Névroses de caractère et caractères névrotiques

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Névroses de caractère et caractères névrotiques
PLANS DE QUESTIONS DE PSYCHIATRIE
NÉVROSES DE CARACTÈRE
ET CARACTÈRES NÉVROTIQUES
par J.-M. ALBY
Définition
Élaboré en fonction des données psychanalytiques ce groupe nosologique, mal précisé dans ses limites mais commode par son usage clinique, se situe aux frontières de
la subnormalité, des névroses symptomatiques, des personnalités psychopathiques et
des psychoses.
Historique. Nosographie
a) Mise en place d’une caractérologie psychanalytique.
La caractérologie psychanalytique s’est développée à partir des premières études
de Freud sur les névroses. Elle est basée sur la nature spécifique de la régression
du névrosé au cours de la cure psychanalytique, régression liée à l’établissement du
transfert et correspondant à la structure névrotique propre du sujet. Les efforts de
classification reposent sur la recherche d’une analogie entre le comportement habituel
et la nature de cette régression.
Les premiers caractères névrotiques ont été décrits en fonction des fixations libidinales : caractère anal, phallique et oral. L’étude de différents modes d’organisation de la
personnalité a fait adjoindre aux précédents des caractères tels que le caractère narcissique ou le caractère masochique. Enfin la valorisation des mécanismes de défense du Moi
a entraîné l’individualisation de caractères plus proches des données cliniques : caractère obsessionnel, hystérique ou phobique, dont les correspondances avec les stades
évolutifs ont été recherchées : caractère oral de l’hystérique, caractère anal de l’obsédé.
D’autres descriptions ont été tentées et se réfèrent à l’agressivité (Glover), ou aux
affections psycho-somatiques (Alexander).
b) Caractère névrotique et névrose de caractère.
Glover constate la difficulté de classer certaines altérations du caractère et
des conduites, manifestement névrotiques ; il les groupe sous le nom de caractères
névrotiques. Reich donne la valeur d’un symptôme au comportement et aux traits
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de caractère. Les défenses mises en jeu en cours de traitement sont spécifiques de la
structure d’un patient. Elles reproduisent celles qui interviennent dans la réalité et
correspondent à une « armure caractérielle » qu’il importe de traiter d’abord.
Ainsi a-t-on été amené à s’intéresser non seulement aux symptômes névrotiques,
mais aux traits de caractère sous-jacents et intriqués avec eux et enfin à envisager
l’existence de névroses de caractère asymptomatiques.
En pratique, la distinction entre caractère névrotique et névrose de caractère
signifie une différence de degré dans l’altération de la structure du Moi. Le caractère névrotique, infrastructure d’une névrose symptomatique est considéré isolément
comme une variation pathologique du normal. Le diagnostic de névrose de caractère
laisse entendre une infiltration plus importante du Moi par le processus pathogène qui
dans certains cas évoque une structure pré-psychotique. Les névroses de caractère ne
forment peut-être pas un groupe homogène par ses mécanismes et certains sont d’avis
que chacune d’elles doit trouver sa place dans les groupes cliniques correspondants.
Le polymorphisme clinique provient en fait de ce que la névrose de caractère participe
aussi bien de la structure névrotique que de la structure psychotique. Tous les intermédiaires se rencontrent de la normalité au caractère « infra-psychopathique », qui se
révèle par les acting-out et les phénomènes de dépersonnalisation. Enfin, les névroses
de caractère tendent à être plus fréquemment mises en évidence et traitées aux dépens
de certaines névroses telles l’hystérie de conversion. Nous étudierons :
– la formation réactionnelle des traits de caractère ;
– les formes cliniques proprement dites ;
– le diagnostic et le traitement.
I. Formation réactionnelle des traits de caractère
a) Généralités.
La formation des traits de caractère est liée au développement de la personnalité :
les différentes couches de celle-ci sont remaniées par des régressions, des ruptures et
par l’intervention de mécanismes de défense et de sublimation qui traduisent l’effort du Moi vers un compromis entre les exigences pulsionnelles et celles du monde
extérieur.
Les traits de caractère se forment suivant deux modes : la sublimation : « refoulement
réussi » (Freud) permet la décharge de l’énergie pulsionnelle après transformation
des désirs et des objets ; les traits de caractère réactionnels gardent une valeur défensive : la
pulsion originelle non acceptée par le Moi est réprimée par une contre-pulsion, il en
résulte une attitude manifeste opposée à l’attitude primitive. Mais le Moi perd sa plasticité et limite ses possibilités d’action de façon transitoire ou permanente. Un réseau
de défenses caractérielles s’interpose entre le Moi et la pulsion. L’analyse du caractère
tend à réduire ces défenses, fait apparaître l’anxiété qui masque elle-même la pulsion
primitive et facilite ultérieurement les sublimations à partir des traits de caractère
réactionnels. Certaines attitudes pathologiques loin de les supprimer permettent, au
contraire, la satisfaction des pulsions ; celles-ci ont pu être intégrées de façon pathologique au Moi qui les transforme (rationalisation, idéalisation) et se leurre sur la nature
de son activité. Ainsi en est-il de l’agressivité camouflée sous la forme d’une projection :
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défense contre une attaque extérieure. Les formations réactionnelles peuvent apparaître chez le sujet normal à l’occasion d’une frustration réelle ou redoutée, mais ici
le retour de l’équilibre est bientôt assuré par de nouveaux investissements également
satisfaisant.
b) Formation des traits de caractère réactionnels.
Le névrosé est appelé à se défendre contre ses pulsions ou l’anxiété qui les accompagne et contre les exigences de son Sur-Moi. Il en résulte une altération de la conduite
envers l’objet. Enfin les fixations en fonction des stades évolutifs permettent déjà une
approche des caractères cliniques.
1. Conduites réactionnelles vis-à-vis des pulsions.
Le névrosé s’est détaché de ses pulsions qu’il ne peut connaître comme telles. Il ne
les ressent que partiellement ou d’aucune façon, ou les évite de façon à ne pas ressentir
d’angoisse. L’armure caractérielle assure leur contention ou leur déformation.
Fenichel a pu décrire deux types de sujets : le type frigide intellectualise ses
contacts avec autrui, ce dont il prend parfois conscience devant l’anxiété qui naît de
sa confrontation avec des désirs ou des sentiments réellement éprouvés. Le type émotif,
pseudo-affectif à l’opposé ressent sans frein ses émotions qui n’ont pas trouvé leur issue
normale. Elles le submergent et sexualisent toute sa vie psychique. Sans recul vis-àvis de leurs propres sentiments, ces sujets vivent trop directement leurs « processus
primaires » ; ils s’en effrayent et redoutent la réalité, symbole des instincts. Ils se
réfugient dans un monde de fantasmes compensateurs, alors que le type frigide fuit
les excitations qu’il redoute et vit dans une réalité plus terne. La défense caractérielle
peut porter plus particulièrement sur l’angoisse qui résulte de la poussée pulsionnelle
au moyen des différents mécanismes de défense du Moi.
2. Conduites réactionnelles vis-à-vis du Sur-Moi.
Elles ont pour but d’apaiser le sentiment de culpabilité mal toléré par le sujet : soumission ou révolte, refoulement ou projection (bouc émissaire) provocation et recherche
de punition, recherche de puissance, de participation à la puissance d’autrui sont
quelques moyens utilisés par le Moi pour échapper à ce conflit. Les conduites masochiques qui visent à se conlier un Sur-Moi cruel prennent ici toute leur importance.
3. Conduites réactionnelles vis-à-vis de l’objet.
Elles sont sous-tendues par les conflits entre les différentes instances de la personnalité. L’objet extérieur est initialement une source de plaisir ou de menace. Avec
l’acquisition du principe de réalité, un sujet normal apprend à se protéger contre
cette menace et à adapter sa satisfaction en fonction d’un jugement objectif de la
réalité. Le névrosé adopte vis-à-vis des objets actuels les mêmes attitudes que celles
qu’il avait vis-à-vis des objets du passé, attitude inadéquate. Cette attitude peut être
liée à des fixations anciennes ; l’identification, la relation magique contemporaine
du sentiment de toute-puissance, la projection sont alors utilisées. Si la maturation
a été plus complète, mais sans résolution du conflit œdipien, le sujet adulte peut se
leurrer sur le choix des objets qui ne sont en fait que le symbole des objets passés.
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Il se comporte alors de façon névrotique vis-à-vis d’eux en fonction même de ses expériences infantiles.
Les relations objectales inauthentiques peuvent donner lieu à une fausse sexualité,
qui a une signification défensive, par exemple l’orgueil de sa puissance sexuelle éprouvé
par l’obsédé : il domine partiellement sa peur et éprouve un plaisir narcissique sans
détente orgastique vraie. La conduite sexuelle est alors isolée des exigences affectives.
Il s’agit là d’une formation réactionnelle : inhibition quant au but, rigidité, asso­
ciation à des actes symptomatiques d’anxiété.
Les conduites sociales sont également intéressées : inhibition dans les contacts,
besoin de se voir accepté, peur de la critique, véritable anxiété sociale. Les pulsions
agressives peuvent être camouflées : politesse excessive ou soumission apparente de
l’obsédé. En fait le refoulement de l’agressivité entraîne des conduites destinées à se
concilier le milieu ; mais les frustrations inévitables réactivent cette agressivité et le
conflit, un moment évité, ne manque pas de renaître.
c) En conclusion, on a tenté de schématiser les formations réactionnelles
en fonction des stades évolutifs.
1. Le caractère oral, rarement pur, justifie son autonomie par l’empreinte laissée
par les frustrations et les satisfactions propres à cette période ; d’elles dépendent la
manière de donner ou de recevoir, le fond optimiste ou dépressif, l’insatiabilité de
certaines exigences. Le besoin de dépendance, la passivité, la soumission envers l’objet
ou, au contraire, la revendication violente, activement sadique caractérisent la fixation
orale. Celle-ci peut entraîner par déplacement la recherche de satisfactions substitutives dans le langage, la lecture.
2. Le caractère anal représente l’ensemble des sublimations et des formations réactionnelles contemporaines de la période de dressage sphinctérien. Il est caractérisé
par une triade : ponctualité, parcimonie, autoritarisme ou entêtement. Les traits de
caractère ont comme substrat la fixation érotique anale qui comprend l’intérêt pour
l’acte de la défécation et ses produits. Dans la défécation l’enfant cherche à obtenir le
maximum de plaisir en même qu’il s’efforce de contrôler (et de retarder) la défécation.
Cette conduite est utilisée dans un but d’opposition à l’entourage. Les traits de
caractère en rapport avec ce stade sont aussi bien la temporisation que l’obstination,
le besoin de contrôle des affects ou des situations même au prix d’une soumission
­passagère. L’association à des conduites sadiques est fréquente. L’intérêt pour les
matières fécales fortement réprimé se transpose sur un plan symbolique : argent,
enfants. Il peut être positif, négatif ou ambivalent. L’attitude vis-à-vis de la possession,
du don, de la propreté est fortement influencée par cette fixation.
3. Le caractère uréthral est lié au plaisir à uriner et à contrôler la miction intriqué
avec l’érotisme génital de l’enfant ; une fixation uréthrale peut se faire dans le sens
de la passivité : tel le « laisser-couler » des énurétiques mais comme chez ceux-ci, la
fixation uréthrale peut prendre un aspect agressif et actif qui se manifeste de manière
positive par l’ambition, la compétition. Chez le garçon, la culpabilité résultant de cette
satisfaction libidinale entraîne la honte, la peur d’être vu. Chez la fille, la rivalité est
vouée à l’échec, le déplacement consécutif à l’angoisse de castration se fait le plus
souvent vers l’analité et la passivité. Nous décrirons aux formes cliniques le caractère
phallique narcissique de Reich.
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4. Enfin le caractère dit génital est un concept idéal : équilibre et intégration des
pulsions agressives et érotiques, dépassement de l’ambivalence, sublimation, participation harmonieuse des émotions à l’épanouissement de la personnalité, en sont les
principaux caractères.
II. Formes cliniques dés caractères névrotiques
1. Le caractère masochique.
Tout être qui, placé dans des conditions de vie objectivement normales, s’avère
incapable de donner un sens satisfaisant à sa vie révèle par là son caractère masochique
(Nacht).
Présent dans la plupart des structures névrotiques, il peut réaliser une forme
­clinique indépendante. Subjectivement, sentiment de malaise, de souffrance diffuse,
besoin de se plaindre, de se montrer malheureux, complaisance dans des ruminations
malheureuses et sans espoir en forment la toile de fond. La conduite de ces sujets est
faite de maladresses, comme s’ils étaient poussés à se mettre dans des situations désagréables. Leur attitude inopportune leur attire l’animosité ou la moquerie d’autrui et
aggrave d’autant leur souffrance et leur isolement. Cliniquement, le degré de l’échec
mesure le masochisme : le « raté », voué à la médiocrité qui le désespère, celui qui
échoue partiellement, lors des classiques points de rupture (études, élévation sociale),
la fausse réussite, l’échec dans le succès localisé parfois à la vie amoureuse (choix névrotique du partenaire et conflits ultérieurs) ou simplement souffrance par anticipation,
incapacité de jouir du moment.
Considéré comme l’expression d’un besoin de punition devant la culpabilité
inconsciente, fondement même du masochisme moral, le masochisme proviendrait
de la cruauté d’un Sur-Moi infantile à la mesure de l’agressivité ressentie envers les
parents et retournée contre le Moi du sujet, au cours même de l’évolution œdipienne.
Si la réalisation des pulsions ­– sexuelles ou agressives – n’est pas interdite, le danger (crainte de castration) ressenti par le sujet devant les tendances interdites par le
­Sur-Moi infantile est prévenu par la punition que le Moi s’inflige.
Pour Nacht, l’auto-punition n’est pas tout : le sentiment de souffrir, la provocation à l’accroissement de cette souffrance par une attitude sadique d’autrui constitue
une véritable revendication insatiable d’une preuve d’amour. L’enfant qui est ou se
croit mal aimé, s’il ne se détourne pas de la réalité, cherche à se rendre malheureux
ou insupportable pour que l’on s’occupe de lui (punition ou compassion). Ne pas être
aimé déclenche chez lui l’agressivité qui ne peut s’exprimer devant l’adulte en raison
de la peur. Infléchie sur le sujet, l’agressivité ainsi transformée va former l’essence du
masochisme. Il se crée ainsi une réaction en chaîne : frustration-haine-agressivitémasochisme-provocation à la punition et réponse sadique d’autrui qui apaise le besoin
d’amour mais renforce la haine en la justifiant.
Le masochisme apparaît aux différents stades de l’évolution libidinale et peut revêtir suivant sa profondeur l’aspect d’un simple échec auto-punitif ; la souffrance peut
être elle-même érotisée. Mais le comportement auto-punitif peut imprégner toute la
personnalité : le masochisme dérive alors de sources pré-génitales et prend une allure
constitutionnelle.
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2. Le caractère narcissique.
Il représente un des types décrits primitivement par Freud : ce sont ces sujets
dominés par la conscience de leur Moi de telle façon qu’ils ne se laissent que peu toucher par autrui et par les exigences de leurs pulsions ou de leur Sur-Moi. Les aspects
cliniques sont variables suivant le stade de la fixation. Le plus archaïque est caractérisé
par le besoin d’être aimé sans réciprocité. Il en résulte une relation de dépendance, reflet de
la fixation égocentrique de l’enfant à sa mère. Tout relâchement des liens avec l’objet,
ressenti comme un autre soi-même, est vécu douloureusement comme une dévalorisation de soi. Toute satisfaction entraîne un sentiment d’élation et de puissance,
mais doit être perpétuellement renouvelée. Le sentiment d’infériorité entraine ces
sujets à rechercher perpétuellement des réassurances de la part d’autrui. Le sujet tend
à s’identifier à l’être idéalisé de sexe opposé et sa sexualité se situera entre le pôle des
satisfactions auto-érotiques et celui d’une recherche homo-sexuelle réelle ou au travers de l’objet hétéro-sexuel. Si cet aspect archaïque peut faire partie d’une structure
névrotique plus complexe il peut en représenter à lui seul l’essentiel.
Une forme particulière – la plus évoluée – est le caractère phallique narcissique
(Reich) marqué par le sentiment de confiance en soi, l’agressivité, l’arrogance et le
goût de la domination, le courage qui peut aller jusqu’à la témérité. Actifs, énergiques, productifs, ces sujets ont cependant une sexualité troublée ; si l’érection est
normale, l’orgasme ne l’est pas ; l’homme est méprisant vis-à-vis de la femme. Il
cherche dans l’amour, dont il a peur, une revanche. On retrouve chez ces sujets une
valorisation excessive du pénis et l’ambition consécutive qui, en fait, représente souvent une défense contre des tendances passives orales et anales : l’agressivité explicite
masque un besoin de dépendance ressenti comme dangereux.
Les caractères narcissiques subissent des régressions durables sous l’effet de frustrations avec exaltation de l’auto-érotisme, érotisation des fonctions digestives fréquente
ou à un degré moindre altération isolée de la relation d’objet par un retrait de l’investissement de celui-ci, aimé pour soi et comme une image de soi. Il se produit
une régression à l’état de toute-puissance infantile primitif qui vient compenser la
dévalorisation de soi résultant de la défaillance de l’objet. La conduite masochique est
souvent retrouvée. Enfin la relation d’objet peut s’altérer de telle façon que l’on aboutisse aux dissolutions narcissiques profondes (délire de négation ou hypochondrie).
3. Caractère phobique.
Il s’applique aux sujets dont les conduites visent à éviter les situations primitivement désirées. Il y a phobie lorsque le sujet cherche à éviter une situation extérieure
déterminée. Le sujet de caractère phobique cherchera à éviter des sentiments violents
(amour-haine). « L’angoisse ou la culpabilité résultant du conflit pulsionnel détermine
une conduite d’évitement, de négation, de refoulement, de scotomisation ou de projection d’autant plus rigide et stéréotypée que le comportement initial aura comporté
une énergie plus intense (Sauguet). »
Les rationalisations renforcent ces mécanismes de défense : le hasard, la défaillance
de la volonté ou du corps sont invoquées ou des arguments tels que « je n’ai pas de
plaisir à... je n’éprouve pas le besoin de ». Il en résulte une timidité, une inappétence,
voire une répulsion pour les situations phobogènes ou encore des attitudes contraphobiques. L’altération du comportement sexuel peut être partielle (choix de certains
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partenaires, satisfaction élective de certains besoins). Les tendances partielles peuvent
être intéressées (nourriture ou activité de type anal, pulsions exhibitionnistes). De
même certaines activités sexualisées, motrices, sensorielles ou intellectuelles peuvent
être atteintes. Bref le sujet de caractère phobique se protège par cette conduite spécifique en réprimant le désir de satisfactions associées inconsciemment à des besoins
sexuels ou agressifs infantiles.
4. Caractère obsessionnel ou compulsif.
Il recouvre grossièrement celui du psychasthénique ou de l’inémotif (anancastique).
Le point de départ en est le noyau sadique anal. Il lui correspond des mécanismes de
défense spécifiques, isolation, annulation, formations réactionnelles ainsi qu’une valorisation exagérée des concepts et du mot. Le sujet normal peut sublimer des reliquats
de l’érotisme anal qui se manifestent par : recherche de l’abstraction, de la ponctualité, de l’ordre et de l’objectivité. Sur le plan pathologique apparaissent la fatigue
et la difficulté dans le travail. Il existe une véritable « armure physique » (Reich)
attitude corporelle dont le but est de « ne pas se laisser influencer par ce qui se passe
dans l’esprit ». Les troubles végétatifs, les dérivations motrices trahissent la sensibilité
de ces sujets. L’inhibition a pour but l’invulnérabilité, véritable « relation à distance »
­(Bouvet), C’est autant par crainte que par culpabilité de ses pulsions érotiques et
agressives que le sujet, sans rompre le contact, se garde de toute spontanéité avec autrui
grâce à un blocage affectif, à des conduites de repli, ou au contraire une politesse excessive. Ces sujets éprouvent cependant le besoin d’être tolérés par autrui. Ils ne laissent
aucune part à l’intuition. La parcimonie, l’accaparement, la ratiocination, la critique
stérile aboutit à l’inefficacité. A un degré de plus, l’introspection, le perfectionnisme,
le mentime confient à l’idée obsédante et à l’aboulie alors même qu’un parasitisme
idéique s’installe. Ces sujets supportent mal l’autorité et s’ils ont une attitude de soumission et de dépendance apparente, en fait lorsqu’ils sollicitent avis et conseils c’est
de telle façon que ceux-ci répondent à ce qu’ils en attendent. Cette « permission »
déculpabilise le désir qui avait provoqué la sollicitation. L’attitude vis-à-vis de l’argent
est marquée par la culpabilité inconsciente qui se rattache à lui et prend un caractère
irrationnel. Le besoin de propreté plus apparent que réel est parfois un prétexte à
la manipulation d’objets sales. La vie sexuelle est diversement altérée, impuissance,
désintérêt ou continence excessive, la séparation entre sensualité et tendresse est habituelle. La recherche de satisfaction de fantasmes anaux inconscients est retrouvée. Les
traits de caractère obsessionnels sont doués d’une certaine spécificité. Observés dès la
période de latence, remaniés à la puberté, leur origine réelle est loin d’être élucidée.
5. Caractère hystérique.
Ce caractère est plus fréquent chez la femme ; il se voit chez des hyper-émotifs qui
mobilisent en bloc leurs pulsions en les rendant caricaturales. Instables, capricieux, à la
recherche de l’illusion, ils s’évadent dans le fantasme. Ils sont attirés par l’exhibition,
le théâtralisme, la dramatisation. Chantage sentimental sans lendemain, excentricité,
flambée de sentiments violents viennent traduire dans l’action un mélange de séduction et de répulsion. Ces traits de caractère sont sous-tendus par le conflit entre la
peur de la sexualité et les pulsions sexuelles refoulées et par celui de la réjection du
réel avec le besoin d’y retrouver les objets infantiles. Il en résulte une érotisation des
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conduits qui se traduit par un besoin de conquête, de séduction qui se mue en anxiété
dès que le but est proche et aboutit bien souvent à une fuite sans réalisation de l’acte.
La suggestibilité traduit l’aptitude à réactiver des types de conduite infantiles vis-àvis des images parentales. Les réactions émotives libèrent l’énergie refoulée chaque
fois qu’une expérience pénible dérive les pulsions. La répétition active des situations
traumatiques vise à résoudre la situation conflictuelle. La fuite de la réalité se fait vers
le fantasme qui est ensuite agi dans la réalité à l’intention d’un public. Ce jeu rassure
l’hystérique contre son angoisse et sa culpabilité en lui assurant cependant une gratification sexuelle mais aboutit néanmoins à l’échec.
6. Caractère cyclique.
Il comprend la personnalité dépressive et celle, antithétique, à forme d’excitation
euphorique. La personnalité dépressive dont l’accès mélancolique représente l’expression
majeure se caractérise dans sa forme mineure par un sentiment d’infériorité, des réactions d’anxiété et de culpabilité, une sensibilité à la frustration. Insatisfaits, « affamés
d’amour » sans pouvoir aimer activement, ces sujets s’enferment dans une conduite de
dépendance. L’abandon et la solitude sont douloureusement ressentis. La crainte qui
en résulte entraîne le renoncement préventif à toute agressivité. Il arrive à ces sujets
de rompre par anticipation pour éviter la souffrance pressentie de la perte de l’objet.
Le masochisme et les formations réactionnelles orales forment la trame de ce caractère
dont on a voulu décrire une forme particulière, celle de l’abandonnique.
La personnalité à forme d’excitation euphorique est caractérisée par une valorisation de
soi avec une diminution de la « conscience morale » consécutive. Euphorie, victoire
sur les inhibitions, amour excessif de soi, rejet des obligations ou de la dépendance
traduisent le sentiment de toute-puissance du Moi archaïque, libéré de la contrainte du
Sur-Moi, soit en triomphant de lui, soit en s’alliant avec lui dans la certitude d’être
toujours aimé. Le sentiment de jouissance et d’élation qui en résulte n’est qu’éphémère et ce qui a procuré le plaisir est rapidement rejeté sans remords mais remplacé.
Le conflit inconscient persiste : l’exagération des conduites n’est qu’un mécanisme de
négation et de surcompensation.
Dans les caractères cycliques – sans préjuger des rapports qui peuvent exister avec
les formes psychotiques maniaco-dépressives – le sujet vit sur un mode archaïque
des conflits entre le Moi et le Sur-Moi. On en rapprochera les caractères névrotiques
d’Alexander qui connaissent alternativement succès et échecs ou ceux qui remplacent
certaines variations de l’humeur par des « équivalents d’affects somatiques ».
7. Caractère schizoïde.
Nous serons brefs car le caractère schizoïde appartient à la caractérologie classique : désintérêt pour le monde extérieur, repli sur soi, tendance à la rêverie et à
l’autisme résultent de ce que le schizoïde substitue à la réalité l’imaginaire dans lequel
il retrouve sa toute-puissance en prêtant ses émois à un héros, son double, tout en restant
­spectateur et en abdiquant la possibilité de satisfactions réelles.
Il s’agit d’une régression à un niveau de comportement lié à des fixations narcissiques comme le prouve la tendance à réagir aux frustrations par la perte partielle
de l’investissement des objets. Ce retrait narcissique permet au sujet de se défendre
contre l’angoisse qui résulte de la perte de l’objet et par la régression au sentiment de
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toute-puissance d’éviter un sentiment de désagrégation de sa personnalité (dépersonnalisation). La personnalité schizoïde est en fait un caractère narcissique dans lequel
domine un mécanisme d’introversion. La fragilité du Moi de ces sujets est à souligner. La relation d’objet du schizoïde est ambivalente et l’exigence affective ne le
cède souvent pas à l’agressivité. Les manifestations de la sexualité témoignent de fixations intermédiaires entre l’auto-érotisme narcissique et les fixations œdipiennes. La
capacité de conserver ou de réactiver le narcissisime primaire dépend probablement
de facteurs constitutionnels inconnus, mais paraît souvent alimentée par un milieu
familial anormal.
8. Caractère paranoïaque.
Il pose le problème de la limite des constitutions et de l’état morbide et s’étend du
« petit paranoïaque » (Genil Perrin) aux formes délirantes et comprend une série de
formes intermédiaires : paranoïa réactionnelle à des situations vitales ­(Bleuler), paranoïa de compensation (Delay), paranoïa bénigne, abortive caractérogène (Gaupp),
d’auto-punition (Lacan), délire de relation des sensitifs (Kretschmer) ou paranoïa
résiduelle (Ey).
La surestimation pathologique du Moi prend son origine dans l’égocentrisme primitif
et entraîne une altération unilatérale de relations du sujet avec le monde extérieur :
sentiment de vivre dans un univers de « méchanceté convergente ». Il lui est difficile
de redresser le sens des projections qui émanent de lui. La méfiance indique le mécanisme de son trouble. C’est par une fausseté précoce du jugement que le patient se trompe
sur lui-même et sur les autres. Vanité et méfiance sont solidaires, traduisent une systématisation abusive et un trouble de l’auto-critique. Sur ce fond viennent se greffer
des traits secondaires qui feront de lui un persécuté, un jaloux, un hypochondriaque,
un érotomane.
Des troubles de la sexualité objectivent et sous-tendent ces différentes variétés en
fonction du choix de l’objet. Si ce choix est homosexuel, le paranoïaque se défend contre
cette homosexualité latente inconsciente et inacceptable pour le Moi, à la différence
du pervers. Freud a mis en évidence ce mécanisme dans le cas du Président Schreber. À la suite d’une régression à des fixations narcissiques et de l’infléchissement
de la libido sur le Moi, qui a pour résultat d’investir la composante homosexuelle, le
Moi va tenter de retrouver une relation d’objet qui ne peut s’établir que par la mise
en place de formations réactionnelles ou par le délire. Un exemple en est fourni par
le persécuté : la constatation initiale : « je l’aime lui, un homme » détermine le Moi à
se défendre par la négation : « je le déteste » puis en raison de la culpabilité par une
projection : « il me déteste ». Déculpabilisé, le Moi peut admettre « je le déteste
parce qu’il me hait ». Il en est de même pour l’érotomane. Si le choix de l’objet est
hétérosexuel, les mécanismes s’organisent à d’autres niveaux mais ne sont pas différents. Les troubles sexuels proprement dits transposent certaines attitudes vitales :
telle l’éjaculation précoce (refus de donner au partenaire) ou des reliquats de pulsions
­partielles (exhibitionnisme).
9. Caractère pervers.
Dans une perspective psycho-dynamique la notion de caractère pervers tend à donner à la perversion une génèse autre que constitutionnelle et partant des possibilités
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de cure, au même titre que dans une perspective réflexologique, Michaux a décrit
des perversions conditionnées. La perversion réactionnelle associe souvent à un comportement anti-social des déviations sexuelles ; elle est liée à des conflits névrotiques
inconscients qu’il importe de mettre en évidence dans les conditions qui ont entraîné
le passage à l’acte : l’aspect irrationnel de l’acte, la prédominance du masochisme et
des mécanismes auto-punitifs, l’immaturité affective prennent le pas sur les caractéristiques de la perversité constitutionnelle. Plus l’acte pervers est réactionnel, plus
le caractère apparaît formé de composantes autres que perverse : hypochondriaque,
schizoïde, compulsionnelle. La revendication affective domine ; les conduites s’expriment au sein de la famille réelle ou de son substitut. L’appétence toxicomaniaque et
les tendances sexuelles archaïques remplacent parfois les actes antisociaux.
III. Diagnostic différentiel
1. La normalité.
Il est à noter que les sujets atteints de névrose de caractère consultent eux-mêmes
dans les seuls cas où un élément masochique ou un symptôme névrotique mineur
viendra les gêner. Dans d’autres cas, c’est l’entourage qui sollicite l’intervention médicale. Mais il peut s’agir d’un désarroi passager qui ne nécessite pas un traitement qui
suppose une organisation névrotique de la personnalité. Les mécanismes spécifiques
des névroses sont retrouvés au cours d’une cure chez le sujet normal. Ce qui compte,
c’est l’organisation des éléments entre eux et l’ensemble des relations de l’individu et
de son entourage. L’appréciation de l’adaptation (vie sociale et amoureuse) demande
des normes, de même que le sentiment interne de malaise. Un sujet normal peut subir
des fluctuations de cet ordre. Aussi est-on obligé de faire appel à des critères de normalité qui rappellent ceux de la guérison de la cure psychanalytique.
2. Les psycho-névroses.
Il n’y a pas de frontières bien établies avec les névroses de caractère. En effet, le critère classique d’asymptomatisme n’est pas absolu. Pour Reich les défenses de caractère
restent un élément constant et spécifique dans les névroses de caractère alors que les autres
mécanismes de défense sont polymorphes. C’est, semble-t-il, le meilleur critère.
3. Le déséquilibre.
Ou personnalité psychopathique est théoriquement différent en tout point : incapacité à s’adapter au réel et à tenir compte des données sociales, le libre cours donné
aux pulsions et l’expression sans élaboration des affects, les caractères du transfert vécu
habituellement sur le mode de la réjection avec actualisation du passé et phantasmatisation de la réalité et le passage à l’acte qui vient expliquer avec la réjection l’échec du
traitement malgré l’intensité avec laquelle il est vécu sont autant de caractéristiques
des personnalités psychopathiques. Mais les formes intermédiaires sont fréquentes et
posent des problèmes d’indications thérapeutiques difficiles.
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4. Les états psychotiques.
Le caractère paranoïaque pose le problème d’une psychose paranoïaque. En sa
faveur on peut retenir la systématisation des projections et le caractère permanent
de l’agressivité. Les caractères schizoïde et cyclique posent le problème des psychoses
homologues.
IV. Traitement
Les névroses de caractère peuvent bénéficier d’un traitement psychanalytique, mais
les indications sont difficiles à poser. La névrose représente toujours un compromis.
Elle peut n’avoir pas beaucoup gêné la réussite du sujet et il ne faudra pas intervenir imprudemment. De même un sujet bien compensé qui ne sollicite rien, une fois
informé que ses difficultés sont amendables par une cure n’est pas une bonne indication. Dans les cas graves, la névrose de caractère peut représenter le processus de guérison
d’un noyau psychotique. Il faudra donc la respecter. De même il faudra éliminer les
contre-indications plus ou moins formelles liées à l’âge, au niveau mental et culturel,
à l’équilibre social et familial acquis au prix même de la névrose. On tiendra compte
de la volonté de guérir de la coopération, de la plasticité mentale, de l’importance des
bénéfices secondaires, de la profondeur des régressions, de l’intensité des résistances,
en bref de la force du Moi.
Par ordre de choix, les meilleures indications sont les névroses d’échec où les conflits
œdipiens sont assez superficiels et sous-tendus par une culpabilité facilement mobilisable. « Les névroses de destinée » et les caractères masochiques proprement dits sont
déjà d’abord plus difficile. L’indication dans les caractères hystériques est fonction de
l’importance de l’élément déséquilibre. Les caractères obsessionnels peuvent être traités
lorsque l’anxiété n’aura pas été pas trop neutralisée.
Le caractère paranoïaque est en principe une contre-indication ; toutefois l’existence
d’éléments anxieux ou obsessionnels chez des sujets à comportement paranoïaque
peuvent faire tenter une cure prudente. Même dans les formes graves de névrose de
caractère évoquant une structure pré-psychotique, l’abstention ne doit pas être systématique, car la résolution de conflits profonds a pu être obtenue même lorsqu’une
bouffée délirante avait fait interrompre temporairement l’analyse. Parfois une psychothérapie préalable a pu rendre possible une cure ultérieure.
En conclusion, les problèmes nosologiques posés par les névroses de caractère soulignés par tous les auteurs rendent compte des difficultés d’indications thérapeutiques.
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