actualité internationale congrès mondial journée mondiale
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J M ECPM association loi 1901 • 5 rue primatice 75013 Paris France • Siret : 43350831400013 • NAF : 913E • Tél. : 01 47 07 61 60 • Fax : 01 47 07 65 10 • e-mail : [email protected] • internet : www.abolition.fr Ensemble contre la peine de mort C N DATE DE PARUTION : *50D actualité internationale congrès mondial journée mondiale L’injection létale en question 2007, Paris, capitale de l’abolition « Les échecs de la justice » La méthode d’exécution « du futur » a pris un coup de vieux. Suspendue dans certains États américains, rejetée en Inde, la mort par empoisonnement fait voir son vrai visage. •••> p. 3 Pour sa troisième édition, le rendez-vous international des acteurs de l’abolition se tiendra à Paris du 1er au 3 février 2007. Retrouvez en exclusivité l’avant programme!•••> p. 12 Innocents, mineurs, handicapés mentaux, discriminations, tortures… Le 10 octobre 2006, 4e Journée mondiale contre la peine de mort, dîtes non à l’injustice ultime !•••> p. 14 Journal de l’abolition Avec le soutien de L’actualité internationale de l’abolition de la peine de mort Publication de l’association Ensemble contre la peine de mort. Contact rédaction : [email protected] Diffusé aux adhérents. Directeur de publication : Olivier Déchaud Comité éditorial : Emmanuel Maistre, Michel Taube n° 8 • septembre 2006 par Michel Taube Délégué général et porte-parole d'ECPM Il y a vingt-cinq ans, la France en finissait avec une justice qui tue et abolissait enfin la peine de mort. Il y a vingt-cinq ans, Robert Badinter, et à travers lui des générations d’abolitionnistes, avocats, politiques, intellectuels et citoyens, obtenaient ce que Hugo et Jaurès avaient rêvé de « plus haut et de plus noble » pour la France (pour reprendre les termes de ce dernier). L’association Ensemble contre la peine de mort avait à cœur et se devait de revenir sur ce moment historique, avec un dossier complet dans ce nouveau numéro du Journal de l’abolition. Depuis six ans que l’association a été créée, nous avons pu mesurer ô combien notre action pour internationaliser ce combat est redevable aux militants qui ont permis à la France de tourner cette sombre page de son histoire judiciaire. Cet hommage trouve une actualité inédite en France avec la décision du président de la République, Jacques Chirac, de demander la révision de la Constitution pour y inscrire un article disposant que la peine de mort est abolie en toutes circonstances, notamment en temps de guerre. Nous avons bon espoir que cette révision sera adoptée sous peu par le Congrès de Versailles. Le combat aujourd’hui est international : la 4e édition de la Journée mondiale contre la peine de mort aura lieu le 10 octobre, lendemain de la date de promulgation de la loi française (9 octobre 1981). Le 1er février 2007, la France accueillera le 3e Congrès mondial contre la peine de mort organisé par notre association avec le soutien de la Coalition mondiale contre la peine de mort. Autant d’occasions de dire NON à la Pologne qui vient de proposer le rétablissement de la peine de mort en Europe. Qu’on se le dise, la France, dernier pays d’Europe occidentale où coula le sang d’un condamné exécuté, sera à la tête du combat pour construire une Europe à jamais libérée de ce châtiment barbare. Tel est le sens de notre engagement, dans le sillon de l’action de Robert Badinter et des abolitionnistes qui obtinrent l’abolition en 1981. 25 ans sans guillotine dossier Spécial 25e anniversaire de l’abolition en France•••> p. 4 Rencontre avec Robert Badinter Grand entretien avec l’ancien garde des Sceaux grâce à qui l’abolition a été votée en France sous Mitterrand en 1981•••> p. 4 Interview de Claude Sérillon Homme de presse et écrivain, il a couvert les grandes affaires criminelles des années 1970. Témoin d’une justice qui tuait encore•••> p. 6 50D81 Patrick Baudouin à l’école La peine de mort en débat: une classe de 4e échange avec Patrick Baudoin, avocat, président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme•••> p. 9 Contribution de Michel Foucault Impliqué contre la peine de mort, en 1981, le philosophe réagit au lendemain du vote de l’abolition dans un entretien accordé à Témoignage Chrétien. Réédition•••> p. 11 Retrouvez les dessins de Plantu contre la peine de mort pour la première fois réunis dans cette édition spéciale. *50D82T* actualité internationale 2 Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Monde 20 000 personnes attendent actuellement leur exécution à travers le monde Dans son dernier rapport sur la peine de mort dans le monde publié le 19 avril 2006, Amnesty International a répertorié plus de 20 000 personnes en attente d’exécution. En 2005, 5 186 condamnations à mort ont été prononcées dans 53 pays, et au moins 2 148 personnes ont été mises à mort dans 22 pays. En tête, la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite et les États-Unis qui comptabilisent pas moins de 94 % des exécutions. Mais loin devant ses « concurrents », la Chine totalise à elle seule 80 % des exécutions, et reconnaît officiellement avoir procédé à 1 770 exécutions. Selon un expert, Pékin mettrait à mort plus de 8 000 personnes chaque année. Au moins 94 condamnés en Iran et 86 en Arabie saoudite, ont été exécutés en 2005. Les États-Unis affichent 60 exécutions. Cependant, la tendance mondiale en faveur de l’abolition se confirme : au cours des 20 dernières années le nombre d’États ayant procédé à des exécutions a été divisé par deux et 2005 enregistre une baisse mondiale des mises à mort pour la quatrième année consécutive. Asie Philippines L’abolition Le 6 juin 2006, les parlementaires philippins ont approuvé un décret-loi abolissant la peine de mort. La loi a été promulguée peu après par la présidente Gloria Arroyo. Le Sénat a voté le projet de loi à l’unanimité, après un vote plus controversé à la Chambre des représentants où le projet avait été approuvé par 119 voix sur 139. La promulgation de la loi a entraîné la commutation automatique en peine de prison à vie des 1 200 détenus condamnés à mort. Les exécutions faisaient, depuis 2000, l’objet d’un moratoire dans le pays. Avec les Philippines, l’Asie (hors Asie centrale et Océanie) compte sept pays abolitionnistes et quatre autres qui n’ont plus exécuté de condamnés à mort depuis dix ans. Chine Audiences publiques pour les procès en appel La Chine envisage très prochainement de rendre publiques les audiences de tous les procès en appel relatifs à des condamnations capitales devront se dérouler en audience publique. Par ailleurs, au cours de ces procès, les avocats défenseurs pourront plaider et les prévenus être entendus en déposition. Les audiences seront également filmées, de façon à pouvoir être visionnées par la suite. « De cette manière, a déclaré Xiao Yang, le président de la Cour suprême du peuple, notre système judiciaire fera appel aux standards les plus élevés. » Jusqu’à présent, les Hautes cours provinciales approuvaient les condamnations capitales sur la seule base des dossiers entendus, sans les avocats et les prévenus. Ces nouvelles mesures devraient permettre d’éviter des condamnations à mort sur la base d’aveux extorqués par la police ou par les procureurs en recourant à la torture. Zhang Jun, le viceprésident de la Cour, a en effet expliqué que « dans un document de la Cour suprême traitant des erreurs judiciaires qui ont conduit à des exécutions, il a été démontré que dans la plupart des cas on avait eu recours à la torture pour extorquer des aveux ». Corée du Sud Projet de loi à l’étude Le 21 février 2006, le ministre de la Justice de Corée du Sud a annoncé qu’il examinerait la possibilité de substituer la peine d’emprisonnement à vie sans liberté conditionnelle à la peine de mort. Un projet de loi a été déposé en ce sens par le député Yoo Ihn-tae, du parti Uri et été soutenu en 2004 par 175 parlementaires de la majorité et de l’opposition. « Ces démarches visent à mettre en place un système de justice pénale respectueux des droits humains », a expliqué le ministre qui a annoncé la mise en œuvre d’une étude des cas allemands, français et d’autres pays abolitionnistes, pour déterminer les possibles répercussions que pourrait avoir l’abolition sur la société et sur la prévention du crime. Les conclusions de cette étude seront déterminantes. Sur cette base, le ministre sera appelé à décider s’il soumet le projet de loi abolitionniste au parlement. La dernière exécution en Corée du Sud remonte à 1998. Cinquante-sept condamnés à mort attendent actuellement leur exécution. Inde Les plus hauts responsables opposés à la peine capitale « Si quelqu’un me demande mon opinion en tant que citoyen ordinaire, je répondrai que nous ne devrions pas avoir la peine de mort dans notre législation » a déclaré, mercredi 19 octobre 2005, le ministre de la justice indien Y K Sabharwal au quotidien The indian Express avant de préciser que l’abolition ne pouvait relever que de l’Assemblée parlementaire et qu’en tant que ministre il appliquerait la loi. Le débat sur la peine de mort a été relancé en Inde après que le président Abdul Kalam’s eut conseillé au Gouvernement d’accorder la clémence pour une grande part des condamnés à mort indiens. Le 14 août 2004, l’Inde avait repris les exécutions après neuf années de moratoire. Il y a plus de 160 condamnés dans les couloirs de la mort de New Delhi. Canada Ottawa ratifie le 2e protocole et s’affirme abolitionniste Le 25 novembre 2005, le Canada a ratifié le 2e protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, visant à abolir la peine de mort. Le Canada est ainsi devenu le cinquante sixième État partie à ce traité. Dans sa déclaration, le ministre des Affaires étrangères, Pierre Pettigrew, a souligné que « l’adhésion au traité par le Canada s’inscrit dans nos démarches visant à faire connaître clairement notre position relativement à cet aspect important des droits de la personne. Le Canada s’oppose à la peine de mort et appuie la tendance internationale en faveur de son abolition. Nous exhortons tous les États qui ont encore recours à la peine de mort à l’abolir ou à imposer un moratoire sur son utilisation, et à devenir partie au 2e protocole facultatif. » États-Unis Zaccharias Moussaoui échappe à la peine capitale Finalement le français Zaccharias Moussaoui n’ira pas dans les couloirs de la mort. Le Tribunal Fédéral d’Alexandria en Virginie l’a condamné à la prison à perpétuité. Seul détenu jugé pour les attentats du 11 septembre 2001, le français Zaccharias Moussaoui avait plaidé coupable le 22 avril 2006 devant le tribunal d'Alexandria en Virginie. Contre l'avis de ses avocats, le franco-marocain de 36 ans n'avait pas contesté les charges retenues contre lui, dont quatre étaient passibles de la peine de mort. Il a ainsi reconnu avoir participé avec les 19 pirates de l'air du 11 septembre 2001 et les dirigeants d'Al-Qaïda à un vaste complot pour tuer des Américains en utilisant des avions de ligne détournés. Lors du procès, le jury a considéré que Moussaoui avait menti au FBI lors de son arrestation et jugé que ses mensonges étaient responsables en partie des morts pro- France Vers l’abolition constitutionnelle Le président Jacques Chirac a annoncé, mardi 2 janvier 2006, lors de la cérémonie des vœux devant le Conseil constitutionnel, la mise en œuvre d’une réforme de la Constitution afin d’y inscrire l’abolition de la peine de mort. « Une telle révision, en inscrivant solennellement dans notre Constitution que la peine de mort est abolie en toutes circonstances, consacrera l’engagement de la France. Elle témoignera avec force de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine », a souligné le chef de l’État. Récemment, le Conseil avait statué qu’une réforme de cet ordre serait nécessaire afin de ratifier le 2e Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, qui vise à abolir en toutes circonstances la peine de mort. Aucune précision n’a été donnée sur les modalités et délais de la mise en place du processus de réforme constitutionnelle. (voir article page 16) voqués par les attentats. Le 3 mai, après sept jours de délibéré, les jurés sont parvenus à un verdict: contre toute attente, Moussaoui a été condamné à la prison à perpétuité. À une voix près, il échappe à la peine de mort. Compte tenu de son statut de « terroriste », Zacarias Moussaoui devrait terminer sa vie à ADX Florence, Colorado, une prison de haute sécurité qui rassemble les détenus américains considérés comme les plus dangereux. États-Unis Baisse des condamnations à mort depuis 5 ans Parue le 28 février 2006, la dernière édition de Death Row Usa, le rapport trimestriel de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), organisation qui milite en faveur des droits civiques pour les minorités ethniques aux États-Unis, rapporte une baisse de 8 % de la population des couloirs de la mort américains au cours des cinq dernières années : elle est ainsi passée de 3 652 détenus en 2000 à 3 373 au 1er janvier 2006. Ainsi, selon le Death Penalty Information Center et sur la base de ce rapport, 106 personnes ont été condamnées à mort en 2005, alors que 125 l’avaient été en 2004 – des chiffres bien moins élevés que les 300 condamnations à mort enregistrées jusqu’à la fin des années 1990. C’est la Californie qui détient toujours le record du nombre de condamnés à mort avec 649 détenus, suivie par le Texas (409 détenus), la Floride (388 détenus), la Pennsylvanie (231 détenus), et l’Ohio (196 détenus). À l’échelle nationale, les couloirs de la mort américains rassemblent 45 % de Blancs, 42 % de Noirs, et 10 % de « Latinos ». Parmi les États dont la population de condamnés à mort est supérieure à 10, le Texas (avec 70 % de minorités) et la Pennsylvanie (69 %) présentent proportionnellement le taux le plus élevé de minorités dans le couloir de la mort. États-Unis 90 minutes d’exécution C’était le 2 mai 2006, au centre correctionnel de Lucasville, dans le nord de l’Ohio aux États-Unis, Joseph Clark, 57 ans, a vécu un véritable supplice. Son exécution a duré 90 minutes. Ancien toxicomane, il avait été condamné à mort en 1984 pour une série d’attaques à main armée. La procédure d’exécution veut que deux voies intraveineuses soient installées, une dans chaque bras. Après avoir placé une aiguille dans le bras gauche de M. Clark, l’équipe d’exécution a cherché une veine dans son bras droit pendant environ 25 mn, en vain. Un des bourreaux a même tenté de « piquer » dans sa jambe droite, sans plus de succès. L’injection commencée, Joseph Clark a levé la tête et hurlé « Ça ne fonctionne pas ! Ça ne fonctionne pas ! ». La veine trop fragile du condamné à mort avait éclaté lors de l’injection du sédatif (thiopental de sodium). Après l’intervention du condamné, les bourreaux ont tiré le rideau sur la vitre derrière laquelle les témoins assistaient à l’exécution. Ils ont pu entendre alors Clark gémir, pleurer, grogner. Le rideau a été rouvert 40 minutes plus tard, à 11 h 17. Le condamné avait les yeux fermés. Il a soulevé la tête plusieurs fois, respiré profondément avant de s’étendre, sans vie. Le décès a été prononcé à 11 h 26, soit 90 minutes après le début de son exécution. Cet incident intervient au cœur du débat sur la méthode d’exécution par injection létale qui s’est ouvert il y a plusieurs mois aux États-Unis. Certains adversaires de la peine de mort arguent en effet que l’injection létale contrevient au huitième amendement de la Constitution, qui interdit les châtiments « cruels et inhumains ». Afrique du nord et Moyen-Orient Algérie Vers l’abolition ? L’Algérie a l’intention d’abolir la peine de mort. C’est ce qu’a déclaré à la radio algérienne, en mars dernier, Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits humains, indiquant qu’un projet de loi en ce sens était en examen depuis plusieurs mois au ministère de la Justice, retardé seulement par quelques ultimes résistances. L’abolition de la peine de mort, selon Ksentini, « s’impose d’urgence et s’avère une étape essentielle vers la constitution d’un État de droit et la réalisation du processus de réforme de la justice », ajoutant que « la peine capitale est totalement absurde et n’a aucun effet dissuasif sur le phénomène de la criminalité ». Ksentini espère que l’Algérie, qui a ratifié de nombreuses conventions internationales, sera le premier pays arabe à abolir la peine de mort. Il a également rappelé que depuis 1993 aucune condamnation n’a été exécutée et que le président Abdelaziz Bouteflika avait gracié, au cours de ses deux mandats, plus de 200 condamnés à mort. Peu de temps avant cette déclaration, Abdelhak Layada, un des plus célèbres condamnés à mort d’Algérie en tant que cofondateur du GIA, a été gracié et libéré. Il fait partie des quelques 2600 terroristes qui ont retrouvé la liberté grâce au décret d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, contestée par les associations de défense des droits humains et de familles des victimes du terrorisme. Arabie saoudite Cent vingt mineurs dans le couloir de la mort Au moins 126 prisonniers sont actuellement détenus dans le couloir de la Europe Biélorussie Manifestants politiques passibles de la peine capitale Emprisonnement à vie ou condamnation à mort: telles sont les peines qu’encouraient ceux qui, répondant à l’appel des partis d’opposition, se sont risqués à manifester à Minsk, en Biélorussie, le 19 mars dernier, pour protester contre le résultat prévisible des élections présidentielles se tenant ce jour-là. « Ces actions seront considérées comme des actes terroristes », a ainsi menacé Stepan Sukhorenko, chef des services de sécurité intérieure, citant un article du code pénal qui prévoit la prison à vie ou la peine capitale pour ce délit. Aleksander Milinkevic, principal candidat de l’opposition aux présidentielles, avait lancé un appel à ses partisans afin qu’ils se rassemblent immédiatement après la fin du vote, pour protester contre la victoire présumée de l’actuel président Alexander Lukashenko. Le président de la Cour suprême biélorusse, Valyantsin Sukala, a déclaré en février dernier que deux personnes ont été exécutées et huit condamnées à mort en 2005. Amériques mort saoudien pour des crimes commis alors qu’ils étaient mineurs, a rapporté le site saoudien alarabiya.net, en citant des sources gouvernementales. Le pays a ratifié en 1996 la Convention de l’ONU sur les Droits de l’enfant, qui interdit la condamnation à mort et la prison à vie sans possibilité de libération, pour des personnes âgées de moins de 18 ans au moment du crime. De fait, le Comité de l’ONU pour les Droits de l’enfant avait examiné l’année dernière la situation de l’Arabie saoudite, critiquant, dans son rapport rendu public le 27 janvier 2006, les condamnations à mort émises à l’encontre de mineurs, et lui reprochant de « graves violations des droits fondamentaux » protégés par la Convention. Il s’est dit en outre « sérieusement préoccupé » par le pouvoir discrétionnaire sur la base duquel les juges reconnaissent les mineurs comme adultes, en cas de crimes capitaux. Le Comité a enfin demandé à l’Arabie saoudite de cesser les exécutions de personnes mineures au moment des faits. Irak Deux cent soixante condamnations capitales et 22 exécutions en deux ans Le 29 juin 2006, le premier ministre irakien Nouri-Al-Maliki a fait savoir que les tribunaux irakiens avaient émis 260 condamnations à mort au cours des deux dernières années. Parmi cellesci, 22 ont été exécutées. Al-Maliki a communiqué ces chiffres aux ministres pour souligner la nécessité de juger rapidement les personnes accusées de violences et d’exécuter les sentences. Après la chute du régime de Saddam Hussein, la peine de mort avait été suspendue par l’Autorité provisoire de la Coalition. Elle avait été réintroduite peu après le transfert de pouvoirs aux autorités irakiennes, en août 2004, lorsque le gouvernement par intérim a voté une loi rétablissant la peine de mort pour homicide, séquestration de personnes, vol et trafic de stupéfiants - et depuis octobre 2005, le terrorisme. Iran Dix exécutions en une journée, l’Union européenne se dit préoccupée Le 19 avril 2006 à l’aube, dix pendaisons ont eu lieu à la prison d’Evine au nord de Téhéran. Ces hommes, reconnus coupables d’homicide, s’étaient vu refuser le pardon des familles de leurs victimes. C’est la première fois, au cours de ces dernières années, que l’Iran annonce la pendaison d’un nombre aussi important de personnes le même jour. Le juriste iranien Nemat Ahmadi a commenté les dix pendaisons en rappelant que l’on n’avait plus assisté à des exécutions de masse depuis des années en Iran. Selon lui, « le retour à ce type d’exécutions correspond à la volonté du nouveau gouvernement iranien de renouer avec les mauvaises habitudes des premières années qui ont suivi la révolution », lorsqu’était encore en vie le fondateur de la République islamique, l’Ayatollah Khomeini. Le 5 mai 2006, l’Union européenne a réagi dans un communiqué, réaffirmant son opposition à la peine de mort et exprimant « sa grave préoccupation face à l’augmentation des exécutions capitales en Iran ». « Cette tendance, poursuit le communiqué, s’est vue confirmée par les dix pendaisons effectuées récemment dans la prison d’Evine. » Afrique Guinée équatoriale Première exécution depuis 20 ans Le 28 avril 2006 a eu lieu la première exécution en Guinée équatoriale depuis vingt ans. Fernando Esono, surnommé Maabis (« je m’en fiche » en langue fang), a été fusillé dans la cour de la prison d’Evinayong (Centre Est du pays) où il était incarcéré. De nationalité équato-guinéenne, Fernando Esono avait été condamné à mort en 2004 par la cour d’appel de Malabo pour un premier meurtre. Lors d’une permission exceptionnelle accordée il y a quelques semaines, il avait pris la fuite et commis deux nouveaux assassinats pendant sa cavale. Prévue dans le code pénal équato-guinéen pour meurtre, espionnage et vol à main armée, la peine capitale n’avait pas été appliquée depuis plus de vingt ans dans le pays. Pendant cette période en effet, lorsqu’elle était prononcée, la sentence était commuée en réclusion à perpétuité ou en peine de vingt à trente ans de prison. Somalie Un adolescent exécute l’assassin de son père Le 2 mai 2006, sur ordre d’un tribunal islamique, un adolescent somalien de 16 ans a exécuté en public l’homme reconnu coupable du meurtre de son père. Il s’agit de la première exécution publique à Mogadiscio depuis dix ans. L’exécution, ordonnée et organisée par le tribunal, a eu lieu à Bermuda dans le sud de Mogadiscio, et a rassemblé des centaines de personnes. Selon les témoins, l’adolescent, Mohamed Moalim, s’est approché du condamné à mort, Omar Hussein, qui était ligoté à un poteau, l’a frappé plusieurs fois avec un couteau à la poitrine, à la gorge et à la tête, jusqu’à ce qu’il meure. Ce jugement a été présenté par les leaders religieux de Bermuda comme équitable et nécessaire au rétablissement de l’ordre : « L’Islam est le seul à même de nous permettre de faire face à nos difficultés » a déclaré l’imam Sheikh Ibrahim Mohamed Nur. « Nous avons appliqué la justice d’Allah et il n’y a pas meilleure justice. Désormais, la population de Bermuda saura que les assassins ne resteront pas impunis, comme dans le passé. » Liberia A aboli ! Le Liberia a aboli la peine de mort le 16 septembre 2005 en ratifiant le 2e protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU. Le traité a acquis immédiatement statut de loi sur le territoire libérien. Le même jour, Monrovia avait ratifié plus de 80 traités, véritable record dans l’histoire des traités internationaux. C’est l’œuvre du Gouvernement de transition nationale qui, dirigé par Charles Gyude Bryant, a été mis en place avec l’Accord de paix globale de septembre 2003 mettant fin à quatorze années de guerre civile, et chargé de reconstruire les institutions du pays. Les dernières exécutions dans le pays avaient eu lieu en 2000. *50D83T* actualité internationale 3 L'injection létale en question… Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Magali Jandaud : « L'Inde n'a pas voulu de la piqûre mortelle » Rien ne va plus ! Aux États-Unis, ce qui était la méthode d'éxecution du futur, propre et indolore, est remise en cause dans de nombreux États. Californie, Missouri… ils suspendent les exécutions dans l'attente que la justice se prononce sur la question de savoir si l'injection létale est constitutive d'un traitement cruel, inhumain et dégradant… Depuis la publication en 2005 dans la revue médicale The lancet d'une étude sur la souffrance infligée aux condamnés à mort par la piqûre mortelle, les recours se multiplient devant les tribunaux. Enquête. L'Inde a rejeté en 2003 le recours à l'injection létale comme nouveau mode d'exécution. Grâce notamment à une forte mobilisation du corps médical. Entretien avec Magali Jandaud, juriste, engagée dans la défense de condamnés à mort indiens. Flora Barré La Commission des Avec Maela Castel et Flora Barré, ECPM vous propose un éclairage pour mieux comprendre le débat qui anime la communauté judiciaire et médicale: des États-Unis à la Chine en passant par l'Inde. L’événement est rarissime aux États-Unis : la Cour suprême américaine a ouvert la voie lundi 12 juin à des recours contre les exécutions par injection létale. Les 3 000 détenus qui attendent leur mise à mort vont pouvoir dénoncer devant les cours suprêmes locales l’injection et la douleur qu’elle provoque comme violant le huitième amendement de la Constitution américaine sur l’interdiction des « châtiments cruels ou inhabituels ». Tout avait commencé quelques mois auparavant le 25 janvier 2006. Ce jour-là, la Cour suprême bloque l’exécution en Floride d’un condamné à mort : Clarence Hill. Elle souhaite déterminer si celui-ci peut faire appel de sa condamnation en se basant sur le fait que l’injection létale en vigueur dans cet État, ne serait pas conforme à la Constitution qui interdit les peines cruelles et inhumaines. Les avocats de Clarence Hill, 47 ans, condamné à mort en 1982 pour le meurtre d’un agent de police de Pensacola, affirment que les substances chimiques utilisées pour l’injection létale ne garantissent pas toujours l’inconscience du condamné pendant l’exécution. Leur appel se base sur une étude publiée en avril 2005 dans la revue scientifique The lancet qui établit que certains condamnés à mort exécutés par injection létale aux ÉtatsUnis étaient conscients pendant leur exécution et ont enduré souffrances et torture faute d’anesthésie suffisante. comme l’arme « propre » de mise à mort. C’est le docteur personnel de Hitler, Karl Band, qui suggéra le premier, dans son programme d’euthanasie T-4, d’exécuter des prisonniers en leur injectant par intraveineuse des doses mortelles de poison. La méthode fut notamment utilisée dans le camp de concentration d’Auschwitz. Les États-Unis furent le deuxième pays à faire usage de l’injection létale en tant que méthode d’exécution. Son utilisation sera adoptée en Oklahoma et au Texas dès 1977, soit un an après la décision de la Cour suprême fédérale de rétablir la peine de mort. Le Texas sera le premier État américain à faire usage de l’injection : Charlie Brooks fut exécuté par « piqûre » le 7 décembre 1982. Il mit sept minutes à mourir. En 2006, 37 des 38 États américains qui appliquent la peine de mort exécutent les prisonniers par injection létale (seul le Nebraska fait encore exclusivement usage de la chaise électrique. La dernière exécution remonte à 1997). Dix-huit de ces États offrent aux détenus le choix entre l’électrocution, la chambre à gaz, la fusillade ou encore la pendaison. Depuis une dizaine d’années, la méthode commence à franchir les frontières nord-américaines. En 1997, elle est autorisée en République populaire de Chine et à Taïwan, au Guatemala en 1998, et en Thaïlande en 2003. D’autres pays ont adopté cette méthode mais n’en font pas usage dans la pratique. Exécutions suspendues en Californie En Californie, le doute s’installe également : le juge fédéral Jeremy Fogel avait demandé à la direction de la prison de San Quentin (Californie), le 15 février 2006, de modifier le protocole d’injection de cet État, afin de rendre les exécutions moins douloureuses. Ainsi, pour la première fois, un juge fédéral reconnaissait le caractère excessif de la souffrance infligée par l’injection létale et acceptait de fait le caractère inconstitutionnel de la méthode. Le magistrat avait ainsi conditionné l’exécution de Michael Morales, condamné à mort pour le viol et le meurtre d’une jeune fille de 17 ans en 1981, à une reformulation du cocktail mortel injecté aux condamnés à mort, ou à la présence d’un expert médical chargé de s’assurer que le condamné à mort avait bien été endormi avant l’injection de la substance utilisée pour provoquer un arrêt cardiaque. Personne n’ayant accepté d’assumer cette fonction, l’exécution de Morales a dû être indéfiniment reportée. Le juge Fogel a prévu de se pencher à nouveau sur les méthodes de mise à mort californiennes en septembre et jusqu’à cette date, c’est toute la Californie qui voit ses exécutions suspendues. En Chine, létale et « mobile » En Chine, l’injection mortelle a été codifiée en 1996 dans le Code de procédure criminelle. Ce dernier est entré en vigueur le 1er janvier 1997. S’il est difficile « Comme des chiens » Ces récents rebondissements aux États-Unis ne peuvent se comprendre sans toucher du doigt ce que signifie la mise à mort d’un homme ou d’une femme par injection létale. La méthode employée est similaire dans tous les États. Le condamné est tout d’abord installé et sanglé sur une table matelassée. Dans certains cas, les tables sont remplacées par des fauteuils, proches de ceux présents chez les dentistes. Deux cathéters sont insérés dans chacun des bras du prisonnier. Seule une perfusion sert à la transmission du poison mortel, la deuxième est placée préventivement en cas d’échec de la première injection. Alors qu’un rideau s’ouvre devant les témoins assistant à la scène morbide, une série de trois injections (dont la combinaison exacte change selon les États) est nécessaire pour exécuter le condamné. Les drogues sont injectées automatiquement : trois fonctionnaires sont chargés d’appuyer sur les trois boutons. La première substance endort le condamné, le temps que les deux autres produits fassent leur effet. La seconde, du bromure de pancuronium, paralyse alors les muscles et les poumons, bloquant ainsi la respiration du détenu. La troisième provoque l’arrêt cardiaque. À compter de la première injection, le condamné meurt généralement en moins de sept minutes. Cependant, la procédure complète d’exécution peut durer jusqu’à quarante-cinq minutes. Le 2 mai 2006, dans le centre correctionnel de Lucasville (nord de l’Ohio), l’exécution de Joseph Clark s’est même éternisée jusqu’à quatre-vingt-dix minutes. Depuis 1982 (1re utilisation de l’injection létale), pas moins de vingt-deux cas d’exécutions ratées ont été rapportés, soit 4 % des injections létales. Les causes de ces bavures sont diverses : difficulté à trouver une veine pour insérer le cathéter - beaucoup de prisonniers, toxicomanes, ont des vaisseaux fragilisés - ou encore mauvaise diffusion de la drogue dans l’organisme. En outre, il n’existe pas de règlement national régissant le déroulement des exécutions, et c’est souvent du personnel non formé qui est amené à pratiquer les anesthésies. Pire encore, aucune évaluation n’est faite pour savoir si la dose injectée est oui ou non suffisante, c’est-à-dire si l’anesthésie est assez forte pour faire perdre conscience au condamné et lui éviter la douleur qui va suivre (Voir l’étude de The Lancet). Enfin, aucun moniteur d’observation n’est branché sur le détenu durant la procédure d’exécution. lois indienne a recommandé en 2003 de remplacer la pendaison par l’injection létale. Cette proposition s’inscrit dans le courant actuel, dans les pays qui appliquent la peine de mort… Magali Jandaud, juriste, engagée dans la défense de condamnés à mort indiens Magali Jandaud Effectivement, l’Inde a examiné cette possibilité, dans la lignée de la tendance actuelle. Le 187e rapport de la Commission des lois, rendu en octobre 2003, effectue une analyse comparative de différentes méthodes d’exécution : la pendaison, la fusillade et l’injection létale. Ce rapport évalue ces méthodes d’exécution sur le critère « d’humanité », le degré de douleur infligée, l’existence de mutilation du corps, la facilité et le temps de l’exécution. Ces critères sont issus des normes internationales ainsi que des résolutions du Conseil économique et social des Nations unies sur la question (Rés. 1984/50 et AG 29 / 118). Au niveau national, c’est l’arrêt Deena de la Cour suprême (Deena Vs. Union of India) qui détermine les modalités d’exécution de la peine capitale : d’une part, elle doit être aussi rapide et simple que possible, évitant une appréhension superflue du condamné ; ensuite, l’acte d’exécution doit provoquer une inconscience immédiate et un glissement vers une mort rapide ; elle doit être décente ; et enfin elle ne doit pas provoquer de mutilation. À la lumière de ces critères et sur la base du principe selon lequel l’État ne doit pas punir par vengeance, la Commission n’a pu que constater l’inhumanité patente que recèle la mort par pendaison. On sait en effet, à travers bien des exemples, qu’elle n’est pas rapide et encore moins décente, si l’on considère l’agonie du prisonnier qui dure parfois plus de quarante minutes et à qui il faut tirer les jambes pour lui briser le cou plus vite. On retiendra les remarques du juge Bhagwati* à cet égard, estimant que la vengeance et la loi du talion ne sont pas des objectifs acceptables sur le plan pénal (remarque qui va d’ailleurs bien au-delà du simple débat sur la méthode d’exécution). Pourtant, au final, l’injection létale a été repoussée ? d’obtenir des informations détaillées, il semblerait que, dès le 28 mars 1997, deux premières exécutions par injection létale ont eu lieu à Kunming dans la province de Yunnan. Cent douze autres ont suivi dans la ville de Kunming jusqu’au 1er mars 2003. Il s’agit pour le vice-président de la Cour Suprême du peuple, Liu Jiachen, d’une manière civilisée d’appliquer la loi. Toutefois, l’injection létale a été adoptée à Taiwan et en Chine non parce qu’elle serait plus douce ou plus humaine mais principalement pour son caractère plus moderne et efficace. Elle permet d’éviter les scénarios à répétition d’exécutions ratées par balle dans la nuque qui ont fait couler beaucoup d’encre dans les médias. Plus pratique sur le plan logistique, elle permet d’appliquer les exécutions au sein même des prisons où se trouvent les condamnés, sans déplacement à organiser. Les gouvernements locaux sont priés d’aider les tribunaux ne disposant pas de chambres d’exécution à leur construction. Et, lorsqu’une personne est condamnée à mort dans des circonscriptions qui n’en disposent pas, les cours intermédiaires peuvent mettre à leur service des wagons spéciaux afin de pratiquer l’injection létale à la sortie du tribunal. Plusieurs provinces chinoises, ont, depuis 2003, mis en place ces unités mobiles d’exécution dans des camions aménagés à cet effet. La province du Yunnan en aurait ainsi acquis 18 en 2003. La Cour suprême du peuple a invité toutes les cours chinoises à s’équiper de chambres mobiles dans lesquelles le détenu est ceinturé à un petit lit de métal placé à l’arrière du fourgon. Le monde médical contre l’injection létale Les syndicats et organisations représentatifs des professions médicales sont parmi les plus virulents opposants à l’injection létale. Aux États-Unis, de nombreux Une histoire trouble Si l’injection létale est aujourd’hui de plus en plus désa- organismes tels que la Société américaine d’anesthévouée, elle a été considérée pendant des décennies siologie et l’Association médicale américaine (l’Ama) ont En effet, bien que prenant acte de la souffrance immense causée par la pendaison, la Commission s’est prononcée contre l’instauration de l’injection létale. Elle a jugé que la « technologie » dans le domaine n’était pas assez avancée et que rien dès lors ne garantissait un mode d’exécution plus rapide et plus décent. En outre, elle a dû faire face à une ferme opposition du corps médical. Cependant, la Commission a conclu à l’unanimité et recommandé que cette question soit réexaminée de manière périodique, au gré des évolutions scientifiques, particulièrement dans le domaine de l’anesthésie, ce qui est une manière de repousser l’échéance d’un débat qui gêne. dénoncé l’utilisation du personnel médical pour la mise à mort. Cette dernière a adopté des règles éthiques quant à la participation des médecins aux exécutions de condamnés à mort, selon lesquelles « un médecin, en tant que membre d’une profession destinée à préserver la vie tant qu’il y a espoir de pouvoir le faire, ne doit pas participer à une exécution légalement autorisée ». Ces directives morales n’ont cependant une autorité légale que dans quelques États, et les initiatives prises, comme ce fut le cas dans l’Illinois, pour sanctionner le personnel médical ayant participé à des exécutions, en violation de la déontologie professionnelle, ont été entravées par l’introduction d’une législation préservant l’anonymat de ces médecins qui pensent s’acquitter de leur « devoir envers la société ». Autre initiative, l’Association médicale de Californie a déclaré qu’elle allait proposer le dépôt d’un projet de loi afin L’opposition du corps médical est forte également aux États-Unis où l’Association médicale américaine (Ama) s’oppose à la participation du personnel médical à toute exécution. Le mouvement est-il comparable en Inde ? Oui. De nombreux médecins ont protesté contre cette mesure à travers le pays. Cette vague s’est confirmée et officialisée lors de la 69e conférence annuelle de l’Association médicale indienne (Ima), où les médecins se sont fermement opposés au fait d’endosser la responsabilité de pratiquer l’injection létale, la jugeant contraire au serment d’Hippocrate qui les engage à préserver et sauver la vie humaine, non à la détruire. Le président de l’Ima avait d’ailleurs dénoncé auprès des autorités la « contradiction évidente » entre la pratique de l’injection létale et l’éthique médicale. Les médecins ont appelé à plus de soutien dans la hiérarchie médicale en faveur des infirmières et autres professionnels de la santé, souvent contraints de participer aux exécutions, car moins aptes à résister aux injonctions administratives. Ce mouvement général est-il lié à la publication dans The Lancet d’un article scientifique dénonçant l’injection létale comme une torture ? Le déguisement de la mise à mort par injection létale en simple opération médicale a beaucoup été dénoncé. The Lancet a également publié un rapport remettant en cause l’efficacité et le caractère indolore de l’injection létale la même année. De nombreux articles scientifiques ont d’ailleurs été publiés en Inde à ce sujet, notamment dans le Journal Indien d’Éthique Médicale (IJME), refusant de donner un visage médical à un traitement inhumain. La décision qui a mené au rejet de l’injection létale comme mode d’exécution implique le recours à la pendaison pour les exécutions à venir alors même que la Commission des lois avait motivé sa proposition d’application de l’injection létale en dénonçant la pendaison comme un traitement inhumain. N’y a-t-il pas une contradiction ? Si bien sûr, ce qui montre bien la schizophrénie actuelle du pays sur la question de la peine de mort. Les contradictions sont multiples, y compris dans les décisions de justice. Par exemple, la jurisprudence Bachan Singh ne juge pas la pendaison comme cruelle et inhumaine. Mais alors, quel besoin éprouve la Cour Suprême de poser des critères d’humanité sur le mode d’exécution des condamnés ? Cela prouve bien que ces critères ne sont pas, et ne peuvent pas, être remplis. Le malaise est évident. Propos recueillis par Flora Barré * M. le juge P. N. Bhagwati fut le chef de la Cour Suprême de l’Inde jusqu’en 1986. Il a ensuite occupé divers postes au sein de l’ONU. d’interdire toute intervention d’un membre du personnel médical dans une exécution. Tout comme l’Association médicale mondiale et l’Ama, le Colegio de Medicos y Cirujanos du Guatemala s’est vigoureusement prononcé contre la participation des personnels de santé aux exécutions et a dénoncé ce qui constitue une violation de la loi et de l’éthique de la pratique médicale. On le voit, la décision de la Cour suprême américaine du 12 juin, qui va permettre à tous les condamnés à mort de saisir les cours locales, s’inscrit dans un contexte international favorable. Ces coups de butoir, alliés aux professions médicales, pourraient amener à une remise en cause définitive de la torture létale et par là même de la peine capitale, se prennent à espérer les abolitionnistes. Maela Castel *50D82T* Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 La France célèbre en ce moment le 25e anniversaire de l’abolition de la peine de mort. L’occasion pour Robert Badinter de revenir sur les origines de son engagement et d’expliquer comment en 1981, face à une opinion publique hostile, il a réussi à bannir du code pénal cette peine inhumaine. Dans son combat, il a pu compter sur le soutien de personnages influents comme MM. Hutin, Sérillon, Bas et Repiquet, respectivement patron de presse, journaliste, député et avocat. Ces derniers racontent ici la façon dont ils ont mis ce sujet en débat dans la France des années 1970. Ils furent aidés en cela par de grands intellectuels comme Michel Foucault, dont nous republions une interview de 1981. Un quart de siècle sans guillotine ne met pourtant pas la France à l’abri d’un retour à la barbarie. Cet anniversaire permet également d’évoquer, avec de grands acteurs des droits de l’homme, les questions qui demeurent dans la société française aujourd’hui. 4 Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France 25 ans sans guillotine Dossier coordonné par Sébastien Poulet-Goffard rédaction : Ève Boccara Luc Chatel Pauline Frain Alexia Leibbrandt Emmanuel Maistre Elenn MouazanBoumendil Laure Toury Robert Badinter: « Une victoire de l’humanité sur elle-même » Paris, un matin de novembre 1972. Derrière les hauts murs de la Santé, sous le dais noir, Roger Bontems est guillotiné pour complicité d’assassinat. À ses côtés: ses deux avocats, Philippe Lemaire et Robert Badinter. L’exécution furtive de ce client qui n’avait pas tué marque à jamais l’abolitionniste de 44 ans. C’est à cet instant qu’il devient un adversaire acharné de la peine de mort. Vingt-cinq ans après avoir obtenu l’abolition en France, l’ancien garde des Sceaux n’a pas oublié l’hostilité de l’opinion publique qui a précédé, mais aussi accompagné, le vote de la loi. Assis sous un portrait de son allié, le philosophe Michel Foucault, il revient sur ces années intenses, évoque le combat nécessaire contre les pulsions de mort d’une société et se réjouit des progrès de l’abolition dans le monde. Collectionneur de documents judiciaires historiques, l’ancien garde des Sceaux possède l’un des six exemplaires originaux de la loi d’abolition en France. Un cadeau de François Mitterrand. Robert Badinter publie chez Fayard Contre la peine de mort Le père de la loi d’abolition de la peine de mort célèbre le 25e anniversaire du texte à sa manière. Robert Badinter publie un témoignage de ses dix ans de combat hors des prétoires. Contre la peine de mort est un recueil de nombre de ses articles, discours et interviews parus alors que le débat faisait rage en France et jusqu’en 2001. Le premier texte, écrit en 1970 pour Le Figaro Littéraire, décodait les raisons pour lesquelles la peine capitale persistait dans certains pays, et constatait que le moment était venu de l’abolir en France. L’ouvrage a également un objectif pédagogique : « je souhaite que les jeunes générations prennent conscience que la marche vers l’abolition n’était pas une promenade de roses », explique Robert Badinter. « Certains pensent que l’on a fait cela comme on vote le budget. Ce fut une grande bataille politico-morale. » Votre combat contre la peine de mort a commencé dix ans avant son abolition en 1981. Pourtant, vous aviez plutôt un profil d’avocat d’affaires. Comment en êtes-vous venu à vous impliquer dans cette cause et, plus généralement, dans les questions pénales ? En réalité, j’ai commencé avec un grand avocat d’assises, Henri Torrès. Entre 22 et 27 ans, j’ai plaidé avec lui dans de très importantes affaires et connu d’illustres pénalistes. Mais, quand il a pris sa retraite en 1957, j’ai effectivement cessé d’avoir une véritable activité pénaliste : j’ai passé l’agrégation, enseigné et traité essentiellement d’affaires de presse, de propriété intellectuelle et de droit commercial. C’est donc grâce au Reportage hasard de la vie que Philippe Lemaire, jeune et déjà photographique : admirable avocat, est venu me demander de travailler Pol Boussaguet avec lui : les grands anciens lui déconseillaient en ef- fet d’aller seul aux assises dans un procès où un client derait s’il avait de grands risques d’encourir la peine risquait sa tête. Car, face à l’enjeu, l’avocat ne peut se de mort. permettre d’être malade ou fatigué. C’était pour le procès Buffet-Bontems. Le tournant décisif de la lutte contre la peine C’est ce procès qui vous a fait passer en 1972 au stade de l’engagement. Quel a été le déclic précisément ? capitale en France est survenu quatre ans plus tard : votre client, Patrick Henry, qui a enlevé et tué un enfant, échappe à la guillotine. Quelle a été votre stratégie ? La condamnation à mort de mon client, Bontems, alors que la cour d’assises avait pourtant reconnu qu’il n’avait pas tué. Contre toute attente, le président Pompidou a refusé de le gracier. Quand je suis sorti de la Santé après l’exécution de Bontems, j’ai considéré que cette situation était insupportable. Je ne pouvais pas admettre une justice qui tue. Aussi longtemps que la peine de mort subsisterait en France, je me suis alors promis de ne jamais refuser de défendre quiconque me le deman- J’ai compris que si on n’axait pas le procès sur la peine de mort, l’affaire était perdue. Patrick Henry n’avait aucune excuse, et l’opinion, en transe, voulait sa tête. J’ai donc décidé de changer le cours du débat : j’ai fait entendre des criminologues, des psychiatres et des philosophes pour transformer le procès de Patrick Henry en procès contre la peine de mort. L’atmosphère était terrible, plus encore que pour le procès Bontems : se retrouver dans la même salle, sur le même banc, avec *50D83T* Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 L’histoire de l’abolition de la peine de mort en France aura duré 200 ans. Deux cents ans pendant lesquels elle sera plus ou moins pratiquée, oubliée ou discutée. Deux cents ans qui s’achèvent le 18 septembre 1981. Ce jour-là, l’Assemblée nationale vote, par 363 voix contre 117, l’abolition de la peine capitale en France. Avant la fin du XVIIIe siècle, rares sont ceux qui, en France, mettent en doute la légitimité de la peine de mort. Toutefois, lorsqu’en 1764, un jeune homme de vingt-six ans, Cesare Beccaria, publie son traité « Des délits et des peines », les idées vont peu à peu évoluer. Une ère nouvelle commence, des débats s’ouvrent, ils seront l’amorce du premier mouvement abolitionniste. De Robespierre à Badinter (1791-1980) Deux siècles de vie politique, cinq grands débats parlementaires ne surent venir à bout de la peine de mort de 1789 à 1981. Le premier débat officiel en France date du 30 mai 1791. Il est initié par LouisMichel Le Pelletier de Saint-Fargeau, rapporteur du projet de code pénal, qui souhaite l’abolition de la peine capitale. Le projet est alors soutenu par Maximilien de Robespierre pour lequel « premièrement la peine de mort est essentiellement injuste et deuxièmement elle n’est pas la plus réprimante des peines et elle multiplie les crimes beaucoup plus qu’elle ne les prévient ». Le rapporteur plaidait alors pour une abolition cantonnée aux crimes de droit commun avec une peine de substitution limitée à vingt-quatre ans d’emprisonnement. L’Assemblée nationale constituante refuse pourtant d’abolir. Le nouveau code pénal est adopté avec son célèbre article 3 selon lequel « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. » Robespierre lui-même, parvenu au pouvoir, n’aura pas le courage de mettre en œuvre ses idées politiques, contraires à l’opinion des citoyens. Du 10 juin 1793 au 27 juillet 1794, date de la chute de Robespierre, on estime à 1373 le nombre de têtes coupées. Ce fut l’apogée de l’application légale de la peine de mort en France. La justice révolutionnaire aurait exécuté entre trente mille et quarante mille condamnés. Le 26 octobre 1795, la Convention nationale abolit la peine capitale, mais seulement à dater du jour de la publication de la paix générale. Avec l’arrivée de Napoléon Bonaparte, la peine de mort, qui n’a de fait pas encore été abolie, est rétablie le 12 février 1810, dans le Code pénal impérial français. Le Consulat puis l'Empire feront litière des idées abolitionnistes, et au lendemain de la proclamation de la paix générale, la loi du 8 nivôse An X maintient provisoirement la peine de mort, le droit de faire grâce étant toutefois prévu par le sénatusconsulte du 16 thermidor An X, droit attribué au Premier Consul (depuis lors, jamais le principe du droit de grâce accordé au chef de l'Etat quel que soit le régime constitutionnel na été sérieusement discuté). Le Code pénal de 1810 maintient la peine de mort et en étend même un peu le domaine d'application (39 cas) ; la peine de mort reparaît notamment contre les voleurs qui réunissent cinq circonstances aggravantes. Lors de la Révolution de 1830, de nombreuses propositions de loi abolitionnistes sont déposées, notamment celle de Destutt de Tracy le 17 août 1830, suivie du vote par la Chambre des députés d'une Adresse au Roi demandant l'abolition. La réforme du Code pénal en 1832 supprime neuf cas passibles de la peine capitale (complot sans attentat, fausse monnaie, contrefaçon des sceaux de l'État, certains incendies volontaires, vol avec circonstances aggravantes…) et généralise la prise en compte des circonstances atténuantes. De nouveaux débats ont lieu en 1838, avec les interventions de Lamartine. Dix ans plus tard, la Deuxième République abolit la peine de mort en matière politique mais rejette plusieurs amendements tendant à une abolition totale. Malgré les discours deVictor Hugo à l’Assemblée, l’abolition est rejetée par 498 voix contre 216. D'autres propositions abolitionnistes suivront (Savatier-Laroche en 1849 et celles de Schoelcher et Raspail en 1851), toutes rejetées. Sous le Second Empire, l'opposition républicaine, notamment Jules Favre puis Jules Simon, essaie de dénoncer le « compromis de 1832 » qui avait limité la peine de mort sans la supprimer. En vain. De nombreuses propositions furent aussi déposées pendant les premières décennies de la III° République (notamment par Schoelcher, Louis Blanc, Frebault, Dejeante, Barodet, Brunet et Flaissières) mais il faut attendre 1906 pour qu’un nouveau grand débat parlementaire ait lieu. À compter de 1906, le président de la République Armand Fallières, partisan de l’abolition de la peine de mort, va systématiquement gracier tous les condamnés à mort. La commission du budget de la Chambre tant en scène une opinion anti-abolitionniste qui fausse le débat sur la peine de mort, finalement maintenue. Malgré l’appui de Jean Jaurès, le projet de loi est rejeté le 8 décembre par 330 voix contre 201. Sous le Régime de Vichy, le maréchal Pétain refuse la grâce par treize fois. Pour Robespierre la peine de mort était profondément injuste des députés vote, en 1906, la suppression des crédits pour le fonctionnement de la guillotine, afin de mettre à mal la procédure d’exécution des condamnés. Le 3 juillet 1908, le garde des Sceaux, Aristide Briand, soumet aux députés un projet de loi de Joseph Reinach, datant de novembre 1906, sur l’abolition de la peine de mort. L’affaire semble en bonne voie quand survient le crime d’Albert Soleilland. Le 27 janvier 1907, ce petit-bourgeois déclassé, vivant de menus larcins et errant d’un meublé à l’autre, viole et assassine la fille de ses voisins et amis, Marthe Erbelding, onze ans. La culpabilité de Soleilland ne fait pas de doute : il est condamné à mort. Mais le caractère atroce du meurtre provoque un déchaînement des passions, surtout lorsque le coupable est gracié par Armand Fallières. La presse se déchaîne, met- Georges Pompidou, qui arrive au pouvoir en 1969, est considéré comme hostile à la peine de mort. Il gracie les six hommes qui sont condamnés à mort durant les trois premières années de son mandat. Mais en 1972, il refuse la grâce présidentielle à deux détenus, responsables de la mort d’une infirmière et d’un surveillant à la centrale de Clairvaux. Le 29 novembre 1972, Claude Buffet et Roger Bontems sont exécutés. C’est le début de la croisade de Robert Badinter pour l’abolition totale de la peine de mort en France. En 1977, Patrick Henry, inculpé pour le meurtre d’un enfant, échappe à la peine de mort grâce au vibrant plaidoyer de l’avocat. La polémique démarre vraiment en France. En 1978, lors de la discussion du budget de la Justice, les partisans de l’abolition relancent véritablement l’offensive. Pierre Bas Europe: terre d’abolition, tour d’horizon L'Union européenne, actuellement en mutation profonde, a une tradition abolitionniste. Avant l'adhésion de dix nouveaux pays d'Europe centrale et orientale en mai 2004, c’était la France qui avait procédé à la dernière exécution d'un condamné, en 1977. L'Europe à 25 (sans oublier les candidats à l'adhésion) recouvre à présent des réalités assez disparates en matière d'abolition de peine de mort. Parmi les pays fondateurs de la CEE et signataires du Traité de Rome en 1957 (la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la France, l'Italie et l'Allemagne), les précurseurs en matière d'abolition sont indubitablement les Pays-Bas : la peine de mort y est abolie pour les délits ordinaires depuis 1870. L'Italie et l'Allemagne ont respectivement aboli la peine de mort en 1948 et 1949. Si l'abolition est entérinée plus tardivement dans les autres pays fondateurs, les dernières exécutions remontent à plusieurs décennies. On peut donc parler d'abolition de facto assez ancienne. En ce qui concerne les pays qui ont rejoint l'Union européenne au cours des années 1970 et 80, le Royaume-Uni et le Danemark font figure de bons élèves : dernières exécutions britannique et danoise, respectivement en 1964 et 1950. Le Danemark est totalement abolitionniste depuis 1978, tandis que le Royaume-Uni l'est depuis 1969 (hors trahison et piraterie violente, depuis 1998). Signalons toutefois qu'en Grande-Bretagne, plusieurs tentatives de réintroduction de la peine capitale ont eu lieu. Le 1er mai 2004, dix pays ont fait leur entrée dans l'Union européenne, portant ainsi le nombre d'États membres à 25. D'une façon générale, l'abolition de la peine de mort dans ces pays a lieu dans le mouvement de transition démocratique intervenu au lendemain de la chute du Mur de Berlin, sauf pour Malte : en 1971 pour les crimes communs (dernière exécution en 1943). La Lettonie, l'Estonie, la Lituanie et la Pologne sont abolitionnistes depuis moins de dix ans. La République tchèque et la Slovaquie ont aboli la peine de mort en 1990, alors qu'elles ne formaient encore qu'un seul et même état, la Tchécoslovaquie. Toutefois, après la séparation, en 1993, les deux pays ont inscrit dans leur Constitution le refus de la peine de mort. L'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union européenne est prévue pour bientôt. La Roumanie est abolitionniste depuis 1989, et la Bulgarie depuis 1998 – mais un moratoire sur les exécutions était appliqué dans ce dernier pays depuis 1990. Les candidats à l'adhésion, la Turquie et la Croatie, sont également abolitionnistes : la Croatie a intégré l'abolition à sa Constitution en 1990, et la Turquie a voté un ensemble de réformes incluant l'abolition de la peine de mort en 2002. Néanmoins, Ankara maintient la peine de mort pour les « crimes commis en temps de guerre ». Pauline Frain le même avocat général qui demandait la peine de la foulée, il allait abolir. Je me trompais. Et dès lors, après l’exécution du jeune Ranucci, il ne pouvait plus mort ! gracier. Il était évident pour tous que si Patrick Henry était condamné à mort, il serait guillotiné. Cela a draD’autant que l’irruption de cette affaire influence matisé à l’extrême son procès à Troyes. J’ai mis les l’issue d’une autre, celle de Christian Ranucci, qui est guillotiné alors que sa culpabilité n’a, elle, jurés face à leur responsabilité. J’ai pris leur regard, je m’en souviens, l’un après l’autre, et je leur ai dit ? : « Un jamais été clairement établie. Je n’ai jamais oublié le lien tragique qui unit ces deux jour, bientôt, l’on abolira la peine de mort, et vous affaires. Aujourd’hui, je suis toujours convaincu que resterez seul avec votre verdict, pour toujours. Et vos Ranucci était innocent et qu’il a été condamné à mort enfants sauront que vous avez un jour condamné à parce que Patrick Henry venait d’enlever et de tuer le mort un jeune homme. Et vous verrez leur regard ? ! ? ». petit Philippe Bertrand. Le président Giscard d’Estaing Un immense silence régnait dans la salle de cour d’asavait pourtant fait savoir en privé qu’il était contre la sises. Je me suis assis. C’était fini. peine de mort. Il me semblait un grand Européen et, partout en Europe occidentale, l’abolition avait gagné. Comment se sont passés les procès suivants ? Il voulait incarner la modernité et avait fait voter la loi Jusqu’en 1981, j’ai sauvé cinq hommes qui avaient déjà Veil sur l’avortement. Il me semblait évident que, dans été condamnés à mort et dont l’arrêt avait été cassé pour propose la suppression des 185 000 francs de crédits prévus pour la rémunération du bourreau. Les arguments développés à cette occasion seront repris dans le rapport présenté en 1979, au nom de la commission des lois, par Philippe Séguin, sur les propositions de Pierre Bas, gaulliste, et des groupes socialiste et communiste. Ces textes ne seront pas examinés par l’Assemblée mais le débat qu’ils ont permis d’ouvrir préparera et orientera les délibérations de 1981. Le 10 septembre 1977, Valéry Giscard d’Estaing refuse de gracier Hamida Djandoubi qui est guillotiné. Il sera le dernier en France. Il est également le dernier exécuté de toute l’Europe occidentale (Europe des 15 avant son élargissement) ! Dossier : Spécial 25e anniversaire de l’abolition en France 5 France: 200 ans de lutte contre la peine capitale Badinter contre l’opinion (1981) Au cours du XXe siècle, l’opinion des Français sur la peine de mort a beaucoup évolué. Plusieurs sondages ont montré de grandes différences d’une époque à l’autre. En 1908, le Petit Parisien publiait un sondage, au lendemain du crime de Soleilland, dans lequel 77 % des interrogés se déclaraient en faveur de la peine de mort. En 1960, un sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) montrait que 50 % des Français étaient contre la peine de mort et 39 % pour. En 1972, dans un autre sondage Ifop, 27 % des sondés seulement étaient contre la peine de mort et 63 % pour. Le 16 mars 1981, en pleine campagne électorale pour les élections présidentielles, François Mitterrand déclare ouvertement qu’il abolira. Georges Marchais et Jacques Chirac, candidats à la présidentielle, se déclarent également en faveur de l’abolition. À cette époque, 63 % des Français sont encore favorables à la peine capitale. François Mitterrand est pourtant élu président de la République le 10 mai. Le 25 mai, il gracie Philippe Maurice, le dernier condamné à mort français. Le 26 août, le Conseil des ministres approuve le projet de loi abolissant la peine de mort. Le 17 septembre, Robert Badinter présente le projet de loi à l’Assemblée nationale : « Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les députés, j’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France. » La loi est votée le lendemain par 363 voix pour contre 117. Le 30 septembre, plusieurs amendements du Sénat sont rejetés. La loi est donc officiellement votée par les deux Chambres. Le 9 octobre, la loi est promulguée. La France, dernier pays d’Europe occidentale à appliquer encore la peine de mort, l’abolit enfin. vice de forme. À chaque fois, les jurés ont épargné leur tête. C’était très difficile car ils me regardaient arriver en pensant « ça y est, Badinter va nous faire son discours sur l’abolition ! ». Et, de mon côté, je ne pouvais refuser les dossiers car je m’étais juré de continuer tant que la peine de mort n’était pas abolie. Chaque procès demandait plus d’intensité : il fallait convaincre les jurés que, ce que je voulais, c’était les empêcher d’aller vers ce que je considérais comme l’abîme pour l’accusé et aussi pour eux. Quel principe fondamental mettiez-vous alors en avant ? Un principe simple, absolu: la justice ne peut pas tuer. Pour autant, je ne plaidais jamais académiquement. J’ai suite toujours mis les jurés face à eux-mêmes et à leur res- page suivante ponsabilité directe. Jamais je n’utilisais de notes car je ne •••> Témoins de l’abolition *50D82T* Pierre Bas - Yves Repiquet: engagements croisés Depuis quarante ans, il est incontournable dans le paysage médiatique français. Patron de Ouest France, François-Régis Hutin est aussi un fervent défenseur des droits de l’homme. Il évoque ici son engagement en faveur de l’abolition et la façon dont il s’est efforcé de lutter avec les armes du journalisme. Yves Repiquet, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, fut le suppléant parlementaire de Pierre Bas, un des premiers députés gaullistes à s’être engagé contre la peine de mort. Trente ans plus tard, ils se souviennent. Comment s’est passée votre rencontre ? Yves Repiquet : Nous nous sommes connus lors d’un dîner en 1976, chez un de mes clients. Pierre Bas était alors président du groupe gaulliste à Paris. Pierre Bas : À ce dîner, j’ai été impressionné par la connaissance qu’avait Yves Repiquet, jeune avocat, de la vie politique française. Il avait 26 ans alors. Nous avions la même vision des choses. Je lui ai demandé d’être mon suppléant pour les législatives de 1978. Quels députés avaient mené le combat pour l’abolition au XXe siècle ? Pierre Bas a été député de 1962 à 1983 et maire du VIe arrondissement de 1978 à 1989. Il est un des premiers députés gaullistes à avoir mené le combat pour l’abolition de la peine de mort. Pierre Bas : Depuis la révolution, de nombreuses tentatives de députés pour abolir la peine de mort avaient échoué. Mais en 1906, il n’y avait plus d’exécutions. Le président graciait systématiquement les condamnés. C’est le crime de Soleilland qui a relancé le débat en 1907. À ce moment, le président de la République, Armand Fallières, décide de gracier un homme qui a commis un meurtre atroce. L’opinion se déchaîne. Après cette affaire, les exécutions reprirent en France. Quand les députés Colette et Claudius-Petit déposèrent deux propositions de loi pour l’abolition en 1966 et 1967, ils ne recueillirent que vingt signatures, dont la mienne. Comment avez-vous décidé d’agir en votre nom ? Yves Repiquet, avocat spécialisé en droit pénal des affaires, est bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris depuis janvier 2006. Il a été le suppléant de Pierre Bas de 1978 à 1986. Pierre Bas : Eugène Claudius-Petit quitta ses fonctions de député en 1978. Je me retrouvais, par les hasards de l’ordre alphabétique, le premier à pouvoir reprendre le flambeau et redéposer sa proposition de loi. J’ai pour habitude de dire que j’ai été mené à ce combat grâce à mon nom de famille ! J’ai hésité pendant deux semaines et j’en ai longuement discuté avec Yves à l’époque. Le 8 mai 1978, j’ai déposé une proposition de loi pour l’abolition de la peine de mort en France. Seuls dix députés de la majorité signèrent ma pétition. Le premier soutien fut celui de Philippe Séguin, suivi par Bernard Stasi, Adrien Zeller, et quelques autres. Le gouvernement ayant refusé d’ouvrir le débat, je choisis une autre méthode. Le 24 octobre 1978, je proposais un amendement au budget afin de supprimer les sommes allouées au bourreau ! On a crié au loup. Traiter un sujet aussi grave par un amendement sur un point de détail était inconcevable pour les députés. Ma technique n’a finalement pas fonctionné, mais elle a eu le mérite de provoquer le premier débat sur la question de la peine de mort depuis 70 ans ! Vous étiez peu à droite à soutenir l’abolition… N’était-ce pas risqué politiquement ? Pierre Bas : Les risques politiques étaient réels, mais j’ai réalisé que depuis 13 ans que je signais des pétitions abolitionnistes, personne, dans mon arrondissement ne le savait. Lorsque j’ai déposé la première proposition en mon nom, les choses ont changé. Yves Repiquet : J’étais jeune alors, et j’avoue que je ne m’étais jamais posé la question de mon positionnement vis-à-vis de la peine de mort. Après en avoir discuté avec Pierre, j’ai vite réalisé à quel point son engagement était évident. Pourtant nous prenions, effectivement, un risque politique majeur à l’époque. Nous étions élus du VIe arrondissement de Paris, un quartier plutôt conservateur. En dépit de la popularité de Pierre Bas, c’était une période très difficile, les gens ne comprenaient pas notre action. Les élus, surtout. Je ne pense pas qu’ils étaient véritablement hostiles à notre cause, mais ils pensaient à l’électorat. Finalement, les bulletins de vote n’en ont pas trop souffert. Nous avons obtenu 65 % aux législatives de 1981, et 70 % aux municipales de 1983. FrançoisRégis Hutin, président directeur général du premier quotidien de presse régionale française. Quels sont les principaux combats à mener en matière de politique pénale aujourd’hui ? Yves Repiquet : Heureusement, la politique pénale actuelle n’est plus confrontée à un tel débat et la peine de mort n’est plus discutée aujourd’hui. En revanche, les combats se sont déplacés, même s’ils sont de moindre ampleur. Je plaide pour ma part pour l’introduction du contradictoire dans la procédure, ainsi que pour la réforme de la garde à vue. L’avocat a toujours eu pour rôle de protéger les droits de la défense et les droits fondamentaux de l’homme, même coupable. Et ce combat là continue. Propos receuillis par Eve Boccara Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Vous mentionnez, dans un livre de souvenirs, des procès où il fut question de la peine de mort. Avez-vous en mémoire un moment précis ? condamné à mort. Cette personne s’était retranchée chez elle, avait tiré à travers sa porte et tué quelqu’un. Ce fut ma première confrontation physique, directe avec la peine de mort. Je me souviens très bien de mon retour au journal, il y avait une très forte émotion. C’était une petite rédaction locale, nous étions plutôt engagés. L’ambiance dans le tribunal n’était pas dominée par la haine, je me souviens plutôt d’une salle devenue tétanisée au moment de la sentence, et de la prononciation de cette phrase terrible: « tout condamné aura la tête tranchée ». Il y a là quelque chose de violent, en premier lieu pour celui qui est condamné mais aussi pour ceux qui assistent. Puis vous avez suivi le procès de Patrick Henry, un tournant du combat pour l’abolition… J’ai couvert le procès de Patrick Henry à Troyes pour AnOui, j’ai en effet un souvenir très précis. C’était en 1971, tenne 2 avec Paul Lefebvre. Je faisais les comptes-renà Nantes. J’étais journaliste au quotidien Presse Océan. dus pour le journal de 23 heures et Paul pour celui de J’avais suivi un procès à l’issue duquel l’accusé avait été 20 heures. Je me souviens de Robert Badinter, assez ren- fermé, qui prenait ses repas à part dans le restaurant où nous allions, et du bâtonnier de Chaumont, Maître Bocquillon, qui était lui aussi d’un courage formidable. Personne ne voulait défendre Patrick Henry. J’ai découvert la haine des gens, l’ambiance médiatique, l’effervescence. Je me souviens de la plaidoirie de Badinter, du son de sa voix, de la crispation de sa mâchoire, de cette capacité qu’il avait de retenir l’attention des jurés un par un, et de la haine du procureur à son égard. On sentait dans l’ambiance qu’il y avait d’autres enjeux que le procès en lui-même: un combat de la province contre Paris, de la justice populaire contre l’avocat élitiste. On entendait des remarques comme: « les assassins, les criminels sont des gens odieux mais vous, évidemment, dans vos beaux quartiers, vous vous en foutez ». Il faut d’ailleurs noter que l’on retrouve aujourd’hui ce type de propos, à un autre niveau, dans le débat sur l’immigration. Tout cela créait un climat étrange, sans compter cet assassin qui n’avait rien de sympathique. Émile Pollack et Albert Naud. Puis il y a eu une nouvelle génération de pénalistes : Henri Leclerc, Philippe Lemaire et Jean-Louis Pelletier. Le hasard de la vie est extraordinaire : si Philippe Lemaire n’était pas venu me chercher pour l’affaire Buffet Bontems, et si Bontems avait sauvé sa tête, je ne serais pas devenu le champion de l’abolition… Il faut aussi évoquer des autorités morales. Les Églises. Un fort mouvement intellectuel, avec Michel Foucault en figure de proue. La presse, quant à elle, était très clivée. Il y a eu des partisans acharnés de l’abolition dans la presse régionale, Ouest-France en tête, L’Est Républicain… Dans la presse nationale vous aviez la presse d’Hersant, farouchement pour la peine de Quelles personnalités moins connues pour le combat contre la peine de mort vous ont aidé ? mort, et juste à l’opposé, Le Monde, L’Humanité et, bien Il y a de grands abolitionnistes qui, hélas, sont morts sûr, La Croix et toute la presse catholique. Dans les avant d’arriver au port. Je pense à mes aînés avocats, hebdomadaires, L’Observateur a été un grand support voulais pas perdre leur regard une seconde. Rien de ce que j’ai vécu après ne se compare à ces moments-là. Il faut se représenter ce qu’est une salle de cour d’assises. Souvent, les jurés ne sont qu’à cinq ou six mètres de vous. L’accusé est derrière vous et vous l’entendez respirer pendant qu’on demande sa tête. Vous savez que vous disposez de 45 minutes pour convaincre le jury et le sauver. Je vivais cette angoisse mais je demeurais impassible. Quelquefois, il m’arrive de passer devant la Santé et je me dis: « c’est pas vrai… Là, il y a 25 ans, à 500 mètres à vol d’oiseau du jardin du Luxembourg, on prenait des hommes vivants et on les coupait vivant en deux? ». Je pense que oui. À Erquy, en août 1944, alors que je n’avais que 15 ans, j’ai exhumé avec ma mère des résistants prisonniers des Allemands qui avaient été exécutés sommairement. Il y avait un grand carré de terre meuble au milieu d’une prairie au coin duquel gisait un béret. J’ai dit à ma mère « c’est là ». Nous sommes allés chercher des pelles et j’ai creusé jusqu’au moment où j’ai senti que ce n’était plus de la terre que rencontrait ma bêche… Nous avons sorti les corps, c’était l’horreur. Je pense que ce jour-là a marqué toute ma vie. C’est donc dans cet événement que vous situez l’origine de votre engagement en faveur des droits de l’homme… Vous êtes de ceux qui n’ont jamais hésité à interpeller le pouvoir avant 1981 ? On ne le présente plus. Son nom et son visage sont familiers de tous les Français. Dans les années 1970, rédacteur et reporter pour antenne 2, il a couvert les plus grandes affaires criminelles du moment. Témoin privilégié de l’ambiance passionnée qui régnait alors dans les tribunaux, il a suivi avec intérêt le débat sur la peine de mort. L’homme de presse devenu écrivain revient sur ses débuts professionnels. Claude Sérillon, À lire : Les Années 1970, par Claude Sérillon, éditions du Chêne. Abolitionniste, vous l’êtes incontestablement. L’avez-vous toujours été ? Oui. En Indochine, pendant mon service militaire, puis lors de la guerre d’Algérie, tout cela m’est revenu en mémoire. Du coup, je n’ai pas pu accepter le comportement des forces armées françaises, pas plus que celui de ceux qu’on appelait alors des « rebelles ». C’est pour cela que je me suis engagé dès mon entrée à Ouest France dans le combat public pour l’abolition de la peine de mort. J’ai fermement pris position dès décembre 1961 à l’occasion du procès d’Eichmann. Je ne pouvais supporter qu’il fût exécuté malgré toutes les charges qui pesaient contre lui. Ensuite, je n’ai pas cessé d’écrire en ce sens. Claude Sérillon: « Je me souviens de la voix de Badinter » 6 Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France François-Régis l’abolition Oui, quand nous invitions les candidats à la présidence de la République avec les confrères des grands quotidiens régionaux, je leur posais à tous et systématiquement la question : « Êtes-vous pour ou contre la peine de mort ? » Je me souviens en mars 1980, avoir posé la question au président Valéry Giscard d’Estaing : « Resterons-nous encore longtemps le pays de la guillotine ? » Et puis au-delà du journalisme, je me suis engagé à fond dans le combat abolitionniste avec tous ceux de cette époque: Robert Badinter bien sûr, mais aussi Mme Georgie Viennet. Nous avons, entre autres, organisé avec diverses personnes des meetings à Rennes et ailleurs. Cette expérience fut singulière sur le plan humain, qu’en est-il du point de vue journalistique ? J’avais 26 ans à l’époque. C’était impressionnant. J’avais déjà des convictions très affirmées contre la peine de mort, cette expérience les a renforcées. D’autant que nous étions en fait des spectateurs engagés. À l’époque, Antenne 2 était la petite chaîne, à côté de TF1. On s’engageait à l’antenne, on faisait des éditoriaux, des sujets où l’on donnait notre avis. Comme journalistes, nous prenions position. Je rends d’ailleurs hommage à la quasi-totalité de la presse de l’époque qui disait très clairement qu’elle était contre la peine de mort. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Le système veut que l’on ne prenne surtout pas position, sur aucun sujet. On donne les informations et on passe à autre chose. De ce point de vue, cette époque me semble assez lointaine. de l’abolition, L’Express l’a été surtout du temps de Françoise Giroud. En mai 1981, François Mitterrand est élu Président de la République et, le 30 septembre au matin, la loi d’abolition de la peine de mort, déjà votée par l’Assemblée nationale, est adoptée conforme par le Sénat. Comment a-t-elle été accueillie ? Sans bienveillance par l’opinion publique, qui était contre, aux deux tiers. Le débat au Sénat fut une grande bataille parlementaire. Je rends d’ailleurs témoignage aussi à certains sénateurs de droite qui étaient des abolitionnistes convaincus, comme Maurice Schumann. Dans ce contexte, le vote de la loi n’était que le premier acte pour moi : je me préoccupais de veiller à ce que l’abolition soit rendue irréversible. La France a ainsi si- *50D83T* Philippe Maurice fut, en 1980, un des derniers condamnés à mort de la République française. Gracié par François Mitterrand dès son arrivée au pouvoir, il passera presque vingt ans derrière les barreaux. Aujourd’hui, ce quinquagénaire, aux boucles poivre et sel est devenu chercheur, détaché au CNRS, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Le 17 septembre 1981, un sondage Sofres révélait que 62 % des Français demeuraient favorables à la peine capitale. Le 23 octobre 2001, le même institut de sondage montrait que la proportion de Français favorables à l’abolition s’élevait à seulement 44 %. Quelles réflexions cela vous inspire-t-il ? En ce qui concerne le sondage de 1981 et la proportion de 62 %, je n’ai pas pensé que la loi de l’abolition pouvait constituer une mesure antidémocratique. C’est à mon avis la représentation nationale dans sa sérénité qui doit arrêter ce genre de décision. Quant au sondage de 2001, cela ne signifie pas que 56 % des Français sont favorables à la peine de mort. J’estime en tout cas que l’idée de l’abolition progresse et que l’opinion est de plus en plus horrifiée par ce qui se passe dans un certain nombre de pays, notamment en Chine, mais aussi aux États-Unis d’Amérique. Au-delà des sentiments d’horreur que cela provoque en nous, il y a également des raisons profondes qui doivent être invoquées pour revendiquer l’abolition. D’abord, que toute personne doit être respectée dans sa conscience et dans son existence quels que soient ses actes. Bien entendu, il faut l’empêcher de nuire, mais certainement pas en lui ôtant la vie. L’Église catholique a officiellement pris position contre la peine de mort. Beaucoup de chrétiens semblent néanmoins y être favorables. Quel message souhaitez-vous leur adresser ? Oui, l’Église catholique a, enfin, officiellement pris position contre la peine de mort. Mais elle a attendu bien longtemps et je dois vous dire que j’étais impatient que vienne ce changement d’attitude. Je pensais, en effet, que les fidèles d’un Juste, condamné à la peine capitale à la suite d’un faux procès, auraient dû développer très vite une réflexion particulière sur un tel sujet. Cela d’autant plus que ce Juste est le signe du pardon et qu’il n’a jamais cessé d’appeler à la transformation, à la conversion du fautif, que nous sommes tous plus ou moins. En Chine, certains estiment entre 10 000 et 15 000 le nombre de personnes exécutées chaque année. Deux ans avant les Jeux Olympiques de Pékin, de quelles façons peut-on mobiliser les journalistes sur cette thématique ? C’est à mon avis par l’information permanente sur les exécutions capitales en Chine que l’on peut amener à faire réfléchir l’ensemble des journalistes qui se préoccupent de ce pays et des Jeux Olympiques qui vont s’y dérouler. C’est d’autant plus important que c’est dans les stades qu’ont lieu les exécutions publiques. Comment ne pas faire ce rapprochement qui, à mes yeux, est insoutenable et ne pas le rappeler pour protester sans cesse ? Sur le plan international, il faut continuer à se battre. Je ne savais pas, en commençant personnellement ma lutte pour l’abolition, si un jour je la verrais aboutir en France. Je ne sais pas si, demain, l’abolition sera généralisée à travers le monde mais je le crois. En tout cas, je l’espère ardemment. Propos recueillis par Sébastien Poulet-Goffard Quand il y a tant de passion, comment rester, malgré tout, au plus près des faits ? Dans l’exercice de mon métier, je n’ai jamais pensé que l’on pouvait être neutre. Chacun place toujours sa subjectivité, sa morale dans ce qu’il fait, qu’il le veuille ou non. L’objectivité n’existe pas. J’aime bien les gens qui affichent la couleur. Je trouve cela infiniment plus respectable que l’eau tiède. Après Troyes, j’ai suivi encore quatre ou cinq procès, le tour sinistre et macabre que Badinter avait entamé pour sauver des gens. Ce qui m’a vraiment marqué, c’est ce climat de combat permanent qu’il a dû mener contre l’opinion publique. Philippe Maurice, ancien condamné à mort, historien, il a obtenu son doctorat en prison. Vous avez été condamné à la peine capitale à l’âge de 23 ans ? Oui, mais tout a commencé alors que j’allais avoir 20 ans, en 1977. J’ai été condamné à cinq ans de prison dont quatre ans ferme pour recel. Au bout de deux ans, lors de ma seconde permission, j’ai décidé de ne pas revenir. Peu de temps après, je me suis heurté à des policiers lors d’un contrôle de police. Je connaissais la prison, ses « rigueurs ». Alors, je me souviens avoir dit a mon ami d’enfance : « je préfère être tué que d’y retourner ». Lui s’est fait tuer au moment de la fusillade. Moi j’ai tiré et j’ai tué un policier. Encourir la peine capitale pour meurtre ne vous a pas empêché de commettre l’irréparable ? Non, au moment où j’ai tiré, je n’ai pas réfléchi. L’exemplarité de la peine de mort me fait sourire: je n’ai jamais vu un délinquant penser, avant de commettre son acte, à la peine de prison qu’il risquait d’écoper. Tout le monde se croit plus intelligent. Moi je n’ai pas voulu tuer. C’était un contexte de fusillade. Plutôt me faire tuer que… donc à partir de là on ne réfléchit plus. Quand un mec attaque une banque, s’il tue quelqu’un, c’est qu’il a dérapé. Il s’est mis dans une poisse terrible. Au moment de votre condamnation à mort, 63 % des Français étaient pour la peine de mort. Cela a-t-il joué sur le verdict ? C’était une période un peu folle. Un monde à part. Une fin de règne. Giscard était à l’agonie en tant qu’homme politique. Il était pris dans toutes sortes d’affaires très louches. Le chômage augmentait. Pendant les dix derniers mois, la France a vécu une politique très sécuritaire. La presse, France soir et pas mourir avant. Il ne peut pas se Le Figaro en remettaient une couche suicider. Quand j’ai fait ma grève de tous les jours. la faim et de la soif, un médecin m’a dit qu’il n’en avait rien à faire que je meure, mais que son travail était Un débat sur la peine de mort de me garder en vie pour mon commençait pourtant à agiter exécution. le monde politique ? Oui, François Mitterrand avait commencé le combat en 1981 en Comment avez-vous appris déclarant pendant sa campagne, et le résultat des élections ? malgré l’avis des Français, que s’il J’avais une petite radio. Les gardiens était élu, il abolirait la peine de mort. étaient très tristes. J’en ai même vu Le second combat était, lui, euro- un qui a pleuré. J’ai juste souri. Ce péen. Même si en clair, c’était sur- qui a suffi à les rendre enragés. Ils tout la France qui était visée. La ne supportaient pas. gauche européenne avait demandé J’ai quand même attendu jusqu’à au Parlement européen que soit minuit. Je ne tenais pas à m’endécidé un moratoire préalable à dormir heureux et à me réveiller le toute exécution. Schwarzenberg, lendemain, après le décompte défiqui à l’époque était secrétaire d’État nitif, en apprenant que la gauche à la formation professionnelle, s’est avait finalement perdu ! Et puis c’est énormément battu pour ça. le lendemain ou le surlendemain que Robert Badinter et ses avocats Après votre condamnation à mort sont venus m’annoncer la nouvelle en 1980, vous êtes-vous résigné? officiellement. Cinq jours après sa Non, j’ai essayé de m’évader du victoire, François Mitterrand m’a quartier des condamnés a mort. J’ai gracié. Un de ses tous premiers actes échoué. À l’époque, je ne pensais politiques. Il a tenu parole. pas que la gauche allait gagner les élections. Peu de gens le pensaient. En quoi êtes-vous contre Pourtant, je n’avais pas peur. J’étais la peine de mort ? plutôt stressé, en colère. Je me suis Il n’y a aucune bonne raison de tuer dit que quitte à y passer, j’allais les un homme. Mais on peut toujours ennuyer jusqu’au bout et leur en trouver mille. En Chine on montrer que je n’étais pas d’accord. exécute pour trafic de drogues et Je ne voulais pas être complice de pour fraude fiscale, les talibans la mon exécution. pratiquaient pour sacrilège… Avec Alors je me suis inventé des scéna- la peine de mort, c’est pratiquement rios. Je me disais que le jour de mon toute l’humanité qui pourrait être exécution, au moment de la levée exécutée. Pire encore, la peine de d’écrou, je ferais le gars très calme mort n’exécute pas seulement le pour finalement sauter sur le condamné, mais toute sa famille procureur et lui mordre l’oreille, ou et ses enfants avec. C’est une le nez. Puisqu’ils me prenaient pour aberration en plus d’être une chose un monstre à abattre, autant ne pas odieuse. Nous vivons dans des les décevoir. Mais c’était facile à sociétés de rapports de force, de imaginer avant. En réalité, j’aurais violence et de menaces. Qu’est-ce peut-être tout simplement pleuré. qui empêche alors un jeune de Harlem, par exemple, qui voit son copain se faire rouer de coups par Comment se comportait des gens qui ont des matraques, le personnel pénitentiaire ? Après avoir tenté de m’évader, j’ai puis se faire mettre dans des été roué de coups. Pour me quartiers de condamnés à mort par maîtriser soi-disant. À l’époque à une justice qu’il ne reconnaît pas, Fresnes, il y avait un directeur très qu’est-ce qui empêche ce jeune-là particulier qui ne devait pas avoir de faire sa propre justice ? envie que ses gardiens tuent un condamné à mort avant son exé- La prison vous a finalement cution. Sa technique était surpre- aidé à vous en sortir ? nante : quand on me tabassait, il les Non. La prison ne m’a pas aidé. laissait faire jusqu’au moment Notre société est en panne d’esprit critique. Il se jetait alors dans la et devrait trouver d’autres moyens. mêlée, les retenait un moment, puis C’est une chose de condamner les les relaissait me taper. En fait, c’était gens à des peines de prison, mais pour éviter qu’ils ne deviennent c’en est une autre quand des fous. Un condamné à mort ne doit prisonniers se font arrêter et rouer de coup, quand des gardiens se permettent des violences physiques et morales. Même si certains restaient propres, ils étaient rares. J’ai pourtant le souvenir d’un sousdirecteur de prison à Fresnes, aujourd’hui magistrat, qui a quitté l’administration pénitentiaire pour dénoncer le fait que les détenus étaient roués de coups au mitard. Vous ne croyez donc pas à la réinsertion sociale dans le système pénitentiaire tel qu’il existe ? Je n’accepte pas qu’on me dise que la prison m’a permis de faire des études. D’autres m’ont aidé : des universitaires bénévoles sont venus, des étudiants me donnaient leurs cours, un directeur de prison m’a apporté son soutien quand j’ai soutenu ma thèse à l’université. La plupart des prisonniers végètent, se suicident. La prison n’est pas faite pour réinsérer. Ceux qui y arrivent représentent une minorité. Quand vous regardez en arrière, pensez-vous avoir purgé votre peine ? Je regarde rarement en arrière. C’est marrant pour un historien. La seule chose que je trouve intéressante dans notre passé personnel, c’est les leçons que l’on peut en tirer. Bien sûr, il y a des choses qu’on regrette. Mais je trouve idiot de dire qu’en purgeant une peine, on a payé son erreur. Je ne suis pas dans une logique d’oubli, d’absolution, ou encore de torture quotidienne. Je préfère être conscient de mes erreurs, rendre ma vie utile, à moi et aux autres. Le passé reste ce qu’il est. Et le fait judiciaire n’a rien à voir avec ce que je peux ressentir. Heureusement. Propos recueillis par Alexia Leibbrandt Témoins de l’abolition Je n’ai pas arrêté mon combat. Ainsi, après l’arrestation de Klaus Barbie, quand certains hommes politiques en appelaient au rétablissement de la peine de mort, je démontrais, le 9 février 1983, l’absurdité d’une telle proposition. « Remède illusoire », écrivais-je aussi, le 27 septembre 1986, en réaction à de nouveaux appels dans ce sens après la vague d’attentats terroristes en France. Il a fallu également protester contre la pratique du châtiment suprême dans les autres pays, notamment aux États-Unis, mais également en Chine, à Cuba, en Arabie saoudite et ailleurs. Un de mes derniers éditoriaux, en date du 25 juin 2006, concerne le refus de la peine de mort qui pourrait être requise contre Saddam Hussein en Irak. Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Et depuis 1981 ? Philippe Maurice: « On peut toujours trouver mille raisons de tuer un homme » ciaires pour Antenne 2 avec Paul Lefebvre pendant cinq ans. Durant toutes ces années, j’ai pu rencontrer les personnes qui assistent régulièrement aux procès : certaines d’entre elles viennent tout simplement parce qu’elles s’ennuient, on trouve notamment pas mal de personnes âgées, mais ce sont surtout des personnes fascinées par l’exercice de la justice. Il y a quelque chose de très particulier à voir des gens dans un box et à les entendre ensuite se faire condamner. Un peu comme un renvoi de sa propre image. Les assassins ont toujours fasciné. Quels souvenirs gardez-vous du vote de la loi sur l’abolition ? gné en 1983, puis ratifié en 1986, le Protocole n° 6 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme qui interdit le recours à la peine de mort. À l’époque, l’abolition n’était pas considérée comme un article de gloire à porter au crédit politique de la gauche qui s’apprêtait à perdre les élections. Aux municipales de 1983, pas un maire ne m’a demandé de venir le soutenir. Si, un, Jacques Auxiette à la Roche-sur-Yon… C’est vous dire à quel point j’étais impopulaire ! Dans les livres écrits à l’époque par les leaders socialistes, l’abolition est à peine citée. Mitterrand n’en a jamais parlé avant 1988, sauf une fois à la Ligue des droits de l’homme. Mais il savait, parce qu’il avait le sens de l’Histoire, que c’était un acquis essentiel du septennat. Il l’a souvent rappelé ensuite. Pendant les années qui ont suivi l’abolition, alors que j’étais au Conseil constitutionnel, je n’en parlais plus. La question était réglée pour la France, irréversible- ment. Mais j’ai continué à l’étranger de poursuivre le champ de bataille premier pour l’abolition, car les Étatscombat pour l’abolition universelle. Unis sont la première puissance du monde, le modèle culturel dominant et la seule grande démocratie à pratiquer encore la peine de mort. Quel bilan en faites-vous aujourd’hui ? Les progrès sont immenses, et plus rapides que je ne le pensais. En 1981, la France était le 35e État aboli- Croyez-vous que l’abolition universelle sera tionniste. Aujourd’hui, nous en sommes à 119 (avec néanmoins réalisée un jour ? ceux qui n’exécutent plus de condamnés depuis plus Certainement. Les jeunes générations la verront. Le de dix ans), sur les 189 pays membres des Nations moment essentiel sera quand les États-Unis aboliront, unies. L’abolition, d’abord très minoritaire à l’ONU, est ce dont je suis convaincu. Pas du temps de M. Bush, devenue, en un quart de siècle, largement majoritaire. je suis sans illusions. Mais ça arrivera, c’est inéviElle s’est imposée sur tout le continent européen, sauf table. Parce que les Américains ont foi en leur jusen Biélorussie, État stalinien. En Russie, Poutine sou- tice, qu’ils considèrent comme la première au monde. haite l’abolition, mais les députés de la Douma n’ont La peine de mort avec ses erreurs judiciaires et le rapas le courage de la voter à cause du terrorisme. Il y cisme inavoué mais inévitable des décisions des ju- suite a cependant un moratoire, mais qui touche à sa fin. rés déshonore cette justice-là. Déjà, la Cour suprême page 9 Demeure le problème américain. C’est aujourd’hui le réduit le champ d’application de la peine de mort et •••> Ce fut un moment symbolique. L’essentiel du travail, à la fois juridique et médiatique, avait été fait avant, pendant tous ces procès. L’abolition ne fut pas vécue comme un changement majeur. Il faut se souvenir de l’époque : il y eut toute une série de mesures de transformation sociale, comme la semaine de 39 heures ou la cinquième semaine de congés payés. Ces événements-là touchaient au quotidien des Français. Vous et moi nous considérons l’abolition comme un événement fondamental, mais à ce moment-là, pour beaucoup de personnes, les grands changements politiques étaient ailleurs. Pour l’histoire, on retiendra la date de Vous pouviez discuter avec ceux 1981, mais pour la force du combat, on retiendra la péQui étaient ces personnes qui venaient qui venaient réclamer la tête de l’accusé ? au procès pour réclamer la peine de mort ? Oh non ! Il n’y avait pas de discussion possible. riode précédente qui commence avec l’exécution de C’est le public habituel des procès. J’ai commencé C’était violent. D’autant plus violent qu’à Antenne 2, Buffet et Bontems en 1972. par faire les chiens écrasés et les correctionnelles à nous étions considérés comme des gauchistes. Notre Propos recueillis par Nantes pendant deux ans, puis les chroniques judi- présence suscitait des réactions très négatives. Luc Chatel Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France 7 Hutin: dans le texte Témoins de l’abolition *50D82T* SOS attentats dépasser la haine Philippe Lemaire: acteur majeur de l’abolition en France Avocat pénaliste depuis plus de quarante ans, Philippe Lemaire a entendu tomber la tête de Roger Bontems, son client décapité en 1972. 1981 a changé sa vie. « J’ai plaidé, en tout et pour tout au cours de ma vie professionnelle, contre sept réquisitions de peine de mort. Deux ont été prononcées. Une a été exécutée. » Philippe Lemaire ne sait plus comment tout ça a commencé… Son engagement contre la peine de mort, à son retour de la guerre d’Algérie en 1962. Le temps et l’argent qu’il ne comptait pas, d’abord aux côtés de Georgie Viennet, la présidente de l’Association française contre la peine de mort (parrainée par François Mauriac), puis aux côtés des condamnés, de ceux qui risquaient la guillotine. Sa carrière ensuite, exemplaire, d’avocat pénaliste parmi les plus reconnus. L’homme ne fait pas son âge. L’œil et l’esprit vifs, il sourit en se souvenant que dans les années 1960, au lendemain de la publication d’un article signé de sa main dans le Figaro condamnant le maintien de la peine capitale en France, il est interpellé au Palais de Justice par lippe Lemaire est l’avocat de Bontems. « J’ai été choisi par sa famille pour mon engagement contre la peine de mort », se souvient l’avocat. « Cette affaire avait soulevé dans l’opinion une émotion compréhensible, et le parquet de Troyes avait reçu l’instruction d’aller vite. » La cour d’assises de Troyes reconnaît, le 29 juin 1972, la culpabilité des deux hommes et les condamne à mort. Pourtant, les jurés reconnaissent que seul Buffet a tué, que Bontems n’a fait que le suivre. Roger Bontems. Celui que Philippe Lemaire n’a pas pu sauver. Celui qu’il a vu, en 1972, partir à la guillotine. Celui qu’il est allé visiter chaque jour dans sa cellule de la Santé, en attendant la grâce présidentielle. Celui dont il est allé plaider la cause, en vain, devant le président Pompidou. Persuadé que celui qui n’avait pas tué ne pouvait être tué. Ce 28 novembre 1972, à l’aube, il lui a parlé à l’oreille, jusqu’au tout dernier moment. Il a entendu, Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 8 Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France « Un type bien Bontems, (…) Quelle justice peut faire ça ? » un confrère avocat : « Vous êtes fou d’écrire ça, Lemaire. Si on vous prenait au mot, il n’y aurait plus d’avocats pénalistes en France. » Quarante ans plus tard, la phrase peut prêter à sourire. Plus d’avocats pénalistes ? Encore un pied dans le procès du mont Saint-Odile, Philippe Lemaire prépare la défense de la famille Erignac. Les avocats pénalistes sont toujours là. La peine de mort a, elle, disparu. Et pourtant… Pourtant il y aura toujours, pour lui, un avant et un après 1981. « L’abolition a changé ma vie », affirme-t-il. « Si je vais plaider une affaire extrêmement grave, je sais que mon client risque la perpétuité. Pas l’échafaud. Ca change tout. » Et qu’on ne vienne pas lui dire que la prison vaut la mort, parce qu’il est bien placé pour savoir que rien ne vaut la vie. « Fin 72, j’ai défendu Guy Hervé, un type qui avait tué et blessé deux motards de la police. L’atmosphère au procès était terrible. Les syndicats de police distribuaient à l’entrée du Palais des tracts pour demander la condamnation à mort du prévenu. J’ai sauvé cet homme d’une mort annoncée. J’ai obtenu la prison à perpétuité. Le lendemain du verdict, mon client m’a dit qu’il avait passé la plus belle nuit de sa vie. » Avant ça, surtout, il y avait eu l’affaire des assassins de Clairvaux. Un jour de septembre 1971, Roger Bontems et Claude Buffet, tous deux incarcérés à la centrale de Clairvaux, dans l’Aube, tentent de s’évader. Deux otages meurent. Phi- ahuri, un homme venir demander à celui qui allait à l’échafaud de signer sa levée d’écrou. Sa mise en liberté… Il a entendu le bruit du couperet, puis la tête tomber. Robert Badinter, son ami, qu’il avait convaincu de le rejoindre dans le procès, écrira pour exorciser ce moment. Philippe Lemaire, lui, n’a jamais pu comprendre. « Un type bien, Bontems. Un type dont la cour avait reconnu qu’il n’avait pas tué… Quelle justice peut faire ça ? » Neuf ans et quatre exécutions plus tard, le 28 octobre 1980, Philippe Maurice est condamné à mort pour le meurtre d’un policier. Philippe Lemaire, lui encore, le défend, aux côtés de Jean-Louis Pelletier. Pour la deuxième fois de sa carrière, il se rend à l’Élysée, plaider la grâce d’un condamné. « Je vous écoute », leur lance François Mitterrand. Les avocats ont été prévenus le jour même que le président allait les recevoir. S’il avait annoncé dans sa campagne, qu’élu, il abolirait la peine capitale, devant lui, plus rien ne semble sûr. François Mitterrand les écoute attentivement, mais de ses yeux, rien ne filtre. « Vous avez fait votre devoir. Je ferai le mien », conclut le locataire de l’Élysée. Il se lève. Les deux avocats se retrouvent inquiets rue du Faubourg SaintHonoré. Moins d’une heure après, Philippe Lemaire l’apprend par la radio. Philippe Maurice, le dernier condamné à mort français, est gracié. Quelques mois plus tard, la peine de mort est abolie en France. Eve Boccara Nombres de vies ont été brisées par des actes de terrorisme. Mutilées dans leur chair et dans leur âme, les victimes ou familles de victimes d’attentats pourraient, naturellement, être de ceux qui prônent la peine de mort. Réparer l’horreur, châtier le mal par le mal. Se venger et entamer un « œil pour œil, dent pour dent »… Pourtant, en France, des hommes et des femmes qui ont subi la violence aveugle ont pu se reconstruire et, malgré tout, faire entendre leur voix pour le droit inaliénable à la vie et contre la peine capitale. « Quelle que soit la gravité du crime commis, le peine de mort ne se justifie pas. Aucun État n’a le droit de vie ou de mort sur une personne », affirme Françoise Rudetzki. La cinquantaine sied bien à cette brune élégante. Dans son bureau situé dans l’enceinte de l’hôtel des Invalides, elle reçoit simplement. Aguerrie à l’exercice de l’interview, elle livre un topo rodé, ordonné. Elle pourrait être politique, avocate, femme d’affaire… il n’en est rien. Non, Françoise est la déléguée générale de SOS attentats, une association d’aide aux victimes d’attentats terroristes. Et aujourd’hui encore, rien ou presque, ne transparaît de ce qui a failli briser sa vie il y a 23 ans, si ce n’est la canne qui soutient la marche d’une de ses jambes. Le 23 décembre 1983, elle était une des clientes du restaurant le Grand Véfour, cible d’un attentat, qui aurait pu lui coûter la vie. Après le coma et des semaines de réanimation, soixante opérations, dont la dernière date de décembre 2005, ont été nécessaires pour reconstruire ce qui restait de ses jambes. Massivement transfusée, elle fut de plus l’une des victimes des transfusions contaminées des années 1980. Verdict : sida et hépatite C. Regard appuyé et demi-sourire : « Je suis vraiment tombée la mauvaise année. » « À cette époque, nous n’avions aucun droit, pas d’indemnisation. Les victimes d’attentats ne rentraient dans aucune case juridique », explique-t-elle. Dans de telles conditions, comment se reconstruire ? Comment parvenir à dépasser ces sentiments naturels que sont la peur et la haine ? Isolée et encore lourdement handicapée, elle choisira ses propres armes : aider les autres victimes autant physiquement et psychologiquement que professionnellement. Pour leur permettre d’aller de l’avant. « Il n’y a jamais eu de dérapages, ni de paroles de haine. Nous ne sommes pas dans un esprit de vengeance mais de réparation. » Être contre la peine de mort reste cependant, pour elle et pour beaucoup d’autres, une position idéologique qu’ils tenaient initialement. Et c’est grâce aux groupes de parole, au travail de deuil, au soutien de la famille et des amis, au droit à la vérité et à la reconnaissance juridique, que cette philosophie a pu persister dans la pratique. « Je connais des victimes de 1986 qui n’ont jamais vu un psy. Du coup, elles sont restées cristallisées sur l’événement, ne sont jamais sorties d’une victimisation », raconte Colette Bonnivard, également membre de SOS attentats et auteur d’un roman autobiographique : La Vie explosée. « Avoir la haine, ça aurait fait du mal à qui ? À part à moi ? Ils m’ont déjà abîmé le corps, il était hors de question qu’ils m’abîment aussi l’âme et le cœur. » Femme volubile et coquette, Colette regagnait en 1986 son travail en passant par la rue de Rennes quand une bombe a explosé. Elle est aujourd’hui invalide à 82 % et continue de voir son médecin deux fois par semaine. Malgré l’atmosphère douillette de son appartement parisien, sa bonne humeur et ses rires cristallins, l’horreur ne s’oublie pas. Quatre mois d’hôpital, huit mois de rééducation : « Encore aujourd’hui, mon genou ne tient que par l’opération du saint-esprit… ». Massivement transfusée, elle a, elle aussi, contracté une hépatite C. Sa colère, elle s’en est servie pour se battre. Pour faire reconnaître son statut de victime, pour obtenir des indemnisations de l’État, pour que les auteurs des attentats soient punis. En juillet 1990, l’association obtient une loi permettant aux associations de se constituer partie civile. « Nous avions posé dès le début comme postulat que nous étions contre la peine de mort. Mais que ce n’était pas pour autant que les auteurs d’actes de terrorisme ne devaient pas être jugés et punis par des peines de prison adaptées au cas par cas, selon la gravité des actes commis et les implications des auteurs de ces actes », souligne Françoise Rudetzki. Les procès prennent dès lors une valeur thérapeutique et permettent aux victimes de tourner la page. « Ces personnes ne devaient pas rester qu’un troupeau anonyme », continue Colette Bonnivard. Lors du procès, cette dernière a ainsi pu se confronter à l’un des organisateurs de l’attentat. Malgré l’émotion et ses mains tremblantes, elle a tenté d’ouvrir une brèche dans l’indifférence de son bourreau. Et c’est en choisissant un langage qu’elle savait universel, qu’elle a préparé et lu à voix haute ce texte court : « Vous et moi sommes croyants. J’ai la foi. Nous appartenons tous les deux à des religions monothéistes, dont le père est Abraham, un pur esprit. Puisque vous avez la foi, vous croyez au jugement dernier. Moi, le jour de ma mort, j’aurai tous mes péchés sur ma conscience et dieu me jugera selon eux. Vous, vous aurez 13 morts et 267 blessés sur la conscience. Ce n’est même pas à moi de vous juger. Dieu le fera. » Et c’est presque confuse qu’elle ajoute : « Une fois, je me suis laissée submerger. J’étais à la piscine, en soin pour ma rééducation. J’ai senti le regard horrifié des gens sur ma jambe. Alors les larmes me sont montées aux yeux et pour la première et unique fois, j’ai dit : SALAUD ! » Alexia Leibbrandt *50D83T* Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Les élèves de 4e du lycée Hector Berlioz de Vincennes sont d’abord intimidés. Patrick Baudouin, grand avocat, l’est aussi un peu. Il faut dire que le président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a plus l’habitude des salles d’audience que des salles de classe. Petit à petit, on se détend, les questions fusent, et la discussion s’engage. réagissant comme cela, on oublie que les deux situations sont très différentes. Il y a, d’un côté, une personne qui a tué quelqu’un, qui a commis un acte barbare, qui a méprisé la vie et, de l’autre côté, la société qui doit donner l’exemple. Est-ce que des juges peuvent se rabaisser au même niveau que l’assassin ? C’est même encore plus grave : l’assassin, lui, agit rarement à froid, mais souvent par pulsion, alors que la société, elle, déciderait froidement, en toute conscience, de supprimer la vie. Ce qui est d’autant plus redoutable avec ce type de raisonnement, c’est que l’on accepte que l’être humain est définitivement perdu. Or, refuser la peine de mort, c’est accepter qu’un être humain ne soit jamais définitivement condamné, c’est continuer à avoir foi en l’homme, que l’on soit croyant ou non. Parfois, comme avocat, j’ai eu des doutes. Je me suis posé des questions sur les personnes que je défendais, sur leur degré de dangerosité, sur la possibilité qu’elles s’améliorent. Mais il ne faut jamais désespérer. Et surtout, il ne faut jamais répondre à la barbarie par la barbarie. Shain : C’est peut-être plus dur pour un meurtrier de penser qu’il va rester toute sa vie en prison que de savoir qu’il va être tué d’un coup. Patrick Baudouin : D’après vous, pourquoi certains pays comme la France ont-ils supprimé la peine de mort ? Damien : Parce qu’il peut y avoir des erreurs de jugement, on fait alors mourir quelqu’un qui n’a rien fait. Élise : Ce n’est pas très sympa ce que je vais dire, mais il faudrait peut-être rétablir la peine de mort pour les terroristes, parce que leurs crimes sont beaucoup plus graves. P. B. : C’est un très bon sujet que tu soulèves là. Le débat sur la peine de mort a en effet été relancé par la lutte contre le terrorisme. On est tenté de dire que l’on ne va quand même pas respecter les droits de personnes qui, elles, renient complètement nos valeurs. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer : non pas le rétablissement de la peine de mort mais le recours aux mauvais traitements, à la torture, que ce soit à Guantánamo, Abou Ghraib, en Afghanistan ou dans les centres secrets de la CIA où l’on enferme des personnes sans aucun jugement. Or nos démocraties reposent sur un socle de valeurs qui sont le droit à la vie, le refus des mauvais traitements, la garantie de procès équitables. D’autant que certaines personnes qui subissent ces mauvais traitements ne sont pas terroristes. À Guantánamo, par exemple, 187 prisonniers ont été relâchés parce que l’on n’a finalement rien trouvé à leur reprocher. Ils sont restés là trois ans et demi, dans des conditions de vie insupportables, et un beau jour on leur a dit : « rentrez chez vous, on n’a rien contre vous ». Si l’on commence à rogner les libertés de certaines personnes, les terroristes par exemple, on pourra ensuite recommencer avec d’autres catégories, comme les étrangers. Le terroriste est réduit à celui qui vient de telle région du monde. Aux États-Unis, si vous venez du Pakistan ou d’Arabie saoudite, vous êtes automatiquement soupçonné. Tous les régimes autoritaires ont fonctionné comme ça : on commence par réduire les libertés de certains et finalement on le fait pour tous. Ce n’est pas comme cela qu’il faut agir contre les terroristes. Il faut leur montrer que nos valeurs sont préférables aux leurs, en expliquant justement que nous sommes respectueux de la vie de tous. Boris : Mais ce n’est pas parce que vous allez dire aux terroristes que vous ne faites pas comme eux qu’ils vont arrêter ! P. B. : Évidemment, on ne les stoppera pas comme ça, il ne faut pas être naïf, mais ce n’est pas non plus en utilisant les méthodes actuelles que l’on combat peine de mort. Aux États-Unis par exemple, on a efficacement le terrorisme. Tant que des populations recensé il y a quelques années que sur 500 exécutions, il y avait environ 75 personnes dont la culpabilité n’avait Élise : Elle permettrait de dissuader les assassins et de entières vivront dans l’injustice et la pauvreté, elles pourront être séduites par des discours radicaux, et l’on pas été prouvée. réduire le nombre de meurtres. pourra s’attendre à des actes violents. En disant cela, Boris : La peine de mort a été supprimée parce que P. B. : Oui, c’est un argument que l’on entend. Or il a il faut évidemment rappeler que les actes terroristes sont c’était une atteinte à la vie. Mais on peut aussi penser souvent été démontré que c’est totalement faux. Si vous inadmissibles et injustifiables. Mais pour les arrêter, il aux victimes qui n’ont pas décidé de mourir, elles non prenez par exemple deux pays voisins comme les États- ne sert à rien d’utiliser la terreur. plus. D’autant que certains condamnés à perpétuité Unis, qui appliquent la peine de mort, et le Canada, sortent de prison au bout de vingt ans. qui l’a abolie, la proportion de crimes par habitant est Propos recueillis par beaucoup plus élevée dans le premier que dans le Luc Chatel P. B.: Il y a plusieurs points à aborder dans ta remarque. second. Pourquoi ? Cela est facilement compréhensible : Il faut savoir qu’aux États-Unis, ce n’est pas comme en quand il commet son crime, un assassin est rarement France : une personne condamnée à vie ne sort pas au en train de se demander s’il risque ou non la peine de bout de vingt ou trente ans. Elle reste vraiment en prison mort. Il répond à une pulsion. Et même quand il y toute sa vie. Il n’y a aucune possibilité de remise de pense, il se dit toujours qu’il y échappera. peine. Mais je veux revenir sur ce que tu disais au début. La peine de mort, c’est en effet une atteinte au droit à Boris : Mais c’est quand même une menace. On la vie. C’est très important de le souligner. Il s’agit de pourrait envisager de la conserver et de ne pas la pire des sanctions, d’un traitement inhumain. C’est l’appliquer. notamment contraire aux conventions internationales qui interdisent la torture et les mauvais traitements. Il P. B. : Peut-être, mais si tu ne l’appliques pas, ça n’est est vrai, également, que l’on entend souvent ta plus une menace. Par ailleurs, quand on regarde les deuxième remarque : « pourquoi on ne tuerait pas statistiques, on voit très clairement que ça ne change rien. l’assassin puisqu’il l’a bien fait, lui ? ». Seulement, en En 1981, quand la peine de mort a été abolie en France, il y avait plus de la moitié de la population qui voulait la maintenir. Tous ces gens-là nous disaient « vous verrez, si vous supprimez la peine de mort, il y aura plein d’assassinats, de crimes ». On n’a rien vu de tout cela. Et c’est tout de même assez noble pour un pays de s’en débarrasser. Il faut savoir ce que c’est, quand même, concrètement, la peine de mort. C’est une personne que l’on va pendre, sur qui on va tirer une balle, que l’on va mettre sur une chaise électrique ou dans une chambre à gaz, que l’on va ligoter pour lui faire une injection létale. Et c’est un bourreau qui fait cela. C’est de cela que l’on parle quand on évoque la peine de mort. Je ne me sens pas très tranquille de penser que l’on peut décider de telles pratiques au nom d’une société. Pensez-vous à un argument précis utilisé contre la peine de mort, notamment si l’on pense à l’identité des personnes condamnées aux États-Unis ? P. B. : C’est en effet un argument important contre la « Ne pas répondre à la barbarie par la barbarie » P. B. : Ce que tu dis me fait penser à la mère de Zaccharias Moussaoui, une femme admirable dont je suis l’avocat. Quand son fils a été condamné à la prison à vie, elle m’a dit « j’aurais préféré qu’il soit condamné à mort, la prison à vie, c’est l’horreur pour lui comme pour moi ». Quand elle m’a dit cela, j’avoue avoir été un peu ébranlé. J’ai douté. Le pénitencier où il est détenu, au Colorado, est un endroit qui fait froid dans le dos. Je lui ai alors répondu que l’exécution est définitive, il n’y a plus de retour en arrière possible. On peut penser qu’il y a une vie après la mort, c’est autre chose. Sur terre, on n’y revient pas. Tandis qu’avec la prison à vie, il reste toujours un petit espoir, même aux États-Unis. J’aimerais vous poser une autre question : d’après vous, quels arguments utilise-t-on parfois pour justifier la peine de mort ? un avocat, risquera moins d’être condamnée à mort qu’une personne noire ou pauvre. Il y a une très forte inégalité. Cela est choquant de penser que vous passerez ou non à la chaise électrique selon que vous serez puissant ou misérable. Reportage photographique : Sara Iskander Remerciements : Mme Saïda Goumar, professeur d’histoiregéographie et d’éducation civique, les élèves, la proviseure, Me Baudouin. Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France 9 Mais c’est quoi, au fait, la peine de mort? Échange entre l’avocat Patrick Baudouin, et des collégiens Pierre : Je crois savoir qu’il y a beaucoup d’Afro- Américains qui sont condamnés. P. B. : Il y a en effet une forme de discrimination. Une personne blanche et riche, qui a les moyens de se payer en augmente les garanties procédurales. Le nombre toujours refusé à rétablir la peine de mort. Parce que tue, qui appartient aux régimes dictatoriaux et à une d’exécutions a baissé. Tout indique la marche vers c’est contre-productif et contraire aux valeurs de la logique politique où prime la raison d’État. À un démocratie. homme de foi, je rappellerais que Dieu seul a le poul’abolition. voir de retirer la vie. Aux esprits laïques, je rappellerais que l’abolition n’entraîne pas de recrudescence de Comment avez-vous reçu le verdict du procès En France, des parlementaires tentent la criminalité. La courbe de la criminalité sanglante est Moussaoui ? de revenir sur l’abolition. Ces initiatives indifférente à la présence ou non de la peine de mort. Comme une victoire des jurés américains. Ils ont rendu vous inquiètent-elles ? un grand service à leur pays. L’idée d’utiliser la peine Non, c’est pure gesticulation démagogique. Leurs au- À cette évidence s’ajoute une réalité. La peine de mort de mort contre le terrorisme est une erreur absolue. teurs savent que cela ne peut pas aboutir à cause des est une pratique qui amène dans la réalité judiciaire la mise en œuvre de tous les poisons d’une société. Elle ne dissuade pas le terroriste qui n’hésite pas à traités internationaux ratifiés par la France. Tous. L’inégalité sociale, d’abord : regardez les quarmourir lors de ses attentats. En l’exécutant, on le transtiers américains des condamnés à mort. Vous n’y croiforme en héros aux yeux de ses partisans. Et le len- Comme on ne naît pas abolitionniste, a priori, serez pas un fils de banquier ou de grande avocate demain, cent jeunes gens deviennent à leur tour mili- comment le devient-on ? tants de la cause qu’il servait. Voilà pourquoi l’Espagne Il faut rappeler de grands principes très simples. américaine. Ce sont toujours les plus déshérités, les face à l’ETA, l’Italie jadis face aux Brigades rouges, D’abord, une société démocratique repose sur les droits plus marginaux, les plus débiles, etc. Vous avez l’in- suite l’Allemagne face à la bande à Baader, ou la Grande- de l’homme. Et le premier des droits de l’homme, c’est égalité financière. Si vous êtes O.J. Simpson, vous page suivante Bretagne face à l’IRA, Mme Thatcher règnant, se sont le droit à la vie. Elle ne peut donc avoir une justice qui vous payez les meilleurs avocats et sauvez votre tête. •••> L’abolition et après… *50D82T* Miguel Benasayag: « L’abolition, un progrès menacé » Miguel Benasayag est philosophe et psychanalyste. Il évoque pour nous le long chemin qui a abouti à l’abolition de la peine de mort et nous rappelle qu’elle est menacée par la manipulation des sentiments de peur et de vengeance. Une contribution qui appelle à la vigilance. Miguel Benasayag est philosophe, psychanalyste et professeur à l’université Lille III. Il anime le collectif « Malgré tout ». Dernier livre : Connaître est agir, éditions de la Découverte. Illustrations Plantu Une : C'est le goulag, 1983 P. 2 : Wanted, 2001 Pas nette la planète, 1984 Les cours du caoutchouc sont trop élastiques, 1982 P. 3 : Le Monde, 12 juin 2001 P. 5 : La Vie, 21 juin 1979 P. 7 : La démocratie parlons-en, 1979 P. 8 : La démocratie parlons-en, 1979 P. 10 : La démocratie parlons-en, 1979 P. 12 : Le Monde, 19 février 1989 P. 13 : Les cours du caoutchouc sont trop élastiques, 1982 P.15 : L'Express, 19 juillet 2000 Rédaction en chef Sébastien Poulet-Goffard Rédaction Charlotte Beaucillon Flora Barré Maela Bégot Eve Boccara Céline Bretel Maela Castel Luc Chatel Pauline Frain Alexia Leibbrandt Elenn Mouazan-Boumendil Laure Toury démocraties les plus avancées, tels ceux que l’on trouve dans les Constitutions d’Amérique latine (chilienne, argentine, uruguayenne) qui disent, par exemple, que la prison ne doit pas avoir comme fonction de punir les condamnés mais simplement de protéger la société. Une société accomplit un grand pas en avant dans la construction du lien social quand elle dit que la justice n’est pas concernée par l’idée de punir, mais de réparer. Quand elle renonce absolument à la vengeance. Nous voyons bien comment on est passé d’une époque de l’humanité où l’on cherchait à mesurer et à contenir la vengeance, à une époque où la société énonce qu’elle n’a personne à venger mais qu’elle se soucie avant tout de préserver le lien social. Rappelons ici à quel point le principe de la peine de mort, qui consiste à prendre la vie d’une personne parce qu’elle en a pris une, est d’un archaïsme total. Cette symétrie est barbare. On ne peut mettre sur le même plan le geste d’un être désaxé qui tue quelqu’un et la froideur d’une société qui va enlever la vie d’un homme. Cette asymétrie-là pose un problème très grave dans les rapports entre société et individu. Avec l’abolition de la peine de mort, la France a donc accompli un véritable pas en avant. Mais tous les problèmes ne sont pas réglés pour autant. Non seulement il y a ce balancier qui veut que tantôt la peine de mort recule, tantôt elle avance, comme on peut le voir dans certains États d’Amérique ou en Chine – avec cette perversité qui veut que la famille du condamné paie la balle qui aura servi à le tuer – et qui nous oblige à constater que la peine de mort est loin d’être abolie sur la planète, mais on assiste également à un retour très inquiétant de l’idée de vengeance par rapport à celle de justice sociale. Le traitement infligé aux migrants, aux détenus de Guantánamo, les fractures sociales qui condamnent des personnes à vivre dans un ordre social Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Merci à Plantu • Robert Badinter • Miguel Benasayag • Eric Péchillon • Patrick Baudouin • Saïda Goumar et ses élèves • Ouest France • Témoignage Chrétien • Région Basse-Normandie • Région Pays de la Loire • Conseil général d’Île et Vilaine • Ville de Rennes • Ville de Lyon • Barreau de Paris injuste: ces événements démontrent que nous sommes en train de saper les fondements qui avaient permis d’abolir la peine de mort. Il y a quelque chose, dans ce complexe édifice qui aboutit à l’abolition, qui est sérieusement attaqué. D’une part, l’opinion publique française reste en principe contre le rétablissement de la peine de mort; d’autre part, la même opinion publique française lit quotidiennement, dans une terrible banalité, qu’à Guantánamo on détient des prisonniers illégalement et qu’Israël, un État reconnu comme démocratique par le concert des nations, se permet d’exécuter des dirigeants du camp adverse. Mon point de vue est qu’il y a de nets progrès dans l’application de la justice criminelle, mais que ces progrèslà ne peuvent pas simplement se mesurer à l’abolition de la peine de mort en Europe. Les éléments qui ont permis d’aboutir à l’abolition de la peine de mort sont directement attaqués quand le traitement de la guerre, du conflit, de la criminalité se fait en termes de vengeance et de non-droit. Une société qui accepte le développement des peurs et la déshumanisation de l’adversaire n’est pas préservée d’un retour de la peine de mort. Miguel Benasayag Jacques Auxiette: « Cet héritage commun doit faire l’objet de toutes les attentions » Contributions Miguel Benasayag Michel Taube Eric Péchillon Michel Foucault 10 Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France Photos Pol Boussaguet pour Robert Badinter Sara Iskander pour Patrick Baudouin et la classe de 4e Pour mesurer le progrès que représente l’abolition de la peine de mort dans notre société, il nous faut remonter assez loin en arrière. D’un point de vue historique et mythique, l’origine de la légalité telle que nous la connaissons commence avec le code d’Hammourabi (environ 1 750 avant J.-C.) et sa fameuse loi du talion, « œil pour œil, dent pour dent ». Ce code et cette loi sont toujours évoqués dans nos sociétés comme des facteurs de barbarie. Aujourd’hui, les pays et les sociétés qui pratiquent la loi du talion, ceux qui se permettent d’amputer des membres ou de fouetter des personnes sont considérés comme arriérés et leur justice comme défaillante. Mais à l’époque où le code d’Hammourabi et la loi du talion sont entrés en vigueur, ils représentaient au contraire un véritable élément de progrès. Ils ont permis, à un moment donné, de briser la chaîne de la vengeance. Pour un crime commis, on pouvait alors s’entretuer pendant des générations. La loi du talion a permis de mettre un terme à ces cycles infernaux en disant : pour un mort, il faut un mort. Cela a permis de faire naître l’idée d’une justice qui n’aurait pas seulement pour but de régler un conflit entre une victime et un criminel, mais qui aurait aussi pour fonction de garantir la pacification et le développement du lien social. Ainsi, les sociétés successives ont trouvé des modes de règlement de leurs problèmes de justice en essayant de remplir les deux fonctions énoncées : rendre justice et sauvegarder le lien social. Des modes de règlement qui se sont avérés beaucoup plus évolués que la simple application de la loi du talion, dans le sens où la justice s’est beaucoup moins centrée sur la question de la vengeance et beaucoup plus sur la volonté de retisser du lien social là où un crime l’avait déchiré. Au vu de cette évolution, la peine de mort demeurait, dans notre société, d’un archaïsme total. Son abolition nous rappelle les principes des Jacques Auxiette, président du Conseil régional des Pays de la Loire Voici déjà 25 ans, François Mitterrand et Robert Badinter, faisaient voter l’abolition de la peine de mort par l’Assemblée nationale, malgré une opinion majoritairement hostile. Cette loi répondait à une logique humaniste et à une exigence éthique inévitable. C’est au nom de notre idée philosophique de l’humanité que la peine de mort constitue une incohérence notoire. Si l’erreur est humaine, il appartient à la société de permettre à chacun des individus qui s’écarte de la loi, de disposer de l’opportunité de se racheter en participant pleinement à notre société dont les valeurs sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Enfin, et l’histoire nous le démontre, aucun système judiciaire n’est infaillible, tout simplement parce que la justice est rendue par les hommes, et que l’humanité n’est jamais à l’abri d’erreurs d’appréciations : c’est ce qui la caractérise. La toute récente affaire d’Outreau nous le rappelle douloureusement, comme une mise en garde qu’il faut toujours avoir à l’esprit. Par ailleurs, il n’existe pas de différences de taux de criminalité entre les pays tenants de la peine de mort, et Sinon, le jeune noir a un avocat commis d’office qui regarde sa montre, et n’est pas toujours compétent. Et vous avez la justice raciste. Même si on s’en défend, la vision du crime suscite de telles pulsions de haine que les défenses éclatent, le racisme inconscient ou ordinaire se libère… Et puis, vous avez l’erreur judiciaire, le pire des crimes contre la justice. Aux ÉtatsUnis, il est stupéfiant de voir le nombre de condamnés à mort dont on s’aperçoit après coup qu’ils étaient innocents. L’abolition, c’est une victoire de l’humanité sur ellemême, sur les pulsions de mort. Tous, nous portons en nous des instincts de mort. Je comprends parfaitement les parents d’enfants victimes qui souhaitent la mort du coupable. Mais j’ai vu de grandes consciences y résister. Il faut une force d’âme remarquable, qu’on ne peut pas exiger de tout le monde. ceux qui ont eu le courage de l’abolir, ce qui démontre que la peine de mort ne saurait en aucun cas constituer une réponse dissuasive à la grande délinquance. Cette conception d’une république humaniste implique que chaque citoyen respecte la loi, qui s’impose à tous et que chaque infraction soit sanctionnée comme il se doit. En ces heures où des pays européens tels que la Pologne, doutent et veulent faire douter du formidable progrès qu’a été l’abolition de la peine de mort, il faut se souvenir des dérives passées ou actuelles. Il convient donc que chaque citoyen élève sa réflexion bien au-delà des émotions légitimes qu’impliquent le crime et la violence… le sang versé ne saurait être réparé par le sang. La privation de liberté constitue en revanche une juste sanction, implacable tant ses conséquences sont irréparables à l’échelle d’une vie. Ce 25e anniversaire de l’abolition de la peine de mort est une fierté pour notre pays ! Cet héritage commun doit faire l’objet de toutes les attentions. Notre démocratie impose à chacun de ne jamais baisser la garde ! Le système pénal français actuel, qui prononce des peines de plus en plus longues, vous semble-t-il proposer une bonne alternative à la peine de mort ? Il n’y a pas d’alternative à un supplice. Quelles mesures de sûreté prendre ? Très rares sont ceux qui ont été condamnés à mort, puis libérés et qui ont récidivé en commettant un crime de sang. Concernant les psychopathes, si nous leur appliquions la peine de mort, nous entrerions alors dans une société que l’on ne peut admettre, une société qui élimine tout ce qui est psychiatriquement dangereux, et qui dérive vers un eugénisme totalitaire. Le régime actuel des périodes de sûreté est suffisant. Il faut seulement prudence et vigilance pour les magistrats chargés de l’exécution des peines. Jacques Chirac a promis que l’abolition serait inscrite dans la Constitution. Qu’est-ce que cela apporterait de plus ? Ce serait un acte symboliquement très fort. Mais j’attends de voir sous quelle forme interviendra cette constitutionnalisation. La formule a minima serait d’introduire un article autorisant simplement le Parlement à ratifier le 2e protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La grande voie, elle, serait d’inscrire dans la Constitution la proclamation solennelle de la Charte des droits fondamentaux approuvée par la totalité des gouvernement de l’Union européenne : « nul ne saurait être condamné à mort ni exécuté ». J’attends que ce soit cette formule-là qui soit retenue. Ce serait la véritable consécration de l’abolition. Propos recueillis par Bernard Le Solleu, journaliste de Ouest France et Laure Toury, journaliste ECPM. *50D83T* Comment s’organise le prononcé d’une condamnation à perpétuité ? La sentence la plus longue que puisse prononcer une cour d’assises est la réclusion criminelle à perpétuité. Lorsqu’elle est décidée, elle est théoriquement assortie d’une peine de sûreté obligatoire de dix huit ans. Il est possible d’allonger cette période de sûreté jusqu’à un maximum Combien de personnes sont-elles condamnées à perpétuité en France? Lorsque l’on consulte les études menées par les démographes, je pense en particulier à P.-V. Tournier, on remarque qu’au 1er janvier 1975 on Témoignage Chrétien : L’abolition de la peine capitale est un considérable pas en avant ! Pourtant, vous préférez parler de « rattrapage », en insistant sur le problème qui, à vos yeux, importe le plus : le scandale des peines définitives, qui règlent une fois pour toutes le cas du coupable. Vous estimez, en effet, que personne n’est dangereux par nature et ne mérite d’être étiqueté coupable à vie. Mais la société n’a-t-elle pas besoin, pour se protéger, d’une sanction suffisamment étendue dans le temps ? sans tenir compte de ce qu’est son auteur) ; ni un glissement à l’anthropologique pur, où seul serait pris en considération le criminel (même en puissance) et indépendamment de son acte. Un travail s’impose, bien sûr : chercher s’il n’y a pas d’autre système possible. Travail urgent, mais à long terme. Pour l’instant, il faut éviter les dérapages. Le dérapage vers le juridique pur : la sanction aveugle (les tribunaux reprenant le modèle suggéré par l’autodéfense). Le dérapage vers l’anthropologique pur : la sanction indéterminée (l’administration, le médecin, le psychologue décidant, à leur gré, de la fin de la peine). Il faut travailler à l’intérieur de cette fourchette, du moins pour le court terme. La peine est toujours un peu un pari, un défi de l’instance judiciaire à l’institution pénitentiaire : pouvez-vous, en un temps donné, et avec vos moyens, faire en sorte que le délinquant puisse se réengager dans la vie collective sans recourir de nouveau à l’illégalisme ? Michel Foucault : Distinguons. Condamner quelqu’un à une peine perpétuelle, c’est transposer directement sur la sentence judiciaire un diagnostic médical ou psychologique ; c’est dire : il est irrécupérable. Condamner quelqu’un à une peine à terme, c’est demander à une pratique médicale, psychologique, pédagogique, de donner un contenu à la décision judiciaire qui punit. Dans le premier cas, une connaissance (bien incertaine) de l’homme sert à fonder un acte de justice, ce qui n’est pas admissible ; dans l’autre, la justice a recours, dans Je voudrais revenir à la question de l’enfermeson exécution, à des techniques « anthropologiques ». ment dont vous contestez l’efficacité. Quel type de sanction proposez-vous alors ? En déniant à la psychologie le droit de porter un diagnostic définitif, au nom de quoi peut-on décider que l’individu, au terme d’une peine, est prêt à réintégrer la société ? Il faut sortir de la situation actuelle : elle n’est pas satisfaisante ; mais on ne peut l’annuler d’un jour à l’autre. Depuis bientôt deux siècles, notre système pénal est « mixte ». Il veut punir et il entend corriger. Il mêle donc les pratiques juridiques et les pratiques anthropologiques. Aucune société comme la nôtre n’accepterait un retour au « juridique » pur (qui sanctionnerait un acte, Disons-nous bien que les lois pénales ne sanctionnent que quelques-unes des conduites qui peuvent être nocives à autrui (regardez par exemple les accidents du travail) : il s’agit-là d’un premier découpage, sur l’arbitraire duquel on peut s’interroger. Parmi toutes les infractions effectivement commises, quelques-unes seulement sont poursuivies (regardez la fraude fiscale) : second découpage. Et parmi toutes les contraintes possibles par lesquelles on peut punir un délinquant, notre système pénal n’en a retenu que bien peu : l’amende et la prison. Il pour- Une étude de 2005 menée par A. Kensey a fait l’analyse de cette catégorie de condamnés (Cahiers de démographie pénitentiaire, n° 18, nov. 2005). Elle aboutit, pour les condamnés à perpétuité qui ont bénéficié d’une libération, à la moyenne de 20 ans de détention. Cette durée est plus longue de trois ans par rapport aux résultats des précédentes enquêtes, sachant que 24,4 % d’entre eux ont effectué entre 21 et 25 ans de prison, 8,6 % entre 26 et 30 et 2,7 % plus de 31 ans. Cela ne veut pas dire que tous les condamnés vont sortir un jour car rien n’oblige les magistrats à leur accorder une libération conditionnelle. D’ailleurs, h rc i v • Ré Septembre 1981 : la peine de mort est tout juste abolie que déjà la question des alternatives se pose. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Témoignage Chrétien, Michel Foucault (1926-1984) pose son regard de philosophe sur le principe même de la détention. Même si la question peut paraître paradoxale, quelle est la durée effective des peines perpétuelles ? e Michel Foucault: « Punir est la chose la plus difficile qui soit » comptait 185 condamnés à perpétuité. Au 1er janvier 2006, ils sont 508. Chaque année les cours d’assises prononcent une trentaine de condamnations de ce type, soit nettement plus que les peines de mort avant 1981. Tous ces condamnés ne connaissent bien évidemment pas à l’avance leur date de libération. Celle-ci est à la discrétion de l’autorité compétente. Avant la loi du 15 juin 2000, il s’agissait d’une décision largement politique qui dépendait du Ministre de la justice. Depuis, cette décision relève des juridictions régionales et de la juridiction nationale de libération conditionnelle devenues compétentes pour les condamnations de plus de dix ans. Ce transfert a entraîné une hausse des libérations. rait y en avoir bien d’autres, faisant appel à d’autres variables : service d’utilité collective, supplément de travail, privation de certains droits. La contrainte ellemême pourrait être modulée par des systèmes d’engagement ou de contrats qui lieraient la volonté de l’individu, autrement qu’en l’enfermant. Je plains plus que je ne blâme l’administration pénitentiaire actuelle : on lui demande de « réinsérer » un détenu en le « désinsérant » par la prison. Ce que vous proposez ne suppose pas seulement une refonte du système pénal. Il faudrait que la société porte un regard différent sur le condamné. Punir est la chose la plus difficile qui soit. Il est bon qu’une société comme la nôtre s’interroge sur tous les aspects de la punition, telle qu’elle se pratique partout: à l’armée, à l’école, dans l’usine (heureusement sur ce dernier point la loi d’amnistie à soulevé un coin du voile). Que certains des grands problèmes moraux – comme celui-ci – réapparaissent dans le champ politique, qu’il y ait de nos jours un nouveau et sérieux défi de la morale à la politique, je trouve bien cette revanche sur tous les cynismes. Et je trouve bien que ces questions (on l’a vu pour les prisons, on l’a vu pour les immigrés, on l’a vu pour le rapport entre les sexes) soient posées dans une interférence continuelle entre un travail intellectuel et des mouvements collectifs. Tant pis pour ceux qui se plaignent de ne rien voir autour d’eux qui vaille d’être vu ; ils sont aveugles. Beaucoup de choses ont changé depuis 20 ans, et là où il est essentiel que ça change : dans la pensée, qui est la manière dont les humains affrontent le réel. Propos recueillis par Antoine Spire Témoignage Chrétien N° 1942, 28 septembre au 4 octobre 1981. 17 condamnés (3 % d’entre eux) sont en prison depuis plus de 30 ans dont 0,5 % depuis plus de 40. Comment l’abolition de la peine de mort a-t-elle renouvelé la question de la lutte contre la récidive ? L’abolition de la peine de mort visait surtout à faire disparaître de notre arsenal juridique une peine que la Convention européenne des droits de l’homme considère comme indigne d’un pays démocratique. Supprimer un traitement inhumain et dégradant ne produit pas d’effet mesurable sur les taux de récidive, ni dans un sens ni dans un autre. Les études depuis 1981 dans tous les pays le montrent. Sa disparition brutale n’a pas réglé la question de la prévention de la récidive, et surtout, n’a pas désarmé les partisans d’une sanction exemplaire. Malgré l’absence de certitudes quant au caractère dissuasif de l’élimination physique par une incarcération définitive, la France a fait le choix de se rassurer par un élargissement des cas et du nombre de personnes condamnées à de très longues peines. Je crains que faute d’avoir le courage d’aborder les causes d’une telle criminalité, la tendance soit à un durcissement des sanctions. Vous pensez en particulier aux conclusions du rapport d’information sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses rendu par le Sénat le 22 juin 2006 ? Notamment, oui. Ce rapport fait suite au rapport Burgelin de 2005 qui avait préconisé l’instauration de centres fermés de protection sociale. Ces institutions étaient prévues pour accueillir, après leur période d’incarcération, les personnes considérées comme potentiellement dangereuses. Ce rapport était très critiquable tant d’un strict point de vue juridique que pratique. Les sénateurs ont par conséquent cherché à corriger les imperfections du projet. Leur idée est de confier à des équipes médicales la charge d’accueillir en fin de peine des ex-condamnés ayant payé leur dette à la société par une incarcération à terme mais dont l’état de dangerosité fait courir un risque à la collectivité. Ceci revient à faire peser sur les équipes médicales la charge de la responsabilité d’une remise en liberté. Bref, une démission de la Justice et de l’État. Le mécanisme proposé n’est pas sans rappeler celui qui vient d’être voté en Suisse. Une loi constitutionnelle adoptée par référendum fait en effet peser sur le psychiatre une responsabilité individuelle en cas de récidive du patient libéré. Peut-on en déduire que la société ne prend pas ses responsabilités face à la criminalité? Oui. Elle se donne l’illusion de le faire en prônant un durcissement de la réaction sécuritaire. Il faut de plus en plus désigner un coupable individuel en cas de récidive. C’est un moyen de ne pas réfléchir à la responsabilité collective. C’est la même logique qui conduit certains à préconiser un dépistage des futurs délinquants dès le plus jeune âge afin de les traiter avant même qu’ils ne passent à l’acte. Cette méthode donne une place disproportionnée aux déterminismes physique, psychique et rarement social. Elle est une forme de négation de la liberté individuelle. Toute liberté implique un risque et une responsabilité. Propos recueillis par Elenn Mouazan-Boumendil L’abolition et après… Il faut bien comprendre que l’abolition de la peine de mort n’est pas une fin en soi. Elle n’a d’ailleurs véritablement de sens que si elle s’accompagne d’une réflexion sur la sanction, le rôle de la prison, la libération, le traitement des délinquants. Lorsque des condamnés à de très longues peines ou à perpétuité réclament que l’État les exécute, ils demandent surtout à l’opinion publique de s’interroger sur les durées de détention sans espoir. Une peine n’a de signification que si elle peut être comprise. Elle n’est envisageable que si elle peut produire un effet positif. Quelle est l’utilité d’une incarcération à vie sans aucun espoir de sortie ? La mise à l’écart d’un individu que la société Malheureusement, les deux ne sont pas liés. Plusieurs études menées par le Ministère de la justice ont montré une augmentation du nombre de détenus et un allongement évident de la durée des peines. Entre 1996 et 2006, le nombre de prisonniers a progressé de 8 %, pour atteindre le nombre de 59303 au 1er juin 2006, sachant que cette évolution dépend largement des politiques pénales privilégiées par le gouvernement en place. Cela s’explique par différents facteurs. Les peines encourues sont plus longues du fait d’un durcissement des qualifications pénales qui transforme de plus en plus de délits en crimes. Les sentences prononcées sont aussi plus longues. C’est un peu comme si, au moment du jugement, certains juges étaient tentés d’anticiper les éventuelles mesures d’aménagement de peine. Enfin, les sentences réellement ef- de vingt deux ans par une décision spéciale de la cour, qui n’a pas à fournir les motifs d’un tel allongement. Pour les affaires qui ont le plus ému l’opinion publique, le législateur a prévu une période de sûreté de trente ans voire perpétuelle (assassinat ou meurtre précédé de viol, de tortures ou d’actes de barbarie sur mineur de moins de 15 ans). Durant la période de sûreté, le condamné ne peut bénéficier d’aucune mesure d’individualisation de sa peine. La seule exception est une suspension de peine pour des raisons médicales. Ces peines de sûreté ont été instaurées en 1978, avant l’abolition de la peine de mort, et leur mécanisme n’a jamais été sérieusement remis en cause depuis. Dans leur principe, elles montrent une méfiance vis-à-vis du juge de l’application des peines dont la fonction est justement de suivre le condamné afin d’en ajuster la durée en fonction de l’évolution de la personne. Un condamné à perpétuité ne peut demander une libération conditionnelle qu’à la fin de sa période de sûreté, sachant qu’elle ne peut être accordée qu’après une semi-liberté d’une durée d’un à trois ans. Sans oublier que pour l’ensemble de la population incarcérée, ce type de libérations occupe une place marginale : 4 % des sorties. n • A Que traduit cet appel au rétablissement de la peine de mort non pas formulé par des victimes mais par des condamnés ? L’abolition de la peine de mort a-t-elle induit un objectif de réinsertion dans la politique pénale ? fectuées par les condamnés à perpétuité sont souvent très longues. Pour ne donner qu’un chiffre, entre 1996 et 2006, le nombre de condamnés à des peines de vingt à trente ans a été multiplié par 3,5. La prison comme la peine de mort sont, avant tout, des sanctions visant à faire disparaître pour un temps ou définitivement un individu de la société. L’objectif de sécurité est le seul qui soit véritablement contraignant pour l’administration pénitentiaire. Sa mission de réinsertion est beaucoup plus anecdotique. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les sommes qui sont effectivement allouées à chacune d’elle. Il est totalement utopique de croire qu’il est possible de réinsérer un individu en l’incarcérant dans un établissement pénitentiaire fermé. Comment trouver une place dans la société lorsque l’on est coupé de sa famille, de son travail, sans relation sociale ? La prison a été généralisée à la suite de la Révolution française pour faire souffrir l’individu. Plus je travaille sur ces questions, plus je suis persuadé que la douleur et le contre-exemple ne bonifient pas la personne incarcérée. éd it io Eric Péchillon est Maître de conférences à l’Université de Rennes I. Il est l’auteur de Sécurité et droit du service public pénitentiaire, LGDJ, 1998 ne veut plus accueillir en son sein ! Dans leur appel, les détenus ne contestent pas les conditions de détention pourtant difficiles dans une maison centrale, mais l’impossibilité de prévoir une sortie. Si la société n’est pas capable d’admettre qu’un individu puisse changer, autant qu’elle se débarrasse tout de suite de ses exclus. Le message est volontairement dur et provocant, mais il oblige à réfléchir sur la durée maximale des peines prononcées dans un pays démocratique. Si le détenu est considéré comme malade, sa place n’est pas en prison. Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Janvier 2006, un collectif de prisonniers condamnés à perpétuité réclame symboliquement le rétablissement du châtiment suprême. Eric Pechillon, s’empare de ce fait divers et interroge la notion de longue peine dans un système judiciaire qui ne tue plus. Dossier : spécial 25e anniversaire de l’abolition en France 11 Eric Péchillon: « Une peine n’a de signification que si elle peut être comprise » *50D82T* congrès mondial 12 Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 e 3 Congrès mondial contre la peine de mort Paris 2007 En février 2007, Paris sera la capitale mondiale de l’abolition Réservez vos places : après Strasbourg en 2001 et Montréal en 2004, Paris sera la capitale mondiale de l’abolition du 1er au 3 février 2007 en accueillant le 3e Congrès mondial contre la peine de mort. « Paris 2007 » rassemblera des abolitionnistes du monde entier, décideurs et acteurs de l’abolition, mais aussi des citoyens et des militants qui participeront à cet événement populaire et médiatique. Enjeux et perspectives. Un Congrès mondial pour quoi faire ? Le 1er Congrès mondial contre la peine de mort, en juin 2001, avait non seulement mis en lumière la dimension internationale que revêt le combat abolitionniste depuis près d’une décennie mais aussi débouché concrètement sur la création de la Coalition mondiale contre la peine de mort en 2002 et sur l’instauration un an plus tard, le 10 octobre, de la Journée mondiale contre la peine de mort. Le Congrès de Montréal, en assurant une représentativité plus large de la communauté, somme toute hétéroclite, des abolitionnistes, avait imposé cet événement triennal comme LE rendez-vous incontournable des forces abolitionnistes du monde entier. « Montréal 2004 » avait également révélé, grâce à l’apport décisif de Penal Reform International et de son défunt fondateur, Ahmed Othmani, la nécessité d’intégrer le combat abolitionniste dans les réflexions sur les politiques pénales des États rétentionnistes (prise en compte des victimes, conditions de détention, obstacles pénitentiaires à l’application de la peine de mort, lutte contre la crimina- lité…). « Montréal 2004 » avait également pour objectif d’encourager les autorités canadiennes et françaises à ratifier le 2e Protocole du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, ce qu’a fait le Canada en novembre 2005 et que s’apprête à effectuer la France au terme d’une réforme constitutionnelle demandée le 2 janvier 2006 par le Président de la République. Espérons qu’à l’ouverture du Congrès de Paris, les organisateurs pourront se féliciter de l’arrivée de la France dans le cercle des 54 États abolitionnistes qui, à ce jour, ont ratifié cette convention universelle. Le 3e Congrès mondial contre la peine de mort se tiendra dans un contexte international de réduction progressive des condamnations à mort et des exécutions qui tendent à se concentrer, outre aux États-Unis et au Japon, dans des régimes autoritaires et, plus spécifiquement, en Asie et dans le monde arabo-musulman. Chaque année, de nouveaux pays abolissent, comme dernièrement les Philippines. Dans ce contexte favorable, les organisateurs, souhaitent concentrer les débats du Congrès de Paris sur certains leviers qui semblent décisifs pour renforcer les bases de l’abolition et utiles pour encourager de nouveaux pays à abolir. Ainsi, alors que la Déclaration finale de Montréal avait déjà appelé au développement d’approches régionales, « Paris 2007 » offrira une tribune internationale à des abolitionnistes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et à des voix de l’Islam favorables à une renonciation définitive à la peine de mort. Les relations privilégiées de voisinage entre l’Europe et cette région du monde, l’évolution encourageante constatée au Maroc, au Liban, en Mauritanie, les projets de réforme pénale en Jordanie sont autant d’espoirs de voir prochainement un premier pays de la région abolir la peine de mort. Espérons également que la pression se fera plus forte sur l’Arabie saoudite et l’Iran qui exécutent, dans des conditions féodales, des centaines de condamnés à mort, souvent des femmes, des étrangers, des homosexuels, des mineurs. Toujours dans cette région, la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien emprisonnés en Libye et qui, après sept ans d’emprisonnement et de tortures, encourent toujours la peine de mort, sera parmi les objectifs importants du Congrès de Paris. « Paris 2007 » espère également accompagner et renforcer certains choix stratégiques du mouvement abolitionniste mondial : le développement de la Coalition mondiale contre la peine de mort, qui regroupe à ce jour 53 organisations du monde entier, est une des priorités. Des tables rondes régionales permettront aussi de renforcer des coalitions régionales qui regroupent de plus en plus des abolitionnistes de plusieurs horizons (ONG, juristes, parlementaires…). Ainsi l’initiative récente prise par Amnesty International de créer un réseau asiatique contre la peine de mort (ADPAN) sera fortement relayée à Paris. Insistons enfin sur deux enjeux plus précis : • En Afrique, aux États-Unis, dans les Caraïbes, à Singapour ou en Chine, des avocats défendent, souvent sans moyens et face à l’hostilité de leur environnement, des prévenus qui encourent la peine de mort. On le sait, disposer d’un bon avocat, telle est souvent la seule garantie d’échapper à la mort. Le Congrès de Paris entend aider les Barreaux d’avocats et l’ensemble des abolitionnistes à agir davantage de concert. Un réseau international permettrait à un avocat de consulter ses confrères, de demander de l’aide (en termes de documentation, de références judiciaires internationales, d’appui de l’opinion publique si son client est menacé d’exécution) et de rendre plus efficace la synergie nécessaire entre les acteurs judiciaires d’une part et les militants politiques du combat pour l’abolition d’autre part. • « Paris 2007 » se tiendra un an et demi avant les Jeux olympiques de Pékin. Un délai idéal pour jeter les bases d’une campagne internationale ambitieuse pour faire pression sur les autorités chinoises et demander des preuves tangibles de respect des droits humains. Nous espérons que « Paris 2007 » sera un moment utile pour les défenseurs des droits humains pour faire avancer voire lancer une telle campagne mais aussi pour amorcer un dialogue constructif avec des sportifs convaincus que les valeurs de l‘olympisme exigent le respect de l’être humain dans ses droits fondamentaux. En Chine aussi. Grâce à la présence de parlementaires, de diplomates, d’anciens condamnés à mort et de familles de victimes, de militants et d’avocats du monde entier, Paris sera, du 1er au 3 février 2007, la capitale mondiale de l’abolition. Pour que l’abolition devienne universelle… Michel TAUBE Délégué général et Porte-parole d’ECPM « Paris 2007 », des débats pour l’abolition, des moments citoyens pour dire NON à la peine de mort Une vingtaine de débats auront lieu à la Cité universitaire internationale de Paris, tous libres d’accès. Des événements rythmeront également le Congrès pour y associer citoyens et médias du monde entier. Trois séries de tables rondes Jeudi après-midi et vendredi Débats du Congrès 1. Les voies diplomatiques et les stratégies de l’abolition • Agir : le rôle des citoyens des pays abolitionnistes dans le combat contre la peine de mort ; • Des moratoires à l’abolition ; • Campagne pour la ratification du Protocole 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies ; • Y a-t-il une politique des organisations intergouvernementales contre la peine de mort ? ; • Comment profiter des Jeux Olympiques de Pékin pour faire avancer l’abolition en Chine ? • Un grand débat Les voies de l’abolition en Afrique du Nord et au Moyen-Orient « Paris 2007 » a notamment pour objectif de promouvoir l’abolition en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Le débat donnera la parole aux sociétés civiles de la région qui s’engagent pour l’abolition, plus particulièrement aux coalitions qui se mettent en place dans plusieurs pays, comme au Maroc à l’initiative de Youssef Madad de l’Observatoire marocain des prisons. Les droits civils et politiques, les réformes pénales nécessaires, le vent de réformes législatives qui touchent certains pays seront encouragés. Enfin, dans le cadre d’un débat serein, des voix de l’Islam s’exprimeront en faveur d’une renonciation définitive de l’application de la peine de mort. 2. La justice pénale face à la peine de mort • Le rôle de la jurisprudence des organes internationaux et des juridictions nationales dans l’abolition ; • Les réponses de la justice pénale internationale face à la peine de mort ; • Pour un réseau international d’avocats défenseurs des condamnés à mort ; • Les justices militaires face à la peine de mort ; • Les couloirs de la mort : trop de traitements cruels, inhumains et dégradants ; • Il n’y a pas de mise à mort propre: le cas de l’injection létale; • De l’abolition à la réforme pénale : un débat sur l’échelle des peines et les peines alternatives. Jeudi 1er février Séance d’ouverture avec la Coalition mondiale contre la peine de mort 3. « Paris 2007 », une tribune pour les sociétés civiles et les coalitions des pays qui appliquent la peine de mort • Une stratégie pour l’abolition en Asie centrale ; • Afrique des Grands Lacs : l’abolition au bout d’une décennie de crimes ? ; • ADPAN, vers un réseau asiatique contre la peine de mort ; • États-Unis : quelle stratégie pour les abolitionnistes américains et la communauté internationale ? ; • Les villes engagées contre la peine de mort ; • Pas d’homo à l’échafaud ! Les gay contre la peine de mort. Jeudi soir Soirée autour des victimes de la peine de mort avec l’Acat En présence d’anciens condamnés à mort, de familles de condamnés à mort, de familles victimes de criminels engagées contre leur exécution, des témoignages permettront d’illustrer la vanité et l’horreur de toute justice qui tue. Vendredi soir Soirée autour des avocats engagés dans la défense des condamnés à mort avec le Barreau de Paris En présence de défenseurs de condamnés à mort et de Barreaux du monde entier, le débat exposera les voies et moyens, par-delà les frontières pénales et les traditions juridiques, pour les avocats de s’entraider davantage, et pour les Barreaux, les organisations de juristes et toute la communauté internationale de les soutenir. Samedi matin Cérémonie solennelle du Congrès Dans une salle prestigieuse de Paris, se tiendra la cérémonie solennelle du Congrès, en présence de hauts représentants d’États et d’organisations internationales attachés à l’abolition, de dirigeants des organisations abolitionnistes, de grandes personnalités et d’artistes qui partagent la cause de l’abolition universelle. Samedi 14 heures Marche dans les rues de Paris pour dire NON à la peine de mort Point d’orgue du Congrès, avec la participation de tous les partenaires, sous la bannière de la Coalition mondiale contre la peine de mort, les congressistes et les citoyens demanderont l’abolition universelle de la peine de mort. Le programme présenté est susceptible de modifications. Nota : La Coalition mondiale contre la peine de mort soutient le Congrès et ses organisations membres sont associées ou co-organiseront des débats. La liste complète des intervenants et des organisations qui participent à l’élaboration du programme sera rendue publique lors de la conférence de presse officielle du Congrès, en décembre 2006. *50D83T* congrès mondial 13 Les voix abolitionnistes en Islam… Iran, Arabie saoudite, Égypte, Tunisie… aucun pays du Maghreb et du Moyen-Orient n’a aujourd’hui aboli la peine de mort. L’islam commun à la région serait-il un frein culturel à la voix abolitionniste ? Jusque dans la communauté musulmane, des voix s’élèvent pour dire qu’on peut penser et pratiquer l’Islam en renonçant définitivement à la peine capitale. Aux côtés de la Chine et des ÉtatsUnis, les pays du Maghreb et du Moyen-Orient sont ceux où le recours à la peine capitale est le plus fréquent dans le monde. Les condamnations et les exécutions se comptent par centaines chaque année. Pour la seule Arabie saoudite, 86 personnes ont été exécutées au cours de l’année 2005. Dans ces pays où l’Islam est religion d’État, le droit à la vie inhérent à chaque être humain, trouve certaines de ses limites dans les textes considérés d’origine divine et révélés aux hommes pour mieux réglementer la vie à l’intérieur de la société et la protéger des agissements humains les plus dangereux. Il existe en matière pénale plusieurs délits dont les peines répondent en partie à la loi du Talion. Des sanctions telles que l’amputation ou la lapidation sont effectivement prévues à l’encontre des crimes majeurs. Cependant, des voix de l’Islam s’élèvent aujourd’hui pour appeler à une pratique de la religion musulmane allant dans le sens d’une justice pénale plus humaine. « Un débat déjà initié dans la communauté musulmane » Le grand débat sur les voies de l’abolition en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, programmé dans le cadre du 3e Congrès mondial contre la peine de mort (Paris, février 2007), proposera une plate forme de débat où des spécialistes du droit musulman venus de pays arabes et d’Europe, approfondiront un débat juridico théologique déjà initié par des docteurs du droit musulman euxmêmes, concernant l’application des dispositions pénales islamiques. Les arguments juridiques qui démontrent la nécessité de renoncer à l’application de la peine capitale font l’unanimité parmi ces spécialistes qui s’accordent également à reconnaître le caractère central de certains préceptes humanistes dans l’enseignement islamique. Le repentir ou l’octroi du pardon, permettent en effet, de suspendre l’application de la peine capitale. Le droit musulman puise ses sources dans le texte sacré du Coran mais également dans la Sunna qui for- ment ensemble la Sharia. Parole d’Allah, le Coran, rend compte de la révélation faite au prophète à La Mecque puis à Médine. Mais, lorsque le Coran ne permet pas de se prononcer clairement sur un point de droit, les Musulmans se tournent alors vers la Sunna, qui constitue l’ensemble des gestes du Prophète, ainsi que ses propos, consignés dans de brefs récits appelés Hadith : ce qu’a fait ou dit Muhammad en telle circonstance aura par conséquent force d’exemple sinon de loi. La peine de mort inscrite dans le Coran… Bien que le Coran insiste sur le respect de la vie il envisage néanmoins la peine de mort pour l’homicide, le brigandage, l’insurrection armée et l’adultère. Pour les musulmans, les hudud c’est-à-dire les dispositions pénales de la Sharia constituent un droit raisonnable et équilibré : ils donnent leur juste mesure à la douleur éprouvée lors de la perte d’un être cher, victime d’un meurtre. Cependant, ces mêmes textes ouvrent aussitôt la voie à un règlement sans mort d’homme, grâce à l’instauration du principe du prix du sang, du repentir et du pardon qui semblent occuper en Islam une place encore plus importante que l’application des peines. En outre, l’impossibilité à notre époque de réunir les conditions imposées par la Sharia pour l’application de la peine capitale, constitue également un argument central pour solliciter la suspension de l’application de la peine de mort. Dans la communauté musulmane, penseurs, juristes et religieux se mobilisent sur ces questions. Le magistrat égyptien Mohammed Saidi Al Ashmawi, a proposé une analyse complète et rigoureuse de l’application des hudud dans son livre Les Fondements de la Sharia. Plusieurs appels à un moratoire sur les châtiments corporels, la lapidation et la peine de mort ont été lancés récemment, rencontrant notamment un écho plus que positif auprès du grand Mufti d’Égypte, le Sheikh Ali Jumaa. Ces appels pourraient être une étape décisive en vue de l'abandon définitif de la peine de mort. … mais modérée par les grands principes du droit musulman Pour ce Grand Mufti, « La loi islamique elle-même prévoit des conditions d’application des peines, tout comme elle décrit les situations visant à les surseoir et en l’absence de ces critères, la Sharia ordonne de ne pas les appliquer. » L’existence même de ces limitations s’explique par la nature profonde des hudud, qui loin d’être un alibi pour la vengeance, s’inscrit dans un impératif de prévention des crimes. Les spécialistes du droit insistent encore sur l’impossibilité, à une époque telle que la nôtre, de réunir les conditions légales prévues par la Sharia tel que l’impératif des 40 témoins oculaires de bonne moralité pour témoigner d’un crime. Aujourd’hui les 56 pays musulmans, se fondant sur cette réalité ne font pas référence aux hudud dans leurs législations. « Pendant plus de mille ans – explique le docteur Jumaa – aucune application des hudud n’a eu lieu dans un pays comme l’Égypte. La raison en est que les conditions légales prévues par la Sharîa n’ont pas été réunies, celle-ci ayant stipulé des moyens précis quant à la présentation des preuves ainsi que la possibilité de revenir sur la décision. Le tout étant compris dans la parole du Prophète : “Évitez (l’application) des hudud en situation de doute [vous appuyant sur les doutes]” ». Il apparaît, selon certains hadith, que des situations sociétales particulières peuvent rendre l'application littérale des hudud inexorablement injuste. En l'an 635 après Jésus Christ le second Calife Omar ibn al Khattab s'était refusé à appliquer la peine prévue à l'encontre d'un voleur, compte tenu de la disette qui régnait à cette époque. Le moratoire trouve donc dans cet épisode de l'histoire islamique un précédent historique d'une importance incontestable. Lorsqu'en décembre 2004 le Sénégal, pays musulman, a aboli la peine de mort, des personnalités religieuses s'étaient déjà engagées dans des débats théologiques mettant en exergue cette longue tradition jurisprudentielle qui consiste à Au Liban, la démocratie passe par la fin de la peine capitale Le 22 juin 2006, le premier Ministre libanais Fouad Siniora a déclaré au journal égyptien Al Ahram que le Liban s’apprêtait à abolir la peine de mort afin de rendre conforme la législation libanaise aux normes internationales permettant l’établissement du tribunal international chargé de juger les assassins de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, tué dans un attentat meurtrier le 14 février 2005. Cette décision ferait du Liban le premier pays arabe à abolir la peine de mort et viendrait couronner des années d’efforts de la société civile libanaise. Le Liban aspire à redevenir au sein de son environnement arabe le phare de la culture démocratique. La peine de mort, cette tache ignominieuse si peu en phase avec ces revendications est aujourd’hui à l’ordre du jour de nombres de réunions gouvernementales et parlementaires. Un engagement abolitionniste du personnel politique… Déjà en 2000, l’ancien premier ministre Salim el Hoss avait refusé de signer les décrets de mise à mort de deux condamnés affirmant qu’un tel acte allait à l’encontre de ses convictions humanistes, amorçant ainsi un moratoire de fait encouragé par l’Union européenne. Malheureusement, cette prise de position n’a pas empêché les exécutions de reprendre en 2004 en dépit des vives protestations de la société civile militante. Le Liban, n’avait connu entre 1972 et 1994 qu’une seule exécution alors qu’entre 1994 et 1998 13 personnes avaient été exécutées… En 2004 le député Salah Honein avait élaboré un projet de loi visant à abolir la peine de mort : « Il faut en finir avec cet acte d’agression prémédité et délibéré sur une personne incapable de se défendre, ce crime tenir compte des exigences de la réalité sociale (al waqi) et de la justice, finalité du message divin. Les Imams Moussa Gueye et Mouhamadou Bamba Sall, importantes figures du sunnisme au Sénégal ont pris des positions déterminantes permettant d’appuyer l’abolition législative votée le 10 décembre 2004. Le prophète en humaniste « Il faut dire que l’Islam accorde au repentir et à l’octroi du pardon une place plus importante encore que celle de l’application des peines » rappelle encore le grand prédicateur de la chaîne télévisée Al Jazeera, le docteur Youssef Qardawi. Le Coran et la Sunna étant deux sources complémentaires de la Sharia islamique, tout musulman se doit de respecter les injonctions divines, mais aussi et surtout d’imiter le Prophète dans sa vie quotidienne. Les spécialistes de l’Islam qui se sont penchés sur les sources du droit musulman afin de mettre en exergue les aspects les plus humanistes de ses enseignements, en ont largement conclu que le Prophète était un homme entièrement enclin à la clémence. Aucun crime commis au détriment de sa personne ne lui semblait être trop grave pour ne pas être pardonné. Une de ses qualités les plus nobles était qu’il ne punissait jamais pour des raisons personnelles. Il préférait toujours accorder son pardon même à ses plus grands ennemis. L’Islam prévoit donc des conditions draconiennes pour appliquer la peine de mort de telle sorte qu’il devient aujourd’hui quasiment impossible de les réunir. Cependant, à côté de cet argument juridique, il existe en Islam des enseignements humanistes qui demandent à tout musulman d’user de ses qualités humaines les plus nobles, permettant ainsi, de mettre en œuvre le principe du prix du sang. Mais aussi et surtout, permettant à l’homme de faire un pas de plus vers l’imitation des vertus du Prophète. L’Islam serait-il sur le même chemin que l’Église catholique ? Des obstacles littéraux et originels n’empêcheront pas l’émergence d’appels à la renonciation définitive – et sans retour – à toute application de la peine de mort, rendant possible l’abolition légale dans les pays se réclamant de l’Islam. L’Église catholique n’est-elle pas devenue abolitionniste alors que, dans son catéchisme, les alinéas légitimant son principe n’ont nullement été enlevés dans la dernière mise à jour sous Jean-Paul II ? Des voix de l’Islam s’élèvent, aux abolitionnistes de les relayer ! Gwendoline Aboujaoudé d’État fondé sur une logique qui juge l’individu comme irrécupérable. Cette culture de la mort s’oppose à l’essence même du Liban qui aspire à la diffusion d’une culture de la vie. » La proposition de M. Honein avait été cosignée par six députés. Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Au Maroc, la société civile en première ligne Le Maroc, qui a accueilli l’assemblée générale de la Coalition mondiale contre la peine de mort les 17 et 18 juin 2006, constitue un modèle de référence pour les pays arabes en matière de peine capitale. Depuis 1993, aucune exécution n’a eu lieu et ce, malgré le code pénal de 1962, la loi antiterroriste de 2003 et le code de la justice militaire de 1956 qui répertorient pas moins de 361 crimes passibles de la peine de mort. Au final, depuis son indépendance en 1956, Rabat a prononcé 198 condamnations à mort. L’adhésion des organisations marocaines de droits de l’homme à la Coalition mondiale, créée au lendemain du 1er Congrès mondial, est une preuve de la détermination d’une société civile prête à s’engager de façon effective dans une stratégie efficace et convaincante visant l’abolition juridique de la peine de mort. Un grand nombre d’ONG se mobilisent aujourd’hui pour demander l’abolition de la peine capitale et surtout la ratification du 2e protocole facultatif relatif au Pacte international sur les droits civils et politiques. Le mouvement abolitionniste a été fortement relancé en 2003 par l’initiative de Youssef Madad, secrétaire général de l’Observatoire marocain des prisons, de lancer une dynamique nouvelle pour l’abolition dans son pays. En octobre 2003, une conférence internationale est organisée à Casablanca. La Coalition nationale marocaine contre la peine de mort est créée, composée de sept ONG engagées dans la lutte pour les droits de l’homme: l’Observatoire national des prisons, l’Association des barreaux des avocats du Maroc, l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), Amnesty Maroc, le Forum vérité et équité et le Centre des droits des gens. La voie de la réconciliation Au sein même des instances décisionnelles, des voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer un changement emblématique quant au respect de la dignité de l’homme : l’abolition juridique de la peine capitale. Il faut dire que depuis la mise en place par l’État de l’Instance équité et réconciliation, dont l’action vise à réparer les torts – aussi bien au plan matériel que moral – subis par les victimes des violations passées des droits humains, beaucoup de réformes législatives ont été réalisées, afin de consolider l’État de droit et d’engager le pays de façon inconditionnelle dans le respect de la dignité humaine et de la démocratie. En 2005, Madame Nouzha Skalli, membre du Parlement, a ouvertement questionné le ministre de la justice sur les perspectives d’une abolition totale de la peine de mort. Elle a également rappelé qu’il existe actuellement 149 personnes dans les couloirs de la mort dont huit femmes et 17 salafistes condamnés après les événements terroristes du 16 mai 2003. Mobilisation législative Le Front des forces démocratiques, groupe parlementaire disposant de huit sièges à l’Assemblée (sur 325) a déposé, début mai 2006, un projet de loi pour abroger les dispositions du code pénal prévoyant la peine capitale. Il s’agit de la première proposition de loi abolitionniste dans l’histoire du pays. Les recommandations finales du colloque de Mekhnès sur la politique pénale, initiée par le Ministère de la justice en décembre 2004, appellent à limiter le champ d’application de la peine capitale et à soumettre la prononciation d’une telle peine à une décision collégiale des magistrats. Le Maroc semble être aujourd’hui sur la voie de l’abolition grâce à une société civile engagée dans une dynamique de construction d’un État moderne et démocratique et d’une classe politique avisée et responsable. Toutefois, le rapport publié en 2005 par la Coalition marocaine contre la peine de mort sur les conditions de détention des condamnés à mort dans la prison centrale de Qnaitra au Maroc, nous rappelle que la question de la peine capitale doit englober, dans le cadre de sa résolution, d’autres violations des droits humains. Les conditions de vie inhumaines qui prévalent dans les prisons marocaines, le recours trop systématique à la violence et à la corruption, font de la législation sur les structures pénitentiaires un champ de bataille prioritaire pour les militants abolitionnistes. … à la société civile Au début de l’année 2005, un Congrès rassemblant des abolitionnistes a permis de définir une feuille de route en faveur d’une justice pénitentiaire plus humaine. Parmi les revendications, l’annulation de la loi n° 302 du 21 mars 1994, qui interdit au juge la possibilité de prendre en considération les circonstances atténuantes dans l’application de la peine de mort, et la ratification du 2e protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort. Aujourd’hui, la question de la peine de mort se pose plus que jamais en termes politiques : son abolition est la condition sine qua non pour que le Liban coopère avec la justice internationale et trouve enfin sa place au sein de la communauté internationale en tant qu’État indépendant, libre et démocratique. Les députés abolitionnistes comptent bien profiter de cette situation pour accélérer le processus d’abolition de la peine de mort. D’autant plus, explique le député Honein qu’il « ne serait pas bon que le Liban donne de lui une image négative en faisant mine de n’abolir la peine de mort que sous la contrainte, en raison des exigences établies par la communauté internationale ». Toutes ces évolutions laissent penser que le Liban, une fois sorti de la crise actuelle, sera le premier pays arabe à abolir la peine capitale. G. A. G. A. INSCRIPTION CONGRESSISTE Bulletin d’inscription en dernière page à découper et nous retourner *50D82T* Journée mondiale contre la peine de mort le 10 octobre de chaque année journée mondiale 14 Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Depuis 2003, les membres de la Coalition mondiale contre la peine de mort appellent le 10 octobre les citoyens et les organisations du monde entier à organiser des initiatives locales, pour dénoncer l’horreur et l’absurdité de la peine capitale. En quatre ans, débats, concerts, communiqués de presse, déclarations officielles et manifestations se sont multipliés sur les cinq continents et ont donné une audience internationale à la revendication de l'abolition universelle. Thème du 10 octobre 2006 la peine de mort : les échecs de la Justice Innocents, mineurs, handicapés mentaux, discriminations, tortures… Pour la quatrième édition de sa Journée mondiale, la Coalition mondiale contre la peine de mort appelle à se mobiliser et à dénoncer toute forme de violation des règles dans la mise en œuvre du processus judiciaire menant à la peine capitale. Les 53 organisations ont désigné cinq cas de condamnations emblématiques de l’injustice absolue que fait naître la condamnation à mort dans un système judiciaire. Un dossier pour agir et mieux connaître le vrai visage de la peine capitale. Les innocents des couloirs Affiche de la 4e journée mondiale contre la peine de mort. Plus d’information et documentations sur www. worldcoalition.org AGISSEZ POUR SHE XIANGLIN ! CHINE Teng Xingshan et She Xianglin ont été reconnus coupables du meurtre de leur épouse, respectivement en 1994 et en 1987. Teng a été exécuté en 1989. Après onze ans de prison, She a été disculpé et libéré le 1er avril 2005… Après que les deux épouses furent réapparues ! En octobre 2005, She a reçu 450000 yuans (environ 45000 euros) de dédommagement. Combien de milliers de condamnés à mort, comme Teng, n’ont pas eu cette chance ni le temps de prouver leur innocence! SITI ZAINAB BINTI DUHRI RUPA ! ARABIE SAOUDITE Indonésienne, Siti Zainab Binti Duhri Rupa est mère de deux enfants. Sans aide consulaire ni conseil juridique, coupée de sa famille, elle a avoué le meurtre de son employeur. Jugée en secret par un tribunal dont elle ne comprenait pas la langue, elle a été condamnée à mort et risque aujourd’hui d’être exécutée, comme de nombreux étrangers en Arabie saoudite. GLORIA ! NORD DU NIGERIA Gloria a souhaité témoigner sous un nom d’emprunt. Arrêtée en 1987 à l’âge de 17 ans, accusée de meurtre, elle fut condamnée à mort après sept ans de prison. Faute d’avocat, elle ne peut toujours pas faire appel. Elle est détenue depuis douze ans dans la prison d'Uguru. PANETTI ! ÉTATS-UNIS Scott Panetti souffre de désordre schizo-affectif. Après son divorce, déguisé en militaire, il assassine ses beaux-parents avant de se changer pour se rendre à la police. Malgré son passé psychologique, il sera jugé apte à subir le procès. Devant la cour, il révoque son avocat et organise seul sa défense. Il vient régulièrement à son procès affublé d’un déguisement de cow-boy et tenant des propos incohérents. Malgré tout, il est condamné à la peine capitale en 1995 et attend toujours aujourd’hui dans les couloirs de la mort du Texas. SHAHRAM POURMANSOURI ! IRAN Shahram Pourmansouri a été condamné à mort en 2001 alors qu'il était âgé de dix-sept ans, pour une tentative de détournement d’un avion de ligne en Iran. Malgré un sursis à exécution obtenu en janvier 2005, il est toujours condamné à mort. Le droit international interdit l'exécution de mineurs au moment du crime. L'Iran et le Pakistan sont les seuls pays qui exécutent encore des mineurs (alors même que le droit pakistanais l’interdit). pour agir www.worldcoallition.org L’avènement des tests ADN a permis de mettre en lumière par des preuves scientifiques que, malgré les pièces à conviction amenées au procès, nombreux sont les innocents sur le point d’être exécutés. Détenu depuis 17 ans dans le couloir de la mort du Missouri, Lonnie Erby a été libéré en août 2003 après avoir été innocenté grâce aux tests ADN. Arrêté pour des viols en série commis en 1985, il demandait depuis 1988 à être soumis à ces tests. Or, ce n’est qu’en 2001 que le Missouri a autorisé cette procédure pour les affaires déjà jugées. Selon le programme Innocence Project, qui a soutenu ce prisonnier, 136 détenus ont été innocentés depuis la fin des années 1980 aux États-Unis. Les multiples erreurs judiciaires qui ont été recensées depuis le rétablissement de la peine de mort dans le pays en 1977 ont conduit à l’adoption de moratoires sur les exécutions. C’est en grande partie l’acquittement de Steve Manning en janvier 2000 après 14 ans de couloir, et 13e condamné à mort de l’Illinois disculpé qui a conduit le gouverneur George Ryan à imposer un moratoire sur les exécutions: « Je ne peux pas apporter mon soutien à un système dont l’application a été entachée par de nombreuses erreurs et qui risque de conduire à la situation la plus odieuse entre toutes, à savoir celle où l’État ôte la vie à un innocent […] Tant que je n’aurai pas la certitude que toute personne condamnée à mort dans l’Illinois est réellement coupable, tant que je ne pourrai être sûr qu’il n’y a aucun risque qu’une femme ou un homme innocent reçoive une injection létale, personne ne sera exécuté. » À ce jour, l’Illinois a innocenté 18 condamnés à mort mais il est loin d’être le seul État américain concerné. La Floride est en tête du classement américain, avec 21 cas d’innocentés. En Chine, où le nombre de condamnés à mort avoisinerait les 10 000 et où le système judiciaire souffre de lourds dysfonctionnements, on estime les innocents retenus par centaines. Amnesty International a identifié les cas de Chen Guoqing et de trois coaccusés, inculpés pour meurtre en 1996, jugés et condamnés à mort à quatre reprises. Ils ont fait appel trois fois avec succès, la Cour reconnaissant qu’il existait peu d’éléments de preuve valables établissant un lien entre eux et le crime commis. Leurs alibis étaient fiables, leur inculpation était largement fondée sur des aveux extorqués sous la torture. Aujourd’hui, ils sont toujours en prison dans l’attente du verdict définitif. Une défense insuffisante, le manque de preuves ou la mauvaise volonté des autorités suffisent à mener à l’erreur judiciaire. En outre, ces condamnations sont difficilement révocables dans la mesure où les tribunaux saisis en appel ne réexaminent pas systématiquement les faits, les preuves, l’enquête, se restreignant aux problèmes de droit. Les sept discriminations capitales Partout où elle est appliquée, la peine de mort est infligée aux membres les plus vulnérables de la société : pauvres, handicapés mentaux, femmes, minorités raciales, religieuses, ethniques et politiques… Le caractère raciste de la peine capitale apparaît clairement dans les rapports officiels américains. En mai 1998, le centre d’information sur la peine de mort (DPIC), organisation indépendante basée à Washington, soulignait que 98 % des procureurs qui proposent ou non la mort sont blancs. Au final, 42 % des condamnés sont noirs alors que la population noire ne représente que 12 % des 298 millions d’Américains. En outre, la grande majorité des condamnés l’ont été pour le meurtre d’une victime blanche alors que le nombre de victimes appartenant aux minorités ethniques est égal à celui des victimes blanches. Autre donnée significative de l’application raciste de cette sentence : dans les différents couloirs de la mort, on compte 22,62 % de Noirs accusés d’avoir tué une personne blanche et 1,1 % de Blancs d’avoir tué une personne noire. À la discrimination raciale s’ajoute dans la plupart des cas, une discrimination sociale. Les femmes sont des cibles particulièrement faciles, comme le détaille le rapport 2004 d’Amnesty International sur le Nigeria. Le droit pénal, composé du Code pénal et du Code criminel, ainsi que les codes pénaux islamiques (Sharia) prévoient dans les États du nord du Nigeria la peine de mort pour un grand nombre d’infractions : entre autres, le vol à main armée, la trahison, le meurtre et l’homicide volontaire. Ce dernier chef d’accusation, souvent utilisé dans les cas d’avortement, touche particulièrement la population féminine. Au cours d’une mission au Nigeria en mars 2003, les délégués de l’organisation se sont entretenus avec sept femmes détenues dans la prison de Katsina (État de Katsina). L’une d’entre elles avait été déclarée coupable d’homicide volontaire et condamnée à mort par pendaison pour avortement. Dans cet État comme dans 11 autres du nord du Nigeria, on applique un droit issu de la Sharia. En Arabie saoudite, les ressortissants étrangers et les migrants souffrent de marginalisation, de pauvreté, de xénophobie et de discrimination, autant de facteurs qui influent sur les sentences. Ils ont peu de chance d’échapper à la peine capitale, faute de représentation légale suffisante, de soutien familial, ou même de comprendre leur situation pour ceux qui ne parlent pas la langue cier d’un bar de Cincinnati. M. Jamison a été condamné à la peine de mort en 1985 sur le faux témoignage de son complice Charles Howell, à qui la police promit une sentence moins sévère en échange de ses aveux. Durant le procès, l’accusation a caché les déclarations contradictoires de Howell qui auraient discrédité la version du procureur et conduit à suspecter d’autres personnes. Le principal témoin écarté du procès, James Sugg, était présent au moment du cambriolage. M. Suggs a affirmé qu’il n’était pas capable d’identifier formellement le suspect. Deux cours fédérales de justice ont établi que l’accusation avait bafoué les droits de M. Jamison à bénéficier d’un procès équitable. Il est aujourd’hui libre. Au Nigeria, les délais de procédure et leur forme sont régulièrement dénoncés par les ONG et les organismes internationaux. Pour l’ONG Prawa, les périodes de détentions préventives durent rarement moins de cinq ans dans les prisons nigérianes. Le contrôleur général des prisons lui-même affirme que les personnes accusées de crimes passibles de la peine capitale sont généralement maintenues plus de dix ans en détention préventive. Selon les statistiques fournies par le Ministère de l’Intérieur, Innocents, mineurs, handicapés mentaux, discriminations, tortures… du pays. Chacun de ces facteurs (et plus souvent en combinaison les uns avec les autres) est déterminant dans les affaires où la peine capitale est en jeu. D’après le Secrétaire exécutif de la Coalition mondiale, ECPM, « près des deux tiers des personnes exécutées sont des étrangers. Beaucoup d’exécutions sont infligées pour des homicides et des viols, mais un bon nombre de délits non violents restent punis par la décapitation : c’est le cas notamment de l’apostasie, de la sorcellerie, des violences sexuelles et des délits touchant à l’usage de la drogue. La justice saoudienne est particulièrement rigide avec les travailleurs étrangers, et notamment avec ceux provenant des pays pauvres du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Asie, qui représentent près d’un quart de la population saoudienne. Les travailleurs immigrés sont plus vulnérables aux abus de leurs patrons et des autorités : en cas d’arrestation, ils sont aisément abusés car forcés à signer un aveu en langue arabe, que bien souvent ils ne comprennent pas. Les travailleurs immigrés sont fréquemment torturés et plus souvent maltraités, flagellés, amputés et exécutés, que les citoyens saoudiens. Dans bien des cas, ils ne savent même pas que leur procès est terminé et qu’ils sont condamnés à mort ». Une justice extrajudiciaire… Pour être recevable, un verdict doit être issu d’un tribunal qui s’attache à respecter des règles de bonne procédure, les règles d’un procès équitable, aussi diverses que : droit d’accès en fait et en droit à un tribunal établi par la loi, indépendant et impartial ; délais de procédure « raisonnables »… Les procès aboutissant au prononcé de la peine capitale doivent particulièrement garantir les droits de la défense, c’est-à-dire la présomption d’innocence, le droit à un traitement humain lors de l’arrestation et de la détention, et l’assistance d’un avocat. Aux États-Unis, le 28 février 2005, le juge de l’Ohio Richard Niehaus a levé toutes les charges qui pesaient contre Derrick Jamison, accusé du meurtre du tenan- on comptait, en novembre 2003, quelque 25 000 accusés en attente de leur procès dans les prisons du pays. S’agissant des femmes dont le cas est évoqué dans rapport d’Amnesty International 2004, elles ont généralement été incarcérées après leur arrestation pour des crimes passibles de la peine capitale en attendant que leur dossier soit transmis par la police au parquet, qui décide de l’opportunité d’engager des poursuites judiciaires. Dans de nombreux cas portés à la connaissance de l’organisation, les dossiers ont été égarés et les femmes maintenues en détention sans jugement pendant plusieurs années, ce qui constitue une violation grave de leur droit fondamental à un procès équitable, et notamment du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Les fous condamnés… Comme pour les mineurs, exécuter des personnes atteintes de folie revient à mettre à mort des êtres sans défense et nullement responsables de leurs méfaits. C’est pourquoi, la Commission des Nations unies pour les droits de l’homme a demandé aux États, dans sa résolution du 20 avril 2005 de « ne pas faire subir la peine de mort à un individu qui souffrirait d’un quelconque trouble mental ou d’une incapacité intellectuelle, et de ne pas exécuter de tels individus ». Mais la question de la folie d’une personne est encore plus difficile à déterminer que son âge réel. Aux États-Unis, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle l’exécution de handicapés mentaux au mois de juin 2002. Dans l’affaire Atkins c. Virginie, à 6 voix contre 3, les juges ont estimé que l’exécution des handicapés mentaux était une violation directe de l’article 8 de la Constitution américaine, qui s’élève contre « les châtiments cruels et inhabituels ». Mais la Cour dans sa décision a omis de préciser l’interdiction d’exécuter toute personne « attardée mentale aux moments des faits incriminés ». Au final le même Daryl Atkins qui a ouvert la voix à cette décision historique risque aujourd’hui à nouveau la peine de mort. Son procès a été *50D83T* journée mondiale 15 Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Ils font la Journée mondiale Au Japon avec Maiko Tagusari À Hong Kong, avec Ho Tong WU Au Tchad avec Massalbaye Tenebaye Maiko Tagusari est représentante de Forum 90 Ho Tong WU est responsable du groupe Amnesty International de Hong-Kong Massalbaye Tenebaye est président de la Ligue tchadienne des droits de l’Homme Quelle initiative avez-vous organisé pour la Journée mondiale 2005 ? Forum 90 a monté une grande rencontre publique à Tokyo, le 8 octobre. Grâce à la couverture médiatique qui a précédé l’événement, 200 personnes ont participé. La rencontre a principalement consisté dans la performance d’une célèbre conteuse, Kaori Kanda, qui a fait revivre les exécutions sous l’ère Edo (XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle). Cette rencontre a également donné lieu à la tenue de tables rondes et à la présentation de peintures et de dessins réalisés par des prisonniers des couloirs de la mort. Quelle initiative avez-vous organisé pour la Journée mondiale 2005 ? Nous avons tenu une conférence de presse le 10 octobre pour mettre en lumière les cas de résidents Hongkongais condamnés à mort en Chine. Cette décision était stratégique dans la mesure où l’opinion publique et les principaux médias sont moins sensibles au sujet général de la peine de mort en Chine. Le témoignage de familles de prisonniers des couloirs de la mort s’est révélé une manière efficace de médiatiser la Journée mondiale et d’obtenir une couverture médiatique. À l’occasion de la campagne Cities for life, notre action s’est ensuite concentrée sur des cas particuliers de condamnations à mort à Singapour et aux États-Unis: Van Tong Nguyen, un citoyen australien, allait être exécuté par Singapour quelques jours après la veillée et le gouvernement américain s’apprêtait à procéder à la 1000e exécution depuis le rétablissement de la peine capitale en 1977. Un appel avait été lancé aux autorités locales pour qu’elles n’éclairent pas la ville en signe de deuil ce soir-là mais cet appel n’a pas été entendu. Quelle initiative avez-vous organisé pour la Journée mondiale 2005 ? Nous avons tout d’abord réfléchi à un programme d’action stratégique visant à l’abolition de la peine de mort au Tchad, avec de multiples ONG, représentant également les femmes et les jeunes. Nos travaux ont abouti à la Déclaration de N’Djamena du 12 octobre 2005, qui est un véritable programme, et à la création d’un Comité provisoire de réflexion sur la peine de mort qui vise à créer à terme la Coalition tchadienne contre la peine de mort. Nous avons également organisé une conférence débat qui a réuni 200 personnes dont des représentants d’ONG droits de l’homme et deux députés du parti majoritaire et d’opposition. La Coalition mondiale contre la peine de mort : 53 organisations Secrétariat exécutif : Ensemble contre la peine de mort Quel impact votre initiative a-t-elle eu ? Par définition, la question de la peine capitale n’était pas familière de la plupart des participants, mais par le biais de programmes comme le conte ou la projection de films, il devient plus aisé pour la plupart de réfléchir concrètement à l’enjeu de la peine capitale. Le public a réalisé que les prisonniers des couloirs de la mort sont des êtres humains, tout comme chacun d’entre nous. Et pour la 4e Journée mondiale ? Nous organiserons une rencontre similaire le 7 octobre à Tokyo. Cette année, notre invitée sera une comique, Kikuchiyo Kokontei. Quel impact votre initiative a-t-elle eu ? La conférence de presse a permis une couverture de l’événement par les principaux journaux chinois. La veillée a réuni 30 participants. L’impact des activités demeure limité puisque la peine de mort n’est pas un enjeu prioritaire à Hong Kong car elle y est abolie depuis 1993. Et pour la 4e Journée mondiale ? Nous envisageons d’organiser une action de sensibilisation publique le 10 octobre 2006, dans le but de faire prendre conscience à la population que la peine de mort est une violation des droits de l’homme. Quel impact votre initiative a-t-elle eu ? L’Assemblée générale qui devait présider à la création de la Coalition tchadienne contre la peine de mort n’a pas encore pu avoir lieu, faute de moyens financiers. Mais le bilan de la 3e Journée mondiale contre la peine de mort est positif. La conférence-débat a suscité de nombreuses interrogations au sein de la population. Cette dernière est partagée entre, d’une part, les arguments sécuritaires du gouvernement qui explique la nécessité du maintien de la peine capitale par référence à la loi du Talion, « œil pour œil, dent pour dent », et d’autre part, le refus de l’impunité et de la faiblesse de la justice, qui sont symptomatiques du fait que la peine capitale ne peut être la bonne solution. Si un important travail de sensibilisation reste à effectuer, le débat existe. Le code pénal prévoit les peines alternatives à la peine capitale, et la réforme programmée suite aux recommandations des États généraux de la justice de 2003, prévoit l’abolition de la peine capitale. La prochaine cible est le corps de la magistrature, qui choisit encore trop souvent la condamnation à mort, malgré l’existence des alternatives. Aux États-Unis avec Lance Lindsey Et pour la 4e Journée mondiale ? Notre objectif est de maintenir nos efforts et de consolider le travail accompli. Les principales pistes sont de tenir à nouveau une conférence-débat pour réitérer nos Quelle initiative avez-vous organisé pour la Journée efforts de sensibilisation, et d’organiser l’Assemblée générale qui permettra la création de la Coalition tchamondiale 2005 ? Le jour même nous avons tenu une conférence de presse dienne contre la peine de mort. Pour ce faire, nous reau cours de laquelle : une Coalition d’ONG a demandé cherchons encore des appuis financiers. l’abolition universelle de la peine de mort. Cet appel a rassemblé de nombreux groupes et communautés d’horizons différents, autour d’une position commune, contre le racisme, la violence et l’injustice, dans le système juridique américain. Mike Farrell, président de Death Penalty Focus, associé à d’autres dirigeants d’organisations de défense des droits de l’homme a manifesté son désaccord avec cette pratique du meurtre cautionné et organise par l’État en mettant en avant le cas de Stanley Tookie Williams (exécuté depuis, ndlr) et annonçant une campagne fédérale de demande de clémence à son e égard. Un effort politique destiné à obtenir un moratoire sur les exécutions en Californie a été annoncé. Le 23 octobre, Death Penalty Focus a également sponsorisé une exposition – Ensemble pour la Justice : Art et Activisme – avec la participation de l’artiste Malaquias Montoya qui a présenté son travail – et en présence de membres clé du mouvement abolitionniste: l’activiste Dolores Huerta, les acteurs Hector Elizondo, Shelley Fabares ainsi que le président de DPF, Mike Farrell. Lance Lindsey est directeur exécutif de Death Penalty Focus réouvert après que des tests eurent déterminé une remontée de son QI au-dessus des 70 points. Ses neuf années de couloir de la mort et de lutte juridique auraient développé ses capacités d’analyse et favorisé ses liaisons neuronales… Quant au cas de Steven Parkus, il illustre une autre facette de la détresse des handicapés mentaux face à un système pénal qui ne protège pas leurs droits. Victime de violences physiques et sexuelles depuis son enfance, Steven a été diagnostiqué schizophrène, psychotique et malade mental dès l’âge de huit ans. À 12 ans, il a été placé dans un centre de détention juvénile, où son traitement médical a cessé. À 17 ans, il est condamné à autant d’années de prison pour l’agression d’un professeur. Il sera à nouveau violenté sexuellement et physiquement par ses codétenus. Aucun traitement médical ne lui fut administré pour ses troubles mentaux. En 1985, il tue son ami et codétenu Mark Steffenhagen, également victime de violence en milieu carcéral. Steven Parkus plaidera qu’il voulait soustraire son ami à de nouvelles agressions. Au procès, l’avocat de M. Parkus n’a pas pu prouver ses antécédents mentaux. Les dossiers médicaux n’étaient pas probants, celui-ci n’ayant pas consulté le bon hôpital. M. Parkus a été condamné à mort. Passant outre le fait que le jury aurait prononcé une autre peine s’il avait su que Parkus était mentalement malade, les juges ont rejeté son appel au motif qu’aucune violation de la Constitution n’avait était constatée. Interdit aux moins de 18 ans Si le droit international encourage les États à supprimer l’application de la peine de mort pour les individus qui n’ont pas atteint l’âge de 18 ans au moment du crime, nombreux restent malgré tous les pays qui continuent à ne pas tenir compte des traités et protocoles signés. Aux États-Unis, il faudra attendre l’année 2005, pour que la Cour suprême dans une jugement du 1er mars, interdise définitivement l’exécution des criminels mineurs. Depuis 1990, la Chine, la République démocratique du Congo, l’Iran, le Nigeria, le Pakistan, l’Arabie saoudite, les États-Unis et le Yemen ont mis à mort des mineurs délinquants. Mais c’est en Iran que la situation demeure la plus préoccupante : huit mineurs ont été exécuté en 2005 et un jeune homme de 17 ans pendu en mai 2006. D’après Amnesty International « depuis environ quatre ans, les autorités iraniennes envisagent de promulguer une loi qui interdirait le recours à la peine de mort pour les mineurs délinquants. Le 11 octobre 2005, Jamal Karimirad, ministre de la Justice, agissant en qualité de porte-parole du pouvoir judiciaire iranien, aurait déclaré à l’Agence d’information des étudiants iraniens que si un tel projet de loi était adopté par le Majlis (le Parlement), les personnes âgées de moins de 18 ans ne seraient plus exécutées. Toutefois, il établissait une distinction entre meurtres pouvant donner lieu à qisas – “réparation” [selon une interprétation du droit musulman, le plus proche parent masculin de la victime d’un meurtre a le droit d’obtenir réparation ; il peut, au lieu d’exiger l’application de la sentence capitale, choisir le paiement de la diya (prix du sang) ou même pardonner au meurtrier] et autres infractions passibles de la peine de mort, les qisas relevant, selon lui, du domaine privé plutôt que du domaine public ; il assurait toutefois que l’on s’efforçait de trouver aussi une solution concernant les qisas. Il apparaît clairement dans ces déclarations que le projet de loi en cours d’examen reste assez éloigné des mesures nécessaires de toute urgence pour que l’Iran se conforme à ses obligations internationales au titre du PIDCP et de la Convention relative aux droits de l’enfant. » Dossier réalisé par Charlotte Beaucillon 2007 à la veille des Jeux Olympiques de Pékin la 5 journée mondiale sera consacrée à la Chine Quel impact votre initiative a-t-elle eu ? Une couverture de l’événement par les principaux médias a aidé à lancer cette initiative et à mobiliser des communautés clé ainsi que des leaders politiques au profit des condamnés à mort. Cette couverture a également permis d’accroître de manière significative la connaissance du public quant aux aléas du système judiciaire américain. Et pour la 4e Journée mondiale ? Nous apporterons notre soutien à l’événement organisé par Amnesty International « Week end of Faith in action on the death penalty » qui se déroule aux États-Unis. Le 26 octobre, nous organisons une table ronde au centre pastoral du diocèse de San Bernardino au Canada, autour du thème des condamnations injustes: Gloria Killian, une innocente condamnée pour effraction, vol et meurtre témoignera de son expérience et donnera son point de vue sur le système judiciaire. 2005 la journée mondiale « l’Afrique en marche vers l’abolition ! » Avec pour thématique « L’Afrique en marche vers l’abolition », l’édition 2005 de la Journée mondiale (3e du genre) a été célébrée dans 46 pays et saluée par l’Union européenne, le Conseil de l’Europe, la France et le Mexique… Au total, 263 initiatives ont été organisées à travers le monde et une pétition internationale invitant les chefs d’État africains à abolir a recueilli pas moins de 42 300 signatures, remises à la Présidence de l’Union africaine en juin dernier. • Acat France • American Friends Service Committee • Amnesty International • Amnesty International section marocaine • Association marocaine des droits humains • Ville d’Andoian • Barreau de Paris • Ville de Braine l’Alleud • Campagne nationale pour l’abolition de la peine de mort au Liban • Center for Prisoner’s Rights • Centre pour les droits des gens • Collectif unitaire national de soutien à Mumia Abu-Jamal • Comité national pour l’abolition de la peine de mort au Maroc • Comité Paul Rougeau • Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation • Communauté de Sant’Egidio • Conférence internationale des Barreaux • Culture pour la paix et la justice • CURE – Missouri • Death Penalty Focus • Droits et démocratie • Ensemble contre la peine de mort • Fédération internationale des chrétiens pour l’abolition de la torture • Fédération internationale des droits de l’homme • Fédération syndicale unitaire • Forum 90 Japan • Forum marocain pour la vérité et la justice • Foundation for human rights initiative • International Helsinki Federation for Human Rights • Italian Coalition to Abolish the Death Penalty • Journey of Hope • Lifespark • Ligue des droits de l’homme • Lutte pour la justice • Ville de Matera • Mothers Against the Death Penalty • Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples • Murders Families Victims for Reconciliation • Murder Victims’ Families for Human Rights • National Association of Criminal Defence Lawyers • National Coalition to Abolish the Death Penalty • National Lawyers Guild • Observatoire marocain des prisons • Organisation marocaine des droits humains • Organisation mondiale contre la torture • Penal Reform International • People of Faith Against the Death Penalty • Puerto Rican Coalition against death penalty • Ville de Reggio Emilia • Région toscane • Réseau d’activistes iraniens pour la défense des droits de l’homme en Europe et Amérique du Nord • Texas Coalition to Abolish the Death Penalty • Ville de Venise J M DATE DE PARUTION : C N FORMULAIRE D’INSCRIPTION *50D84T* ECPM 16 Michel Taube est délégué général et porte-parole d’Ensemble contre la peine de mort du jeudi 1er au samedi 3 février 2007 à Paris (France) organisé par Ensemble contre la peine de mort Pour l’abolition constitutionnelle ! par Michel Taube Journal de l’abolition • n° 8 • septembre 2006 Le 2 janvier dernier, le président de la République annonçait sa décision de réviser la Constitution française et d’y inscrire l’abolition de la peine de mort. « Une telle révision, en inscrivant solennellement dans notre Constitution que la peine de mort est abolie en toutes circonstances, consacrera l’engagement de la France. Elle témoignera avec force de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine », ajoutait Jacques Chirac. Cette initiative, presque inattendue puisque la ratification traînait depuis dix sept ans déjà, est en fait destinée à permettre à la France de ratifier le seul instrument international de portée universelle en la matière : le 2e protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, visant à abolir la peine de mort en toutes circonstances, notamment en temps de guerre. Le président de la République a certainement tenu compte du fait que la France est en retard, avec la Pologne et la République tchèque, sur les grandes démocraties européennes qui ont, pour la plupart, ratifié cette convention internationale. Le Canada vient de le faire en 2005. A ce jour, seuls 55 des 98 États abolitionnistes ont ratifié cet instrument adopté pourtant déjà en 1989. La réunion du Congrès de la République à Versailles pourrait, selon nous, intervenir judicieusement le 9 octobre prochain, 25 ans après, jour pour jour, la promulgation de la loi abolissant la peine capitale en France, et à la veille de la Journée mondiale contre la peine de mort. Pourquoi une telle révision constitutionnelle ? Je, soussigné(e), M. MME NOM : MLLE ...................................................... PRÉNOM : TITRE : . ................................................. ..................................................... ORGANISME : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ADRESSE : CP : ................................................. ......................................................... . VILLE : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . PAYS : ...................................................... TEL. : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. FAX : ....................................................... . E-MAIL : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je souhaite que mes coordonnées ne soient pas réutilisées ultérieurement par les organisateurs je m’inscris Les droits d’inscription doivent être réglés en Euros. je verse la somme de 200 euros et en tant que congressiste, je recevrai : • les conseils de notre chargée d’accueil congressistes, une invitation au buffet / cocktail d’accueil des congressistes et des intervenants le jeudi, une invitation au cocktail du vendredi, 3 repas-déjeuners ; • la « valise du congressiste » comprenant les Notes de recherche préparatoires des débats, les Actes du 2e Congrès mondial de Montréal, le rapport annuel d’ECPM « Abolir 2007 », deux éditions du Journal de l’Abolition (Spécial 25 ans et spécial Congrès mondial), l’affiche officielle de « Paris 2007 ». • les actes du 3e Congrès mondial contre la peine de mort je soutiens ECPM dans les couloirs de la mort rwandais Deuxième étape du programme Afrique des Grands lacs d’ECPM, la mission d’enquête dans les couloirs de la mort de Kigali (Rwanda) a permis a Maela Bégot et ses enquêteurs de recueillir plus de 100 témoignages de condamnés à mort. Le rapport de mission sera publié le 10 octobre. Éclairage. Un consensus plus large que ce que l’on croit L’abolition constitutionnelle soulignerait une adhésion très forte des forces politiques du pays à la cause de l’abolition, symbolisée par la continuité, au-delà de leurs divergences politiques, qui unirent, sur cette question, deux présidents de la République successifs : François Mitterrand et Jacques Chirac. Mais cette continuité dépasse les deux hommes… Si le combat pour l’abolition fut en France, depuis deux siècles, porté par la gauche, si François Mitterrand décida de faire abolir cette peine vaine et cruelle (l’abolition est inscrite en lettres d’or dans son héritage), l’initiative constitutionnelle de Jacques Chirac nous rappelle que, dès les années 1970, des parlementaires de droite avaient demandé l’abolition : Pierre Bas le premier en 1978, Bernard Stasi, Adrien Zeller (aujourd’hui président de la Région Alsace) et Philippe Seguin. « Elle témoignera avec force de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine » Jacques Chirac Faut-il craindre la révision, notamment en cette année électorale où la majorité du Parlement est à droite ? D’aucuns laissent entendre qu’il pourrait ne pas se trouver une majorité des trois cinquièmes des parlementaires pour voter une telle révision constitutionnelle. Nous ne partageons nullement ces craintes. Tout d’abord, quel est l’état de l’opinion publique ? Depuis le début des années 2000, les sondages prouvent qu’une majorité de l’opinion publique est abolitionniste. Le dernier sondage annuel de décembre 2005 Le Monde / RTL réalisé par TNS-Sofres fait état de 63 % des Français hostiles au rétablissement de la peine de mort (ils étaient 53 % en 2000) contre 34 % (45 % cinq ans plus tôt). Selon la même enquête, la peine de mort est même l’opinion frontiste qui rencontre le moins d’adhésion parmi les sondés, à l’exclusion de la préférence nationale en matière d’emploi et de prestations sociales qui se trouve encore plus largement rejetée. Côté Parlement, ne nous étendons pas sur l’isolement de ces 49 parlementaires de droite qui demandèrent en Ibuka (Souviens toi en kinyarwanda), association qui s’exprime au nom des rescapés, maintient une position clairement en faveur de la peine capitale seule solution à leurs yeux pour éradiquer la culture de l’impunité et les idées génocidaires qui caractériseraient toujours les condamnés à mort. Des exécutions impossibles Je soutiens ECPM et verse un don de … … … … Euros en vue de l’organisation du 3e Congrès mondial contre la peine de mort « Paris 2007 ». Je recevrai un reçu fiscal. TOTAL du règlement : Malgré la symbolique de la révision constitutionnelle, il faut néanmoins souligner que c’est une mauvaise raison qui oblige la France à modifier sa Constitution. En effet, tout est parti d'une décision du Conseil constitutionnel du 13 octobre 2005 qui subordonne la ratification du protocole 2 à une révision préalable de la Constitution tout en autorisant celle du protocole 13 de la Convention européenne des droits de l'homme qui pose pourtant le même principe. Le 2e protocole ne pouvant, contrairement à son « homologue » européen, être dénoncé, le Conseil a considéré que « porte atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale l’adhésion irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent à celle-ci ». De ce fait, il « lierait irrévocablement la France même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l’existence de la Nation ; il porte dès lors atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, (…) méconnues non par l’engagement d’abolir la peine de mort, mais par l’irréversibilité de cet engagement ». Le raisonnement qui a guidé les neuf Sages relève, selon nous, d’une conception bien trop régalienne de la souveraineté, partagée dans peu de pays européens. Renoncer, de façon irréversible, à l’exercice d’une prérogative de souveraineté qui viole une des libertés fondamentales, cela s’appelle rendre irréversible le respect de l’État de droit. Le Conseil n’a d’ailleurs trouvé dans la Constitution aucune disposition contraire aux deux protocoles internationaux. Rappelons qu’une conception encore plus régalienne a freiné, pendant des années, la ratification du proto- cole 2 : certains corps de l’État, au Ministère de la Défense notamment, ont soutenu que les deux protocoles étaient incompatibles avec l’article 16 de la Constitution. Heureusement, le Conseil constitutionnel n’a pas estimé « que le recours à la peine de mort constituait un moyen nécessaire au président de la République pour rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » en cas de crise majeure. … … … … Euros par chèque bancaire en euros, à l’ordre de ECPM. par virement bancaire en euros par mandat poste en euros Nom de la banque : Crédit Coopératif Paris Nation Adresse : 252, BD Voltaire 75544 PARIS Cedex 11 BIC : CCOPFRPPXXX N°IBAN : FR76 4255 9000 0821 0297 4370 141 Numéro de compte : 21029743701 Date : … … /… … /… … … … Signature Plus de 12 ans après le génocide, et dans un contexte de difficile « réconciliation », une équipe composée de représentants d’ECPM et du CLADHO, collectif qui regroupe les principales organisations de défense des droits de l’homme locales, a enquêté au Rwanda sur les conditions de vie des condamnés à mort du pays. Le Rwanda s’est récemment lancé dans un débat sur l’abolition de la peine capitale, qui a pris de l’ampleur à l’approche du dépôt au Parlement d’un texte de loi visant à exempter de la peine de mort les accusés de génocide qui seraient transférés du Tribunal pénal international d’Arusha pour le Rwanda ou de pays européens et nordaméricains. Mais le débat politique dépasse aujourd’hui largement le simple cas de ces personnes transférées, et ce alors que le Rwanda doit revoir en profondeur son Code pénal en 2007. Opinion et acteurs divisés Du côté de la société civile, des voix en faveur de l’abolition se font entendre au sein des églises chrétiennes et des ONG locales de défense des droits de l’homme, telle que le Cladho, qui a pris position contre la peine de mort pour la première fois en 2005 et mène depuis des actions de sensibilisation en vue de l’abolition. En revanche Merci de nous retourner ce formulaire dûment rempli accompagné de votre règlement (chèque bancaire, bordereau de virement ou de mandat poste) à ECPM : 5, rue Primatice 75013 PARIS FRANCE Tél. : (0033) 01 47 07 61 60 Fax : (0033) 01 47 07 65 10 pour en savoir plus… Rendez-vous sur Internet www.abolition.fr 50D84 Cependant, il est politiquement impossible pour un État qui survit sous perfusion financière d’exécuter les 814 condamnés à mort civils : des exécutions officielles attireraient les foudres de ses principaux bailleurs, et il est probable que, sans l’abolition, le Rwanda maintienne indéfiniment un moratoire de fait sur les exécutions, ou mette en place quelques « exécutions » pour l’exemple, arbitraires. S’il n’y a pas eu d’exécution judiciaire depuis plus de 8 ans, la peur des condamnés est, malgré tout, bien réelle, surtout au moment des commémorations où ils craignent que se répètent les fusillades publiques de 1998. Chaque mouve- 2004 le rétablissement de la peine de mort pour les criminels terroristes (citons Olivier Dassault, Eric Raoult, Georges Mothron…), ou sur ces élus qui, quelques années auparavant, comme Charles Pasqua, l’avaient requise pour les assassins d’enfants. Contentons-nous de rappeler le résultat du vote de 1981 : sur les 369 députés qui votèrent l’article 1 de la loi d’abolition « La peine de mort est abolie. », outre les élus communistes, radicaux et socialistes (sauf un), 150 vinrent également des bancs de la droite : Jacques Chirac était des leurs. Citons également pour le RPR Michel Barnier, François Fillon, Michel Noir, Etienne Pinte, Philippe Seguin, Jacques Toubon. Et pour l’UDF, Jacques Barrot, Jacques Blanc, Pierre Méhaigneurie, André Rossinot, Pierre Soisson, Bernard Stasi, Olivier Stirn. Le Sénat lui-même, largement à droite, surprit les observateurs en votant le texte en première lecture. Donc déjà en 1981, plus des trois cinquièmes des parlementaires (529 des 768 votants, soit 68,88 %, si l’on additionne les deux assemblées) votèrent l’abolition dans le contexte, à l’époque, d’une opinion publique favorable à la peine capitale ! Si le courage fut pour la gauche, pour François Mitterrand et Robert Badinter, pour ce qui relève de l’intime conviction de chacun, celle-ci déborda manifestement - et largement - les clivage politiques, déjà en 1981 ! Nous sommes donc sereins quant à l’issue du vote du Congrès dans les prochaines semaines. Pour un article constitutionnel fort Nous espérons que, pour la révision de la Constitution, le gouvernement ne se contentera pas de proposer un article technique, tel un article 53.3 relatif aux traités et engagements internationaux qui stipulerait que la France ratifie les protocoles 2 et 13, comme le Congrès le fit avec la Cour pénale internationale en introduisant l’article 53.2. Un nouvel alinéa à l’article 66 qui interdit toute détention arbitraire, dans le Titre VIII portant sur l’autorité judiciaire, serait déjà plus judicieux. Mieux encore, puisque le préambule de 1946 ne peut être modifié, nous proposerions volontiers un nouveau Titre de la Constitution « De l’abolition » qui pourrait contenir un seul article reprenant mot pour mot l’article II.2 de la Charte européenne des droits fondamentaux qui dispose : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté. » En toutes circonstances pourrait-on ajouter… Terminons sur ce fait : le ministre qui montera au perchoir du Congrès pour demander, au nom du gouvernement, le vote de la révision constitutionnelle sera Pascal Clément, Garde des Sceaux… Celui-là même qui, en 1981, défendit à la tribune de l’Assemblée nationale le rejet de la loi présentée par Robert Badinter. N’y voyons aucune ironie : en vingt-cinq ans, beaucoup de Français ont évolué sur cette question fondamentale de la peine de mort et reconnaissent enfin qu’elle est une violation des droits humains et une peine excessive et non dissuasive. Pascal Clément, suivi par Robert Badinter… Une inversion de l’histoire qui souligne la vraie victoire des abolitionnistes : il existe aujourd’hui en France un consensus politique large sur l’abolition. ment inhabituel au sein de leur prison leur fait craindre une mise à mort imminente, et ils sont suspendus à la radio où avaient été annoncées les dernières exécutions. Dans les couloirs de la prison de Mpanga Lors de nos visites à la prison de Mpanga, l’une des plus grandes prisons du pays, où les condamnés a mort sont censés à plus ou moins long terme être tous transférés, nous avons pu, grâce à une équipe de sept enquêteurs, interviewer près de 115 personnes (hommes et femmes) condamnées à la peine capitale pour génocide ou crimes de droit commun. Si le débat se focalise autour du sort des personnes impliquées dans le génocide, il ne faut pas oublier que 25 % des condamnés à mort de sexe masculin sont dans les couloirs pour des crimes de droit commun. A travers ces entretiens, nous avons pu évaluer leurs conditions de vie dans la prison de Mpanga, souvent présentée comme une prison modèle, car récente et construite selon les standards internationaux afin de pouvoir accueillir les personnes transférées par Arusha. Pourtant cette prison est très isolée, et les condamnés a mort en souffrent beaucoup : ils ne peuvent recevoir de visites, ce qui accentue les problèmes de malnutrition dont tous se plaignent, et ils sont en outre éloignés des instances judiciaires qui traitent leurs dossiers. Un rapport à paraître en octobre Le rapport de la mission d’enquête dans les couloirs de la mort rwandais sera publié le 10 octobre 2006 à l’occasion de la 4e journée mondiale contre la peine de mort. Il sera basé essentiellement sur les entretiens effectués avec les condamnés afin de donner la parole à ces « oubliés » qui sont nombreux à attendre dans les geôles de la mort sans savoir quel sera leur sort au final. Maela Begot