Œuvreet ambition du cinémad`Alain Resnais
Transcription
Œuvreet ambition du cinémad`Alain Resnais
dossier Œuvre et ambition du cinéma d’Alain Resnais Par Jean-Yves Archer Léonard de Vinci 1985 Économiste L’œuvre étonnante d’un subtil sorcier de la pellicule. C omme l’a indiqué le président Roosevelt, avec amplitude la convocation post-mortem le 7 décembre 1941 restera comme d’une troupe d’acteurs dans le sud de la un jour marqué par « l’infamie ». Il visait, France. Conduite à émettre un jugement par ses propos, l’attaque japonaise contre sur la nouvelle version de sa pièce de Pearl Harbor. Pendant ce temps-là, le théâtre Euridyce, ce film est une sorte même jour, étaient pris les décrets « Nuit d’ode amoureuse aux acteurs tout en étant et Brouillard » par ce régime de Vichy lui la déclaration de sa flamme au théâtre sur aussi marqué du sceau de l’infamie. Dix ans un mode funèbre mais libre. après la capitulation nazie, donc en 1955, La Rochefoucauld a écrit : « Ni la mort ni sortait un documentaire aussi rigoureux que le soleil ne peuvent se regarder fixement » : bouleversant : son auteur, Alain Resnais, cette maxime aide à décrypter ce qu’Alain réalisait ainsi une œuvre Resnais a voulu faire historique, humaniste et passer comme message. « Ni la mort ni le factuelle sur les camps D’ailleurs – et c’est une soleil ne peuvent se d’extermination de la ambition comblée de ce regarder fixement » : réalisateur – il a toujours Seconde Guerre mondiale. Inc ontestablement la travaillé en « faisant du cette maxime aide à rigueur intellectuelle de décrypter ce qu’Alain cinéma ». Il déclarait ainsi Resnais l’a conduit à au Monde en 2012 (à Resnais a voulu réaliser un film à valeur Isabelle Regnier) : « Je suis faire passer comme historique. De surcroît, il a satisfait si les spectateurs su conserver authenticité comprennent qu’ils ne sont message mais humanisme dans pas devant du cinéma son propos sur ce sujet si difficile. Enfin, vérité, qu’ils sont bien devant des acteurs, anticipant le remarquable Shoah de Claude maquillés, qui ont appris leur texte ». Ici Lanzmann (diffusé en 1985), il a été en se situe, selon nous, un des paradoxes mesure d’être factuel et parfaitement d’Alain Resnais qui proclame son désir intègre dans ce propos qui déchaîne les d’un cinéma visible comme fiction mais passions. C’est donc un morceau de la qui, en même temps, sait confectionner fierté du septième art de notre pays que des œuvres profondément ancrées dans ces deux hommes ont réussi à porter alors le réel. C’est ce qu’ont ressenti la plupart même que l’État français de Vichy ne des spectateurs de « Cannes classics » qui fût très rapidement qu’une machine de projetait cette année, lors du 66e Festival, collaboration et qu’un trop gros rouage de le film Hiroshima mon amour. l’ignominie pour notre nation millénaire. Resnais ayant souvent tourné avec une Au moment où Shoah sortait en salle, bande fétiche d’acteurs (parmi lesquels en 1985, l’agile Alain Resnais avait déjà Sabine Azéma, Pierre Arditi, le duo Bacriréalisé, en collaboration avec Marguerite Jaoui, André Dussolier, etc ) : nul doute Duras, le célèbre Hiroshima mon amour en que ceux-ci ont dû être émus devant 1959, qui lui a permis de faire prospérer cette immense stature de notre cinéma une des lignes de force de son ambition : qui résiste au vertige des années (né en faire ressentir au spectateur le caractère 1922). Dans ces Préceptes et réflexions, fini de l’existence humaine. C’est vrai le duc de Lévis a écrit : « L’imagination de la bombe d’Hiroshima et aussi des peint, l’esprit compare, le goût choisit, femmes tondues de la Libération. C’est le talent exécute ». Hors figure de style, aussi vrai d’un film récent (2012) intitulé sincèrement, cet énoncé s’applique au Vous n’avez encore rien vu, qui développe cinéma d’Alain Resnais et à son ambition. / juillet-août 2013 / n°433 13 dossier Cinéma & Pouvoirs C’est particulièrement approprié à l’analyse du film de 1966 écrit par Jorge Semprun qui décrit la vie d’un militant communiste bien évidemment républicain face au péril franquiste. Oui, l’imagination de Resnais peint dans La Guerre est finie. Oui, son esprit compare et nous amène à comparer des options politiques. Oui, son goût choisit de profonds travellings pour accroître la dramaturgie. Et enfin, oui, son talent exécute et forge un chef d’œuvre qui fait encore autorité. Des films d’accès plus facile Parallèlement à cette référence omnipré sente au caractère transitoire de toute vie, Alain Resnais a su réaliser des films d’accès plus facile mais dont la lecture demeure dense car il ne manque pas une occasion de faire passer un message. Son goût pour l’intégrité, sa distance à l’argent sont clairement perceptibles dans Stavisky sorti en 1974 à l’heure où la bougie des « Trente glorieuses » a décidé de s’éteindre. La flamme de Resnais, elle, ne va pas faiblir et il réalisera notamment un film déroutant Smoking / no smoking. Déroutant car le film est issu de l’adaptation de huit pièces d’Alan Ayckbourn (Intimate exchanges) et voit Sabine Azéma et Pierre Arditi jouer onze rôles distincts. Cette incursion vers le monde du théâtre est impressionnante et fait partie de l’ambition d’Alain Resnais. Il l’avait déjà esquissé dans le célèbre L’Année B U L L E T I dernière à Marienbad (1961), où un hôtel « tau » renvoie à des investigations qui de luxe est à la fois prétexte et support à la mériteraient un film de Resnais. En effet, volonté de conviction qu’à un homme face il serait intéressant de voir comment il à une femme dont il lui assure avoir été traiterait cette formidable question de l’excès l’amant un an auparavant. de phosphore de cette pro Complexités mêlées de la téine dont il a été établi Je suis satisfait mémoire et du temps. Le qu’il entraîne alors des si les spectateurs dérèglements qui nour temps, variable de film à comprennent (...) rissent la pathogénèse de clefs et densités. qu’ils sont bien la maladie d’Alzheimer, Connu précisément pour futur fléau de notre XXIe sa passion pour Proust et devant des acteurs, siècle. Par son talent, cet son goût pour le temps maquillés, éternel jeune homme à cyclique de la mémoire qui ont appris l’allure de charmant vieux (la découverte du vieil leur texte monsieur que sait être lissement des êtres Alain Resnais aurait sans aimés dans l’escalier de doute produit une fiction pleine de réalité. Guermantes...), Resnais aurait pu se reven Une fois de plus. diquer de James Joyce. En effet, il sait parfois Antonin Artaud a su écrire dans Sorcellerie jouer avec le temps volontairement étiré et cinéma : « Le cinéma se rapprochera de d’une journée dont l’écrivain irlandais avait plus en plus du fantastique, ce fantastique le secret. Selon notre entendement – que dont on s’aperçoit toujours plus qu’il est nous vous soumettons – cette juxtaposition en réalité tout le réel ou alors il ne vivra de la conception du temps se retrouve dans pas ». C’est un des messages de la vie et de une pièce maîtresse de l’œuvre d’Alain l’ambition d’Alain Resnais qu’il serait aisé Resnais : Mon Oncle d’Amérique (1980) de nommer monstre sacré là où l’expression où il exploite les travaux du neurobiologiste de subtil sorcier de la pellicule lui sied Henri Laborit et nous emmène avec finesse tellement mieux ! ■ dans les dédales de la théorie de Paul MacLean relatif au cerveau triunique : le reptilien (réflexes de survie), le limbique (mémoire), le néocortex (association d’idées et siège conceptuel). Plus de vingt ans après, des travaux de l’éminent professeur Etienne Emile Baulieu sur la protéine N D ’ A B O N N E M E N Je souscris à abonnement(s) d’un an à l’ENA Hors les murs au prix annuel unitaire de 52,00 3 (France) ou 85,00 3 (Étranger). Nom Prénom Adresse Ci-joint mon règlement par chèque d’un montant de libellé à l’ordre de l’AAE-ENA Demande d’abonnement à retourner accompagné de votre règlement à : l’ENA Hors les murs 226, Bd Saint-Germain – 75007 Paris – Tél. : 01 45 44 49 50 – Télécopie : 01 45 44 02 12 14 / juillet-août 2013 / n°433 T