolition de la peine de
mort en France. » La loi est votée le
lendemain par 363 voix pour contre
117. Le 30 septembre, plusieurs
amendements du Sénat sont rejetés.
La loi est donc officiellement votée
par les deux Chambres. Le 9 octobre, la loi est promulguée. La
France, dernier pays d’Europe occidentale à appliquer encore la
peine de mort, l’abolit enfin.
vice de forme. À chaque fois, les jurés ont épargné leur
tête. C’était très difficile car ils me regardaient arriver
en pensant « ça y est, Badinter va nous faire son discours sur l’abolition ! ». Et, de mon côté, je ne pouvais
refuser les dossiers car je m’étais juré de continuer tant
que la peine de mort n’était pas abolie. Chaque procès demandait plus d’intensité : il fallait convaincre les
jurés que, ce que je voulais, c’était les empêcher d’aller vers ce que je considérais comme l’abîme pour l’accusé et aussi pour eux.
Quel principe fondamental mettiez-vous
alors en avant ?
Un principe simple, absolu: la justice ne peut pas tuer.
Pour autant, je ne plaidais jamais académiquement. J’ai suite
toujours mis les jurés face à eux-mêmes et à leur res- page suivante
ponsabilité directe. Jamais je n’utilisais de notes car je ne •••>
Témoins de l’abolition
*50D82T*
Pierre Bas - Yves Repiquet:
engagements croisés
Depuis quarante ans,
il est incontournable dans
le paysage médiatique français.
Patron de Ouest France,
François-Régis Hutin est aussi
un fervent défenseur des droits
de l’homme. Il évoque ici
son engagement en faveur
de l’abolition et la façon dont
il s’est efforcé de lutter avec
les armes du journalisme.
Yves Repiquet, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, fut le suppléant
parlementaire de Pierre Bas, un des premiers députés gaullistes à s’être
engagé contre la peine de mort. Trente ans plus tard, ils se souviennent.
Comment s’est passée votre rencontre ?
Yves Repiquet : Nous nous sommes connus lors d’un
dîner en 1976, chez un de mes clients. Pierre Bas était
alors président du groupe gaulliste à Paris.
Pierre Bas : À ce dîner, j’ai été impressionné par la
connaissance qu’avait Yves Repiquet, jeune avocat, de
la vie politique française. Il avait 26 ans alors. Nous
avions la même vision des choses. Je lui ai demandé
d’être mon suppléant pour les législatives de 1978.
Quels députés avaient mené le combat
pour l’abolition au XXe siècle ?
Pierre Bas a été député de
1962 à 1983 et maire du
VIe arrondissement de 1978
à 1989. Il est un des premiers
députés gaullistes à avoir mené
le combat pour l’abolition
de la peine de mort.
Pierre Bas : Depuis la révolution, de nombreuses tentatives de députés pour abolir la peine de mort avaient
échoué. Mais en 1906, il n’y avait plus d’exécutions. Le
président graciait systématiquement les condamnés.
C’est le crime de Soleilland qui a relancé le débat en
1907. À ce moment, le président de la République, Armand Fallières, décide de gracier un homme qui a
commis un meurtre atroce. L’opinion se déchaîne.
Après cette affaire, les exécutions reprirent en France.
Quand les députés Colette et Claudius-Petit déposèrent
deux propositions de loi pour l’abolition en 1966
et 1967, ils ne recueillirent que vingt signatures, dont
la mienne.
Comment avez-vous décidé d’agir en votre nom ?
Yves Repiquet, avocat
spécialisé en droit pénal
des affaires, est bâtonnier
de l’Ordre des avocats de Paris
depuis janvier 2006. Il a été
le suppléant de Pierre Bas
de 1978 à 1986.
Pierre Bas : Eugène Claudius-Petit quitta ses fonctions
de député en 1978. Je me retrouvais, par les hasards
de l’ordre alphabétique, le premier à pouvoir reprendre
le flambeau et redéposer sa proposition de loi. J’ai
pour habitude de dire que j’ai été mené à ce combat
grâce à mon nom de famille ! J’ai hésité pendant deux
semaines et j’en ai longuement discuté avec Yves à
l’époque. Le 8 mai 1978, j’ai déposé une proposition
de loi pour l’abolition de la peine de mort en France.
Seuls dix députés de la majorité signèrent ma pétition.
Le premier soutien fut celui de Philippe Séguin, suivi
par Bernard Stasi, Adrien Zeller, et quelques autres. Le
gouvernement ayant refusé d’ouvrir le débat, je choisis une autre méthode. Le 24 octobre 1978, je proposais un amendement au budget afin de supprimer les
sommes allouées au bourreau ! On a crié au loup. Traiter un sujet aussi grave par un amendement sur un
point de détail était inconcevable pour les députés. Ma
technique n’a finalement pas fonctionné, mais elle a eu
le mérite de provoquer le premier débat sur la question de la peine de mort depuis 70 ans !
Vous étiez peu à droite à soutenir l’abolition…
N’était-ce pas risqué politiquement ?
Pierre Bas : Les risques politiques étaient réels, mais
j’ai réalisé que depuis 13 ans que je signais des pétitions abolitionnistes, personne, dans mon arrondissement ne le savait. Lorsque j’ai déposé la première proposition en mon nom, les choses ont changé.
Yves Repiquet : J’étais jeune alors, et j’avoue que je
ne m’étais jamais posé la question de mon positionnement vis-à-vis de la peine de mort. Après en avoir
discuté avec Pierre, j’ai vite réalisé à quel point son engagement était évident. Pourtant nous prenions, effectivement, un risque politique majeur à l’époque. Nous
étions élus du VIe arrondissement de Paris, un quartier
plutôt conservateur. En dépit de la popularité de Pierre
Bas, c’était une période très difficile, les gens ne comprenaient pas notre action. Les élus, surtout. Je ne
pense pas qu’ils étaient véritablement hostiles à notre
cause, mais ils pensaient à l’électorat. Finalement, les
bulletins de vote n’en ont pas trop souffert. Nous avons
obtenu 65 % aux législatives de 1981, et 70 % aux municipales de 1983.
FrançoisRégis Hutin,
président
directeur
général
du premier
quotidien
de presse
régionale
française.
Quels sont les principaux combats à mener
en matière de politique pénale aujourd’hui ?
Yves Repiquet : Heureusement, la politique pénale actuelle n’est plus confrontée à un tel débat et la peine
de mort n’est plus discutée aujourd’hui. En revanche,
les combats se sont déplacés, même s’ils sont de
moindre ampleur. Je plaide pour ma part pour l’introduction du contradictoire dans la procédure, ainsi que
pour la réforme de la garde à vue. L’avocat a toujours
eu pour rôle de protéger les droits de la défense et les
droits fondamentaux de l’homme, même coupable. Et
ce combat là continue.
Propos receuillis par
Eve Boccara
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Vous mentionnez, dans un livre de souvenirs,
des procès où il fut question de la peine de mort.
Avez-vous en mémoire un moment précis ?
condamné à mort. Cette personne s’était retranchée chez
elle, avait tiré à travers sa porte et tué quelqu’un. Ce fut
ma première confrontation physique, directe avec la peine
de mort. Je me souviens très bien de mon retour au journal, il y avait une très forte émotion. C’était une petite rédaction locale, nous étions plutôt engagés. L’ambiance
dans le tribunal n’était pas dominée par la haine, je me
souviens plutôt d’une salle devenue tétanisée au moment
de la sentence, et de la prononciation de cette phrase terrible: « tout condamné aura la tête tranchée ». Il y a là
quelque chose de violent, en premier lieu pour celui qui
est condamné mais aussi pour ceux qui assistent.
Puis vous avez suivi le procès de Patrick Henry,
un tournant du combat pour l’abolition…
J’ai couvert le procès de Patrick Henry à Troyes pour AnOui, j’ai en effet un souvenir très précis. C’était en 1971, tenne 2 avec Paul Lefebvre. Je faisais les comptes-renà Nantes. J’étais journaliste au quotidien Presse Océan. dus pour le journal de 23 heures et Paul pour celui de
J’avais suivi un procès à l’issue duquel l’accusé avait été 20 heures. Je me souviens de Robert Badinter, assez ren-
fermé, qui prenait ses repas à part dans le restaurant où
nous allions, et du bâtonnier de Chaumont, Maître Bocquillon, qui était lui aussi d’un courage formidable. Personne ne voulait défendre Patrick Henry. J’ai découvert
la haine des gens, l’ambiance médiatique, l’effervescence.
Je me souviens de la plaidoirie de Badinter, du son de
sa voix, de la crispation de sa mâchoire, de cette capacité qu’il avait de retenir l’attention des jurés un par un,
et de la haine du procureur à son égard. On sentait dans
l’ambiance qu’il y avait d’autres enjeux que le procès en
lui-même: un combat de la province contre Paris, de la
justice populaire contre l’avocat élitiste. On entendait des
remarques comme: « les assassins, les criminels sont des
gens odieux mais vous, évidemment, dans vos beaux
quartiers, vous vous en foutez ». Il faut d’ailleurs noter
que l’on retrouve aujourd’hui ce type de propos, à un
autre niveau, dans le débat sur l’immigration. Tout cela
créait un climat étrange, sans compter cet assassin qui
n’avait rien de sympathique.
Émile Pollack et Albert Naud. Puis il y a eu une nouvelle génération de pénalistes : Henri Leclerc, Philippe
Lemaire et Jean-Louis Pelletier. Le hasard de la vie est
extraordinaire : si Philippe Lemaire n’était pas venu me
chercher pour l’affaire Buffet Bontems, et si Bontems
avait sauvé sa tête, je ne serais pas devenu le champion de l’abolition…
Il faut aussi évoquer des autorités morales. Les Églises.
Un fort mouvement intellectuel, avec Michel Foucault
en figure de proue. La presse, quant à elle, était très
clivée. Il y a eu des partisans acharnés de l’abolition
dans la presse régionale, Ouest-France en tête, L’Est Républicain… Dans la presse nationale vous aviez la
presse d’Hersant, farouchement pour la peine de
Quelles personnalités moins connues pour
le combat contre la peine de mort vous ont aidé ? mort, et juste à l’opposé, Le Monde, L’Humanité et, bien
Il y a de grands abolitionnistes qui, hélas, sont morts sûr, La Croix et toute la presse catholique. Dans les
avant d’arriver au port. Je pense à mes aînés avocats, hebdomadaires, L’Observateur a été un grand support
voulais pas perdre leur regard une seconde. Rien de ce
que j’ai vécu après ne se compare à ces moments-là. Il
faut se représenter ce qu’est une salle de cour d’assises.
Souvent, les jurés ne sont qu’à cinq ou six mètres de vous.
L’accusé est derrière vous et vous l’entendez respirer
pendant qu’on demande sa tête. Vous savez que vous
disposez de 45 minutes pour convaincre le jury et le sauver. Je vivais cette angoisse mais je demeurais impassible.
Quelquefois, il m’arrive de passer devant la Santé et je
me dis: « c’est pas vrai… Là, il y a 25 ans, à 500 mètres
à vol d’oiseau du jardin du Luxembourg, on prenait des
hommes vivants et on les coupait vivant en deux? ».
Je pense que oui. À Erquy, en août 1944, alors que je
n’avais que 15 ans, j’ai exhumé avec ma mère des résistants prisonniers des Allemands qui avaient été exécutés sommairement. Il y avait un grand carré de terre
meuble au milieu d’une prairie au coin duquel gisait un
béret. J’ai dit à ma mère « c’est là ». Nous sommes allés
chercher des pelles et j’ai creusé jusqu’au moment où
j’ai senti que ce n’était plus de la terre que rencontrait
ma bêche… Nous avons sorti les corps, c’était l’horreur.
Je pense que ce jour-là a marqué toute ma vie.
C’est donc dans cet événement que vous situez
l’origine de votre engagement en faveur
des droits de l’homme…
Vous êtes de ceux qui n’ont jamais hésité à
interpeller le pouvoir avant 1981 ?
On ne le présente plus. Son nom et son visage sont familiers de tous les Français.
Dans les années 1970, rédacteur et reporter pour antenne 2, il a couvert
les plus grandes affaires criminelles du moment.
Témoin privilégié de l’ambiance passionnée qui régnait alors dans les tribunaux,
il a suivi avec intérêt le débat sur la peine de mort. L’homme de presse devenu
écrivain revient sur ses débuts professionnels.
Claude
Sérillon,
À lire :
Les Années
1970, par
Claude Sérillon,
éditions du
Chêne.
Abolitionniste, vous l’êtes incontestablement.
L’avez-vous toujours été ?
Oui. En Indochine, pendant mon service militaire, puis
lors de la guerre d’Algérie, tout cela m’est revenu en
mémoire. Du coup, je n’ai pas pu accepter le comportement des forces armées françaises, pas plus que
celui de ceux qu’on appelait alors des « rebelles ». C’est
pour cela que je me suis engagé dès mon entrée à
Ouest France dans le combat public pour l’abolition de
la peine de mort. J’ai fermement pris position dès décembre 1961 à l’occasion du procès d’Eichmann. Je ne
pouvais supporter qu’il fût exécuté malgré toutes les
charges qui pesaient contre lui. Ensuite, je n’ai pas
cessé d’écrire en ce sens.
Claude Sérillon:
« Je me souviens
de la voix de Badinter »
6
Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France
François-Régis
l’abolition
Oui, quand nous invitions les candidats à la présidence
de la République avec les confrères des grands quotidiens régionaux, je leur posais à tous et systématiquement la question : « Êtes-vous pour ou contre la peine
de mort ? » Je me souviens en mars 1980, avoir posé la
question au président Valéry Giscard d’Estaing : « Resterons-nous encore longtemps le pays de la guillotine ? »
Et puis au-delà du journalisme, je me suis engagé à fond
dans le combat abolitionniste avec tous ceux de cette
époque: Robert Badinter bien sûr, mais aussi Mme Georgie Viennet. Nous avons, entre autres, organisé avec diverses personnes des meetings à Rennes et ailleurs.
Cette expérience fut singulière
sur le plan humain, qu’en est-il du point
de vue journalistique ?
J’avais 26 ans à l’époque. C’était impressionnant.
J’avais déjà des convictions très affirmées contre la
peine de mort, cette expérience les a renforcées. D’autant que nous étions en fait des spectateurs engagés.
À l’époque, Antenne 2 était la petite chaîne, à côté de
TF1. On s’engageait à l’antenne, on faisait des éditoriaux, des sujets où l’on donnait notre avis. Comme
journalistes, nous prenions position. Je rends d’ailleurs
hommage à la quasi-totalité de la presse de l’époque
qui disait très clairement qu’elle était contre la peine
de mort. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Le système veut
que l’on ne prenne surtout pas position, sur aucun sujet. On donne les informations et on passe à autre
chose. De ce point de vue, cette époque me semble
assez lointaine.
de l’abolition, L’Express l’a été surtout du temps de
Françoise Giroud.
En mai 1981, François Mitterrand est élu
Président de la République et, le 30 septembre
au matin, la loi d’abolition de la peine de mort,
déjà votée par l’Assemblée nationale, est adoptée
conforme par le Sénat. Comment a-t-elle été
accueillie ?
Sans bienveillance par l’opinion publique, qui était
contre, aux deux tiers. Le débat au Sénat fut une grande
bataille parlementaire. Je rends d’ailleurs témoignage
aussi à certains sénateurs de droite qui étaient des abolitionnistes convaincus, comme Maurice Schumann.
Dans ce contexte, le vote de la loi n’était que le premier
acte pour moi : je me préoccupais de veiller à ce que
l’abolition soit rendue irréversible. La France a ainsi si-
*50D83T*
Philippe Maurice fut, en 1980, un des derniers condamnés à mort de la République
française. Gracié par François Mitterrand dès son arrivée au pouvoir, il passera
presque vingt ans derrière les barreaux. Aujourd’hui, ce quinquagénaire,
aux boucles poivre et sel est devenu chercheur, détaché au CNRS, à l’École des Hautes
Études en Sciences Sociales.
Le 17 septembre 1981, un sondage Sofres
révélait que 62 % des Français demeuraient
favorables à la peine capitale. Le 23 octobre
2001, le même institut de sondage montrait que
la proportion de Français favorables à l’abolition
s’élevait à seulement 44 %. Quelles réflexions
cela vous inspire-t-il ?
En ce qui concerne le sondage de 1981 et la proportion de 62 %, je n’ai pas pensé que la loi de l’abolition pouvait constituer une mesure antidémocratique.
C’est à mon avis la représentation nationale dans sa sérénité qui doit arrêter ce genre de décision.
Quant au sondage de 2001, cela ne signifie pas que
56 % des Français sont favorables à la peine de mort.
J’estime en tout cas que l’idée de l’abolition progresse
et que l’opinion est de plus en plus horrifiée par ce
qui se passe dans un certain nombre de pays, notamment en Chine, mais aussi aux États-Unis d’Amérique.
Au-delà des sentiments d’horreur que cela provoque
en nous, il y a également des raisons profondes qui
doivent être invoquées pour revendiquer l’abolition.
D’abord, que toute personne doit être respectée dans
sa conscience et dans son existence quels que soient
ses actes. Bien entendu, il faut l’empêcher de nuire,
mais certainement pas en lui ôtant la vie.
L’Église catholique a officiellement pris position
contre la peine de mort. Beaucoup de chrétiens
semblent néanmoins y être favorables.
Quel message souhaitez-vous leur adresser ?
Oui, l’Église catholique a, enfin, officiellement pris position contre la peine de mort. Mais elle a attendu bien
longtemps et je dois vous dire que j’étais impatient
que vienne ce changement d’attitude. Je pensais, en effet, que les fidèles d’un Juste, condamné à la peine capitale à la suite d’un faux procès, auraient dû développer très vite une réflexion particulière sur un tel
sujet. Cela d’autant plus que ce Juste est le signe du
pardon et qu’il n’a jamais cessé d’appeler à la transformation, à la conversion du fautif, que nous sommes
tous plus ou moins.
En Chine, certains estiment entre 10 000
et 15 000 le nombre de personnes exécutées
chaque année. Deux ans avant les Jeux
Olympiques de Pékin, de quelles façons peut-on
mobiliser les journalistes sur cette thématique ?
C’est à mon avis par l’information permanente sur les
exécutions capitales en Chine que l’on peut amener à
faire réfléchir l’ensemble des journalistes qui se préoccupent de ce pays et des Jeux Olympiques qui vont
s’y dérouler. C’est d’autant plus important que c’est
dans les stades qu’ont lieu les exécutions publiques.
Comment ne pas faire ce rapprochement qui, à mes
yeux, est insoutenable et ne pas le rappeler pour protester sans cesse ?
Sur le plan international, il faut continuer à se battre.
Je ne savais pas, en commençant personnellement ma
lutte pour l’abolition, si un jour je la verrais aboutir en
France. Je ne sais pas si, demain, l’abolition sera généralisée à travers le monde mais je le crois. En tout
cas, je l’espère ardemment.
Propos recueillis par Sébastien Poulet-Goffard
Quand il y a tant de passion, comment rester,
malgré tout, au plus près des faits ?
Dans l’exercice de mon métier, je n’ai jamais pensé
que l’on pouvait être neutre. Chacun place toujours
sa subjectivité, sa morale dans ce qu’il fait, qu’il le
veuille ou non. L’objectivité n’existe pas. J’aime bien
les gens qui affichent la couleur. Je trouve cela infiniment plus respectable que l’eau tiède. Après Troyes,
j’ai suivi encore quatre ou cinq procès, le tour sinistre
et macabre que Badinter avait entamé pour sauver des
gens. Ce qui m’a vraiment marqué, c’est ce climat de
combat permanent qu’il a dû mener contre l’opinion
publique.
Philippe
Maurice,
ancien
condamné
à mort,
historien,
il a obtenu
son doctorat
en prison.
Vous avez été condamné à la
peine capitale à l’âge de 23 ans ?
Oui, mais tout a commencé alors
que j’allais avoir 20 ans, en 1977. J’ai
été condamné à cinq ans de prison
dont quatre ans ferme pour recel.
Au bout de deux ans, lors de ma
seconde permission, j’ai décidé de
ne pas revenir. Peu de temps après,
je me suis heurté à des policiers
lors d’un contrôle de police. Je
connaissais la prison, ses « rigueurs ».
Alors, je me souviens avoir dit a
mon ami d’enfance : « je préfère être
tué que d’y retourner ». Lui s’est fait
tuer au moment de la fusillade. Moi
j’ai tiré et j’ai tué un policier.
Encourir la peine capitale pour
meurtre ne vous a pas empêché
de commettre l’irréparable ?
Non, au moment où j’ai tiré, je n’ai
pas réfléchi. L’exemplarité de la
peine de mort me fait sourire: je n’ai
jamais vu un délinquant penser,
avant de commettre son acte, à la
peine de prison qu’il risquait d’écoper.
Tout le monde se croit plus intelligent. Moi je n’ai pas voulu tuer.
C’était un contexte de fusillade. Plutôt
me faire tuer que… donc à partir de
là on ne réfléchit plus. Quand un
mec attaque une banque, s’il tue
quelqu’un, c’est qu’il a dérapé. Il s’est
mis dans une poisse terrible.
Au moment de votre condamnation à mort, 63 % des Français
étaient pour la peine de mort.
Cela a-t-il joué sur le verdict ?
C’était une période un peu folle. Un
monde à part. Une fin de règne.
Giscard était à l’agonie en tant
qu’homme politique. Il était pris
dans toutes sortes d’affaires très
louches. Le chômage augmentait.
Pendant les dix derniers mois, la
France a vécu une politique très
sécuritaire. La presse, France soir et pas mourir avant. Il ne peut pas se
Le Figaro en remettaient une couche suicider. Quand j’ai fait ma grève de
tous les jours.
la faim et de la soif, un médecin m’a
dit qu’il n’en avait rien à faire que
je meure, mais que son travail était
Un débat sur la peine de mort
de me garder en vie pour mon
commençait pourtant à agiter
exécution.
le monde politique ?
Oui, François Mitterrand avait
commencé le combat en 1981 en Comment avez-vous appris
déclarant pendant sa campagne, et le résultat des élections ?
malgré l’avis des Français, que s’il J’avais une petite radio. Les gardiens
était élu, il abolirait la peine de mort. étaient très tristes. J’en ai même vu
Le second combat était, lui, euro- un qui a pleuré. J’ai juste souri. Ce
péen. Même si en clair, c’était sur- qui a suffi à les rendre enragés. Ils
tout la France qui était visée. La ne supportaient pas.
gauche européenne avait demandé J’ai quand même attendu jusqu’à
au Parlement européen que soit minuit. Je ne tenais pas à m’endécidé un moratoire préalable à dormir heureux et à me réveiller le
toute exécution. Schwarzenberg, lendemain, après le décompte défiqui à l’époque était secrétaire d’État nitif, en apprenant que la gauche
à la formation professionnelle, s’est avait finalement perdu ! Et puis c’est
énormément battu pour ça.
le lendemain ou le surlendemain
que Robert Badinter et ses avocats
Après votre condamnation à mort sont venus m’annoncer la nouvelle
en 1980, vous êtes-vous résigné? officiellement. Cinq jours après sa
Non, j’ai essayé de m’évader du victoire, François Mitterrand m’a
quartier des condamnés a mort. J’ai gracié. Un de ses tous premiers actes
échoué. À l’époque, je ne pensais politiques. Il a tenu parole.
pas que la gauche allait gagner les
élections. Peu de gens le pensaient. En quoi êtes-vous contre
Pourtant, je n’avais pas peur. J’étais la peine de mort ?
plutôt stressé, en colère. Je me suis Il n’y a aucune bonne raison de tuer
dit que quitte à y passer, j’allais les un homme. Mais on peut toujours
ennuyer jusqu’au bout et leur en trouver mille. En Chine on
montrer que je n’étais pas d’accord. exécute pour trafic de drogues et
Je ne voulais pas être complice de pour fraude fiscale, les talibans la
mon exécution.
pratiquaient pour sacrilège… Avec
Alors je me suis inventé des scéna- la peine de mort, c’est pratiquement
rios. Je me disais que le jour de mon toute l’humanité qui pourrait être
exécution, au moment de la levée exécutée. Pire encore, la peine de
d’écrou, je ferais le gars très calme mort n’exécute pas seulement le
pour finalement sauter sur le condamné, mais toute sa famille
procureur et lui mordre l’oreille, ou et ses enfants avec. C’est une
le nez. Puisqu’ils me prenaient pour aberration en plus d’être une chose
un monstre à abattre, autant ne pas odieuse. Nous vivons dans des
les décevoir. Mais c’était facile à sociétés de rapports de force, de
imaginer avant. En réalité, j’aurais violence et de menaces. Qu’est-ce
peut-être tout simplement pleuré.
qui empêche alors un jeune de
Harlem, par exemple, qui voit son
copain se faire rouer de coups par
Comment se comportait
des gens qui ont des matraques,
le personnel pénitentiaire ?
Après avoir tenté de m’évader, j’ai puis se faire mettre dans des
été roué de coups. Pour me quartiers de condamnés à mort par
maîtriser soi-disant. À l’époque à une justice qu’il ne reconnaît pas,
Fresnes, il y avait un directeur très qu’est-ce qui empêche ce jeune-là
particulier qui ne devait pas avoir de faire sa propre justice ?
envie que ses gardiens tuent un
condamné à mort avant son exé- La prison vous a finalement
cution. Sa technique était surpre- aidé à vous en sortir ?
nante : quand on me tabassait, il les Non. La prison ne m’a pas aidé.
laissait faire jusqu’au moment Notre société est en panne d’esprit
critique. Il se jetait alors dans la et devrait trouver d’autres moyens.
mêlée, les retenait un moment, puis C’est une chose de condamner les
les relaissait me taper. En fait, c’était gens à des peines de prison, mais
pour éviter qu’ils ne deviennent c’en est une autre quand des
fous. Un condamné à mort ne doit prisonniers se font arrêter et
rouer de coup, quand des gardiens
se permettent des violences physiques et morales. Même si certains
restaient propres, ils étaient rares.
J’ai pourtant le souvenir d’un sousdirecteur de prison à Fresnes, aujourd’hui magistrat, qui a quitté
l’administration pénitentiaire pour
dénoncer le fait que les détenus
étaient roués de coups au mitard.
Vous ne croyez donc pas
à la réinsertion sociale dans
le système pénitentiaire
tel qu’il existe ?
Je n’accepte pas qu’on me dise que
la prison m’a permis de faire des
études. D’autres m’ont aidé : des
universitaires bénévoles sont venus,
des étudiants me donnaient leurs
cours, un directeur de prison m’a
apporté son soutien quand j’ai
soutenu ma thèse à l’université. La
plupart des prisonniers végètent, se
suicident. La prison n’est pas faite
pour réinsérer. Ceux qui y arrivent
représentent une minorité.
Quand vous regardez
en arrière, pensez-vous avoir
purgé votre peine ?
Je regarde rarement en arrière. C’est
marrant pour un historien. La seule
chose que je trouve intéressante
dans notre passé personnel, c’est
les leçons que l’on peut en tirer.
Bien sûr, il y a des choses qu’on
regrette. Mais je trouve idiot de dire
qu’en purgeant une peine, on a
payé son erreur. Je ne suis pas dans
une logique d’oubli, d’absolution,
ou encore de torture quotidienne.
Je préfère être conscient de mes
erreurs, rendre ma vie utile, à moi
et aux autres. Le passé reste ce qu’il
est. Et le fait judiciaire n’a rien à
voir avec ce que je peux ressentir.
Heureusement.
Propos recueillis par
Alexia Leibbrandt
Témoins de l’abolition
Je n’ai pas arrêté mon combat. Ainsi, après l’arrestation de Klaus Barbie, quand certains hommes politiques en appelaient au rétablissement de la peine de
mort, je démontrais, le 9 février 1983, l’absurdité d’une
telle proposition. « Remède illusoire », écrivais-je aussi,
le 27 septembre 1986, en réaction à de nouveaux appels dans ce sens après la vague d’attentats terroristes
en France. Il a fallu également protester contre la pratique du châtiment suprême dans les autres pays, notamment aux États-Unis, mais également en Chine, à
Cuba, en Arabie saoudite et ailleurs.
Un de mes derniers éditoriaux, en date du 25 juin
2006, concerne le refus de la peine de mort qui pourrait être requise contre Saddam Hussein en Irak.
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Et depuis 1981 ?
Philippe Maurice: « On peut toujours
trouver mille raisons de tuer un homme »
ciaires pour Antenne 2 avec Paul Lefebvre pendant
cinq ans. Durant toutes ces années, j’ai pu rencontrer
les personnes qui assistent régulièrement aux procès :
certaines d’entre elles viennent tout simplement parce
qu’elles s’ennuient, on trouve notamment pas mal de
personnes âgées, mais ce sont surtout des personnes
fascinées par l’exercice de la justice. Il y a quelque
chose de très particulier à voir des gens dans un box
et à les entendre ensuite se faire condamner. Un peu
comme un renvoi de sa propre image. Les assassins
ont toujours fasciné.
Quels souvenirs gardez-vous du vote de la loi sur
l’abolition ?
gné en 1983, puis ratifié en 1986, le Protocole n° 6 à la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme qui
interdit le recours à la peine de mort. À l’époque, l’abolition n’était pas considérée comme un article de gloire
à porter au crédit politique de la gauche qui s’apprêtait
à perdre les élections. Aux municipales de 1983, pas un
maire ne m’a demandé de venir le soutenir. Si, un,
Jacques Auxiette à la Roche-sur-Yon… C’est vous dire à
quel point j’étais impopulaire ! Dans les livres écrits à
l’époque par les leaders socialistes, l’abolition est à peine
citée. Mitterrand n’en a jamais parlé avant 1988, sauf
une fois à la Ligue des droits de l’homme. Mais il savait,
parce qu’il avait le sens de l’Histoire, que c’était un acquis essentiel du septennat. Il l’a souvent rappelé ensuite.
Pendant les années qui ont suivi l’abolition, alors que
j’étais au Conseil constitutionnel, je n’en parlais plus.
La question était réglée pour la France, irréversible-
ment. Mais j’ai continué à l’étranger de poursuivre le champ de bataille premier pour l’abolition, car les Étatscombat pour l’abolition universelle.
Unis sont la première puissance du monde, le modèle
culturel dominant et la seule grande démocratie à pratiquer encore la peine de mort.
Quel bilan en faites-vous aujourd’hui ?
Les progrès sont immenses, et plus rapides que je ne
le pensais. En 1981, la France était le 35e État aboli- Croyez-vous que l’abolition universelle sera
tionniste. Aujourd’hui, nous en sommes à 119 (avec néanmoins réalisée un jour ?
ceux qui n’exécutent plus de condamnés depuis plus Certainement. Les jeunes générations la verront. Le
de dix ans), sur les 189 pays membres des Nations moment essentiel sera quand les États-Unis aboliront,
unies. L’abolition, d’abord très minoritaire à l’ONU, est ce dont je suis convaincu. Pas du temps de M. Bush,
devenue, en un quart de siècle, largement majoritaire. je suis sans illusions. Mais ça arrivera, c’est inéviElle s’est imposée sur tout le continent européen, sauf table. Parce que les Américains ont foi en leur jusen Biélorussie, État stalinien. En Russie, Poutine sou- tice, qu’ils considèrent comme la première au monde.
haite l’abolition, mais les députés de la Douma n’ont La peine de mort avec ses erreurs judiciaires et le rapas le courage de la voter à cause du terrorisme. Il y cisme inavoué mais inévitable des décisions des ju- suite
a cependant un moratoire, mais qui touche à sa fin. rés déshonore cette justice-là. Déjà, la Cour suprême page 9
Demeure le problème américain. C’est aujourd’hui le réduit le champ d’application de la peine de mort et •••>
Ce fut un moment symbolique. L’essentiel du travail, à
la fois juridique et médiatique, avait été fait avant, pendant tous ces procès. L’abolition ne fut pas vécue
comme un changement majeur. Il faut se souvenir de
l’époque : il y eut toute une série de mesures de transformation sociale, comme la semaine de 39 heures ou
la cinquième semaine de congés payés. Ces événements-là touchaient au quotidien des Français. Vous et
moi nous considérons l’abolition comme un événement fondamental, mais à ce moment-là, pour beaucoup de personnes, les grands changements politiques
étaient ailleurs. Pour l’histoire, on retiendra la date de
Vous pouviez discuter avec ceux
1981, mais pour la force du combat, on retiendra la péQui étaient ces personnes qui venaient
qui venaient réclamer la tête de l’accusé ?
au procès pour réclamer la peine de mort ?
Oh non ! Il n’y avait pas de discussion possible. riode précédente qui commence avec l’exécution de
C’est le public habituel des procès. J’ai commencé C’était violent. D’autant plus violent qu’à Antenne 2, Buffet et Bontems en 1972.
par faire les chiens écrasés et les correctionnelles à nous étions considérés comme des gauchistes. Notre
Propos recueillis par
Nantes pendant deux ans, puis les chroniques judi- présence suscitait des réactions très négatives.
Luc Chatel
Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France
7
Hutin:
dans le texte
Témoins de l’abolition
*50D82T*
SOS attentats
dépasser la haine
Philippe Lemaire:
acteur majeur
de l’abolition
en France
Avocat pénaliste depuis plus de quarante
ans, Philippe Lemaire a entendu tomber
la tête de Roger Bontems, son client
décapité en 1972. 1981 a changé sa vie.
« J’ai plaidé, en tout et pour tout au
cours de ma vie professionnelle,
contre sept réquisitions de peine
de mort. Deux ont été prononcées.
Une a été exécutée. » Philippe Lemaire ne sait plus comment tout
ça a commencé… Son engagement
contre la peine de mort, à son retour de la guerre d’Algérie en 1962.
Le temps et l’argent qu’il ne comptait pas, d’abord aux côtés de
Georgie Viennet, la présidente de
l’Association française contre la
peine de mort (parrainée par François Mauriac), puis aux côtés
des condamnés, de ceux qui risquaient la guillotine. Sa carrière ensuite, exemplaire, d’avocat pénaliste parmi les plus reconnus.
L’homme ne fait pas son âge. L’œil
et l’esprit vifs, il sourit en se souvenant que dans les années 1960,
au lendemain de la publication
d’un article signé de sa main dans
le Figaro condamnant le maintien
de la peine capitale en France, il est
interpellé au Palais de Justice par
lippe Lemaire est l’avocat de Bontems. « J’ai été choisi par sa famille
pour mon engagement contre la
peine de mort », se souvient l’avocat. « Cette affaire avait soulevé
dans l’opinion une émotion compréhensible, et le parquet de Troyes
avait reçu l’instruction d’aller vite. »
La cour d’assises de Troyes reconnaît, le 29 juin 1972, la culpabilité
des deux hommes et les condamne
à mort. Pourtant, les jurés reconnaissent que seul Buffet a tué, que
Bontems n’a fait que le suivre.
Roger Bontems. Celui que Philippe
Lemaire n’a pas pu sauver. Celui qu’il
a vu, en 1972, partir à la guillotine.
Celui qu’il est allé visiter chaque jour
dans sa cellule de la Santé, en attendant la grâce présidentielle. Celui
dont il est allé plaider la cause, en
vain, devant le président Pompidou.
Persuadé que celui qui n’avait pas
tué ne pouvait être tué.
Ce 28 novembre 1972, à l’aube, il
lui a parlé à l’oreille, jusqu’au tout
dernier moment. Il a entendu,
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
8
Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France
« Un type bien Bontems,
(…) Quelle justice
peut faire ça ? »
un confrère avocat : « Vous êtes fou
d’écrire ça, Lemaire. Si on vous prenait au mot, il n’y aurait plus d’avocats pénalistes en France. »
Quarante ans plus tard, la phrase
peut prêter à sourire. Plus d’avocats
pénalistes ? Encore un pied dans le
procès du mont Saint-Odile, Philippe Lemaire prépare la défense
de la famille Erignac. Les avocats
pénalistes sont toujours là. La peine
de mort a, elle, disparu. Et pourtant… Pourtant il y aura toujours,
pour lui, un avant et un après 1981.
« L’abolition a changé ma vie », affirme-t-il. « Si je vais plaider une affaire extrêmement grave, je sais que
mon client risque la perpétuité. Pas
l’échafaud. Ca change tout. »
Et qu’on ne vienne pas lui dire que
la prison vaut la mort, parce qu’il
est bien placé pour savoir que rien
ne vaut la vie. « Fin 72, j’ai défendu
Guy Hervé, un type qui avait tué et
blessé deux motards de la police.
L’atmosphère au procès était terrible. Les syndicats de police distribuaient à l’entrée du Palais des
tracts pour demander la condamnation à mort du prévenu. J’ai
sauvé cet homme d’une mort annoncée. J’ai obtenu la prison à perpétuité. Le lendemain du verdict,
mon client m’a dit qu’il avait passé
la plus belle nuit de sa vie. »
Avant ça, surtout, il y avait eu l’affaire des assassins de Clairvaux. Un
jour de septembre 1971, Roger
Bontems et Claude Buffet, tous
deux incarcérés à la centrale de
Clairvaux, dans l’Aube, tentent de
s’évader. Deux otages meurent. Phi-
ahuri, un homme venir demander
à celui qui allait à l’échafaud de signer sa levée d’écrou. Sa mise en
liberté… Il a entendu le bruit du
couperet, puis la tête tomber.
Robert Badinter, son ami, qu’il avait
convaincu de le rejoindre dans le
procès, écrira pour exorciser ce moment. Philippe Lemaire, lui, n’a jamais pu comprendre. « Un type
bien, Bontems. Un type dont la cour
avait reconnu qu’il n’avait pas tué…
Quelle justice peut faire ça ? »
Neuf ans et quatre exécutions plus
tard, le 28 octobre 1980, Philippe
Maurice est condamné à mort pour
le meurtre d’un policier. Philippe
Lemaire, lui encore, le défend, aux
côtés de Jean-Louis Pelletier. Pour
la deuxième fois de sa carrière, il se
rend à l’Élysée, plaider la grâce d’un
condamné. « Je vous écoute », leur
lance François Mitterrand. Les avocats ont été prévenus le jour même
que le président allait les recevoir.
S’il avait annoncé dans sa campagne, qu’élu, il abolirait la peine
capitale, devant lui, plus rien ne
semble sûr. François Mitterrand les
écoute attentivement, mais de ses
yeux, rien ne filtre. « Vous avez fait
votre devoir. Je ferai le mien »,
conclut le locataire de l’Élysée. Il se
lève. Les deux avocats se retrouvent inquiets rue du Faubourg SaintHonoré. Moins d’une heure après,
Philippe Lemaire l’apprend par la
radio. Philippe Maurice, le dernier
condamné à mort français, est gracié. Quelques mois plus tard, la
peine de mort est abolie en France.
Eve Boccara
Nombres de vies ont été brisées par des actes de terrorisme.
Mutilées dans leur chair et dans leur âme, les victimes ou familles
de victimes d’attentats pourraient, naturellement, être de ceux qui prônent
la peine de mort. Réparer l’horreur, châtier le mal par le mal.
Se venger et entamer un « œil pour œil, dent pour dent »…
Pourtant, en France, des hommes et des femmes qui ont subi
la violence aveugle ont pu se reconstruire et, malgré tout, faire entendre
leur voix pour le droit inaliénable à la vie et contre la peine capitale.
« Quelle que soit la gravité du crime commis, le peine
de mort ne se justifie pas. Aucun État n’a le droit de
vie ou de mort sur une personne », affirme Françoise
Rudetzki. La cinquantaine sied bien à cette brune
élégante. Dans son bureau situé dans l’enceinte de
l’hôtel des Invalides, elle reçoit simplement. Aguerrie
à l’exercice de l’interview, elle livre un topo rodé,
ordonné. Elle pourrait être politique, avocate, femme
d’affaire… il n’en est rien.
Non, Françoise est la déléguée générale de SOS
attentats, une association d’aide aux victimes d’attentats
terroristes. Et aujourd’hui encore, rien ou presque, ne
transparaît de ce qui a failli briser sa vie il y a 23 ans,
si ce n’est la canne qui soutient la marche d’une de ses
jambes. Le 23 décembre 1983, elle était une des clientes
du restaurant le Grand Véfour, cible d’un attentat, qui
aurait pu lui coûter la vie. Après le coma et des
semaines de réanimation, soixante opérations, dont la
dernière date de décembre 2005, ont été nécessaires
pour reconstruire ce qui restait de ses jambes. Massivement transfusée, elle fut de plus l’une des victimes
des transfusions contaminées des années 1980. Verdict :
sida et hépatite C.
Regard appuyé et demi-sourire : « Je suis vraiment
tombée la mauvaise année. »
« À cette époque, nous n’avions aucun droit, pas
d’indemnisation. Les victimes d’attentats ne rentraient
dans aucune case juridique », explique-t-elle. Dans de
telles conditions, comment se reconstruire ? Comment
parvenir à dépasser ces sentiments naturels que sont la
peur et la haine ? Isolée et encore lourdement handicapée, elle choisira ses propres armes : aider les autres
victimes autant physiquement et psychologiquement
que professionnellement. Pour leur permettre d’aller de
l’avant.
« Il n’y a jamais eu de dérapages, ni de paroles de haine.
Nous ne sommes pas dans un esprit de vengeance mais
de réparation. » Être contre la peine de mort reste
cependant, pour elle et pour beaucoup d’autres, une
position idéologique qu’ils tenaient initialement. Et c’est
grâce aux groupes de parole, au travail de deuil, au
soutien de la famille et des amis, au droit à la vérité et
à la reconnaissance juridique, que cette philosophie a
pu persister dans la pratique.
« Je connais des victimes de 1986 qui n’ont jamais vu
un psy. Du coup, elles sont restées cristallisées sur
l’événement, ne sont jamais sorties d’une victimisation »,
raconte Colette Bonnivard, également membre de SOS
attentats et auteur d’un roman autobiographique : La Vie
explosée. « Avoir la haine, ça aurait fait du mal à qui ?
À part à moi ? Ils m’ont déjà abîmé le corps, il était hors
de question qu’ils m’abîment aussi l’âme et le cœur. »
Femme volubile et coquette, Colette regagnait en 1986
son travail en passant par la rue de Rennes quand une
bombe a explosé. Elle est aujourd’hui invalide à 82 %
et continue de voir son médecin deux fois par semaine.
Malgré l’atmosphère douillette de son appartement
parisien, sa bonne humeur et ses rires cristallins,
l’horreur ne s’oublie pas. Quatre mois d’hôpital, huit
mois de rééducation : « Encore aujourd’hui, mon genou
ne tient que par l’opération du saint-esprit… ». Massivement transfusée, elle a, elle aussi, contracté une
hépatite C.
Sa colère, elle s’en est servie pour se battre. Pour faire
reconnaître son statut de victime, pour obtenir des
indemnisations de l’État, pour que les auteurs des
attentats soient punis. En juillet 1990, l’association
obtient une loi permettant aux associations de se
constituer partie civile. « Nous avions posé dès le début
comme postulat que nous étions contre la peine de
mort. Mais que ce n’était pas pour autant que les
auteurs d’actes de terrorisme ne devaient pas être jugés
et punis par des peines de prison adaptées au cas par
cas, selon la gravité des actes commis et les implications
des auteurs de ces actes », souligne Françoise Rudetzki.
Les procès prennent dès lors une valeur thérapeutique
et permettent aux victimes de tourner la page.
« Ces personnes ne devaient pas rester qu’un troupeau
anonyme », continue Colette Bonnivard. Lors du procès,
cette dernière a ainsi pu se confronter à l’un des
organisateurs de l’attentat. Malgré l’émotion et ses mains
tremblantes, elle a tenté d’ouvrir une brèche dans
l’indifférence de son bourreau. Et c’est en choisissant
un langage qu’elle savait universel, qu’elle a préparé
et lu à voix haute ce texte court : « Vous et moi sommes
croyants. J’ai la foi. Nous appartenons tous les deux à
des religions monothéistes, dont le père est Abraham,
un pur esprit. Puisque vous avez la foi, vous croyez au
jugement dernier. Moi, le jour de ma mort, j’aurai tous
mes péchés sur ma conscience et dieu me jugera selon
eux. Vous, vous aurez 13 morts et 267 blessés sur la
conscience. Ce n’est même pas à moi de vous juger.
Dieu le fera. »
Et c’est presque confuse qu’elle ajoute : « Une fois, je me
suis laissée submerger. J’étais à la piscine, en soin pour
ma rééducation. J’ai senti le regard horrifié des gens sur
ma jambe. Alors les larmes me sont montées aux yeux
et pour la première et unique fois, j’ai dit : SALAUD ! »
Alexia Leibbrandt
*50D83T*
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Les élèves de 4e du lycée Hector Berlioz de Vincennes sont d’abord intimidés.
Patrick Baudouin, grand avocat, l’est aussi un peu. Il faut dire que le président
d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme
(FIDH) a plus l’habitude des salles d’audience que des salles de classe.
Petit à petit, on se détend, les questions fusent, et la discussion s’engage.
réagissant comme cela, on oublie que les deux situations
sont très différentes. Il y a, d’un côté, une personne qui
a tué quelqu’un, qui a commis un acte barbare, qui a
méprisé la vie et, de l’autre côté, la société qui doit
donner l’exemple. Est-ce que des juges peuvent se
rabaisser au même niveau que l’assassin ? C’est même
encore plus grave : l’assassin, lui, agit rarement à froid,
mais souvent par pulsion, alors que la société, elle,
déciderait froidement, en toute conscience, de
supprimer la vie. Ce qui est d’autant plus redoutable
avec ce type de raisonnement, c’est que l’on accepte
que l’être humain est définitivement perdu. Or, refuser
la peine de mort, c’est accepter qu’un être humain ne
soit jamais définitivement condamné, c’est continuer à
avoir foi en l’homme, que l’on soit croyant ou non.
Parfois, comme avocat, j’ai eu des doutes. Je me suis
posé des questions sur les personnes que je défendais,
sur leur degré de dangerosité, sur la possibilité qu’elles
s’améliorent. Mais il ne faut jamais désespérer. Et surtout,
il ne faut jamais répondre à la barbarie par la barbarie.
Shain : C’est peut-être plus dur pour un meurtrier de
penser qu’il va rester toute sa vie en prison que de
savoir qu’il va être tué d’un coup.
Patrick Baudouin : D’après vous, pourquoi certains
pays comme la France ont-ils supprimé la peine de
mort ?
Damien : Parce qu’il peut y avoir des erreurs de
jugement, on fait alors mourir quelqu’un qui n’a rien
fait.
Élise : Ce n’est pas très sympa ce que je vais dire, mais
il faudrait peut-être rétablir la peine de mort pour les
terroristes, parce que leurs crimes sont beaucoup plus
graves.
P. B. : C’est un très bon sujet que tu soulèves là. Le
débat sur la peine de mort a en effet été relancé par
la lutte contre le terrorisme. On est tenté de dire que
l’on ne va quand même pas respecter les droits de
personnes qui, elles, renient complètement nos valeurs.
C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer : non pas
le rétablissement de la peine de mort mais le recours
aux mauvais traitements, à la torture, que ce soit à
Guantánamo, Abou Ghraib, en Afghanistan ou dans les
centres secrets de la CIA où l’on enferme des personnes
sans aucun jugement. Or nos démocraties reposent sur
un socle de valeurs qui sont le droit à la vie, le refus
des mauvais traitements, la garantie de procès
équitables. D’autant que certaines personnes qui
subissent ces mauvais traitements ne sont pas
terroristes. À Guantánamo, par exemple, 187 prisonniers
ont été relâchés parce que l’on n’a finalement rien
trouvé à leur reprocher. Ils sont restés là trois ans et
demi, dans des conditions de vie insupportables, et un
beau jour on leur a dit : « rentrez chez vous, on n’a rien
contre vous ». Si l’on commence à rogner les libertés
de certaines personnes, les terroristes par exemple, on
pourra ensuite recommencer avec d’autres catégories,
comme les étrangers. Le terroriste est réduit à celui qui
vient de telle région du monde. Aux États-Unis, si vous
venez du Pakistan ou d’Arabie saoudite, vous êtes
automatiquement soupçonné. Tous les régimes autoritaires ont fonctionné comme ça : on commence par
réduire les libertés de certains et finalement on le fait
pour tous. Ce n’est pas comme cela qu’il faut agir contre
les terroristes. Il faut leur montrer que nos valeurs sont
préférables aux leurs, en expliquant justement que nous
sommes respectueux de la vie de tous.
Boris : Mais ce n’est pas parce que vous allez dire aux
terroristes que vous ne faites pas comme eux qu’ils vont
arrêter !
P. B. : Évidemment, on ne les stoppera pas comme ça,
il ne faut pas être naïf, mais ce n’est pas non plus en
utilisant les méthodes actuelles que l’on combat
peine de mort. Aux États-Unis par exemple, on a
efficacement le terrorisme. Tant que des populations
recensé il y a quelques années que sur 500 exécutions,
il y avait environ 75 personnes dont la culpabilité n’avait Élise : Elle permettrait de dissuader les assassins et de entières vivront dans l’injustice et la pauvreté, elles
pourront être séduites par des discours radicaux, et l’on
pas été prouvée.
réduire le nombre de meurtres.
pourra s’attendre à des actes violents. En disant cela,
Boris : La peine de mort a été supprimée parce que P. B. : Oui, c’est un argument que l’on entend. Or il a il faut évidemment rappeler que les actes terroristes sont
c’était une atteinte à la vie. Mais on peut aussi penser souvent été démontré que c’est totalement faux. Si vous inadmissibles et injustifiables. Mais pour les arrêter, il
aux victimes qui n’ont pas décidé de mourir, elles non prenez par exemple deux pays voisins comme les États- ne sert à rien d’utiliser la terreur.
plus. D’autant que certains condamnés à perpétuité Unis, qui appliquent la peine de mort, et le Canada,
sortent de prison au bout de vingt ans.
qui l’a abolie, la proportion de crimes par habitant est
Propos recueillis par
beaucoup plus élevée dans le premier que dans le
Luc Chatel
P. B.: Il y a plusieurs points à aborder dans ta remarque. second. Pourquoi ? Cela est facilement compréhensible :
Il faut savoir qu’aux États-Unis, ce n’est pas comme en quand il commet son crime, un assassin est rarement
France : une personne condamnée à vie ne sort pas au en train de se demander s’il risque ou non la peine de
bout de vingt ou trente ans. Elle reste vraiment en prison mort. Il répond à une pulsion. Et même quand il y
toute sa vie. Il n’y a aucune possibilité de remise de pense, il se dit toujours qu’il y échappera.
peine. Mais je veux revenir sur ce que tu disais au début.
La peine de mort, c’est en effet une atteinte au droit à Boris : Mais c’est quand même une menace. On
la vie. C’est très important de le souligner. Il s’agit de pourrait envisager de la conserver et de ne pas
la pire des sanctions, d’un traitement inhumain. C’est l’appliquer.
notamment contraire aux conventions internationales
qui interdisent la torture et les mauvais traitements. Il P. B. : Peut-être, mais si tu ne l’appliques pas, ça n’est
est vrai, également, que l’on entend souvent ta plus une menace. Par ailleurs, quand on regarde les
deuxième remarque : « pourquoi on ne tuerait pas statistiques, on voit très clairement que ça ne change rien.
l’assassin puisqu’il l’a bien fait, lui ? ». Seulement, en En 1981, quand la peine de mort a été abolie en France,
il y avait plus de la moitié de la population qui voulait
la maintenir. Tous ces gens-là nous disaient « vous verrez,
si vous supprimez la peine de mort, il y aura plein
d’assassinats, de crimes ». On n’a rien vu de tout cela.
Et c’est tout de même assez noble pour un pays de s’en
débarrasser. Il faut savoir ce que c’est, quand même,
concrètement, la peine de mort. C’est une personne que
l’on va pendre, sur qui on va tirer une balle, que l’on
va mettre sur une chaise électrique ou dans une chambre
à gaz, que l’on va ligoter pour lui faire une injection
létale. Et c’est un bourreau qui fait cela. C’est de cela
que l’on parle quand on évoque la peine de mort. Je ne
me sens pas très tranquille de penser que l’on peut
décider de telles pratiques au nom d’une société.
Pensez-vous à un argument précis utilisé contre la peine
de mort, notamment si l’on pense à l’identité des personnes condamnées aux États-Unis ?
P. B. : C’est en effet un argument important contre la
« Ne pas
répondre à
la barbarie
par la
barbarie »
P. B. : Ce que tu dis me fait penser à la mère de
Zaccharias Moussaoui, une femme admirable dont je suis
l’avocat. Quand son fils a été condamné à la prison à
vie, elle m’a dit « j’aurais préféré qu’il soit condamné à
mort, la prison à vie, c’est l’horreur pour lui comme pour
moi ». Quand elle m’a dit cela, j’avoue avoir été un peu
ébranlé. J’ai douté. Le pénitencier où il est détenu, au
Colorado, est un endroit qui fait froid dans le dos. Je lui
ai alors répondu que l’exécution est définitive, il n’y a
plus de retour en arrière possible. On peut penser qu’il
y a une vie après la mort, c’est autre chose. Sur terre,
on n’y revient pas. Tandis qu’avec la prison à vie, il reste
toujours un petit espoir, même aux États-Unis.
J’aimerais vous poser une autre question : d’après vous,
quels arguments utilise-t-on parfois pour justifier la
peine de mort ?
un avocat, risquera moins d’être condamnée à mort
qu’une personne noire ou pauvre. Il y a une très forte
inégalité. Cela est choquant de penser que vous
passerez ou non à la chaise électrique selon que vous
serez puissant ou misérable.
Reportage
photographique :
Sara Iskander
Remerciements :
Mme Saïda
Goumar,
professeur
d’histoiregéographie
et d’éducation
civique,
les élèves,
la proviseure,
Me Baudouin.
Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France
9
Mais c’est quoi, au fait, la peine de mort?
Échange entre l’avocat
Patrick Baudouin, et des collégiens
Pierre : Je crois savoir qu’il y a beaucoup d’Afro-
Américains qui sont condamnés.
P. B. : Il y a en effet une forme de discrimination. Une
personne blanche et riche, qui a les moyens de se payer
en augmente les garanties procédurales. Le nombre toujours refusé à rétablir la peine de mort. Parce que tue, qui appartient aux régimes dictatoriaux et à une
d’exécutions a baissé. Tout indique la marche vers c’est contre-productif et contraire aux valeurs de la logique politique où prime la raison d’État. À un
démocratie.
homme de foi, je rappellerais que Dieu seul a le poul’abolition.
voir de retirer la vie. Aux esprits laïques, je rappellerais que l’abolition n’entraîne pas de recrudescence de
Comment avez-vous reçu le verdict du procès
En France, des parlementaires tentent
la criminalité. La courbe de la criminalité sanglante est
Moussaoui ?
de revenir sur l’abolition. Ces initiatives
indifférente à la présence ou non de la peine de mort.
Comme une victoire des jurés américains. Ils ont rendu vous inquiètent-elles ?
un grand service à leur pays. L’idée d’utiliser la peine Non, c’est pure gesticulation démagogique. Leurs au- À cette évidence s’ajoute une réalité. La peine de mort
de mort contre le terrorisme est une erreur absolue. teurs savent que cela ne peut pas aboutir à cause des est une pratique qui amène dans la réalité judiciaire
la mise en œuvre de tous les poisons d’une société.
Elle ne dissuade pas le terroriste qui n’hésite pas à traités internationaux ratifiés par la France.
Tous. L’inégalité sociale, d’abord : regardez les quarmourir lors de ses attentats. En l’exécutant, on le transtiers américains des condamnés à mort. Vous n’y croiforme en héros aux yeux de ses partisans. Et le len- Comme on ne naît pas abolitionniste, a priori,
serez pas un fils de banquier ou de grande avocate
demain, cent jeunes gens deviennent à leur tour mili- comment le devient-on ?
tants de la cause qu’il servait. Voilà pourquoi l’Espagne Il faut rappeler de grands principes très simples. américaine. Ce sont toujours les plus déshérités, les
face à l’ETA, l’Italie jadis face aux Brigades rouges, D’abord, une société démocratique repose sur les droits plus marginaux, les plus débiles, etc. Vous avez l’in- suite
l’Allemagne face à la bande à Baader, ou la Grande- de l’homme. Et le premier des droits de l’homme, c’est égalité financière. Si vous êtes O.J. Simpson, vous page suivante
Bretagne face à l’IRA, Mme Thatcher règnant, se sont le droit à la vie. Elle ne peut donc avoir une justice qui vous payez les meilleurs avocats et sauvez votre tête. •••>
L’abolition et après…
*50D82T*
Miguel Benasayag: « L’abolition,
un progrès menacé »
Miguel Benasayag est philosophe et psychanalyste. Il évoque pour
nous le long chemin qui a abouti à l’abolition de la peine de mort et
nous rappelle qu’elle est menacée par la manipulation des sentiments
de peur et de vengeance. Une contribution qui appelle à la vigilance.
Miguel Benasayag est philosophe,
psychanalyste et professeur
à l’université Lille III. Il anime
le collectif « Malgré tout ». Dernier
livre : Connaître est agir, éditions
de la Découverte.
Illustrations
Plantu
Une : C'est le goulag, 1983
P. 2 : Wanted, 2001
Pas nette la planète, 1984
Les cours du caoutchouc sont
trop élastiques, 1982
P. 3 : Le Monde, 12 juin 2001
P. 5 : La Vie, 21 juin 1979
P. 7 : La démocratie
parlons-en, 1979
P. 8 : La démocratie
parlons-en, 1979
P. 10 : La démocratie
parlons-en, 1979
P. 12 : Le Monde, 19 février 1989
P. 13 : Les cours du caoutchouc
sont trop élastiques, 1982
P.15 : L'Express, 19 juillet 2000
Rédaction en chef
Sébastien Poulet-Goffard
Rédaction
Charlotte Beaucillon
Flora Barré
Maela Bégot
Eve Boccara
Céline Bretel
Maela Castel
Luc Chatel
Pauline Frain
Alexia Leibbrandt
Elenn Mouazan-Boumendil
Laure Toury
démocraties les plus avancées, tels
ceux que l’on trouve dans les
Constitutions d’Amérique latine (chilienne, argentine, uruguayenne) qui
disent, par exemple, que la prison ne
doit pas avoir comme fonction de
punir les condamnés mais simplement de protéger la société. Une
société accomplit un grand pas en
avant dans la construction du lien
social quand elle dit que la justice
n’est pas concernée par l’idée de
punir, mais de réparer. Quand elle
renonce absolument à la vengeance.
Nous voyons bien comment on est
passé d’une époque de l’humanité
où l’on cherchait à mesurer et à
contenir la vengeance, à une époque
où la société énonce qu’elle n’a
personne à venger mais qu’elle se
soucie avant tout de préserver le lien
social.
Rappelons ici à quel point le
principe de la peine de mort, qui
consiste à prendre la vie d’une
personne parce qu’elle en a pris
une, est d’un archaïsme total. Cette
symétrie est barbare. On ne peut
mettre sur le même plan le geste
d’un être désaxé qui tue quelqu’un
et la froideur d’une société qui va
enlever la vie d’un homme. Cette
asymétrie-là pose un problème très
grave dans les rapports entre société
et individu.
Avec l’abolition de la peine de mort,
la France a donc accompli un
véritable pas en avant. Mais tous les
problèmes ne sont pas réglés pour
autant. Non seulement il y a ce
balancier qui veut que tantôt la peine
de mort recule, tantôt elle avance,
comme on peut le voir dans certains
États d’Amérique ou en Chine – avec
cette perversité qui veut que la famille
du condamné paie la balle qui aura
servi à le tuer – et qui nous oblige à
constater que la peine de mort est
loin d’être abolie sur la planète, mais
on assiste également à un retour très
inquiétant de l’idée de vengeance par
rapport à celle de justice sociale. Le
traitement infligé aux migrants, aux
détenus de Guantánamo, les fractures
sociales qui condamnent des personnes à vivre dans un ordre social
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Merci à
Plantu • Robert Badinter •
Miguel Benasayag • Eric Péchillon
• Patrick Baudouin • Saïda Goumar
et ses élèves • Ouest France •
Témoignage Chrétien • Région
Basse-Normandie • Région Pays
de la Loire • Conseil général d’Île
et Vilaine • Ville de Rennes •
Ville de Lyon • Barreau de Paris
injuste: ces événements démontrent
que nous sommes en train de saper
les fondements qui avaient permis
d’abolir la peine de mort. Il y a
quelque chose, dans ce complexe
édifice qui aboutit à l’abolition, qui est
sérieusement attaqué. D’une part,
l’opinion publique française reste en
principe contre le rétablissement de
la peine de mort; d’autre part, la
même opinion publique française lit
quotidiennement, dans une terrible
banalité, qu’à Guantánamo on détient
des prisonniers illégalement et
qu’Israël, un État reconnu comme démocratique par le concert des nations,
se permet d’exécuter des dirigeants
du camp adverse.
Mon point de vue est qu’il y a de nets
progrès dans l’application de la justice criminelle, mais que ces progrèslà ne peuvent pas simplement se
mesurer à l’abolition de la peine de
mort en Europe. Les éléments qui ont
permis d’aboutir à l’abolition de la
peine de mort sont directement
attaqués quand le traitement de la
guerre, du conflit, de la criminalité se
fait en termes de vengeance et de
non-droit. Une société qui accepte le
développement des peurs et la
déshumanisation de l’adversaire n’est
pas préservée d’un retour de la peine
de mort.
Miguel Benasayag
Jacques Auxiette: « Cet héritage commun
doit faire l’objet de toutes les attentions »
Contributions
Miguel Benasayag
Michel Taube
Eric Péchillon
Michel Foucault
10
Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France
Photos
Pol Boussaguet
pour Robert Badinter
Sara Iskander
pour Patrick Baudouin
et la classe de 4e
Pour mesurer le progrès que
représente l’abolition de la peine de
mort dans notre société, il nous faut
remonter assez loin en arrière. D’un
point de vue historique et mythique,
l’origine de la légalité telle que nous
la connaissons commence avec le
code d’Hammourabi (environ 1 750
avant J.-C.) et sa fameuse loi du
talion, « œil pour œil, dent pour
dent ». Ce code et cette loi sont
toujours évoqués dans nos sociétés
comme des facteurs de barbarie.
Aujourd’hui, les pays et les sociétés
qui pratiquent la loi du talion, ceux
qui se permettent d’amputer des
membres ou de fouetter des personnes sont considérés comme
arriérés et leur justice comme
défaillante. Mais à l’époque où le
code d’Hammourabi et la loi du
talion sont entrés en vigueur, ils
représentaient au contraire un
véritable élément de progrès. Ils ont
permis, à un moment donné, de
briser la chaîne de la vengeance.
Pour un crime commis, on pouvait
alors s’entretuer pendant des
générations. La loi du talion a permis
de mettre un terme à ces cycles
infernaux en disant : pour un mort,
il faut un mort. Cela a permis de faire
naître l’idée d’une justice qui n’aurait
pas seulement pour but de régler un
conflit entre une victime et un
criminel, mais qui aurait aussi pour
fonction de garantir la pacification et
le développement du lien social.
Ainsi, les sociétés successives ont
trouvé des modes de règlement de
leurs problèmes de justice en
essayant de remplir les deux
fonctions énoncées : rendre justice et
sauvegarder le lien social. Des
modes de règlement qui se sont
avérés beaucoup plus évolués que la
simple application de la loi du talion,
dans le sens où la justice s’est beaucoup moins centrée sur la question
de la vengeance et beaucoup plus
sur la volonté de retisser du lien
social là où un crime l’avait déchiré.
Au vu de cette évolution, la peine de
mort demeurait, dans notre société,
d’un archaïsme total. Son abolition
nous rappelle les principes des
Jacques Auxiette,
président du Conseil régional
des Pays de la Loire
Voici déjà 25 ans, François Mitterrand et Robert Badinter, faisaient voter l’abolition de la peine de mort par
l’Assemblée nationale, malgré une opinion majoritairement hostile.
Cette loi répondait à une logique humaniste et à une
exigence éthique inévitable.
C’est au nom de notre idée philosophique de l’humanité que la peine de mort constitue une incohérence
notoire. Si l’erreur est humaine, il appartient à la société de permettre à chacun des individus qui s’écarte
de la loi, de disposer de l’opportunité de se racheter
en participant pleinement à notre société dont les valeurs sont la liberté, l’égalité et la fraternité.
Enfin, et l’histoire nous le démontre, aucun système judiciaire n’est infaillible, tout simplement parce que la
justice est rendue par les hommes, et que l’humanité
n’est jamais à l’abri d’erreurs d’appréciations : c’est ce
qui la caractérise. La toute récente affaire d’Outreau
nous le rappelle douloureusement, comme une mise
en garde qu’il faut toujours avoir à l’esprit.
Par ailleurs, il n’existe pas de différences de taux de criminalité entre les pays tenants de la peine de mort, et
Sinon, le jeune noir a un avocat commis d’office qui
regarde sa montre, et n’est pas toujours compétent.
Et vous avez la justice raciste. Même si on s’en défend, la vision du crime suscite de telles pulsions de
haine que les défenses éclatent, le racisme inconscient
ou ordinaire se libère… Et puis, vous avez l’erreur judiciaire, le pire des crimes contre la justice. Aux ÉtatsUnis, il est stupéfiant de voir le nombre de condamnés à mort dont on s’aperçoit après coup qu’ils étaient
innocents.
L’abolition, c’est une victoire de l’humanité sur ellemême, sur les pulsions de mort. Tous, nous portons en
nous des instincts de mort. Je comprends parfaitement
les parents d’enfants victimes qui souhaitent la mort du
coupable. Mais j’ai vu de grandes consciences y résister. Il faut une force d’âme remarquable, qu’on ne peut
pas exiger de tout le monde.
ceux qui ont eu le courage de l’abolir, ce qui démontre
que la peine de mort ne saurait en aucun cas constituer une réponse dissuasive à la grande délinquance.
Cette conception d’une république humaniste implique
que chaque citoyen respecte la loi, qui s’impose à tous
et que chaque infraction soit sanctionnée comme il se
doit.
En ces heures où des pays européens tels que la Pologne, doutent et veulent faire douter du formidable
progrès qu’a été l’abolition de la peine de mort, il faut
se souvenir des dérives passées ou actuelles.
Il convient donc que chaque citoyen élève sa réflexion
bien au-delà des émotions légitimes qu’impliquent le
crime et la violence… le sang versé ne saurait être réparé par le sang. La privation de liberté constitue en
revanche une juste sanction, implacable tant ses conséquences sont irréparables à l’échelle d’une vie.
Ce 25e anniversaire de l’abolition de la peine de mort
est une fierté pour notre pays ! Cet héritage commun
doit faire l’objet de toutes les attentions. Notre démocratie impose à chacun de ne jamais baisser la garde !
Le système pénal français actuel,
qui prononce des peines de plus en plus longues,
vous semble-t-il proposer une bonne alternative
à la peine de mort ?
Il n’y a pas d’alternative à un supplice. Quelles mesures de sûreté prendre ? Très rares sont ceux qui ont
été condamnés à mort, puis libérés et qui ont récidivé
en commettant un crime de sang. Concernant les psychopathes, si nous leur appliquions la peine de mort,
nous entrerions alors dans une société que l’on ne
peut admettre, une société qui élimine tout ce qui est
psychiatriquement dangereux, et qui dérive vers un
eugénisme totalitaire. Le régime actuel des périodes
de sûreté est suffisant. Il faut seulement prudence et
vigilance pour les magistrats chargés de l’exécution
des peines.
Jacques Chirac a promis que l’abolition serait
inscrite dans la Constitution. Qu’est-ce que cela
apporterait de plus ?
Ce serait un acte symboliquement très fort. Mais j’attends
de voir sous quelle forme interviendra cette constitutionnalisation. La formule a minima serait d’introduire
un article autorisant simplement le Parlement à ratifier
le 2e protocole facultatif du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques. La grande voie, elle, serait
d’inscrire dans la Constitution la proclamation solennelle
de la Charte des droits fondamentaux approuvée par la
totalité des gouvernement de l’Union européenne : « nul
ne saurait être condamné à mort ni exécuté ». J’attends
que ce soit cette formule-là qui soit retenue. Ce serait
la véritable consécration de l’abolition.
Propos recueillis par Bernard Le Solleu, journaliste
de Ouest France et Laure Toury, journaliste ECPM.
*50D83T*
Comment s’organise
le prononcé d’une condamnation
à perpétuité ?
La sentence la plus longue que
puisse prononcer une cour d’assises
est la réclusion criminelle à perpétuité. Lorsqu’elle est décidée, elle est
théoriquement assortie d’une peine
de sûreté obligatoire de dix huit ans.
Il est possible d’allonger cette période de sûreté jusqu’à un maximum
Combien de personnes
sont-elles condamnées
à perpétuité en France?
Lorsque l’on consulte les études menées par les démographes, je pense
en particulier à P.-V. Tournier, on
remarque qu’au 1er janvier 1975 on
Témoignage Chrétien : L’abolition de la peine
capitale est un considérable pas en avant !
Pourtant, vous préférez parler de « rattrapage »,
en insistant sur le problème qui, à vos yeux,
importe le plus : le scandale des peines définitives,
qui règlent une fois pour toutes le cas du
coupable. Vous estimez, en effet, que personne
n’est dangereux par nature et ne mérite d’être
étiqueté coupable à vie. Mais la société n’a-t-elle
pas besoin, pour se protéger, d’une sanction
suffisamment étendue dans le temps ?
sans tenir compte de ce qu’est son auteur) ; ni un glissement à l’anthropologique pur, où seul serait pris en
considération le criminel (même en puissance) et indépendamment de son acte.
Un travail s’impose, bien sûr : chercher s’il n’y a pas
d’autre système possible. Travail urgent, mais à long
terme. Pour l’instant, il faut éviter les dérapages. Le dérapage vers le juridique pur : la sanction aveugle (les tribunaux reprenant le modèle suggéré par l’autodéfense).
Le dérapage vers l’anthropologique pur : la sanction
indéterminée (l’administration, le médecin, le psychologue décidant, à leur gré, de la fin de la peine).
Il faut travailler à l’intérieur de cette fourchette, du
moins pour le court terme. La peine est toujours un peu
un pari, un défi de l’instance judiciaire à l’institution pénitentiaire : pouvez-vous, en un temps donné, et avec
vos moyens, faire en sorte que le délinquant puisse se
réengager dans la vie collective sans recourir de nouveau à l’illégalisme ?
Michel Foucault : Distinguons. Condamner quelqu’un
à une peine perpétuelle, c’est transposer directement
sur la sentence judiciaire un diagnostic médical ou psychologique ; c’est dire : il est irrécupérable. Condamner
quelqu’un à une peine à terme, c’est demander à une
pratique médicale, psychologique, pédagogique, de donner un contenu à la décision judiciaire qui punit. Dans
le premier cas, une connaissance (bien incertaine) de
l’homme sert à fonder un acte de justice, ce qui n’est
pas admissible ; dans l’autre, la justice a recours, dans Je voudrais revenir à la question de l’enfermeson exécution, à des techniques « anthropologiques ».
ment dont vous contestez l’efficacité. Quel type
de sanction proposez-vous alors ?
En déniant à la psychologie le droit de porter
un diagnostic définitif, au nom de quoi peut-on
décider que l’individu, au terme d’une peine,
est prêt à réintégrer la société ?
Il faut sortir de la situation actuelle : elle n’est pas satisfaisante ; mais on ne peut l’annuler d’un jour à l’autre.
Depuis bientôt deux siècles, notre système pénal est
« mixte ». Il veut punir et il entend corriger. Il mêle donc
les pratiques juridiques et les pratiques anthropologiques. Aucune société comme la nôtre n’accepterait
un retour au « juridique » pur (qui sanctionnerait un acte,
Disons-nous bien que les lois pénales ne sanctionnent
que quelques-unes des conduites qui peuvent être nocives à autrui (regardez par exemple les accidents du
travail) : il s’agit-là d’un premier découpage, sur l’arbitraire duquel on peut s’interroger. Parmi toutes les infractions effectivement commises, quelques-unes seulement sont poursuivies (regardez la fraude fiscale) :
second découpage.
Et parmi toutes les contraintes possibles par lesquelles
on peut punir un délinquant, notre système pénal n’en
a retenu que bien peu : l’amende et la prison. Il pour-
Une étude de 2005 menée par
A. Kensey a fait l’analyse de cette catégorie de condamnés (Cahiers de
démographie pénitentiaire, n° 18,
nov. 2005). Elle aboutit, pour les
condamnés à perpétuité qui ont bénéficié d’une libération, à la moyenne
de 20 ans de détention. Cette durée
est plus longue de trois ans par rapport aux résultats des précédentes
enquêtes, sachant que 24,4 % d’entre
eux ont effectué entre 21 et 25 ans
de prison, 8,6 % entre 26 et 30 et
2,7 % plus de 31 ans. Cela ne veut
pas dire que tous les condamnés
vont sortir un jour car rien n’oblige
les magistrats à leur accorder une
libération conditionnelle. D’ailleurs,
h
rc i v
• Ré
Septembre 1981 : la peine de mort est tout juste abolie que déjà la question
des alternatives se pose. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire
Témoignage Chrétien, Michel Foucault (1926-1984) pose son regard
de philosophe sur le principe même de la détention.
Même si la question
peut paraître paradoxale,
quelle est la durée effective
des peines perpétuelles ?
e
Michel Foucault: « Punir est la chose
la plus difficile qui soit »
comptait 185 condamnés à perpétuité. Au 1er janvier 2006, ils sont 508.
Chaque année les cours d’assises
prononcent une trentaine de
condamnations de ce type, soit nettement plus que les peines de mort
avant 1981. Tous ces condamnés ne
connaissent bien évidemment pas à
l’avance leur date de libération.
Celle-ci est à la discrétion de l’autorité compétente. Avant la loi du
15 juin 2000, il s’agissait d’une décision largement politique qui dépendait du Ministre de la justice. Depuis, cette décision relève des
juridictions régionales et de la juridiction nationale de libération
conditionnelle devenues compétentes pour les condamnations de
plus de dix ans. Ce transfert a entraîné une hausse des libérations.
rait y en avoir bien d’autres, faisant appel à d’autres
variables : service d’utilité collective, supplément de
travail, privation de certains droits. La contrainte ellemême pourrait être modulée par des systèmes d’engagement ou de contrats qui lieraient la volonté de l’individu, autrement qu’en l’enfermant.
Je plains plus que je ne blâme l’administration pénitentiaire actuelle : on lui demande de « réinsérer » un
détenu en le « désinsérant » par la prison.
Ce que vous proposez ne suppose pas
seulement une refonte du système pénal.
Il faudrait que la société porte un regard
différent sur le condamné.
Punir est la chose la plus difficile qui soit. Il est bon
qu’une société comme la nôtre s’interroge sur tous les
aspects de la punition, telle qu’elle se pratique partout:
à l’armée, à l’école, dans l’usine (heureusement sur ce
dernier point la loi d’amnistie à soulevé un coin du voile).
Que certains des grands problèmes moraux – comme
celui-ci – réapparaissent dans le champ politique, qu’il
y ait de nos jours un nouveau et sérieux défi de la morale à la politique, je trouve bien cette revanche sur tous
les cynismes. Et je trouve bien que ces questions (on
l’a vu pour les prisons, on l’a vu pour les immigrés, on
l’a vu pour le rapport entre les sexes) soient posées
dans une interférence continuelle entre un travail intellectuel et des mouvements collectifs. Tant pis pour
ceux qui se plaignent de ne rien voir autour d’eux qui
vaille d’être vu ; ils sont aveugles. Beaucoup de choses
ont changé depuis 20 ans, et là où il est essentiel que
ça change : dans la pensée, qui est la manière dont les
humains affrontent le réel.
Propos recueillis par Antoine Spire
Témoignage
Chrétien
N° 1942,
28 septembre
au 4 octobre
1981.
17 condamnés (3 % d’entre eux) sont
en prison depuis plus de 30 ans dont
0,5 % depuis plus de 40.
Comment l’abolition
de la peine de mort a-t-elle
renouvelé la question de la lutte
contre la récidive ?
L’abolition de la peine de mort visait
surtout à faire disparaître de notre arsenal juridique une peine que la
Convention européenne des droits de
l’homme considère comme indigne
d’un pays démocratique. Supprimer
un traitement inhumain et dégradant
ne produit pas d’effet mesurable sur
les taux de récidive, ni dans un sens
ni dans un autre. Les études depuis
1981 dans tous les pays le montrent.
Sa disparition brutale n’a pas réglé la
question de la prévention de la récidive, et surtout, n’a pas désarmé les
partisans d’une sanction exemplaire.
Malgré l’absence de certitudes quant
au caractère dissuasif de l’élimination
physique par une incarcération définitive, la France a fait le choix de se
rassurer par un élargissement des cas
et du nombre de personnes condamnées à de très longues peines. Je
crains que faute d’avoir le courage
d’aborder les causes d’une telle criminalité, la tendance soit à un durcissement des sanctions.
Vous pensez en particulier
aux conclusions du rapport
d’information sur les mesures
de sûreté concernant les
personnes dangereuses rendu
par le Sénat le 22 juin 2006 ?
Notamment, oui. Ce rapport fait suite
au rapport Burgelin de 2005 qui avait
préconisé l’instauration de centres
fermés de protection sociale. Ces institutions étaient prévues pour accueillir, après leur période d’incarcération, les personnes considérées
comme potentiellement dangereuses. Ce rapport était très critiquable tant d’un strict point de vue
juridique que pratique. Les sénateurs
ont par conséquent cherché à corriger les imperfections du projet. Leur
idée est de confier à des équipes
médicales la charge d’accueillir en
fin de peine des ex-condamnés
ayant payé leur dette à la société par
une incarcération à terme mais dont
l’état de dangerosité fait courir un
risque à la collectivité. Ceci revient
à faire peser sur les équipes médicales la charge de la responsabilité
d’une remise en liberté. Bref, une
démission de la Justice et de l’État.
Le mécanisme proposé n’est pas
sans rappeler celui qui vient d’être
voté en Suisse. Une loi constitutionnelle adoptée par référendum fait en
effet peser sur le psychiatre une responsabilité individuelle en cas de récidive du patient libéré.
Peut-on en déduire que la société
ne prend pas ses responsabilités
face à la criminalité?
Oui. Elle se donne l’illusion de le
faire en prônant un durcissement de
la réaction sécuritaire. Il faut de plus
en plus désigner un coupable individuel en cas de récidive. C’est un
moyen de ne pas réfléchir à la responsabilité collective. C’est la même
logique qui conduit certains à préconiser un dépistage des futurs délinquants dès le plus jeune âge afin
de les traiter avant même qu’ils ne
passent à l’acte. Cette méthode
donne une place disproportionnée
aux déterminismes physique, psychique et rarement social. Elle est
une forme de négation de la liberté
individuelle. Toute liberté implique
un risque et une responsabilité.
Propos recueillis par
Elenn Mouazan-Boumendil
L’abolition et après…
Il faut bien comprendre que l’abolition de la peine de mort n’est pas
une fin en soi. Elle n’a d’ailleurs véritablement de sens que si elle s’accompagne d’une réflexion sur la
sanction, le rôle de la prison, la libération, le traitement des délinquants. Lorsque des condamnés à
de très longues peines ou à perpétuité réclament que l’État les exécute, ils demandent surtout à l’opinion publique de s’interroger sur les
durées de détention sans espoir.
Une peine n’a de signification que
si elle peut être comprise. Elle n’est
envisageable que si elle peut produire un effet positif. Quelle est l’utilité d’une incarcération à vie sans
aucun espoir de sortie ? La mise à
l’écart d’un individu que la société
Malheureusement, les deux ne sont
pas liés. Plusieurs études menées par
le Ministère de la justice ont montré
une augmentation du nombre de détenus et un allongement évident de
la durée des peines. Entre 1996
et 2006, le nombre de prisonniers a
progressé de 8 %, pour atteindre le
nombre de 59303 au 1er juin 2006, sachant que cette évolution dépend largement des politiques pénales privilégiées par le gouvernement en place.
Cela s’explique par différents facteurs. Les peines encourues sont
plus longues du fait d’un durcissement des qualifications pénales qui
transforme de plus en plus de délits en crimes. Les sentences prononcées sont aussi plus longues.
C’est un peu comme si, au moment
du jugement, certains juges étaient
tentés d’anticiper les éventuelles
mesures d’aménagement de peine.
Enfin, les sentences réellement ef-
de vingt deux ans par une décision
spéciale de la cour, qui n’a pas à
fournir les motifs d’un tel allongement. Pour les affaires qui ont le plus
ému l’opinion publique, le législateur a prévu une période de sûreté
de trente ans voire perpétuelle (assassinat ou meurtre précédé de viol,
de tortures ou d’actes de barbarie sur
mineur de moins de 15 ans).
Durant la période de sûreté, le
condamné ne peut bénéficier d’aucune mesure d’individualisation de
sa peine. La seule exception est une
suspension de peine pour des raisons médicales. Ces peines de sûreté ont été instaurées en 1978,
avant l’abolition de la peine de mort,
et leur mécanisme n’a jamais été sérieusement remis en cause depuis.
Dans leur principe, elles montrent
une méfiance vis-à-vis du juge de
l’application des peines dont la fonction est justement de suivre le
condamné afin d’en ajuster la durée
en fonction de l’évolution de la personne. Un condamné à perpétuité
ne peut demander une libération
conditionnelle qu’à la fin de sa période de sûreté, sachant qu’elle ne
peut être accordée qu’après une
semi-liberté d’une durée d’un à trois
ans. Sans oublier que pour l’ensemble de la population incarcérée,
ce type de libérations occupe une
place marginale : 4 % des sorties.
n • A
Que traduit cet appel au rétablissement de la peine de mort non
pas formulé par des victimes
mais par des condamnés ?
L’abolition de la peine de mort
a-t-elle induit un objectif de réinsertion dans la politique pénale ?
fectuées par les condamnés à perpétuité sont souvent très longues.
Pour ne donner qu’un chiffre,
entre 1996 et 2006, le nombre de
condamnés à des peines de vingt à
trente ans a été multiplié par 3,5.
La prison comme la peine de mort
sont, avant tout, des sanctions visant à faire disparaître pour un
temps ou définitivement un individu
de la société. L’objectif de sécurité
est le seul qui soit véritablement
contraignant pour l’administration
pénitentiaire. Sa mission de réinsertion est beaucoup plus anecdotique.
Il suffit pour s’en convaincre de
comparer les sommes qui sont effectivement allouées à chacune
d’elle. Il est totalement utopique de
croire qu’il est possible de réinsérer
un individu en l’incarcérant dans un
établissement pénitentiaire fermé.
Comment trouver une place dans la
société lorsque l’on est coupé de sa
famille, de son travail, sans relation
sociale ? La prison a été généralisée
à la suite de la Révolution française
pour faire souffrir l’individu. Plus je
travaille sur ces questions, plus je
suis persuadé que la douleur et le
contre-exemple ne bonifient pas la
personne incarcérée.
éd it io
Eric Péchillon est Maître de conférences à l’Université de Rennes I. Il est
l’auteur de Sécurité et droit du service
public pénitentiaire, LGDJ, 1998
ne veut plus accueillir en son sein !
Dans leur appel, les détenus ne
contestent pas les conditions de détention pourtant difficiles dans une
maison centrale, mais l’impossibilité
de prévoir une sortie. Si la société
n’est pas capable d’admettre qu’un
individu puisse changer, autant
qu’elle se débarrasse tout de suite de
ses exclus. Le message est volontairement dur et provocant, mais il
oblige à réfléchir sur la durée maximale des peines prononcées dans
un pays démocratique. Si le détenu
est considéré comme malade, sa
place n’est pas en prison.
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Janvier 2006, un collectif de prisonniers condamnés à perpétuité réclame symboliquement le rétablissement du châtiment suprême. Eric Pechillon, s’empare de ce fait divers et interroge la notion
de longue peine dans un système judiciaire qui ne tue plus.
Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France
11
Eric Péchillon: « Une peine n’a de signification
que si elle peut être comprise »
*50D82T*
congrès mondial
12
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
e
3 Congrès mondial
contre la peine de mort
Paris 2007
En février 2007,
Paris sera la capitale
mondiale de l’abolition
Réservez vos places : après Strasbourg en 2001 et Montréal en 2004, Paris sera la capitale
mondiale de l’abolition du 1er au 3 février 2007 en accueillant le 3e Congrès mondial
contre la peine de mort. « Paris 2007 » rassemblera des abolitionnistes du monde entier,
décideurs et acteurs de l’abolition, mais aussi des citoyens et des militants qui participeront à cet événement populaire et médiatique. Enjeux et perspectives.
Un Congrès mondial pour quoi faire ? Le 1er Congrès
mondial contre la peine de mort, en juin 2001, avait non
seulement mis en lumière la dimension internationale
que revêt le combat abolitionniste depuis près d’une décennie mais aussi débouché concrètement sur la création de la Coalition mondiale contre la peine de mort
en 2002 et sur l’instauration un an plus tard, le 10 octobre, de la Journée mondiale contre la peine de mort.
Le Congrès de Montréal, en assurant une représentativité plus large de la communauté, somme toute hétéroclite, des abolitionnistes, avait imposé cet événement
triennal comme LE rendez-vous incontournable des
forces abolitionnistes du monde entier. « Montréal 2004 »
avait également révélé, grâce à l’apport décisif de Penal Reform International et de son défunt fondateur, Ahmed Othmani, la nécessité d’intégrer le combat abolitionniste dans les réflexions sur les politiques pénales
des États rétentionnistes (prise en compte des victimes,
conditions de détention, obstacles pénitentiaires à l’application de la peine de mort, lutte contre la crimina-
lité…). « Montréal 2004 » avait également pour objectif
d’encourager les autorités canadiennes et françaises à
ratifier le 2e Protocole du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques de l’ONU, ce qu’a fait le Canada en novembre 2005 et que s’apprête à effectuer la
France au terme d’une réforme constitutionnelle demandée le 2 janvier 2006 par le Président de la République. Espérons qu’à l’ouverture du Congrès de Paris,
les organisateurs pourront se féliciter de l’arrivée de la
France dans le cercle des 54 États abolitionnistes qui, à
ce jour, ont ratifié cette convention universelle.
Le 3e Congrès mondial contre la peine de mort se tiendra dans un contexte international de réduction progressive des condamnations à mort et des exécutions
qui tendent à se concentrer, outre aux États-Unis et au
Japon, dans des régimes autoritaires et, plus spécifiquement, en Asie et dans le monde arabo-musulman.
Chaque année, de nouveaux pays abolissent, comme
dernièrement les Philippines. Dans ce contexte favorable, les organisateurs, souhaitent concentrer les débats
du Congrès de Paris sur certains
leviers qui semblent décisifs pour
renforcer les bases de l’abolition et utiles pour encourager
de nouveaux pays à abolir.
Ainsi, alors que la Déclaration finale de Montréal avait
déjà appelé au développement d’approches régionales, « Paris 2007 » offrira
une tribune internationale à
des abolitionnistes d’Afrique du Nord
et du Moyen-Orient et à des voix de l’Islam
favorables à une renonciation définitive à la peine
de mort. Les relations privilégiées de voisinage entre
l’Europe et cette région du monde, l’évolution encourageante constatée au Maroc, au Liban, en Mauritanie,
les projets de réforme pénale en Jordanie sont autant
d’espoirs de voir prochainement un premier pays de la
région abolir la peine de mort. Espérons également que
la pression se fera plus forte sur l’Arabie saoudite et
l’Iran qui exécutent, dans des conditions féodales, des
centaines de condamnés à mort, souvent des femmes,
des étrangers, des homosexuels, des mineurs. Toujours
dans cette région, la libération des infirmières bulgares
et du médecin palestinien emprisonnés en Libye et qui,
après sept ans d’emprisonnement et de tortures, encourent toujours la peine de mort, sera parmi les objectifs importants du Congrès de Paris.
« Paris 2007 » espère également accompagner et renforcer certains choix stratégiques du mouvement abolitionniste mondial : le développement de la Coalition
mondiale contre la peine de mort, qui regroupe à ce
jour 53 organisations du monde entier, est une des
priorités. Des tables rondes régionales permettront aussi
de renforcer des coalitions régionales qui regroupent
de plus en plus des abolitionnistes de plusieurs horizons (ONG, juristes, parlementaires…). Ainsi l’initiative récente prise par Amnesty International de créer
un réseau asiatique contre la peine de mort (ADPAN)
sera fortement relayée à Paris.
Insistons enfin sur
deux enjeux plus
précis :
• En Afrique, aux
États-Unis, dans les Caraïbes, à Singapour ou
en Chine, des avocats défendent, souvent sans
moyens et face à l’hostilité
de leur environnement, des
prévenus qui encourent la
peine de mort. On le sait, disposer d’un bon avocat, telle est
souvent la seule garantie
d’échapper à la mort. Le Congrès
de Paris entend aider les Barreaux
d’avocats et l’ensemble des abolitionnistes à agir davantage de concert. Un réseau international permettrait à un avocat de consulter ses
confrères, de demander de l’aide (en termes de documentation, de références judiciaires internationales,
d’appui de l’opinion publique si son client est menacé
d’exécution) et de rendre plus efficace la synergie nécessaire entre les acteurs judiciaires d’une part et les
militants politiques du combat pour l’abolition d’autre
part.
• « Paris 2007 » se tiendra un an et demi avant les Jeux
olympiques de Pékin. Un délai idéal pour jeter les bases
d’une campagne internationale ambitieuse pour faire
pression sur les autorités chinoises et demander des
preuves tangibles de respect des droits humains. Nous
espérons que « Paris 2007 » sera un moment utile pour
les défenseurs des droits humains pour faire avancer
voire lancer une telle campagne mais aussi pour amorcer un dialogue constructif avec des sportifs convaincus
que les valeurs de l‘olympisme exigent le respect de l’être
humain dans ses droits fondamentaux. En Chine aussi.
Grâce à la présence de parlementaires, de diplomates,
d’anciens condamnés à mort et de familles de victimes,
de militants et d’avocats du monde entier, Paris sera,
du 1er au 3 février 2007, la capitale mondiale de l’abolition. Pour que l’abolition devienne universelle…
Michel TAUBE
Délégué général et Porte-parole d’ECPM
« Paris 2007 », des débats pour l’abolition,
des moments citoyens pour dire NON à la peine de mort
Une vingtaine de débats auront lieu à la Cité
universitaire internationale de Paris, tous
libres d’accès. Des événements rythmeront
également le Congrès pour y associer
citoyens et médias du monde entier.
Trois séries de tables rondes
Jeudi après-midi et vendredi Débats du Congrès
1. Les voies diplomatiques
et les stratégies de l’abolition
• Agir : le rôle des citoyens des pays abolitionnistes dans le
combat contre la peine de mort ;
• Des moratoires à l’abolition ;
• Campagne pour la ratification du Protocole 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations
unies ;
• Y a-t-il une politique des organisations intergouvernementales contre la peine de mort ? ;
• Comment profiter des Jeux Olympiques de Pékin pour
faire avancer l’abolition en Chine ?
• Un grand débat Les voies de l’abolition en Afrique
du Nord et au Moyen-Orient
« Paris 2007 » a notamment pour objectif de promouvoir
l’abolition en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Le débat
donnera la parole aux sociétés civiles de la région qui s’engagent pour l’abolition, plus particulièrement aux coalitions qui
se mettent en place dans plusieurs pays, comme au Maroc
à l’initiative de Youssef Madad de l’Observatoire marocain
des prisons. Les droits civils et politiques, les réformes pénales nécessaires, le vent de réformes législatives qui touchent
certains pays seront encouragés. Enfin, dans le cadre d’un
débat serein, des voix de l’Islam s’exprimeront en faveur d’une
renonciation définitive de l’application de la peine de mort.
2. La justice pénale face à la peine de mort
• Le rôle de la jurisprudence des organes internationaux et
des juridictions nationales dans l’abolition ;
• Les réponses de la justice pénale internationale face à la
peine de mort ;
• Pour un réseau international d’avocats défenseurs des
condamnés à mort ;
• Les justices militaires face à la peine de mort ;
• Les couloirs de la mort : trop de traitements cruels, inhumains et dégradants ;
• Il n’y a pas de mise à mort propre: le cas de l’injection létale;
• De l’abolition à la réforme pénale : un débat sur l’échelle
des peines et les peines alternatives.
Jeudi 1er février Séance d’ouverture
avec la Coalition mondiale contre la peine de mort
3. « Paris 2007 », une tribune pour les sociétés
civiles et les coalitions des pays qui appliquent
la peine de mort
• Une stratégie pour l’abolition en Asie centrale ;
• Afrique des Grands Lacs : l’abolition au bout d’une décennie de crimes ? ;
• ADPAN, vers un réseau asiatique contre la peine de mort ;
• États-Unis : quelle stratégie pour les abolitionnistes américains et la communauté internationale ? ;
• Les villes engagées contre la peine de mort ;
• Pas d’homo à l’échafaud ! Les gay contre la peine de mort.
Jeudi soir Soirée autour des victimes
de la peine de mort avec l’Acat
En présence d’anciens condamnés à mort, de familles de
condamnés à mort, de familles victimes de criminels engagées contre leur exécution, des témoignages permettront
d’illustrer la vanité et l’horreur de toute justice qui tue.
Vendredi soir Soirée autour des avocats
engagés dans la défense des condamnés
à mort avec le Barreau de Paris
En présence de défenseurs de condamnés à mort et de
Barreaux du monde entier, le débat exposera les voies et
moyens, par-delà les frontières pénales et les traditions juridiques, pour les avocats de s’entraider davantage, et pour
les Barreaux, les organisations de juristes et toute la communauté internationale de les soutenir.
Samedi matin Cérémonie solennelle du Congrès
Dans une salle prestigieuse de Paris, se tiendra la cérémonie solennelle du Congrès, en présence de hauts représentants d’États et d’organisations internationales attachés à
l’abolition, de dirigeants des organisations abolitionnistes, de
grandes personnalités et d’artistes qui partagent la cause de
l’abolition universelle.
Samedi 14 heures Marche dans les rues de Paris
pour dire NON à la peine de mort
Point d’orgue du Congrès, avec la participation de tous les
partenaires, sous la bannière de la Coalition mondiale contre
la peine de mort, les congressistes et les citoyens demanderont l’abolition universelle de la peine de mort.
Le programme présenté
est susceptible de modifications.
Nota : La Coalition mondiale contre la peine de mort soutient
le Congrès et ses organisations membres sont associées ou
co-organiseront des débats. La liste complète des intervenants et des organisations qui participent à l’élaboration du
programme sera rendue publique lors de la conférence de
presse officielle du Congrès, en décembre 2006.
*50D83T*
congrès mondial
13
Les voix abolitionnistes
en Islam…
Iran, Arabie saoudite, Égypte, Tunisie… aucun pays du Maghreb et du Moyen-Orient
n’a aujourd’hui aboli la peine de mort. L’islam commun à la région serait-il un frein culturel
à la voix abolitionniste ? Jusque dans la communauté musulmane, des voix s’élèvent pour
dire qu’on peut penser et pratiquer l’Islam en renonçant définitivement à la peine capitale.
Aux côtés de la Chine et des ÉtatsUnis, les pays du Maghreb et du
Moyen-Orient sont ceux où le recours à la peine capitale est le plus
fréquent dans le monde. Les
condamnations et les exécutions se
comptent par centaines chaque année. Pour la seule Arabie saoudite, 86
personnes ont été exécutées au cours
de l’année 2005. Dans ces pays où
l’Islam est religion d’État, le droit à
la vie inhérent à chaque être humain,
trouve certaines de ses limites dans
les textes considérés d’origine divine
et révélés aux hommes pour mieux
réglementer la vie à l’intérieur de la
société et la protéger des agissements
humains les plus dangereux. Il existe
en matière pénale plusieurs délits
dont les peines répondent en partie
à la loi du Talion. Des sanctions telles
que l’amputation ou la lapidation
sont effectivement prévues à l’encontre des crimes majeurs.
Cependant, des voix de l’Islam s’élèvent aujourd’hui pour appeler à une
pratique de la religion musulmane
allant dans le sens d’une justice pénale plus humaine.
« Un débat déjà initié dans
la communauté musulmane »
Le grand débat sur les voies de l’abolition en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient, programmé dans le
cadre du 3e Congrès mondial contre
la peine de mort (Paris, février 2007),
proposera une plate forme de débat
où des spécialistes du droit musulman venus de pays arabes et d’Europe, approfondiront un débat juridico théologique déjà initié par des
docteurs du droit musulman euxmêmes, concernant l’application des
dispositions pénales islamiques.
Les arguments juridiques qui démontrent la nécessité de renoncer à
l’application de la peine capitale
font l’unanimité parmi ces spécialistes qui s’accordent également à
reconnaître le caractère central de
certains préceptes humanistes dans
l’enseignement islamique. Le repentir ou l’octroi du pardon, permettent en effet, de suspendre l’application de la peine capitale.
Le droit musulman puise ses sources
dans le texte sacré du Coran mais
également dans la Sunna qui for-
ment ensemble la Sharia. Parole
d’Allah, le Coran, rend compte de
la révélation faite au prophète à
La Mecque puis à Médine. Mais,
lorsque le Coran ne permet pas de
se prononcer clairement sur un point
de droit, les Musulmans se tournent
alors vers la Sunna, qui constitue
l’ensemble des gestes du Prophète,
ainsi que ses propos, consignés dans
de brefs récits appelés Hadith : ce
qu’a fait ou dit Muhammad en telle
circonstance aura par conséquent
force d’exemple sinon de loi.
La peine de mort inscrite
dans le Coran…
Bien que le Coran insiste sur le respect de la vie il envisage néanmoins
la peine de mort pour l’homicide, le
brigandage, l’insurrection armée et
l’adultère. Pour les musulmans, les
hudud c’est-à-dire les dispositions
pénales de la Sharia constituent un
droit raisonnable et équilibré : ils
donnent leur juste mesure à la douleur éprouvée lors de la perte d’un
être cher, victime d’un meurtre. Cependant, ces mêmes textes ouvrent
aussitôt la voie à un règlement sans
mort d’homme, grâce à l’instauration du principe du prix du sang, du
repentir et du pardon qui semblent
occuper en Islam une place encore
plus importante que l’application
des peines. En outre, l’impossibilité
à notre époque de réunir les conditions imposées par la Sharia pour
l’application de la peine capitale,
constitue également un argument
central pour solliciter la suspension
de l’application de la peine de mort.
Dans la communauté musulmane,
penseurs, juristes et religieux se mobilisent sur ces questions. Le magistrat égyptien Mohammed Saidi Al
Ashmawi, a proposé une analyse
complète et rigoureuse de l’application des hudud dans son livre Les
Fondements de la Sharia. Plusieurs
appels à un moratoire sur les châtiments corporels, la lapidation et la
peine de mort ont été lancés récemment, rencontrant notamment
un écho plus que positif auprès du
grand Mufti d’Égypte, le Sheikh Ali
Jumaa. Ces appels pourraient être
une étape décisive en vue de l'abandon définitif de la peine de mort.
… mais modérée
par les grands principes
du droit musulman
Pour ce Grand Mufti, « La loi islamique elle-même prévoit des conditions d’application des peines, tout
comme elle décrit les situations visant à les surseoir et en l’absence de
ces critères, la Sharia ordonne de
ne pas les appliquer. » L’existence
même de ces limitations s’explique
par la nature profonde des hudud,
qui loin d’être un alibi pour la vengeance, s’inscrit dans un impératif
de prévention des crimes.
Les spécialistes du droit insistent
encore sur l’impossibilité, à une
époque telle que la nôtre, de réunir
les conditions légales prévues par la
Sharia tel que l’impératif des 40 témoins oculaires de bonne moralité
pour témoigner d’un crime. Aujourd’hui les 56 pays musulmans, se fondant sur cette réalité ne font pas référence aux hudud dans leurs
législations. « Pendant plus de mille
ans – explique le docteur Jumaa –
aucune application des hudud n’a eu
lieu dans un pays comme l’Égypte. La
raison en est que les conditions légales prévues par la Sharîa n’ont
pas été réunies, celle-ci ayant stipulé
des moyens précis quant à la présentation des preuves ainsi que la
possibilité de revenir sur la décision.
Le tout étant compris dans la parole
du Prophète : “Évitez (l’application)
des hudud en situation de doute
[vous appuyant sur les doutes]” ».
Il apparaît, selon certains hadith,
que des situations sociétales particulières peuvent rendre l'application
littérale des hudud inexorablement
injuste. En l'an 635 après Jésus Christ
le second Calife Omar ibn al Khattab s'était refusé à appliquer la peine
prévue à l'encontre d'un voleur,
compte tenu de la disette qui régnait à cette époque. Le moratoire
trouve donc dans cet épisode de
l'histoire islamique un précédent historique d'une importance incontestable. Lorsqu'en décembre 2004 le
Sénégal, pays musulman, a aboli la
peine de mort, des personnalités
religieuses s'étaient déjà engagées
dans des débats théologiques mettant en exergue cette longue tradition jurisprudentielle qui consiste à
Au Liban, la démocratie
passe par la fin
de la peine capitale
Le 22 juin 2006, le premier Ministre libanais Fouad Siniora a déclaré au journal égyptien Al Ahram que le Liban s’apprêtait à abolir la peine de mort afin de rendre
conforme la législation libanaise aux normes internationales permettant l’établissement du tribunal international chargé de juger les assassins de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, tué dans un attentat meurtrier le 14
février 2005. Cette décision ferait du Liban le premier
pays arabe à abolir la peine de mort et viendrait couronner des années d’efforts de la société civile libanaise.
Le Liban aspire à redevenir au sein de son environnement arabe le phare de la culture démocratique.
La peine de mort, cette tache ignominieuse si peu en
phase avec ces revendications est aujourd’hui à l’ordre
du jour de nombres de réunions gouvernementales et
parlementaires.
Un engagement abolitionniste
du personnel politique…
Déjà en 2000, l’ancien premier ministre Salim el Hoss
avait refusé de signer les décrets de mise à mort de
deux condamnés affirmant qu’un tel acte allait à l’encontre de ses convictions humanistes, amorçant ainsi
un moratoire de fait encouragé par l’Union européenne.
Malheureusement, cette prise de position n’a pas empêché les exécutions de reprendre en 2004 en dépit des
vives protestations de la société civile militante. Le Liban, n’avait connu entre 1972 et 1994 qu’une seule
exécution alors qu’entre 1994 et 1998 13 personnes
avaient été exécutées…
En 2004 le député Salah Honein avait élaboré un projet de loi visant à abolir la peine de mort : « Il faut en
finir avec cet acte d’agression prémédité et délibéré
sur une personne incapable de se défendre, ce crime
tenir compte des exigences de la
réalité sociale (al waqi) et de la justice, finalité du message divin. Les
Imams Moussa Gueye et Mouhamadou Bamba Sall, importantes figures
du sunnisme au Sénégal ont pris des
positions déterminantes permettant
d’appuyer l’abolition législative votée le 10 décembre 2004.
Le prophète en humaniste
« Il faut dire que l’Islam accorde au
repentir et à l’octroi du pardon une
place plus importante encore que
celle de l’application des peines »
rappelle encore le grand prédicateur de la chaîne télévisée Al Jazeera, le docteur Youssef Qardawi.
Le Coran et la Sunna étant deux
sources complémentaires de la Sharia islamique, tout musulman se doit
de respecter les injonctions divines,
mais aussi et surtout d’imiter le Prophète dans sa vie quotidienne. Les
spécialistes de l’Islam qui se sont
penchés sur les sources du droit musulman afin de mettre en exergue
les aspects les plus humanistes de
ses enseignements, en ont largement
conclu que le Prophète était un
homme entièrement enclin à la clémence. Aucun crime commis au détriment de sa personne ne lui semblait être trop grave pour ne pas
être pardonné. Une de ses qualités
les plus nobles était qu’il ne punissait jamais pour des raisons personnelles. Il préférait toujours accorder
son pardon même à ses plus grands
ennemis. L’Islam prévoit donc des
conditions draconiennes pour appliquer la peine de mort de telle
sorte qu’il devient aujourd’hui quasiment impossible de les réunir. Cependant, à côté de cet argument juridique, il existe en Islam des
enseignements humanistes qui demandent à tout musulman d’user de
ses qualités humaines les plus
nobles, permettant ainsi, de mettre
en œuvre le principe du prix du
sang. Mais aussi et surtout, permettant à l’homme de faire un pas de
plus vers l’imitation des vertus du
Prophète. L’Islam serait-il sur le
même chemin que l’Église catholique ? Des obstacles littéraux et originels n’empêcheront pas l’émergence d’appels à la renonciation
définitive – et sans retour – à toute
application de la peine de mort, rendant possible l’abolition légale dans
les pays se réclamant de l’Islam.
L’Église catholique n’est-elle pas devenue abolitionniste alors que, dans
son catéchisme, les alinéas légitimant son principe n’ont nullement
été enlevés dans la dernière mise à
jour sous Jean-Paul II ? Des voix de
l’Islam s’élèvent, aux abolitionnistes
de les relayer !
Gwendoline Aboujaoudé
d’État fondé sur une logique qui juge l’individu comme
irrécupérable. Cette culture de la mort s’oppose à l’essence même du Liban qui aspire à la diffusion d’une
culture de la vie. » La proposition de M. Honein avait
été cosignée par six députés.
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Au Maroc, la
société civile
en première ligne
Le Maroc, qui a accueilli l’assemblée générale de la Coalition mondiale contre la peine de mort les 17 et 18 juin
2006, constitue un modèle de référence pour les pays
arabes en matière de peine capitale. Depuis 1993, aucune exécution n’a eu lieu et ce, malgré le code pénal
de 1962, la loi antiterroriste de 2003 et le code de la
justice militaire de 1956 qui répertorient pas moins de
361 crimes passibles de la peine de mort. Au final, depuis son indépendance en 1956, Rabat a prononcé 198
condamnations à mort.
L’adhésion des organisations marocaines de droits de
l’homme à la Coalition mondiale, créée au lendemain
du 1er Congrès mondial, est une preuve de la détermination d’une société civile prête à s’engager de façon
effective dans une stratégie efficace et convaincante
visant l’abolition juridique de la peine de mort. Un
grand nombre d’ONG se mobilisent aujourd’hui pour
demander l’abolition de la peine capitale et surtout la
ratification du 2e protocole facultatif relatif au Pacte international sur les droits civils et politiques.
Le mouvement abolitionniste a été fortement relancé en
2003 par l’initiative de Youssef Madad, secrétaire général de l’Observatoire marocain des prisons, de lancer une
dynamique nouvelle pour l’abolition dans son pays.
En octobre 2003, une conférence internationale est organisée à Casablanca. La Coalition nationale marocaine
contre la peine de mort est créée, composée de sept
ONG engagées dans la lutte pour les droits de l’homme:
l’Observatoire national des prisons, l’Association des
barreaux des avocats du Maroc, l’Association marocaine
des droits de l’homme (AMDH), l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), Amnesty Maroc, le
Forum vérité et équité et le Centre des droits des gens.
La voie de la réconciliation
Au sein même des instances décisionnelles, des voix
s’élèvent aujourd’hui pour réclamer un changement emblématique quant au respect de la dignité de l’homme :
l’abolition juridique de la peine capitale. Il faut dire que
depuis la mise en place par l’État de l’Instance équité
et réconciliation, dont l’action vise à réparer les torts
– aussi bien au plan matériel que moral – subis par les
victimes des violations passées des droits humains, beaucoup de réformes législatives ont été réalisées, afin de
consolider l’État de droit et d’engager le pays de façon
inconditionnelle dans le respect de la dignité humaine
et de la démocratie. En 2005, Madame Nouzha Skalli,
membre du Parlement, a ouvertement questionné le ministre de la justice sur les perspectives d’une abolition totale de la peine de mort. Elle a également rappelé qu’il
existe actuellement 149 personnes dans les couloirs de
la mort dont huit femmes et 17 salafistes condamnés
après les événements terroristes du 16 mai 2003.
Mobilisation législative
Le Front des forces démocratiques, groupe parlementaire disposant de huit sièges à l’Assemblée (sur 325)
a déposé, début mai 2006, un projet de loi pour abroger les dispositions du code pénal prévoyant la peine
capitale. Il s’agit de la première proposition de loi abolitionniste dans l’histoire du pays.
Les recommandations finales du colloque de Mekhnès
sur la politique pénale, initiée par le Ministère de la justice en décembre 2004, appellent à limiter le champ
d’application de la peine capitale et à soumettre la prononciation d’une telle peine à une décision collégiale
des magistrats.
Le Maroc semble être aujourd’hui sur la voie de l’abolition grâce à une société civile engagée dans une dynamique de construction d’un État moderne et démocratique et d’une classe politique avisée et responsable.
Toutefois, le rapport publié en 2005 par la Coalition
marocaine contre la peine de mort sur les conditions
de détention des condamnés à mort dans la prison
centrale de Qnaitra au Maroc, nous rappelle que la
question de la peine capitale doit
englober, dans le cadre de sa résolution, d’autres violations des droits
humains. Les conditions de vie inhumaines qui prévalent dans les prisons marocaines, le recours trop systématique à la violence et à la
corruption, font de la législation sur
les structures pénitentiaires un
champ de bataille prioritaire pour
les militants abolitionnistes.
… à la société civile
Au début de l’année 2005, un Congrès rassemblant des
abolitionnistes a permis de définir une feuille de route
en faveur d’une justice pénitentiaire plus humaine.
Parmi les revendications, l’annulation de la loi n° 302
du 21 mars 1994, qui interdit au juge la possibilité de
prendre en considération les circonstances atténuantes
dans l’application de la peine de mort, et la ratification
du 2e protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à
abolir la peine de mort.
Aujourd’hui, la question de la peine de mort se pose
plus que jamais en termes politiques : son abolition est
la condition sine qua non pour que le Liban coopère
avec la justice internationale et trouve enfin sa place
au sein de la communauté internationale en tant
qu’État indépendant, libre et démocratique. Les députés abolitionnistes comptent bien profiter de cette situation pour accélérer le processus d’abolition de la
peine de mort. D’autant plus, explique le député Honein qu’il « ne serait pas bon que le Liban donne de
lui une image négative en faisant mine de n’abolir la
peine de mort que sous la contrainte, en raison des exigences établies par la communauté internationale ».
Toutes ces évolutions laissent penser que le Liban, une
fois sorti de la crise actuelle, sera le premier pays arabe
à abolir la peine capitale.
G. A.
G. A.
INSCRIPTION
CONGRESSISTE
Bulletin
d’inscription
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et nous retourner
*50D82T*
Journée mondiale
contre la peine de mort
le 10 octobre de chaque année
journée mondiale
14
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Depuis 2003, les membres de la Coalition mondiale contre la peine de mort appellent
le 10 octobre les citoyens et les organisations du monde entier à organiser des initiatives
locales, pour dénoncer l’horreur et l’absurdité de la peine capitale.
En quatre ans, débats, concerts, communiqués de presse, déclarations officielles et manifestations
se sont multipliés sur les cinq continents et ont donné une audience internationale à la revendication
de l'abolition universelle.
Thème du 10 octobre 2006
la peine de mort : les échecs de la Justice
Innocents, mineurs, handicapés mentaux, discriminations, tortures… Pour la quatrième édition
de sa Journée mondiale, la Coalition mondiale contre la peine de mort appelle à se mobiliser
et à dénoncer toute forme de violation des règles dans la mise en œuvre du processus judiciaire
menant à la peine capitale. Les 53 organisations ont désigné cinq cas de condamnations
emblématiques de l’injustice absolue que fait naître la condamnation à mort dans un système
judiciaire. Un dossier pour agir et mieux connaître le vrai visage de la peine capitale.
Les innocents des couloirs
Affiche de
la 4e journée
mondiale contre
la peine de mort.
Plus d’information et documentations sur
www.
worldcoalition.org
AGISSEZ POUR
SHE XIANGLIN ! CHINE
Teng Xingshan et She Xianglin ont été reconnus coupables du
meurtre de leur épouse, respectivement en 1994 et en 1987.
Teng a été exécuté en 1989. Après onze ans de prison, She a
été disculpé et libéré le 1er avril 2005… Après que les deux
épouses furent réapparues ! En octobre 2005, She a reçu
450000 yuans (environ 45000 euros) de dédommagement.
Combien de milliers de condamnés à mort, comme Teng, n’ont
pas eu cette chance ni le temps de prouver leur innocence!
SITI ZAINAB BINTI DUHRI RUPA ! ARABIE SAOUDITE
Indonésienne, Siti Zainab Binti Duhri Rupa est mère de deux
enfants. Sans aide consulaire ni conseil juridique, coupée de
sa famille, elle a avoué le meurtre de son employeur. Jugée
en secret par un tribunal dont elle ne comprenait pas la langue,
elle a été condamnée à mort et risque aujourd’hui d’être exécutée, comme de nombreux étrangers en Arabie saoudite.
GLORIA ! NORD DU NIGERIA
Gloria a souhaité témoigner sous un nom d’emprunt. Arrêtée
en 1987 à l’âge de 17 ans, accusée de meurtre, elle fut
condamnée à mort après sept ans de prison. Faute d’avocat,
elle ne peut toujours pas faire appel. Elle est détenue depuis
douze ans dans la prison d'Uguru.
PANETTI ! ÉTATS-UNIS
Scott Panetti souffre de désordre schizo-affectif. Après son divorce, déguisé en militaire, il assassine ses beaux-parents
avant de se changer pour se rendre à la police. Malgré son
passé psychologique, il sera jugé apte à subir le procès. Devant la cour, il révoque son avocat et organise seul sa défense. Il vient régulièrement à son procès affublé d’un déguisement de cow-boy et tenant des propos incohérents. Malgré
tout, il est condamné à la peine capitale en 1995 et attend toujours aujourd’hui dans les couloirs de la mort du Texas.
SHAHRAM POURMANSOURI ! IRAN
Shahram Pourmansouri a été condamné à mort en 2001 alors
qu'il était âgé de dix-sept ans, pour une tentative de détournement d’un avion de ligne en Iran. Malgré un sursis à exécution obtenu en janvier 2005, il est toujours condamné à
mort. Le droit international interdit l'exécution de mineurs au
moment du crime. L'Iran et le Pakistan sont les seuls pays qui
exécutent encore des mineurs (alors même que le droit pakistanais l’interdit).
pour agir
www.worldcoallition.org
L’avènement des tests ADN a permis de mettre en
lumière par des preuves scientifiques que, malgré les
pièces à conviction amenées au procès, nombreux sont
les innocents sur le point d’être exécutés. Détenu
depuis 17 ans dans le couloir de la mort du Missouri,
Lonnie Erby a été libéré en août 2003 après avoir été
innocenté grâce aux tests ADN. Arrêté pour des viols
en série commis en 1985, il demandait depuis 1988 à
être soumis à ces tests. Or, ce n’est qu’en 2001 que le
Missouri a autorisé cette procédure pour les affaires déjà
jugées. Selon le programme Innocence Project, qui a
soutenu ce prisonnier, 136 détenus ont été innocentés
depuis la fin des années 1980 aux États-Unis.
Les multiples erreurs judiciaires qui ont été recensées
depuis le rétablissement de la peine de mort dans le
pays en 1977 ont conduit à l’adoption de moratoires sur
les exécutions. C’est en grande partie l’acquittement de
Steve Manning en janvier 2000 après 14 ans de couloir,
et 13e condamné à mort de l’Illinois disculpé qui a
conduit le gouverneur George Ryan à imposer un moratoire sur les exécutions: « Je ne peux pas apporter mon
soutien à un système dont l’application a été entachée
par de nombreuses erreurs et qui risque de conduire à
la situation la plus odieuse entre toutes, à savoir celle
où l’État ôte la vie à un innocent […] Tant que je n’aurai pas la certitude que toute personne condamnée à
mort dans l’Illinois est réellement coupable, tant que je
ne pourrai être sûr qu’il n’y a aucun risque qu’une
femme ou un homme innocent reçoive une injection létale, personne ne sera exécuté. » À ce jour, l’Illinois a
innocenté 18 condamnés à mort mais il est loin d’être
le seul État américain concerné. La Floride est en tête
du classement américain, avec 21 cas d’innocentés. En
Chine, où le nombre de condamnés à mort avoisinerait
les 10 000 et où le système judiciaire souffre de lourds
dysfonctionnements, on estime les innocents retenus
par centaines. Amnesty International a identifié les cas
de Chen Guoqing et de trois coaccusés, inculpés pour
meurtre en 1996, jugés et condamnés à mort à quatre
reprises. Ils ont fait appel trois fois avec succès, la Cour
reconnaissant qu’il existait peu d’éléments de preuve valables établissant un lien entre eux et le crime commis.
Leurs alibis étaient fiables, leur inculpation était largement fondée sur des aveux extorqués sous la torture.
Aujourd’hui, ils sont toujours en prison dans l’attente du
verdict définitif. Une défense insuffisante, le manque de
preuves ou la mauvaise volonté des autorités suffisent
à mener à l’erreur judiciaire. En outre, ces condamnations sont difficilement révocables dans la mesure où
les tribunaux saisis en appel ne réexaminent pas systématiquement les faits, les preuves, l’enquête, se restreignant aux problèmes de droit.
Les sept discriminations capitales
Partout où elle est appliquée, la peine de mort est infligée aux membres les plus vulnérables de la société :
pauvres, handicapés mentaux, femmes, minorités raciales, religieuses, ethniques et politiques…
Le caractère raciste de la peine capitale apparaît clairement dans les rapports officiels américains. En
mai 1998, le centre d’information sur la peine de mort
(DPIC), organisation indépendante basée à Washington,
soulignait que 98 % des procureurs qui proposent ou
non la mort sont blancs. Au final, 42 % des condamnés sont noirs alors que la population noire ne représente que 12 % des 298 millions d’Américains. En outre,
la grande majorité des condamnés l’ont été pour le
meurtre d’une victime blanche alors que le nombre de
victimes appartenant aux minorités ethniques est égal
à celui des victimes blanches. Autre donnée significative de l’application raciste de cette sentence : dans les
différents couloirs de la mort, on compte 22,62 % de
Noirs accusés d’avoir tué une personne blanche et
1,1 % de Blancs d’avoir tué une personne noire.
À la discrimination raciale s’ajoute dans la plupart des
cas, une discrimination sociale. Les femmes sont des
cibles particulièrement faciles, comme le détaille le rapport 2004 d’Amnesty International sur le Nigeria. Le
droit pénal, composé du Code pénal et du Code criminel, ainsi que les codes pénaux islamiques (Sharia)
prévoient dans les États du nord du Nigeria la peine de
mort pour un grand nombre d’infractions : entre autres,
le vol à main armée, la trahison, le meurtre et l’homicide volontaire. Ce dernier chef d’accusation, souvent
utilisé dans les cas d’avortement, touche particulièrement
la population féminine. Au cours d’une mission au Nigeria en mars 2003, les délégués de l’organisation se sont
entretenus avec sept femmes détenues dans la prison
de Katsina (État de Katsina). L’une d’entre elles avait été
déclarée coupable d’homicide volontaire et condamnée à mort par pendaison pour avortement. Dans cet
État comme dans 11 autres du nord du Nigeria, on applique un droit issu de la Sharia.
En Arabie saoudite, les ressortissants étrangers et les migrants souffrent de marginalisation, de pauvreté, de xénophobie et de discrimination, autant de facteurs qui
influent sur les sentences. Ils ont peu de chance d’échapper à la peine capitale, faute de représentation légale
suffisante, de soutien familial, ou même de comprendre
leur situation pour ceux qui ne parlent pas la langue
cier d’un bar de Cincinnati. M. Jamison a été condamné
à la peine de mort en 1985 sur le faux témoignage de
son complice Charles Howell, à qui la police promit
une sentence moins sévère en échange de ses aveux.
Durant le procès, l’accusation a caché les déclarations
contradictoires de Howell qui auraient discrédité la version du procureur et conduit à suspecter d’autres personnes. Le principal témoin écarté du procès, James
Sugg, était présent au moment du cambriolage.
M. Suggs a affirmé qu’il n’était pas capable d’identifier
formellement le suspect. Deux cours fédérales de justice ont établi que l’accusation avait bafoué les droits
de M. Jamison à bénéficier d’un procès équitable. Il est
aujourd’hui libre.
Au Nigeria, les délais de procédure et leur forme sont
régulièrement dénoncés par les ONG et les organismes
internationaux.
Pour l’ONG Prawa, les périodes de détentions préventives durent rarement moins de cinq ans dans les
prisons nigérianes. Le contrôleur général des prisons
lui-même affirme que les personnes accusées de crimes
passibles de la peine capitale sont généralement maintenues plus de dix ans en détention préventive. Selon
les statistiques fournies par le Ministère de l’Intérieur,
Innocents, mineurs,
handicapés mentaux,
discriminations, tortures…
du pays. Chacun de ces facteurs (et plus souvent en
combinaison les uns avec les autres) est déterminant
dans les affaires où la peine capitale est en jeu.
D’après le Secrétaire exécutif de la Coalition mondiale,
ECPM, « près des deux tiers des personnes exécutées
sont des étrangers. Beaucoup d’exécutions sont infligées pour des homicides et des viols, mais un bon
nombre de délits non violents restent punis par la décapitation : c’est le cas notamment de l’apostasie, de la
sorcellerie, des violences sexuelles et des délits touchant
à l’usage de la drogue. La justice saoudienne est particulièrement rigide avec les travailleurs étrangers, et notamment avec ceux provenant des pays pauvres du
Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Asie, qui représentent près d’un quart de la population saoudienne. Les
travailleurs immigrés sont plus vulnérables aux abus de
leurs patrons et des autorités : en cas d’arrestation, ils
sont aisément abusés car forcés à signer un aveu en
langue arabe, que bien souvent ils ne comprennent pas.
Les travailleurs immigrés sont fréquemment torturés et
plus souvent maltraités, flagellés, amputés et exécutés,
que les citoyens saoudiens. Dans bien des cas, ils ne
savent même pas que leur procès est terminé et qu’ils
sont condamnés à mort ».
Une justice extrajudiciaire…
Pour être recevable, un verdict doit être issu d’un tribunal qui s’attache à respecter des règles de bonne procédure, les règles d’un procès équitable, aussi diverses
que : droit d’accès en fait et en droit à un tribunal établi par la loi, indépendant et impartial ; délais de procédure « raisonnables »… Les procès aboutissant au
prononcé de la peine capitale doivent particulièrement
garantir les droits de la défense, c’est-à-dire la présomption d’innocence, le droit à un traitement humain
lors de l’arrestation et de la détention, et l’assistance
d’un avocat.
Aux États-Unis, le 28 février 2005, le juge de l’Ohio Richard Niehaus a levé toutes les charges qui pesaient
contre Derrick Jamison, accusé du meurtre du tenan-
on comptait, en novembre 2003, quelque 25 000 accusés en attente de leur procès dans les prisons du pays.
S’agissant des femmes dont le cas est évoqué dans
rapport d’Amnesty International 2004, elles ont généralement été incarcérées après leur arrestation pour des
crimes passibles de la peine capitale en attendant que
leur dossier soit transmis par la police au parquet, qui
décide de l’opportunité d’engager des poursuites judiciaires. Dans de nombreux cas portés à la connaissance de l’organisation, les dossiers ont été égarés et
les femmes maintenues en détention sans jugement
pendant plusieurs années, ce qui constitue une violation grave de leur droit fondamental à un procès équitable, et notamment du droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
Les fous condamnés…
Comme pour les mineurs, exécuter des personnes atteintes de folie revient à mettre à mort des êtres sans
défense et nullement responsables de leurs méfaits.
C’est pourquoi, la Commission des Nations unies pour
les droits de l’homme a demandé aux États, dans sa résolution du 20 avril 2005 de « ne pas faire subir la
peine de mort à un individu qui souffrirait d’un quelconque trouble mental ou d’une incapacité intellectuelle, et de ne pas exécuter de tels individus ». Mais
la question de la folie d’une personne est encore plus
difficile à déterminer que son âge réel.
Aux États-Unis, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle l’exécution de handicapés mentaux au mois
de juin 2002. Dans l’affaire Atkins c. Virginie, à 6 voix
contre 3, les juges ont estimé que l’exécution des handicapés mentaux était une violation directe de l’article
8 de la Constitution américaine, qui s’élève contre « les
châtiments cruels et inhabituels ». Mais la Cour dans sa
décision a omis de préciser l’interdiction d’exécuter
toute personne « attardée mentale aux moments des
faits incriminés ». Au final le même Daryl Atkins qui a
ouvert la voix à cette décision historique risque aujourd’hui à nouveau la peine de mort. Son procès a été
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journée mondiale
15
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Ils font la Journée mondiale
Au Japon avec Maiko Tagusari
À Hong Kong, avec Ho Tong WU
Au Tchad avec Massalbaye Tenebaye
Maiko Tagusari est représentante
de Forum 90
Ho Tong WU est responsable du groupe Amnesty
International de Hong-Kong
Massalbaye Tenebaye est président de la Ligue
tchadienne des droits de l’Homme
Quelle initiative avez-vous organisé pour la Journée mondiale 2005 ?
Forum 90 a monté une grande rencontre publique à
Tokyo, le 8 octobre. Grâce à la couverture médiatique
qui a précédé l’événement, 200 personnes ont participé.
La rencontre a principalement consisté dans la performance d’une célèbre conteuse, Kaori Kanda, qui a fait
revivre les exécutions sous l’ère Edo (XVIIe, XVIIIe et
XIXe siècle). Cette rencontre a également donné lieu à
la tenue de tables rondes et à la présentation de peintures et de dessins réalisés par des prisonniers des couloirs de la mort.
Quelle initiative avez-vous organisé pour la Journée
mondiale 2005 ?
Nous avons tenu une conférence de presse le 10 octobre
pour mettre en lumière les cas de résidents Hongkongais condamnés à mort en Chine. Cette décision était stratégique dans la mesure où l’opinion publique et les principaux médias sont moins sensibles au sujet général de
la peine de mort en Chine. Le témoignage de familles
de prisonniers des couloirs de la mort s’est révélé une
manière efficace de médiatiser la Journée mondiale et
d’obtenir une couverture médiatique.
À l’occasion de la campagne Cities for life, notre action
s’est ensuite concentrée sur des cas particuliers de
condamnations à mort à Singapour et aux États-Unis: Van
Tong Nguyen, un citoyen australien, allait être exécuté
par Singapour quelques jours après la veillée et le gouvernement américain s’apprêtait à procéder à la 1000e
exécution depuis le rétablissement de la peine capitale
en 1977. Un appel avait été lancé aux autorités locales
pour qu’elles n’éclairent pas la ville en signe de deuil
ce soir-là mais cet appel n’a pas été entendu.
Quelle initiative avez-vous organisé pour la Journée
mondiale 2005 ?
Nous avons tout d’abord réfléchi à un programme d’action stratégique visant à l’abolition de la peine de mort
au Tchad, avec de multiples ONG, représentant également les femmes et les jeunes. Nos travaux ont abouti
à la Déclaration de N’Djamena du 12 octobre 2005, qui
est un véritable programme, et à la création d’un Comité
provisoire de réflexion sur la peine de mort qui vise à
créer à terme la Coalition tchadienne contre la peine de
mort. Nous avons également organisé une conférence
débat qui a réuni 200 personnes dont des représentants
d’ONG droits de l’homme et deux députés du parti majoritaire et d’opposition.
La Coalition mondiale
contre la peine de mort :
53 organisations
Secrétariat exécutif : Ensemble contre la peine de mort
Quel impact votre initiative a-t-elle eu ?
Par définition, la question de la peine capitale n’était
pas familière de la plupart des participants, mais par
le biais de programmes comme le conte ou la projection de films, il devient plus aisé pour la plupart de réfléchir concrètement à l’enjeu de la peine capitale. Le
public a réalisé que les prisonniers des couloirs de la
mort sont des êtres humains, tout comme chacun
d’entre nous.
Et pour la 4e Journée mondiale ?
Nous organiserons une rencontre similaire le 7 octobre
à Tokyo. Cette année, notre invitée sera une comique,
Kikuchiyo Kokontei.
Quel impact votre initiative a-t-elle eu ?
La conférence de presse a permis une couverture de
l’événement par les principaux journaux chinois. La
veillée a réuni 30 participants. L’impact des activités
demeure limité puisque la peine de mort n’est pas un
enjeu prioritaire à Hong Kong car elle y est abolie depuis 1993.
Et pour la 4e Journée mondiale ?
Nous envisageons d’organiser une action de sensibilisation publique le 10 octobre 2006, dans le but de faire
prendre conscience à la population que la peine de
mort est une violation des droits de l’homme.
Quel impact votre initiative a-t-elle eu ?
L’Assemblée générale qui devait présider à la création
de la Coalition tchadienne contre la peine de mort n’a
pas encore pu avoir lieu, faute de moyens financiers.
Mais le bilan de la 3e Journée mondiale contre la peine
de mort est positif.
La conférence-débat a suscité de nombreuses interrogations au sein de la population. Cette dernière est partagée entre, d’une part, les arguments sécuritaires du
gouvernement qui explique la nécessité du maintien de
la peine capitale par référence à la loi du Talion, « œil
pour œil, dent pour dent », et d’autre part, le refus de
l’impunité et de la faiblesse de la justice, qui sont symptomatiques du fait que la peine capitale ne peut être la
bonne solution. Si un important travail de sensibilisation
reste à effectuer, le débat existe. Le code pénal prévoit
les peines alternatives à la peine capitale, et la réforme
programmée suite aux recommandations des États généraux de la justice de 2003, prévoit l’abolition de la
peine capitale. La prochaine cible est le corps de la magistrature, qui choisit encore trop souvent la condamnation à mort, malgré l’existence des alternatives.
Aux États-Unis avec Lance Lindsey
Et pour la 4e Journée mondiale ?
Notre objectif est de maintenir nos efforts et de consolider le travail accompli. Les principales pistes sont de
tenir à nouveau une conférence-débat pour réitérer nos
Quelle initiative avez-vous organisé pour la Journée efforts de sensibilisation, et d’organiser l’Assemblée générale qui permettra la création de la Coalition tchamondiale 2005 ?
Le jour même nous avons tenu une conférence de presse dienne contre la peine de mort. Pour ce faire, nous reau cours de laquelle : une Coalition d’ONG a demandé cherchons encore des appuis financiers.
l’abolition universelle de la peine de mort. Cet appel a
rassemblé de nombreux groupes et communautés d’horizons différents, autour d’une position commune, contre
le racisme, la violence et l’injustice, dans le système juridique américain. Mike Farrell, président de Death Penalty Focus, associé à d’autres dirigeants d’organisations
de défense des droits de l’homme a manifesté son désaccord avec cette pratique du meurtre cautionné et organise par l’État en mettant en avant le cas de Stanley Tookie Williams (exécuté depuis, ndlr) et annonçant une
campagne fédérale de demande de clémence à son
e
égard. Un effort politique destiné à obtenir un moratoire
sur les exécutions en Californie a été annoncé. Le 23 octobre, Death Penalty Focus a également sponsorisé une
exposition – Ensemble pour la Justice : Art et Activisme
– avec la participation de l’artiste Malaquias Montoya qui
a présenté son travail – et en présence de membres clé
du mouvement abolitionniste: l’activiste Dolores Huerta,
les acteurs Hector Elizondo, Shelley Fabares ainsi que
le président de DPF, Mike Farrell.
Lance Lindsey est directeur exécutif de Death
Penalty Focus
réouvert après que des tests eurent déterminé une remontée de son QI au-dessus des 70 points. Ses neuf
années de couloir de la mort et de lutte juridique auraient développé ses capacités d’analyse et favorisé ses
liaisons neuronales…
Quant au cas de Steven Parkus, il illustre une autre facette de la détresse des handicapés mentaux face à un
système pénal qui ne protège pas leurs droits. Victime
de violences physiques et sexuelles depuis son enfance, Steven a été diagnostiqué schizophrène, psychotique et malade mental dès l’âge de huit ans. À
12 ans, il a été placé dans un centre de détention juvénile, où son traitement médical a cessé. À 17 ans, il
est condamné à autant d’années de prison pour l’agression d’un professeur. Il sera à nouveau violenté sexuellement et physiquement par ses codétenus. Aucun traitement médical ne lui fut administré pour ses troubles
mentaux. En 1985, il tue son ami et codétenu Mark Steffenhagen, également victime de violence en milieu carcéral. Steven Parkus plaidera qu’il voulait soustraire
son ami à de nouvelles agressions. Au procès, l’avocat
de M. Parkus n’a pas pu prouver ses antécédents mentaux. Les dossiers médicaux n’étaient pas probants, celui-ci n’ayant pas consulté le bon hôpital. M. Parkus a
été condamné à mort. Passant outre le fait que le jury
aurait prononcé une autre peine s’il avait su que Parkus était mentalement malade, les juges ont rejeté son
appel au motif qu’aucune violation de la Constitution
n’avait était constatée.
Interdit aux moins de 18 ans
Si le droit international encourage les États à supprimer l’application de la peine de mort pour les individus qui n’ont pas atteint l’âge de 18 ans au moment
du crime, nombreux restent malgré tous les pays qui
continuent à ne pas tenir compte des traités et protocoles signés. Aux États-Unis, il faudra attendre l’année
2005, pour que la Cour suprême dans une jugement
du 1er mars, interdise définitivement l’exécution des
criminels mineurs.
Depuis 1990, la Chine, la République démocratique du
Congo, l’Iran, le Nigeria, le Pakistan, l’Arabie saoudite,
les États-Unis et le Yemen ont mis à mort des mineurs
délinquants. Mais c’est en Iran que la situation demeure
la plus préoccupante : huit mineurs ont été exécuté en
2005 et un jeune homme de 17 ans pendu en mai 2006.
D’après Amnesty International « depuis environ quatre
ans, les autorités iraniennes envisagent de promulguer
une loi qui interdirait le recours à la peine de mort pour
les mineurs délinquants. Le 11 octobre 2005, Jamal Karimirad, ministre de la Justice, agissant en qualité de
porte-parole du pouvoir judiciaire iranien, aurait déclaré
à l’Agence d’information des étudiants iraniens que si
un tel projet de loi était adopté par le Majlis (le Parlement), les personnes âgées de moins de 18 ans ne seraient plus exécutées. Toutefois, il établissait une distinction entre meurtres pouvant donner lieu à qisas –
“réparation” [selon une interprétation du droit musulman, le plus proche parent masculin de la victime d’un
meurtre a le droit d’obtenir réparation ; il peut, au lieu
d’exiger l’application de la sentence capitale, choisir le
paiement de la diya (prix du sang) ou même pardonner au meurtrier] et autres infractions passibles de la
peine de mort, les qisas relevant, selon lui, du domaine
privé plutôt que du domaine public ; il assurait toutefois que l’on s’efforçait de trouver aussi une solution
concernant les qisas. Il apparaît clairement dans ces déclarations que le projet de loi en cours d’examen reste
assez éloigné des mesures nécessaires de toute urgence
pour que l’Iran se conforme à ses obligations internationales au titre du PIDCP et de la Convention relative
aux droits de l’enfant. »
Dossier réalisé par
Charlotte Beaucillon
2007
à la veille des Jeux
Olympiques de Pékin
la 5 journée mondiale
sera consacrée
à la Chine
Quel impact votre initiative a-t-elle eu ?
Une couverture de l’événement par les principaux médias a aidé à lancer cette initiative et à mobiliser des communautés clé ainsi que des leaders politiques au profit
des condamnés à mort. Cette couverture a également
permis d’accroître de manière significative la connaissance du public quant aux aléas du système judiciaire
américain.
Et pour la 4e Journée mondiale ?
Nous apporterons notre soutien à l’événement organisé
par Amnesty International « Week end of Faith in action
on the death penalty » qui se déroule aux États-Unis. Le
26 octobre, nous organisons une table ronde au centre
pastoral du diocèse de San Bernardino au Canada, autour du thème des condamnations injustes: Gloria Killian,
une innocente condamnée pour effraction, vol et meurtre
témoignera de son expérience et donnera son point de
vue sur le système judiciaire.
2005 la journée mondiale
« l’Afrique en marche
vers l’abolition ! »
Avec pour thématique « L’Afrique
en marche vers l’abolition », l’édition 2005 de la Journée mondiale
(3e du genre) a été célébrée dans
46 pays et saluée par l’Union européenne, le Conseil de l’Europe, la
France et le Mexique…
Au total, 263 initiatives ont été
organisées à travers le monde et
une pétition internationale invitant
les chefs d’État africains à abolir a
recueilli pas moins de 42 300 signatures, remises à la Présidence
de l’Union africaine en juin dernier.
• Acat France
• American Friends Service Committee
• Amnesty International
• Amnesty International section marocaine
• Association marocaine des droits humains
• Ville d’Andoian
• Barreau de Paris
• Ville de Braine l’Alleud
• Campagne nationale pour l’abolition de la peine
de mort au Liban
• Center for Prisoner’s Rights
• Centre pour les droits des gens
• Collectif unitaire national de soutien à Mumia Abu-Jamal
• Comité national pour l’abolition de la peine de mort
au Maroc
• Comité Paul Rougeau
• Comité syndical francophone de l’éducation
et de la formation
• Communauté de Sant’Egidio
• Conférence internationale des Barreaux
• Culture pour la paix et la justice
• CURE – Missouri
• Death Penalty Focus
• Droits et démocratie
• Ensemble contre la peine de mort
• Fédération internationale des chrétiens
pour l’abolition de la torture
• Fédération internationale des droits de l’homme
• Fédération syndicale unitaire
• Forum 90 Japan
• Forum marocain pour la vérité et la justice
• Foundation for human rights initiative
• International Helsinki Federation for Human Rights
• Italian Coalition to Abolish the Death Penalty
• Journey of Hope
• Lifespark
• Ligue des droits de l’homme
• Lutte pour la justice
• Ville de Matera
• Mothers Against the Death Penalty
• Mouvement contre le racisme et pour l’amitié
entre les peuples
• Murders Families Victims for Reconciliation
• Murder Victims’ Families for Human Rights
• National Association of Criminal Defence Lawyers
• National Coalition to Abolish the Death Penalty
• National Lawyers Guild
• Observatoire marocain des prisons
• Organisation marocaine des droits humains
• Organisation mondiale contre la torture
• Penal Reform International
• People of Faith Against the Death Penalty
• Puerto Rican Coalition against death penalty
• Ville de Reggio Emilia
• Région toscane
• Réseau d’activistes iraniens pour la défense des droits
de l’homme en Europe et Amérique du Nord
• Texas Coalition to Abolish the Death Penalty
• Ville de Venise
J M
DATE DE
PARUTION :
C N
FORMULAIRE
D’INSCRIPTION
*50D84T*
ECPM
16
Michel Taube
est délégué
général
et porte-parole
d’Ensemble
contre la peine
de mort
du jeudi 1er au samedi 3
février 2007 à Paris (France)
organisé par
Ensemble contre la peine de mort
Pour l’abolition
constitutionnelle !
par Michel Taube
Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006
Le 2 janvier dernier, le président de la République annonçait sa décision de réviser la Constitution française
et d’y inscrire l’abolition de la peine de mort. « Une telle
révision, en inscrivant solennellement dans notre Constitution que la peine de mort est abolie en toutes circonstances, consacrera l’engagement de la France. Elle
témoignera avec force de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine », ajoutait Jacques Chirac.
Cette initiative, presque inattendue puisque la ratification traînait depuis dix sept ans déjà, est en fait destinée à permettre à la France de ratifier le seul instrument international de portée universelle en la matière :
le 2e protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations
unies, visant à abolir la peine de mort en toutes circonstances, notamment en temps de guerre.
Le président de la République a certainement tenu
compte du fait que la France est en retard, avec la Pologne et la République tchèque, sur les grandes démocraties européennes qui ont, pour la plupart, ratifié cette
convention internationale. Le Canada vient de le faire en
2005. A ce jour, seuls 55 des 98 États abolitionnistes ont
ratifié cet instrument adopté pourtant déjà en 1989. La
réunion du Congrès de la République à Versailles pourrait, selon nous, intervenir judicieusement le 9 octobre
prochain, 25 ans après, jour pour jour, la promulgation
de la loi abolissant la peine capitale en France, et à la
veille de la Journée mondiale contre la peine de mort.
Pourquoi une telle révision constitutionnelle ?
Je, soussigné(e),
M.
MME
NOM :
MLLE
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PRÉNOM :
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ORGANISME : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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FAX :
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E-MAIL : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je souhaite que mes coordonnées ne soient pas
réutilisées ultérieurement par les organisateurs
je m’inscris
Les droits d’inscription doivent être réglés en Euros.
je verse la somme de 200 euros
et en tant que congressiste, je recevrai :
• les conseils de notre chargée d’accueil congressistes,
une invitation au buffet / cocktail d’accueil des
congressistes et des intervenants le jeudi, une invitation
au cocktail du vendredi, 3 repas-déjeuners ;
• la « valise du congressiste » comprenant les Notes
de recherche préparatoires des débats, les Actes
du 2e Congrès mondial de Montréal, le rapport annuel
d’ECPM « Abolir 2007 », deux éditions du Journal de l’Abolition (Spécial 25 ans et spécial Congrès mondial), l’affiche
officielle de « Paris 2007 ».
• les actes du 3e Congrès mondial contre la peine de mort
je soutiens
ECPM dans les couloirs
de la mort rwandais
Deuxième étape du programme Afrique des Grands lacs
d’ECPM, la mission d’enquête dans les couloirs de la mort
de Kigali (Rwanda) a permis a Maela Bégot et ses enquêteurs
de recueillir plus de 100 témoignages de condamnés à mort.
Le rapport de mission sera publié le 10 octobre. Éclairage.
Un consensus plus large que ce que l’on croit
L’abolition constitutionnelle soulignerait une adhésion
très forte des forces politiques du pays à la cause de
l’abolition, symbolisée par la continuité, au-delà de
leurs divergences politiques, qui unirent, sur cette question, deux présidents de la République successifs : François Mitterrand et Jacques Chirac. Mais cette continuité
dépasse les deux hommes…
Si le combat pour l’abolition fut en France, depuis deux
siècles, porté par la gauche, si François Mitterrand décida de faire abolir cette peine vaine et cruelle (l’abolition est inscrite en lettres d’or dans son héritage), l’initiative constitutionnelle de Jacques Chirac nous rappelle
que, dès les années 1970, des parlementaires de droite
avaient demandé l’abolition : Pierre Bas le premier en
1978, Bernard Stasi, Adrien Zeller (aujourd’hui président
de la Région Alsace) et Philippe Seguin.
« Elle témoignera
avec force de notre
attachement aux
valeurs de la dignité
humaine » Jacques Chirac
Faut-il craindre la révision, notamment en cette année
électorale où la majorité du Parlement est à droite ?
D’aucuns laissent entendre qu’il pourrait ne pas se trouver une majorité des trois cinquièmes des parlementaires pour voter une telle révision constitutionnelle.
Nous ne partageons nullement ces craintes.
Tout d’abord, quel est l’état de l’opinion publique ? Depuis le début des années 2000, les sondages prouvent
qu’une majorité de l’opinion publique est abolitionniste. Le dernier sondage annuel de décembre 2005 Le
Monde / RTL réalisé par TNS-Sofres fait état de 63 %
des Français hostiles au rétablissement de la peine de
mort (ils étaient 53 % en 2000) contre 34 % (45 % cinq
ans plus tôt). Selon la même enquête, la peine de mort
est même l’opinion frontiste qui rencontre le moins
d’adhésion parmi les sondés, à l’exclusion de la préférence nationale en matière d’emploi et de prestations
sociales qui se trouve encore plus largement rejetée.
Côté Parlement, ne nous étendons pas sur l’isolement
de ces 49 parlementaires de droite qui demandèrent en
Ibuka (Souviens toi en kinyarwanda), association qui s’exprime
au nom des rescapés, maintient
une position clairement en faveur
de la peine capitale seule solution
à leurs yeux pour éradiquer la culture de l’impunité et les idées génocidaires qui caractériseraient
toujours les condamnés à mort.
Des exécutions impossibles
Je soutiens ECPM et verse un don de … … … … Euros
en vue de l’organisation du 3e Congrès mondial contre
la peine de mort « Paris 2007 ».
Je recevrai un reçu fiscal.
TOTAL du règlement :
Malgré la symbolique de la révision constitutionnelle, il
faut néanmoins souligner que c’est une mauvaise raison
qui oblige la France à modifier sa Constitution. En effet,
tout est parti d'une décision du Conseil constitutionnel
du 13 octobre 2005 qui subordonne la ratification du protocole 2 à une révision préalable de la Constitution tout
en autorisant celle du protocole 13 de la Convention européenne des droits de l'homme qui pose pourtant le
même principe. Le 2e protocole ne pouvant, contrairement à son « homologue » européen, être dénoncé, le
Conseil a considéré que « porte atteinte aux conditions
essentielles d’exercice de la souveraineté nationale l’adhésion irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent à celle-ci ». De ce fait, il
« lierait irrévocablement la France même dans le cas où
un danger exceptionnel menacerait l’existence de la Nation ; il porte dès lors atteinte aux conditions essentielles
d’exercice de la souveraineté nationale, (…) méconnues
non par l’engagement d’abolir la peine de mort, mais par
l’irréversibilité de cet engagement ».
Le raisonnement qui a guidé les neuf Sages relève, selon nous, d’une conception bien trop régalienne de la
souveraineté, partagée dans peu de pays européens.
Renoncer, de façon irréversible, à l’exercice d’une prérogative de souveraineté qui viole une des libertés fondamentales, cela s’appelle rendre irréversible le respect
de l’État de droit. Le Conseil n’a d’ailleurs trouvé dans
la Constitution aucune disposition contraire aux deux
protocoles internationaux.
Rappelons qu’une conception encore plus régalienne
a freiné, pendant des années, la ratification du proto-
cole 2 : certains corps de l’État, au Ministère de la Défense notamment, ont soutenu que les deux protocoles
étaient incompatibles avec l’article 16 de la Constitution. Heureusement, le Conseil constitutionnel n’a pas
estimé « que le recours à la peine de mort constituait
un moyen nécessaire au président de la République
pour rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs
publics » en cas de crise majeure.
… … … … Euros
par chèque bancaire en euros, à l’ordre de ECPM.
par virement bancaire en euros
par mandat poste en euros
Nom de la banque : Crédit Coopératif Paris Nation
Adresse : 252, BD Voltaire
75544 PARIS Cedex 11
BIC : CCOPFRPPXXX
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Numéro de compte : 21029743701
Date : … … /… … /… … … …
Signature
Plus de 12 ans après le génocide,
et dans un contexte de difficile
« réconciliation », une équipe composée de représentants d’ECPM
et du CLADHO, collectif qui regroupe les principales organisations de défense des droits de
l’homme locales, a enquêté au
Rwanda sur les conditions de vie
des condamnés à mort du pays.
Le Rwanda s’est récemment lancé
dans un débat sur l’abolition de la
peine capitale, qui a pris de l’ampleur à l’approche du dépôt au
Parlement d’un texte de loi visant
à exempter de la peine de mort les
accusés de génocide qui seraient
transférés du Tribunal pénal international d’Arusha pour le Rwanda
ou de pays européens et nordaméricains. Mais le débat politique
dépasse aujourd’hui largement le
simple cas de ces personnes
transférées, et ce alors que le
Rwanda doit revoir en profondeur
son Code pénal en 2007.
Opinion et acteurs divisés
Du côté de la société civile, des
voix en faveur de l’abolition se font
entendre au sein des églises chrétiennes et des ONG locales de défense des droits de l’homme, telle
que le Cladho, qui a pris position
contre la peine de mort pour la
première fois en 2005 et mène depuis des actions de sensibilisation
en vue de l’abolition. En revanche
Merci de nous retourner
ce formulaire dûment rempli
accompagné de votre règlement
(chèque bancaire, bordereau de virement
ou de mandat poste) à ECPM :
5, rue Primatice
75013 PARIS
FRANCE
Tél. : (0033) 01 47 07 61 60
Fax : (0033) 01 47 07 65 10
pour en savoir plus…
Rendez-vous sur Internet
www.abolition.fr
50D84
Cependant, il est politiquement
impossible pour un État qui survit
sous perfusion financière d’exécuter les 814 condamnés à mort
civils : des exécutions officielles attireraient les foudres de ses principaux bailleurs, et il est probable
que, sans l’abolition, le Rwanda
maintienne indéfiniment un moratoire de fait sur les exécutions, ou
mette en place quelques « exécutions » pour l’exemple, arbitraires.
S’il n’y a pas eu d’exécution judiciaire depuis plus de 8 ans, la peur
des condamnés est, malgré tout,
bien réelle, surtout au moment des
commémorations où ils craignent
que se répètent les fusillades publiques de 1998. Chaque mouve-
2004 le rétablissement de la peine de mort pour les criminels terroristes (citons Olivier Dassault, Eric Raoult,
Georges Mothron…), ou sur ces élus qui, quelques années auparavant, comme Charles Pasqua, l’avaient requise pour les assassins d’enfants.
Contentons-nous de rappeler le résultat du vote de
1981 : sur les 369 députés qui votèrent l’article 1 de la
loi d’abolition « La peine de mort est abolie. », outre les
élus communistes, radicaux et socialistes (sauf un), 150
vinrent également des bancs de la droite : Jacques Chirac était des leurs. Citons également pour le RPR Michel Barnier, François Fillon, Michel Noir, Etienne Pinte,
Philippe Seguin, Jacques Toubon. Et pour l’UDF,
Jacques Barrot, Jacques Blanc, Pierre Méhaigneurie,
André Rossinot, Pierre Soisson, Bernard Stasi, Olivier
Stirn. Le Sénat lui-même, largement à droite, surprit les
observateurs en votant le texte en première lecture.
Donc déjà en 1981, plus des trois cinquièmes des parlementaires (529 des 768 votants, soit 68,88 %, si l’on
additionne les deux assemblées) votèrent l’abolition
dans le contexte, à l’époque, d’une opinion publique
favorable à la peine capitale !
Si le courage fut pour la gauche, pour François Mitterrand et Robert Badinter, pour ce qui relève de l’intime conviction de chacun, celle-ci déborda manifestement - et largement - les clivage politiques, déjà en
1981 ! Nous sommes donc sereins quant à l’issue du
vote du Congrès dans les prochaines semaines.
Pour un article constitutionnel fort
Nous espérons que, pour la révision de la Constitution,
le gouvernement ne se contentera pas de proposer un
article technique, tel un article 53.3 relatif aux traités
et engagements internationaux qui stipulerait que la
France ratifie les protocoles 2 et 13, comme le Congrès
le fit avec la Cour pénale internationale en introduisant
l’article 53.2. Un nouvel alinéa à l’article 66 qui interdit toute détention arbitraire, dans le Titre VIII portant
sur l’autorité judiciaire, serait déjà plus judicieux.
Mieux encore, puisque le préambule de 1946 ne peut
être modifié, nous proposerions volontiers un nouveau
Titre de la Constitution « De l’abolition » qui pourrait
contenir un seul article reprenant mot pour mot l’article II.2 de la Charte européenne des droits fondamentaux qui dispose : « Nul ne peut être condamné à
la peine de mort, ni exécuté. » En toutes circonstances
pourrait-on ajouter…
Terminons sur ce fait : le ministre qui montera au perchoir du Congrès pour demander, au nom du gouvernement, le vote de la révision constitutionnelle sera Pascal Clément, Garde des Sceaux… Celui-là même qui,
en 1981, défendit à la tribune de l’Assemblée nationale
le rejet de la loi présentée par Robert Badinter. N’y
voyons aucune ironie : en vingt-cinq ans, beaucoup de
Français ont évolué sur cette question fondamentale de
la peine de mort et reconnaissent enfin qu’elle est une
violation des droits humains et une peine excessive et
non dissuasive. Pascal Clément, suivi par Robert Badinter… Une inversion de l’histoire qui souligne la
vraie victoire des abolitionnistes : il existe aujourd’hui
en France un consensus politique large sur l’abolition.
ment inhabituel au sein de leur prison leur fait craindre une mise à
mort imminente, et ils sont suspendus à la radio où avaient été annoncées les dernières exécutions.
Dans les couloirs de la prison
de Mpanga
Lors de nos visites à la prison de
Mpanga, l’une des plus grandes
prisons du pays, où les condamnés
a mort sont censés à plus ou moins
long terme être tous transférés,
nous avons pu, grâce à une équipe
de sept enquêteurs, interviewer
près de 115 personnes (hommes
et femmes) condamnées à la peine
capitale pour génocide ou crimes
de droit commun. Si le débat se focalise autour du sort des personnes
impliquées dans le génocide, il ne
faut pas oublier que 25 % des
condamnés à mort de sexe masculin sont dans les couloirs pour
des crimes de droit commun.
A travers ces entretiens, nous
avons pu évaluer leurs conditions
de vie dans la prison de Mpanga,
souvent présentée comme une
prison modèle, car récente et
construite selon les standards internationaux afin de pouvoir accueillir les personnes transférées
par Arusha. Pourtant cette prison
est très isolée, et les condamnés
a mort en souffrent beaucoup : ils
ne peuvent recevoir de visites, ce
qui accentue les problèmes de
malnutrition dont tous se plaignent, et ils sont en outre éloignés
des instances judiciaires qui traitent leurs dossiers.
Un rapport à paraître
en octobre
Le rapport de la mission d’enquête
dans les couloirs de la mort rwandais sera publié le 10 octobre 2006
à l’occasion de la 4e journée mondiale contre la peine de mort. Il
sera basé essentiellement sur les
entretiens effectués avec les
condamnés afin de donner la parole à ces « oubliés » qui sont
nombreux à attendre dans les
geôles de la mort sans savoir quel
sera leur sort au final.
Maela Begot