«Le mystère vient du silence»
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«Le mystère vient du silence»
24 STEVE VAI AUX DOCKS. Pour célébrer le 25e anniversaire de Passion and warfare, le guitariste américain Steve Vai (qui joua avec Frank Zappa, David Lee Roth ou Joe Satriani) donnera un concert très attendu le 30 juin aux Docks de Lausanne. Les billets sont en vente vendredi. La Gruyère / Jeudi 21 avril 2016 / www.lagruyere.ch Culture «Le mystère vient du silence» Avec ses complices Richard Galliano et Jan Lundgren, Paolo Fresu présentait la semaine dernière Mare Nostrum II au Cully Jazz festival. Rencontre avec le trompettiste sarde. I GUY FRAGNIÈRE l est probablement un des trompettistes de jazz contemporain les plus talentueux et renommés. Incontournable de la scène internationale, Paolo Fresu multiplie les projets avec une curiosité sans cesse renouvelée. Jouant sur trois ou quatre projets en parallèle, il a développé un rapport très intime entre sa musique, le monde et sa propre existence. Habitué du Cully Jazz Festival, c’est en compagnie de Richard Galliano et Jan Lundgren qu’il est venu présenter leur nouvel album: Mare Nostrum II. Un concert empreint de la sensibilité qui leur est propre. Ici, la mer n’est pas agitée, mais se tanée. Celui-ci est né à travers quelqu’un qui ne fait pas partie du groupe et c’est une de ses spécificités. Le premier opus de Mare Nostrum date de 2007. Aujourd’hui, ce nom résonne fortement avec la migration et l’opération du même nom qui a eu lieu en 2013 au large de Lampedusa. Reliezvous cette actualité à votre musique? Sûrement. D’abord, Mare Nostrum était un thème composé par Jan Lundgren, que nous avions enregistré dans le premier disque. C’est devenu le titre du CD et le nom du groupe en 2007. Aujourd’hui, alors que que tout le monde connaît la problématique en Méditerranée, on a gardé le même nom. Je viens de la Sardaigne, une petite pierre dans le Méditerranée. Si on garde un nom comme celui-là, nous sommes obligés d’utiliser la musique pour réfléchir sur ce qui se passe. Toutes les fois qu’on parle de «Si on garde un nom comme Mare Nostrum, nous sommes obligés d’utiliser la musique pour réfléchir sur ce qui se passe. On ne peut pas oublier. Il ne faut pas oublier.» PAOLO FRESU révèle douce et bienveillante dans l’osmose lyrique qui lie les trois musiciens. Rencontre avec le trompettiste sarde, avant le concert, entre le sound check et la séance photo. Comment a débuté cette collaboration en trio? J’ai joué quelques fois avec Richard Galliano dans le passé et Jan a rencontré Richard au Japon. C’est René Hess, notre producteur, qui nous a demandé si on avait envie de faire un projet ensemble. Nous sentions évidemment qu’il y avait quelque chose. Nous nous sommes vus, nous avons commencé à jouer et c’était facile, naturel. Normalement, mes projets naissent d’une manière très spon- Mare Nostrum, soit avec la musique soit avec les paroles, on donne une petite contribution pour trouver une résolution du problème. On est complètement dedans. Même si on ne veut pas… On ne peut pas oublier, il ne faut pas oublier. Cette question de la migration était déjà présente dans votre collaboration de 2006 avec Gianmaria Testa, qui nous a quittés récemment… Oui, absolument. Le projet de Gianmaria et tout ce qui vient après… Nous, les Italiens, nous avons migré énormément et nous connaissons bien ce thème. Avec Gianmaria, c’était magnifique. Il y avait une grande MUSIQUE Aurora ALL MY DEMONS GREETING ME AS A FRIEND Glassnote NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ amitié et une complicité entre nous. Nous partagions cette idée de mettre la musique au centre de l’univers, pour changer le monde. On aimait beaucoup la bouffe, on aimait beaucoup le vin. C’est difficile de parler de lui maintenant parce qu’il laisse un trou énorme. On a beaucoup souffert, lui surtout, mais moi aussi. Je pense que Gianmaria, avec son originalité, a changé un peu l’idée de la chanson italienne. C’était un musicien très engagé et quelqu’un qui préférait toujours vivre simplement, dans un rapport de proximité avec le public. On partageait un peu cette idée de la musique. Aujourd’hui, au travers de votre image et de vos nombreux voyages, ressentez-vous le devoir d’ouvrir à votre public un autre regard sur le monde? Absolument. J’étais en Haïti dernièrement pour une opération humanitaire. La situation est vraiment grave. Et, en tant que musicien connu, on a la responsabilité de voyager, de voir des choses et d’offrir une vision sur elles. Je pense qu’il ne suffit pas de faire la musique. Il faut s’engager avec la musique pour d’autres choses. Parce que le sens, aujourd’hui, d’être artiste contemporain, c’est cette façon de voir, de lier la musique à la vie. Dans une interview précédente, vous évoquiez la recherche du son. A quel moment avez-vous rencontré votre identité sonore? J’avais la chance de partager la musique, depuis le premier moment où j’ai joué de la trompette, dans la fanfare du village. Nous étions 50: ce n’est pas tout à fait donné, car il y a des mecs qui font des études au conservatoire, mais qui ne jouent jamais avec personne. C’est une différence énorme. Pour moi, la musique est une chose collective. C’est la festa. Quand j’étais tout seul à la maison, je jouais et je n’avais pas de plaisir, parce que le son de la trompette toute seule, sans les autres, était pour moi quelque chose d’inutile. Je n’avais pas un plaisir personnel intérieur. Jusqu’au jour où j’ai joué une note à la maison et où Avec Richard Galliano et Jan Lundgren, Paolo Fresu vient de sortir Mare Nostrum II, neuf ans après le premier volet. THOMAS SCHLOEMANN j’ai senti que quelque chose était passé. Comme une fenêtre qui tout à coup s’ouvrait. Je ne l’ai pas oublié et, à partir de ce moment-là, tout a changé. Votre travail de l’instrument fait souvent écho à une notion de self-control et de pratique méditative. Trouvez-vous dans la musique une certaine forme de spiritualité? Il y a un mystère, dans la musique, qui appartient à la spiri- MUSIQUE LIVRES Tonbruket FOREVERGREENS Act / Edel Sandrine Collette IL RESTE LA POUSSIÈRE Denoël / 304 pages NOTRE AVIS: ✔ ✔ NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ Décidément, Les dents de scie nordiques le talent n’attend pas les années Dans les incontournables du jazz suédois, E.S.T. a marqué forte- Bien sûr, ce frêle filet de voix fait penser à Björk. Tout comme ces envolées pleines d’un lyrisme vaporeux et contenu. Et cette fragilité revendiquée, comme en équilibre précaire. Aurora Aksnes vient à peine de fêter ses 19 ans et elle fait déjà chavirer la critique internationale, tant son premier album All my demons greeting me as a friend a réuni les louanges aussi bien du New York Times que du Guardian. Une telle unanimité autour de cette blonde norvégienne aurait presque de quoi faire peur. Sous ses airs de poupée à la coupe au carré, Aurora joue du piano, de la guitare et compose ses propres chansons depuis une dizaine d’années. Parfois presque a cappella, avec des arrangements minimaux (Runaway), parfois au cœur d’orchestrations foisonnantes (Conqueror). Avec sa magnifique voix cristalline, la jeune femme distille 17 chansons à l’introspection sidérale où il est beaucoup question d’eau, de loups, de nature sauvage et de meurtres… Tout l’exotisme de la Norvège tel que peut l’imaginer celui qui n’y est jamais allé. Pour couronner le tout, Aurora se produira au Montreux Jazz Festival le 5 juillet. CD tualité. Quelque chose d’inconnu. On est encore là à jouer parce que chaque jour on regarde, on voit, on touche des choses qui ne sont pas là. Je pense que ça, ça appartient à la spiritualité. C’est l’émotion, c’est la poésie. Ce sont toutes des choses que l’émission du son nous provoque et qui peut faire que la musique est très intérieure. Derrière le son, il faut qu’il y ait quelque chose. Le mys- ment les esprits. En 2008, tout s’arrête lorsque son créateur, Esbjörn Svensson meurt tragiquement dans un accident de plongée. Dan Berglund, jusqu’alors bassiste du trio, décide d’aller de l’avant en créant son propre projet, Tonbruket. Forevergreens est le quatrième album de la formation suédoise. Si la voix hispanique qui ouvre le disque présage d’un peu de douceur, ce n’est pas la constante de ce disque qui oscille vigoureusement entre des envies électriques et acoustiques. Les énergies sont très variables et l’on passe, un peu déconcerté, de la ballade rassurante à la froideur spatiale. Réjouissant par sa sensibilité inspirée sur des morceaux comme Sinkadus ou Frösön, le quatuor développe une énergie beaucoup plus dure lorsqu’il aborde un répertoire rock avec des extrêmes comme Linton où la démesure d’effets bruts laisse pantois. Le disque est scindé en deux énergies trop distinctes. Ce ne serait sûrement pas un problème si elles n’étaient pas données avec autant de contraste entre chaque morceau. Du tourbillon d’idées naît la tornade et, si la proposition interpelle, elle n’est pas toujours confortable. GF tère de la musique vient du silence. Si on joue toujours, il n’y a pas de mystère. Le silence, c’est l’inconnu. Le silence, c’est la spiritualité, c’est l’espace où l’on peut imaginer les choses. ■ Paolo Fresu, Richard Galliano, Jan Lundgren, Mare Nostrum II, Act Music NOTRE AVIS: ✔ ✔ ✔ ✔ Rude comme les steppes Après la montagne de Six fourmis blanches (2015), les steppes de Patagonie. Sandrine Collette a l’art de placer ses thrillers au cœur d’une nature hostile et de rendre ce cadre étouffant malgré les étendues infinies. Dans Il reste la poussière, elle explore encore les tréfonds malsains de l’âme humaine. Avec une histoire de frères tortionnaires, comme dans Des nœuds d’acier, qui l’a révélée début 2013. Ne pas en conclure qu’elle se répète: ce nouveau roman, d’une intensité qui ne faiblit pas, confirme son originalité. Rafael, le petit dernier d’une famille d’éleveurs, est malmené par ses frères. Le père a disparu. La mère «née un peu avant les grandes sécheresses de la deuxième moitié du XIXe siècle» ne dit rien. Dans cet univers de violence noire, Rafael tente de se faire une place et de ne pas perdre ses dernières étincelles de vie. De son écriture âpre, Sandrine Collette excelle à montrer ce «sol si aride que la rocaille s’est fendue»: «Malgré les effluves enivrants du foin, la poussière le fait tousser, poussière de terre ramassée au pied des herbes dont elle est indissociable, car ici, quoi que l’on fasse, elle est toujours là sous les sabots des chevaux, derrière les charrettes, au cul des vaches.» EB