Ethique et pouvoir - Pierre
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Ethique et pouvoir - Pierre
Ethique et pouvoir Pierre-Yves Le Borgn’, Ségovie, 30 mai 2016 Cher Monsieur Gil-Robles, Mesdames, Messieurs, « Liberté, égalité, fraternité », cette devise inscrite dans la Constitution française et qui trouve ses origines à la Révolution de 1789 est à la base de notre démocratie. Une démocratie n’est véritablement le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple que si les représentants chargés de gérer les affaires en son nom suite à une élection respectent un certain nombre de principes au premier nombre desquels se trouve l’éthique C’est sous l’Antiquité qu’on trouve la première référence à ce qui constitue alors une discipline philosophique se fondant sur les valeurs, la vertu et le principe de la Raison, et qui vise à élaborer des normes afin d’encadrer l’action de l’homme. Dans nos sociétés européennes modernes, l’éthique se voit conférer une place importante. On la retrouve dans des textes comme les lois bioéthiques qui encadrent l’usage du corps humain, l’expérimentation sur les embryons ou la fin de vie. L’éthique est également au fondement de l’organisation de nombreux ordres professionnels (médecins, avocats,…) où elle prend la forme d’un code de déontologie dont la violation peut conduire la personne concernée à être radiée de l’ordre auquel elle appartient et à ne plus pouvoir exercer sa profession. Le sujet que vous m’avez invité à développer ce soir étant « éthique et pouvoir », je me concentrerai sur un autre domaine, celui du politique. Les hommes et femmes politiques qui se voient conférer un mandat par leurs concitoyens doivent agir au nom de l’intérêt général et non d’intérêts particuliers. Le cadre juridique est nécessaire, mais il n’est pas forcément suffisant. Il faut aussi une autodiscipline, une volonté et un cadre personnel. C’est tout au moins ce que je crois pour diriger mon action de député. Je vais m’efforcer de vous l’expliquer. 1 1. L’éthique et le pouvoir, c’est d’abord de rester fidèle à ses valeurs et à ses principes dans l’exercice des responsabilités, en l’occurrence législatives pour ce qui me concerne. Quand bien même nous vivons en Europe dans des sociétés démocratiques, encadrées et protégées par l’Etat de droit, il existe dans l’exercice du pouvoir une dimension discrétionnaire importante et au demeurant nécessaire. Un Parlement, un gouvernement doivent être en mesure d’opérer des choix souverains, d’affronter des circonstances impromptues, exceptionnelles ou dramatiques. L’éthique de ces choix souverains, c’est pour moi de les expliquer, de les resituer dans un contexte, de justifier pourquoi je les fais et de solliciter toujours la réaction et la critique des citoyens. Avant d’être élu député, j’ai longtemps regardé la vie politique comme un citoyen parmi d’autres et je m’étonnais que les élus – à commencer par les parlementaires – ne rendent pas suffisamment compte de leurs décisions, de leurs votes et même aussi de leurs doutes. Personne n’est omniscient. Et espérer, souvent par lâcheté d’ailleurs, que les citoyens comprennent une situation pour se dispenser d’en parler est une lourde erreur. Dans l’exercice d’un mandat, il faut avoir un souci constant de pédagogie. Le Parlement peut être une bulle. La vie politique elle-même, si l’on n’y prête pas garde pour mieux s’en prémunir, est un microcosme redoutable. Une large part de l’anti-parlementarisme que l’on pressent malheureusement dans mon pays et que le vote récent pour des partis extrémistes confirme tient – j’en suis persuadé – à l’absence d’échange sincère et libre entre les élus et les citoyens, desquels ils tiennent pourtant leur légitimité. Par échange sincère, j’entends le dialogue. L’éthique, c’est non seulement affronter la critique, c’est également et prioritairement de la revendiquer. 2. Député, je tiens un blog sur lequel je rends compte de tous mes votes, de toutes mes prises de position, de tous mes rapports et travaux parlementaires à Paris comme au Conseil de l’Europe, de tous mes déplacements. Il y aura ainsi un 2 compte-rendu demain sur notre échange ce soir ici à Ségovie. Les citoyens doivent être en mesure de suivre mes activités et de m’interroger à tout moment. Je réponds à tous les mails et les courriers qui me sont adressés personnellement, sans aucune exception. Partout où je me déplace, je tiens des permanences pour recevoir les Français individuellement et j’organise aussi des réunions publiques de compterendu de mandat. Mais l’éthique, c’est aussi d’assumer sa liberté à l’occasion d’un vote et de savoir résister ce faisant à toutes les pressions, politiques, partisanes ou économiques en fonction de ce que l’on croit juste. Il m’est arrivé de voter à l’Assemblée nationale contre le gouvernement, éventuellement avec l’opposition, malgré le choix différent fait par mon groupe parlementaire, sur des questions qui touchaient profondément à ma conscience de citoyen. C’est en particulier le cas sur l’état d’urgence en France et plus généralement sur l’ensemble des mesures législatives que je juge menaçantes pour les droits et les libertés fondamentales. Assumer sa liberté de vote n’est pas facile. Les pressions peuvent être lourdes et les menaces ne sont jamais trop lointaines. Je pense cependant que l’on est digne du mandat de parlementaire lorsque l’on ne recule pas face aux circonstances ou aux ambitions. L’éthique dans l’exercice du pouvoir, c’est de rester fidèle à soi-même et de le faire savoir, calmement et solidement. 3. L’éthique, c’est aussi d’accepter que l’exercice du pouvoir est par essence temporaire. La vie politique n’est en cela pas différente de la vie sportive, pour prendre un exemple qui pourra surprendre. Il faut savoir s’en aller, éviter le tour de trop, éviter de lasser. Je suis pour la limitation du nombre de mandats dans le temps. Il n’est ni juste ni sain pour la vie démocratique qu’une personne puisse siéger sans fin dans un Parlement ou à la tête d’une commune, d’une région ou d’un pays. La crise de confiance dans la vie politique, commune à de nombreux pays d’Europe, vient notamment de ce que l’on voit toujours ou trop longtemps les mêmes têtes aux mêmes responsabilités. 3 Il arrive un moment – et c’est humain – où l’énergie est mise davantage à durer qu’à agir pour l’intérêt général. La vie politique peut ainsi donner l’impression d’une caste, avec ses codes, ses habitudes et peut-être même ses impunités. C’est pour cela que je suis partisan d’une limitation des mandats dans le temps. Combien de mandats ? Deux ou trois, pas plus. Je sais, vous disant cela, que je ne suis certainement pas majoritaire sur cette position à l’Assemblée nationale ni dans mon groupe parlementaire. Je ne conçois pas la vie politique comme un métier. J’ai été juriste d’entreprise durant plus de 20 ans avant d’être élu. En tout état de cause, je m’appliquerai à moimême cette que je propose et ne solliciterai pas de 3ème mandat de député, à supposer que j’en conquiers un second l’an prochain aux élections législatives, ce à quoi je vais m’atteler ! Quitter un mandat n’est pas disparaître de la vie publique, c’est retrouver un parcours professionnel, réfléchir et se régénérer, en un mot agir différemment et ailleurs pour le bien commun. 4. L’éthique, c’est enfin se prémunir des conflits d’intérêts, du mélange des genres, volontaire ou involontaire. Avant d’être élu, je travaillais comme cadre-dirigeant d’une société de fabrication de panneaux solaires. Elu deputé, je me suis imposé une période durant laquelle je me suis tenu à l’écart de l’ensemble des sujets liés à l’énergie. Le sentiment de frustration de ne pouvoir m’exprimer sur des questions que je connais fort bien m’ont poussé au bout d’un an et demi de mandat à prendre rendez-vous avec la déontologue de l’Assemblée nationale. Elle a écarté mes craintes de conflit d’intérêt, souriant de mon autolimitation, et m’a encouragé à intervenir sur ces sujets que je connaissais bien, en mentionnant simplement que cette connaissance provenait d’un passé professionnel. Quel est le cadre juridique en matière d’éthique s’imposant aux élus et aux membres du gouvernement ainsi qu’au financement des partis politiques ? Sur la base des travaux d’une commission mise en place par la Président Hollande et suite au scandale de fraude fiscale de l’ancien Ministre des finances Jérôme Cahuzac, une loi 4 organique et une loi ordinaire relatives à la transparence de la vie publique ont été adoptées en 2013 afin de lutter contre les conflits d'intérêts et améliorer la transparence démocratique. Elles imposent notamment aux élus de fournir une déclaration d'intérêts et une déclaration de situation patrimoniale. Elles créent par ailleurs une nouvelle autorité administrative indépendante. Cette Haute Autorité pour la transparence de la vie publique créée est chargée de recevoir, contrôler, avec l'administration fiscale, et publier les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d'intérêts des élus, des membres du gouvernement, et de certains de leurs collaborateurs ainsi que des dirigeants d'organismes publics. Voilà, rapidement brossées, les réflexions et l’expérience sur l’éthique et le pouvoir que je souhaitais partager avec vous. Il y a d’abord la volonté personnelle, le sens de la responsabilité, la morale que l’on choisit de se donner et à l’égard de laquelle on agit. Puis il il y a les codes de bonne conduite et les autorités chargées de les faire appliquer, qui sont une avancée importante dans le long chemin destiné à redonner aux citoyens confiance dans leurs élus. Les scandales financiers qui touchent des élus ou anciens élus minent en effet cette confiance car leur fonction devrait les conduire à avoir une attitude exemplaire. Des règles et des instances de contrôle ne suffisent toutefois pas, c’est aussi une évolution « culturelle » qui est nécessaire. Les Etats qui, à l’instar du Danemark et de la Finlande sont en tête du classement de Transparency International, doivent à cet égard nous servir de modèle. Je vous remercie de votre attention. 5