Névroses de caractère et caractères névrotiques
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Névroses de caractère et caractères névrotiques
PLANS DE QUESTIONS DE PSYCHIATRIE NÉVROSES DE CARACTÈRE ET CARACTÈRES NÉVROTIQUES par J.-M. ALBY Définition Élaboré en fonction des données psychanalytiques ce groupe nosologique, mal précisé dans ses limites mais commode par son usage clinique, se situe aux frontières de la subnormalité, des névroses symptomatiques, des personnalités psychopathiques et des psychoses. Historique. Nosographie a) Mise en place d’une caractérologie psychanalytique. La caractérologie psychanalytique s’est développée à partir des premières études de Freud sur les névroses. Elle est basée sur la nature spécifique de la régression du névrosé au cours de la cure psychanalytique, régression liée à l’établissement du transfert et correspondant à la structure névrotique propre du sujet. Les efforts de classification reposent sur la recherche d’une analogie entre le comportement habituel et la nature de cette régression. Les premiers caractères névrotiques ont été décrits en fonction des fixations libidinales : caractère anal, phallique et oral. L’étude de différents modes d’organisation de la personnalité a fait adjoindre aux précédents des caractères tels que le caractère narcissique ou le caractère masochique. Enfin la valorisation des mécanismes de défense du Moi a entraîné l’individualisation de caractères plus proches des données cliniques : caractère obsessionnel, hystérique ou phobique, dont les correspondances avec les stades évolutifs ont été recherchées : caractère oral de l’hystérique, caractère anal de l’obsédé. D’autres descriptions ont été tentées et se réfèrent à l’agressivité (Glover), ou aux affections psycho-somatiques (Alexander). b) Caractère névrotique et névrose de caractère. Glover constate la difficulté de classer certaines altérations du caractère et des conduites, manifestement névrotiques ; il les groupe sous le nom de caractères névrotiques. Reich donne la valeur d’un symptôme au comportement et aux traits 31 L’encéphale, 1958 : I-XVII L’Encéphale, 2010 ; 36 de caractère. Les défenses mises en jeu en cours de traitement sont spécifiques de la structure d’un patient. Elles reproduisent celles qui interviennent dans la réalité et correspondent à une « armure caractérielle » qu’il importe de traiter d’abord. Ainsi a-t-on été amené à s’intéresser non seulement aux symptômes névrotiques, mais aux traits de caractère sous-jacents et intriqués avec eux et enfin à envisager l’existence de névroses de caractère asymptomatiques. En pratique, la distinction entre caractère névrotique et névrose de caractère signifie une différence de degré dans l’altération de la structure du Moi. Le caractère névrotique, infrastructure d’une névrose symptomatique est considéré isolément comme une variation pathologique du normal. Le diagnostic de névrose de caractère laisse entendre une infiltration plus importante du Moi par le processus pathogène qui dans certains cas évoque une structure pré-psychotique. Les névroses de caractère ne forment peut-être pas un groupe homogène par ses mécanismes et certains sont d’avis que chacune d’elles doit trouver sa place dans les groupes cliniques correspondants. Le polymorphisme clinique provient en fait de ce que la névrose de caractère participe aussi bien de la structure névrotique que de la structure psychotique. Tous les intermédiaires se rencontrent de la normalité au caractère « infra-psychopathique », qui se révèle par les acting-out et les phénomènes de dépersonnalisation. Enfin, les névroses de caractère tendent à être plus fréquemment mises en évidence et traitées aux dépens de certaines névroses telles l’hystérie de conversion. Nous étudierons : – la formation réactionnelle des traits de caractère ; – les formes cliniques proprement dites ; – le diagnostic et le traitement. I. Formation réactionnelle des traits de caractère a) Généralités. La formation des traits de caractère est liée au développement de la personnalité : les différentes couches de celle-ci sont remaniées par des régressions, des ruptures et par l’intervention de mécanismes de défense et de sublimation qui traduisent l’effort du Moi vers un compromis entre les exigences pulsionnelles et celles du monde extérieur. Les traits de caractère se forment suivant deux modes : la sublimation : « refoulement réussi » (Freud) permet la décharge de l’énergie pulsionnelle après transformation des désirs et des objets ; les traits de caractère réactionnels gardent une valeur défensive : la pulsion originelle non acceptée par le Moi est réprimée par une contre-pulsion, il en résulte une attitude manifeste opposée à l’attitude primitive. Mais le Moi perd sa plasticité et limite ses possibilités d’action de façon transitoire ou permanente. Un réseau de défenses caractérielles s’interpose entre le Moi et la pulsion. L’analyse du caractère tend à réduire ces défenses, fait apparaître l’anxiété qui masque elle-même la pulsion primitive et facilite ultérieurement les sublimations à partir des traits de caractère réactionnels. Certaines attitudes pathologiques loin de les supprimer permettent, au contraire, la satisfaction des pulsions ; celles-ci ont pu être intégrées de façon pathologique au Moi qui les transforme (rationalisation, idéalisation) et se leurre sur la nature de son activité. Ainsi en est-il de l’agressivité camouflée sous la forme d’une projection : 32 L’Encéphale, 2010 ; 36 L’encéphale, 1958, 1928 : I-XVII défense contre une attaque extérieure. Les formations réactionnelles peuvent apparaître chez le sujet normal à l’occasion d’une frustration réelle ou redoutée, mais ici le retour de l’équilibre est bientôt assuré par de nouveaux investissements également satisfaisant. b) Formation des traits de caractère réactionnels. Le névrosé est appelé à se défendre contre ses pulsions ou l’anxiété qui les accompagne et contre les exigences de son Sur-Moi. Il en résulte une altération de la conduite envers l’objet. Enfin les fixations en fonction des stades évolutifs permettent déjà une approche des caractères cliniques. 1. Conduites réactionnelles vis-à-vis des pulsions. Le névrosé s’est détaché de ses pulsions qu’il ne peut connaître comme telles. Il ne les ressent que partiellement ou d’aucune façon, ou les évite de façon à ne pas ressentir d’angoisse. L’armure caractérielle assure leur contention ou leur déformation. Fenichel a pu décrire deux types de sujets : le type frigide intellectualise ses contacts avec autrui, ce dont il prend parfois conscience devant l’anxiété qui naît de sa confrontation avec des désirs ou des sentiments réellement éprouvés. Le type émotif, pseudo-affectif à l’opposé ressent sans frein ses émotions qui n’ont pas trouvé leur issue normale. Elles le submergent et sexualisent toute sa vie psychique. Sans recul vis-àvis de leurs propres sentiments, ces sujets vivent trop directement leurs « processus primaires » ; ils s’en effrayent et redoutent la réalité, symbole des instincts. Ils se réfugient dans un monde de fantasmes compensateurs, alors que le type frigide fuit les excitations qu’il redoute et vit dans une réalité plus terne. La défense caractérielle peut porter plus particulièrement sur l’angoisse qui résulte de la poussée pulsionnelle au moyen des différents mécanismes de défense du Moi. 2. Conduites réactionnelles vis-à-vis du Sur-Moi. Elles ont pour but d’apaiser le sentiment de culpabilité mal toléré par le sujet : soumission ou révolte, refoulement ou projection (bouc émissaire) provocation et recherche de punition, recherche de puissance, de participation à la puissance d’autrui sont quelques moyens utilisés par le Moi pour échapper à ce conflit. Les conduites masochiques qui visent à se conlier un Sur-Moi cruel prennent ici toute leur importance. 3. Conduites réactionnelles vis-à-vis de l’objet. Elles sont sous-tendues par les conflits entre les différentes instances de la personnalité. L’objet extérieur est initialement une source de plaisir ou de menace. Avec l’acquisition du principe de réalité, un sujet normal apprend à se protéger contre cette menace et à adapter sa satisfaction en fonction d’un jugement objectif de la réalité. Le névrosé adopte vis-à-vis des objets actuels les mêmes attitudes que celles qu’il avait vis-à-vis des objets du passé, attitude inadéquate. Cette attitude peut être liée à des fixations anciennes ; l’identification, la relation magique contemporaine du sentiment de toute-puissance, la projection sont alors utilisées. Si la maturation a été plus complète, mais sans résolution du conflit œdipien, le sujet adulte peut se leurrer sur le choix des objets qui ne sont en fait que le symbole des objets passés. 33 L’encéphale, 1958 : I-XVII L’Encéphale, 2010 ; 36 Il se comporte alors de façon névrotique vis-à-vis d’eux en fonction même de ses expériences infantiles. Les relations objectales inauthentiques peuvent donner lieu à une fausse sexualité, qui a une signification défensive, par exemple l’orgueil de sa puissance sexuelle éprouvé par l’obsédé : il domine partiellement sa peur et éprouve un plaisir narcissique sans détente orgastique vraie. La conduite sexuelle est alors isolée des exigences affectives. Il s’agit là d’une formation réactionnelle : inhibition quant au but, rigidité, asso ciation à des actes symptomatiques d’anxiété. Les conduites sociales sont également intéressées : inhibition dans les contacts, besoin de se voir accepté, peur de la critique, véritable anxiété sociale. Les pulsions agressives peuvent être camouflées : politesse excessive ou soumission apparente de l’obsédé. En fait le refoulement de l’agressivité entraîne des conduites destinées à se concilier le milieu ; mais les frustrations inévitables réactivent cette agressivité et le conflit, un moment évité, ne manque pas de renaître. c) En conclusion, on a tenté de schématiser les formations réactionnelles en fonction des stades évolutifs. 1. Le caractère oral, rarement pur, justifie son autonomie par l’empreinte laissée par les frustrations et les satisfactions propres à cette période ; d’elles dépendent la manière de donner ou de recevoir, le fond optimiste ou dépressif, l’insatiabilité de certaines exigences. Le besoin de dépendance, la passivité, la soumission envers l’objet ou, au contraire, la revendication violente, activement sadique caractérisent la fixation orale. Celle-ci peut entraîner par déplacement la recherche de satisfactions substitutives dans le langage, la lecture. 2. Le caractère anal représente l’ensemble des sublimations et des formations réactionnelles contemporaines de la période de dressage sphinctérien. Il est caractérisé par une triade : ponctualité, parcimonie, autoritarisme ou entêtement. Les traits de caractère ont comme substrat la fixation érotique anale qui comprend l’intérêt pour l’acte de la défécation et ses produits. Dans la défécation l’enfant cherche à obtenir le maximum de plaisir en même qu’il s’efforce de contrôler (et de retarder) la défécation. Cette conduite est utilisée dans un but d’opposition à l’entourage. Les traits de caractère en rapport avec ce stade sont aussi bien la temporisation que l’obstination, le besoin de contrôle des affects ou des situations même au prix d’une soumission passagère. L’association à des conduites sadiques est fréquente. L’intérêt pour les matières fécales fortement réprimé se transpose sur un plan symbolique : argent, enfants. Il peut être positif, négatif ou ambivalent. L’attitude vis-à-vis de la possession, du don, de la propreté est fortement influencée par cette fixation. 3. Le caractère uréthral est lié au plaisir à uriner et à contrôler la miction intriqué avec l’érotisme génital de l’enfant ; une fixation uréthrale peut se faire dans le sens de la passivité : tel le « laisser-couler » des énurétiques mais comme chez ceux-ci, la fixation uréthrale peut prendre un aspect agressif et actif qui se manifeste de manière positive par l’ambition, la compétition. Chez le garçon, la culpabilité résultant de cette satisfaction libidinale entraîne la honte, la peur d’être vu. Chez la fille, la rivalité est vouée à l’échec, le déplacement consécutif à l’angoisse de castration se fait le plus souvent vers l’analité et la passivité. Nous décrirons aux formes cliniques le caractère phallique narcissique de Reich. 34 L’Encéphale, 2010 ; 36 L’encéphale, 1958, 1928 : I-XVII 4. Enfin le caractère dit génital est un concept idéal : équilibre et intégration des pulsions agressives et érotiques, dépassement de l’ambivalence, sublimation, participation harmonieuse des émotions à l’épanouissement de la personnalité, en sont les principaux caractères. II. Formes cliniques dés caractères névrotiques 1. Le caractère masochique. Tout être qui, placé dans des conditions de vie objectivement normales, s’avère incapable de donner un sens satisfaisant à sa vie révèle par là son caractère masochique (Nacht). Présent dans la plupart des structures névrotiques, il peut réaliser une forme clinique indépendante. Subjectivement, sentiment de malaise, de souffrance diffuse, besoin de se plaindre, de se montrer malheureux, complaisance dans des ruminations malheureuses et sans espoir en forment la toile de fond. La conduite de ces sujets est faite de maladresses, comme s’ils étaient poussés à se mettre dans des situations désagréables. Leur attitude inopportune leur attire l’animosité ou la moquerie d’autrui et aggrave d’autant leur souffrance et leur isolement. Cliniquement, le degré de l’échec mesure le masochisme : le « raté », voué à la médiocrité qui le désespère, celui qui échoue partiellement, lors des classiques points de rupture (études, élévation sociale), la fausse réussite, l’échec dans le succès localisé parfois à la vie amoureuse (choix névrotique du partenaire et conflits ultérieurs) ou simplement souffrance par anticipation, incapacité de jouir du moment. Considéré comme l’expression d’un besoin de punition devant la culpabilité inconsciente, fondement même du masochisme moral, le masochisme proviendrait de la cruauté d’un Sur-Moi infantile à la mesure de l’agressivité ressentie envers les parents et retournée contre le Moi du sujet, au cours même de l’évolution œdipienne. Si la réalisation des pulsions – sexuelles ou agressives – n’est pas interdite, le danger (crainte de castration) ressenti par le sujet devant les tendances interdites par le Sur-Moi infantile est prévenu par la punition que le Moi s’inflige. Pour Nacht, l’auto-punition n’est pas tout : le sentiment de souffrir, la provocation à l’accroissement de cette souffrance par une attitude sadique d’autrui constitue une véritable revendication insatiable d’une preuve d’amour. L’enfant qui est ou se croit mal aimé, s’il ne se détourne pas de la réalité, cherche à se rendre malheureux ou insupportable pour que l’on s’occupe de lui (punition ou compassion). Ne pas être aimé déclenche chez lui l’agressivité qui ne peut s’exprimer devant l’adulte en raison de la peur. Infléchie sur le sujet, l’agressivité ainsi transformée va former l’essence du masochisme. Il se crée ainsi une réaction en chaîne : frustration-haine-agressivitémasochisme-provocation à la punition et réponse sadique d’autrui qui apaise le besoin d’amour mais renforce la haine en la justifiant. Le masochisme apparaît aux différents stades de l’évolution libidinale et peut revêtir suivant sa profondeur l’aspect d’un simple échec auto-punitif ; la souffrance peut être elle-même érotisée. Mais le comportement auto-punitif peut imprégner toute la personnalité : le masochisme dérive alors de sources pré-génitales et prend une allure constitutionnelle. 35 L’encéphale, 1958 : I-XVII L’Encéphale, 2010 ; 36 2. Le caractère narcissique. Il représente un des types décrits primitivement par Freud : ce sont ces sujets dominés par la conscience de leur Moi de telle façon qu’ils ne se laissent que peu toucher par autrui et par les exigences de leurs pulsions ou de leur Sur-Moi. Les aspects cliniques sont variables suivant le stade de la fixation. Le plus archaïque est caractérisé par le besoin d’être aimé sans réciprocité. Il en résulte une relation de dépendance, reflet de la fixation égocentrique de l’enfant à sa mère. Tout relâchement des liens avec l’objet, ressenti comme un autre soi-même, est vécu douloureusement comme une dévalorisation de soi. Toute satisfaction entraîne un sentiment d’élation et de puissance, mais doit être perpétuellement renouvelée. Le sentiment d’infériorité entraine ces sujets à rechercher perpétuellement des réassurances de la part d’autrui. Le sujet tend à s’identifier à l’être idéalisé de sexe opposé et sa sexualité se situera entre le pôle des satisfactions auto-érotiques et celui d’une recherche homo-sexuelle réelle ou au travers de l’objet hétéro-sexuel. Si cet aspect archaïque peut faire partie d’une structure névrotique plus complexe il peut en représenter à lui seul l’essentiel. Une forme particulière – la plus évoluée – est le caractère phallique narcissique (Reich) marqué par le sentiment de confiance en soi, l’agressivité, l’arrogance et le goût de la domination, le courage qui peut aller jusqu’à la témérité. Actifs, énergiques, productifs, ces sujets ont cependant une sexualité troublée ; si l’érection est normale, l’orgasme ne l’est pas ; l’homme est méprisant vis-à-vis de la femme. Il cherche dans l’amour, dont il a peur, une revanche. On retrouve chez ces sujets une valorisation excessive du pénis et l’ambition consécutive qui, en fait, représente souvent une défense contre des tendances passives orales et anales : l’agressivité explicite masque un besoin de dépendance ressenti comme dangereux. Les caractères narcissiques subissent des régressions durables sous l’effet de frustrations avec exaltation de l’auto-érotisme, érotisation des fonctions digestives fréquente ou à un degré moindre altération isolée de la relation d’objet par un retrait de l’investissement de celui-ci, aimé pour soi et comme une image de soi. Il se produit une régression à l’état de toute-puissance infantile primitif qui vient compenser la dévalorisation de soi résultant de la défaillance de l’objet. La conduite masochique est souvent retrouvée. Enfin la relation d’objet peut s’altérer de telle façon que l’on aboutisse aux dissolutions narcissiques profondes (délire de négation ou hypochondrie). 3. Caractère phobique. Il s’applique aux sujets dont les conduites visent à éviter les situations primitivement désirées. Il y a phobie lorsque le sujet cherche à éviter une situation extérieure déterminée. Le sujet de caractère phobique cherchera à éviter des sentiments violents (amour-haine). « L’angoisse ou la culpabilité résultant du conflit pulsionnel détermine une conduite d’évitement, de négation, de refoulement, de scotomisation ou de projection d’autant plus rigide et stéréotypée que le comportement initial aura comporté une énergie plus intense (Sauguet). » Les rationalisations renforcent ces mécanismes de défense : le hasard, la défaillance de la volonté ou du corps sont invoquées ou des arguments tels que « je n’ai pas de plaisir à... je n’éprouve pas le besoin de ». Il en résulte une timidité, une inappétence, voire une répulsion pour les situations phobogènes ou encore des attitudes contraphobiques. L’altération du comportement sexuel peut être partielle (choix de certains 36 L’Encéphale, 2010 ; 36 L’encéphale, 1958, 1928 : I-XVII partenaires, satisfaction élective de certains besoins). Les tendances partielles peuvent être intéressées (nourriture ou activité de type anal, pulsions exhibitionnistes). De même certaines activités sexualisées, motrices, sensorielles ou intellectuelles peuvent être atteintes. Bref le sujet de caractère phobique se protège par cette conduite spécifique en réprimant le désir de satisfactions associées inconsciemment à des besoins sexuels ou agressifs infantiles. 4. Caractère obsessionnel ou compulsif. Il recouvre grossièrement celui du psychasthénique ou de l’inémotif (anancastique). Le point de départ en est le noyau sadique anal. Il lui correspond des mécanismes de défense spécifiques, isolation, annulation, formations réactionnelles ainsi qu’une valorisation exagérée des concepts et du mot. Le sujet normal peut sublimer des reliquats de l’érotisme anal qui se manifestent par : recherche de l’abstraction, de la ponctualité, de l’ordre et de l’objectivité. Sur le plan pathologique apparaissent la fatigue et la difficulté dans le travail. Il existe une véritable « armure physique » (Reich) attitude corporelle dont le but est de « ne pas se laisser influencer par ce qui se passe dans l’esprit ». Les troubles végétatifs, les dérivations motrices trahissent la sensibilité de ces sujets. L’inhibition a pour but l’invulnérabilité, véritable « relation à distance » (Bouvet), C’est autant par crainte que par culpabilité de ses pulsions érotiques et agressives que le sujet, sans rompre le contact, se garde de toute spontanéité avec autrui grâce à un blocage affectif, à des conduites de repli, ou au contraire une politesse excessive. Ces sujets éprouvent cependant le besoin d’être tolérés par autrui. Ils ne laissent aucune part à l’intuition. La parcimonie, l’accaparement, la ratiocination, la critique stérile aboutit à l’inefficacité. A un degré de plus, l’introspection, le perfectionnisme, le mentime confient à l’idée obsédante et à l’aboulie alors même qu’un parasitisme idéique s’installe. Ces sujets supportent mal l’autorité et s’ils ont une attitude de soumission et de dépendance apparente, en fait lorsqu’ils sollicitent avis et conseils c’est de telle façon que ceux-ci répondent à ce qu’ils en attendent. Cette « permission » déculpabilise le désir qui avait provoqué la sollicitation. L’attitude vis-à-vis de l’argent est marquée par la culpabilité inconsciente qui se rattache à lui et prend un caractère irrationnel. Le besoin de propreté plus apparent que réel est parfois un prétexte à la manipulation d’objets sales. La vie sexuelle est diversement altérée, impuissance, désintérêt ou continence excessive, la séparation entre sensualité et tendresse est habituelle. La recherche de satisfaction de fantasmes anaux inconscients est retrouvée. Les traits de caractère obsessionnels sont doués d’une certaine spécificité. Observés dès la période de latence, remaniés à la puberté, leur origine réelle est loin d’être élucidée. 5. Caractère hystérique. Ce caractère est plus fréquent chez la femme ; il se voit chez des hyper-émotifs qui mobilisent en bloc leurs pulsions en les rendant caricaturales. Instables, capricieux, à la recherche de l’illusion, ils s’évadent dans le fantasme. Ils sont attirés par l’exhibition, le théâtralisme, la dramatisation. Chantage sentimental sans lendemain, excentricité, flambée de sentiments violents viennent traduire dans l’action un mélange de séduction et de répulsion. Ces traits de caractère sont sous-tendus par le conflit entre la peur de la sexualité et les pulsions sexuelles refoulées et par celui de la réjection du réel avec le besoin d’y retrouver les objets infantiles. Il en résulte une érotisation des 37 L’encéphale, 1958 : I-XVII L’Encéphale, 2010 ; 36 conduits qui se traduit par un besoin de conquête, de séduction qui se mue en anxiété dès que le but est proche et aboutit bien souvent à une fuite sans réalisation de l’acte. La suggestibilité traduit l’aptitude à réactiver des types de conduite infantiles vis-àvis des images parentales. Les réactions émotives libèrent l’énergie refoulée chaque fois qu’une expérience pénible dérive les pulsions. La répétition active des situations traumatiques vise à résoudre la situation conflictuelle. La fuite de la réalité se fait vers le fantasme qui est ensuite agi dans la réalité à l’intention d’un public. Ce jeu rassure l’hystérique contre son angoisse et sa culpabilité en lui assurant cependant une gratification sexuelle mais aboutit néanmoins à l’échec. 6. Caractère cyclique. Il comprend la personnalité dépressive et celle, antithétique, à forme d’excitation euphorique. La personnalité dépressive dont l’accès mélancolique représente l’expression majeure se caractérise dans sa forme mineure par un sentiment d’infériorité, des réactions d’anxiété et de culpabilité, une sensibilité à la frustration. Insatisfaits, « affamés d’amour » sans pouvoir aimer activement, ces sujets s’enferment dans une conduite de dépendance. L’abandon et la solitude sont douloureusement ressentis. La crainte qui en résulte entraîne le renoncement préventif à toute agressivité. Il arrive à ces sujets de rompre par anticipation pour éviter la souffrance pressentie de la perte de l’objet. Le masochisme et les formations réactionnelles orales forment la trame de ce caractère dont on a voulu décrire une forme particulière, celle de l’abandonnique. La personnalité à forme d’excitation euphorique est caractérisée par une valorisation de soi avec une diminution de la « conscience morale » consécutive. Euphorie, victoire sur les inhibitions, amour excessif de soi, rejet des obligations ou de la dépendance traduisent le sentiment de toute-puissance du Moi archaïque, libéré de la contrainte du Sur-Moi, soit en triomphant de lui, soit en s’alliant avec lui dans la certitude d’être toujours aimé. Le sentiment de jouissance et d’élation qui en résulte n’est qu’éphémère et ce qui a procuré le plaisir est rapidement rejeté sans remords mais remplacé. Le conflit inconscient persiste : l’exagération des conduites n’est qu’un mécanisme de négation et de surcompensation. Dans les caractères cycliques – sans préjuger des rapports qui peuvent exister avec les formes psychotiques maniaco-dépressives – le sujet vit sur un mode archaïque des conflits entre le Moi et le Sur-Moi. On en rapprochera les caractères névrotiques d’Alexander qui connaissent alternativement succès et échecs ou ceux qui remplacent certaines variations de l’humeur par des « équivalents d’affects somatiques ». 7. Caractère schizoïde. Nous serons brefs car le caractère schizoïde appartient à la caractérologie classique : désintérêt pour le monde extérieur, repli sur soi, tendance à la rêverie et à l’autisme résultent de ce que le schizoïde substitue à la réalité l’imaginaire dans lequel il retrouve sa toute-puissance en prêtant ses émois à un héros, son double, tout en restant spectateur et en abdiquant la possibilité de satisfactions réelles. Il s’agit d’une régression à un niveau de comportement lié à des fixations narcissiques comme le prouve la tendance à réagir aux frustrations par la perte partielle de l’investissement des objets. Ce retrait narcissique permet au sujet de se défendre contre l’angoisse qui résulte de la perte de l’objet et par la régression au sentiment de 38 L’Encéphale, 2010 ; 36 L’encéphale, 1958, 1928 : I-XVII toute-puissance d’éviter un sentiment de désagrégation de sa personnalité (dépersonnalisation). La personnalité schizoïde est en fait un caractère narcissique dans lequel domine un mécanisme d’introversion. La fragilité du Moi de ces sujets est à souligner. La relation d’objet du schizoïde est ambivalente et l’exigence affective ne le cède souvent pas à l’agressivité. Les manifestations de la sexualité témoignent de fixations intermédiaires entre l’auto-érotisme narcissique et les fixations œdipiennes. La capacité de conserver ou de réactiver le narcissisime primaire dépend probablement de facteurs constitutionnels inconnus, mais paraît souvent alimentée par un milieu familial anormal. 8. Caractère paranoïaque. Il pose le problème de la limite des constitutions et de l’état morbide et s’étend du « petit paranoïaque » (Genil Perrin) aux formes délirantes et comprend une série de formes intermédiaires : paranoïa réactionnelle à des situations vitales (Bleuler), paranoïa de compensation (Delay), paranoïa bénigne, abortive caractérogène (Gaupp), d’auto-punition (Lacan), délire de relation des sensitifs (Kretschmer) ou paranoïa résiduelle (Ey). La surestimation pathologique du Moi prend son origine dans l’égocentrisme primitif et entraîne une altération unilatérale de relations du sujet avec le monde extérieur : sentiment de vivre dans un univers de « méchanceté convergente ». Il lui est difficile de redresser le sens des projections qui émanent de lui. La méfiance indique le mécanisme de son trouble. C’est par une fausseté précoce du jugement que le patient se trompe sur lui-même et sur les autres. Vanité et méfiance sont solidaires, traduisent une systématisation abusive et un trouble de l’auto-critique. Sur ce fond viennent se greffer des traits secondaires qui feront de lui un persécuté, un jaloux, un hypochondriaque, un érotomane. Des troubles de la sexualité objectivent et sous-tendent ces différentes variétés en fonction du choix de l’objet. Si ce choix est homosexuel, le paranoïaque se défend contre cette homosexualité latente inconsciente et inacceptable pour le Moi, à la différence du pervers. Freud a mis en évidence ce mécanisme dans le cas du Président Schreber. À la suite d’une régression à des fixations narcissiques et de l’infléchissement de la libido sur le Moi, qui a pour résultat d’investir la composante homosexuelle, le Moi va tenter de retrouver une relation d’objet qui ne peut s’établir que par la mise en place de formations réactionnelles ou par le délire. Un exemple en est fourni par le persécuté : la constatation initiale : « je l’aime lui, un homme » détermine le Moi à se défendre par la négation : « je le déteste » puis en raison de la culpabilité par une projection : « il me déteste ». Déculpabilisé, le Moi peut admettre « je le déteste parce qu’il me hait ». Il en est de même pour l’érotomane. Si le choix de l’objet est hétérosexuel, les mécanismes s’organisent à d’autres niveaux mais ne sont pas différents. Les troubles sexuels proprement dits transposent certaines attitudes vitales : telle l’éjaculation précoce (refus de donner au partenaire) ou des reliquats de pulsions partielles (exhibitionnisme). 9. Caractère pervers. Dans une perspective psycho-dynamique la notion de caractère pervers tend à donner à la perversion une génèse autre que constitutionnelle et partant des possibilités 39 L’encéphale, 1958 : I-XVII L’Encéphale, 2010 ; 36 de cure, au même titre que dans une perspective réflexologique, Michaux a décrit des perversions conditionnées. La perversion réactionnelle associe souvent à un comportement anti-social des déviations sexuelles ; elle est liée à des conflits névrotiques inconscients qu’il importe de mettre en évidence dans les conditions qui ont entraîné le passage à l’acte : l’aspect irrationnel de l’acte, la prédominance du masochisme et des mécanismes auto-punitifs, l’immaturité affective prennent le pas sur les caractéristiques de la perversité constitutionnelle. Plus l’acte pervers est réactionnel, plus le caractère apparaît formé de composantes autres que perverse : hypochondriaque, schizoïde, compulsionnelle. La revendication affective domine ; les conduites s’expriment au sein de la famille réelle ou de son substitut. L’appétence toxicomaniaque et les tendances sexuelles archaïques remplacent parfois les actes antisociaux. III. Diagnostic différentiel 1. La normalité. Il est à noter que les sujets atteints de névrose de caractère consultent eux-mêmes dans les seuls cas où un élément masochique ou un symptôme névrotique mineur viendra les gêner. Dans d’autres cas, c’est l’entourage qui sollicite l’intervention médicale. Mais il peut s’agir d’un désarroi passager qui ne nécessite pas un traitement qui suppose une organisation névrotique de la personnalité. Les mécanismes spécifiques des névroses sont retrouvés au cours d’une cure chez le sujet normal. Ce qui compte, c’est l’organisation des éléments entre eux et l’ensemble des relations de l’individu et de son entourage. L’appréciation de l’adaptation (vie sociale et amoureuse) demande des normes, de même que le sentiment interne de malaise. Un sujet normal peut subir des fluctuations de cet ordre. Aussi est-on obligé de faire appel à des critères de normalité qui rappellent ceux de la guérison de la cure psychanalytique. 2. Les psycho-névroses. Il n’y a pas de frontières bien établies avec les névroses de caractère. En effet, le critère classique d’asymptomatisme n’est pas absolu. Pour Reich les défenses de caractère restent un élément constant et spécifique dans les névroses de caractère alors que les autres mécanismes de défense sont polymorphes. C’est, semble-t-il, le meilleur critère. 3. Le déséquilibre. Ou personnalité psychopathique est théoriquement différent en tout point : incapacité à s’adapter au réel et à tenir compte des données sociales, le libre cours donné aux pulsions et l’expression sans élaboration des affects, les caractères du transfert vécu habituellement sur le mode de la réjection avec actualisation du passé et phantasmatisation de la réalité et le passage à l’acte qui vient expliquer avec la réjection l’échec du traitement malgré l’intensité avec laquelle il est vécu sont autant de caractéristiques des personnalités psychopathiques. Mais les formes intermédiaires sont fréquentes et posent des problèmes d’indications thérapeutiques difficiles. 40 L’encéphale, 1958, 1928 : I-XVII L’Encéphale, 2010 ; 36 4. Les états psychotiques. Le caractère paranoïaque pose le problème d’une psychose paranoïaque. En sa faveur on peut retenir la systématisation des projections et le caractère permanent de l’agressivité. Les caractères schizoïde et cyclique posent le problème des psychoses homologues. IV. Traitement Les névroses de caractère peuvent bénéficier d’un traitement psychanalytique, mais les indications sont difficiles à poser. La névrose représente toujours un compromis. Elle peut n’avoir pas beaucoup gêné la réussite du sujet et il ne faudra pas intervenir imprudemment. De même un sujet bien compensé qui ne sollicite rien, une fois informé que ses difficultés sont amendables par une cure n’est pas une bonne indication. Dans les cas graves, la névrose de caractère peut représenter le processus de guérison d’un noyau psychotique. Il faudra donc la respecter. De même il faudra éliminer les contre-indications plus ou moins formelles liées à l’âge, au niveau mental et culturel, à l’équilibre social et familial acquis au prix même de la névrose. On tiendra compte de la volonté de guérir de la coopération, de la plasticité mentale, de l’importance des bénéfices secondaires, de la profondeur des régressions, de l’intensité des résistances, en bref de la force du Moi. Par ordre de choix, les meilleures indications sont les névroses d’échec où les conflits œdipiens sont assez superficiels et sous-tendus par une culpabilité facilement mobilisable. « Les névroses de destinée » et les caractères masochiques proprement dits sont déjà d’abord plus difficile. L’indication dans les caractères hystériques est fonction de l’importance de l’élément déséquilibre. Les caractères obsessionnels peuvent être traités lorsque l’anxiété n’aura pas été pas trop neutralisée. Le caractère paranoïaque est en principe une contre-indication ; toutefois l’existence d’éléments anxieux ou obsessionnels chez des sujets à comportement paranoïaque peuvent faire tenter une cure prudente. Même dans les formes graves de névrose de caractère évoquant une structure pré-psychotique, l’abstention ne doit pas être systématique, car la résolution de conflits profonds a pu être obtenue même lorsqu’une bouffée délirante avait fait interrompre temporairement l’analyse. Parfois une psychothérapie préalable a pu rendre possible une cure ultérieure. En conclusion, les problèmes nosologiques posés par les névroses de caractère soulignés par tous les auteurs rendent compte des difficultés d’indications thérapeutiques. BIBLIOGRAPHIE 1. Diatkine (R.), Favreau (J.). – Le caractère névrotique. Rev. Fr. de Psychan., XIX, janv.-juin 1956, 1 et 2, 151-201. 2. Fenichel (O.). – Théorie psychanalytique des névroses. P.U.F., 2 vol., 825 p., 1952. 3. Kestemberg (E.). – Problèmes cliniques et diagnostiques posés par les névroses de caractère. Rev. Fr. de Psychan., XVII, oct.-déc. 1953, 4, 496-517. 4. Nacht (S.), Lebovici (S.). – Indications et contre-indications de la psychanalyse chez l’adulte. In La Psychanalyse d’Aujourd’hui. P.U.F., 1956, vol. I, p. 1-39. 41 L’encéphale, 1958 : I-XVII L’Encéphale, 2010 ; 36 5. Reich (W.). – Karacter-Analysis. New-York, 3e ed. Orgone Institute Press, 1949, 518 p. 6. Sauguet (H.). – Névroses de caractère. Caractère névrotique. E.M.C. Psychiatrie, t. II. Art. 37.320 A 10 à 30.1955. 42