Note de Synthèse : Quelle place pour la creation
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Note de Synthèse : Quelle place pour la creation
RENCONTRES CINEMATOGRAPHIQUES DE DIJON 9-12 OCTOBRE 2008 COMPTE-RENDU DU DEBAT QUELLE PLACE POUR LA CREATION CINEMATOGRAPHIQUE DANS LE CADRE DE LA REFORME DE L’AUDIOVISUEL ? Le samedi 11 octobre 2008, ont participé au débat : Christine ALBANEL Ministre de la Culture et de la Communication Philippe BAILLY Directeur associé de NPA Conseil Xavier COUTURE Directeur de la division Contenus du Groupe Orange Patrice DUHAMEL Directeur Général chargé des antennes du Groupe France Télévisions Jacques FANSTEN Auteur Réalisateur Producteur, Membre de L’ARP Président de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) Frédéric MION Secrétaire Général du Groupe Canal + Catherine TASCA Sénatrice des Yvelines Thomas VALENTIN Directeur des programmes du Groupe M6 Le débat a été modéré par Pascal ROGARD Directeur Général de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). I. Introduction Philippe BAILLY constate que le cinéma reste un genre surconsommé à la télévision, même si la tendance est à la baisse. Par ailleurs, le cinéma occupe beaucoup moins de place dans les audiences des chaînes hertziennes. Les raisons sont multiples : • • • Les chaînes diffusent deux fois moins de films en prime time qu’il y a dix ans. Les contraintes de programmation amènent des situations de concurrence frontale. La programmation du cinéma, notamment le dimanche soir, est désacralisée. En revanche, les films sont très nombreux sur les chaînes numériques. Les scores d’audience connaissent leurs meilleurs résultats, souvent supérieurs à un million de spectateurs. Il s’agit essentiellement de rediffusions. Les inédits sont souvent des films de genre, qui trouvent difficilement leur place sur les chaînes hertziennes. On assiste également au développement de l’offre de vidéo à la demande (VOD). L’offre est de plus en plus « fraîche ». En septembre, en outre, l’offre comprenait quatre des cinq meilleurs résultats au box office de janvier. Enfin, trois points peuvent être relevés parmi les explications des difficultés de programmation du cinéma à la télévision. En premier lieu, la programmation de séries de 52 minutes serait plus rentable, grâce aux coupures publicitaires. Le projet de loi propose deux coupures pour les films. Concernant les contraintes de programmation, Canal + diffuse désormais des films le samedi soir, sachant que la procédure de dérogation est légère. Enfin, il convient de noter un effet de lassitude en raison de la multiplication des fenêtres, ce qui rend plus difficile de faire un événement de la diffusion d’un film. II. Intervention de Madame la Ministre de la Culture et de la Communication Selon Christine ALBANEL, la situation est paradoxale : le cinéma français se porte bien, avec 47 % de parts de marché actuellement, alors qu’il est moins exposé sur les chaînes de télévision, dans un paysage audiovisuel qui se transforme néanmoins radicalement. Le système d’obligation de production fonctionne et ne doit pas être remis en cause. En outre, les films rencontrent une audience importante. Les réponses consistent à faire évoluer les relations entre la télévision et le cinéma, objectif fort de la loi qui doit passer au Parlement dans un mois. Un autre projet important est la loi Création et Internet, les téléchargements illégaux ayant des conséquences importantes sur l’économie du cinéma. Concernant l’audiovisuel, le gouvernement souhaite créer les conditions pour que le service public soit moins lié à l’audimat, afin de diffuser des films avec une réelle démarche éditoriale. Il peut exister de la curiosité autour des films moins évidents : il faut créer les conditions pour casser le cercle dans lequel on refuse par avance de porter la passion du cinéma. Enfin, la loi maintient les deux « guichets » France 2 et France 3, en allant jusqu’à 3,5 % du chiffre d’affaires consacré à la production. La loi a également des conséquences pour les chaînes privées. Personne ne souhaite voir une seconde coupure publicitaire. Néanmoins, il faut créer les conditions pour que les films soient diffusés, ne pas faire préférer deux séries plutôt qu’un film. Cela renforcera l’économie des chaînes privées. Pascal ROGARD comprend la logique d’accroissement de la publicité pour les chaînes publiques. Cependant, cela doit s’accompagner de plus d’obligations. III. La réforme du secteur audiovisuel Jacques FANSTEN rappelle que si les créateurs ont longtemps demandé de desserrer le poids de la publicité, cela n’est jamais allé jusqu’à la disparition brutale sans hausse de la redevance. Cette suppression devait accroître la liberté des auteurs, mais de l’argent est nécessaire pour cela. Il convient donc de se demander sur quelle base doit reposer le financement du service public. Jacques FANSTEN demande un engagement de financement du Contrat d’Objectif et de Moyen (COM). Par ailleurs, le Président de France Télévisions pourra être révoqué à tout moment. Dès lors, il sera difficile pour ce dernier de se battre pour le budget. Enfin, Jacques FANSTEN se demande si la cotisation au fonds de soutien du CNC sera comprise dans la dotation de capital de 150 millions d’euros. Le cahier des charges se discute, mais sans les créateurs, qui souhaitent avoir leur mot à dire. Par ailleurs, la loi doit améliorer les possibilités de création. Or dans le rapport Copé, tout est centralisé. Jacques FANSTEN rappelle que les créateurs souhaitent préserver la diversité, en conservant les deux filiales de France Télévisions comme interlocuteurs. La suppression de la publicité dans le service public et la deuxième coupure sont des cadeaux importants pour les chaînes privées. Dans le même temps, elles auront paradoxalement moins d’obligations. Par ailleurs, l’argent qui échappe au service public ira sûrement aux nouveaux entrants, qui ont le moins d’obligations. Enfin, Jacques FANSTEN considère qu’un volontarisme est nécessaire pour lutter contre la désaffection du cinéma français, en instaurant par exemple des quotas. Pascal ROGARD considère que la taxe des télécoms destinée à financer le service public doit lui être directement affectée. Des garanties doivent être obtenues à cet égard. Cette ressource sera beaucoup plus sûre que la publicité, à condition d’être bien affectée. Selon Catherine TASCA, il convient de tenir compte de l’ensemble de la chaîne du cinéma, dont le maintien d’une exploitation dans des salles indépendantes. Il faut se demander si l’interdiction de diffusion certains jours est le bon moyen. Trois objectifs politiques essentiels doivent être maintenus dans la réflexion sur la réforme du secteur : • • • le soutien à la création originale ; la diversité ; le maintien du secteur public. Un élément a profondément marqué la politique de 1986 à 2002 : la recherche d’un relatif équilibre entre le secteur public et le secteur privé. A chaque étape, les obligations ont été partagées. Aujourd'hui, cet équilibre est rompu : • • • dans le financement, avec l’absence de revalorisation de la redevance depuis six ans ; dans l’incapacité des tutelles d’assurer la stabilité des équipes à la tête du service public ; dans le transfert de publicité, le manque du service public risquant de ne pas être compensé. Catherine TASCA considère que le projet de loi remet en cause les trois objectifs majeurs. En outre, le calendrier de la réforme est absurde. Des entreprises de cette envergure ne peuvent subir des revirements à 180 degrés aussi brutalement. Il existe soit une méconnaissance du secteur, soit une volonté d’appauvrissement du service public. Enfin, le fait d’introduire la menace permanente d’un changement de dirigeant met l’entreprise dans une situation de fragilité extrême. Cette réforme opère un retour en arrière sur le lien entre le pouvoir politique et le secteur audiovisuel. IV. Le service public audiovisuel Patrice DUHAMEL considère que les conditions pour France Télévisions sont extrêmement difficiles, dans le calendrier, les modalités financières et le débat sur l’avenir du service public. L’audience du cinéma à la télévision est en baisse. Cela n’est cependant pas dramatique pour France Télévisions, qui ne travaille absolument pas sous le diktat de l’audimat. Selon Patrice DUHAMEL, il existe un problème de prix du cinéma, même si le cinéma français est moins touché. Le prix est largement basé sur l’audience. Or l’écart d’audience avec la TNT est de 1 à 5, tandis que l’écart de prix est de 1 à 20. Le service public apporte la diversité. Ainsi en 2007, France 2 a produit 28 films, avec 28 producteurs différents. Cette diversité restera assurée. Par ailleurs, Patrice DUHAMEL ne souhaite pas entendre parler de « guichet » à propos de l’organisation des chaînes de télévision publiques, qui sont constituées de professionnels. Enfin, il n’est pas question de fusionner les filiales cinéma de France 2 et France 3. Patrice DUHAMEL apporte plusieurs précisions sur l’avenir du cinéma sur France Télévisions : • • • • la diffusion sur France 3, en deuxième partie de soirée, de films de très grande qualité, français et européens ; une exposition large et meilleure du cinéma sur l’ensemble des antennes du service public ; à partir du 5 janvier, une large place au ciné club et aux courts métrages à partir de minuit ; à partir du 1er janvier, la suppression totale des logos des chaînes sur les œuvres. Patrice DUHAMEL ne pense pas que l’affaire des magazines de cinéma soit simple. Très peu d’émissions ont donné satisfaction. France Télévisions réfléchit plutôt à une éditorialisation du cinéma dans les émissions existantes. Un effort important est déjà réalisé dans le journal, notamment régional. Enfin, les objectifs de France Télévision sont les suivants : • • une différenciation encore plus grande avec le secteur privé ; une volonté forte d’indépendance. V. Le secteur privé Thomas VALENTIN rappelle que les chaînes de cinéma en clair sont un partenaire privilégié du cinéma. Ainsi, M6 n’a jamais demandé une baisse des obligations. Cependant, le secteur a évolué depuis dix ans. Dans le même temps, l’obligation de financement est passée de 3 à 3,2 %, mais les films sont très exploités avant la diffusion sur les chaînes hertziennes. Depuis trois ans, les chaînes de télévision françaises connaissent une révolution, avec l’explosion des multi-chaînes. Les chaînes hertziennes, qui financent la moitié de la production cinématographique, voient leur audience baisser. Simultanément arrivent la délinarisation et le piratage. Enfin, la crise financière influe sur les activités de production et de diffusion. Face à ces phénomènes, il était nécessaire que la réglementation évolue. Le marché publicitaire diminue. La publicité sur le service public diminuera, à hauteur de 200 millions d’euros après 20 heures. Cependant, le transfert risque de s’effectuer avec une évaporation. Enfin, M6 n’est pas un mauvais élève en matière de fiction. Cette chaîne investit plus que Canal + dans la production de fictions françaises, en investissant 38 millions sur 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. En outre, elle a développé une offre alternative, qui est importante dans une volonté générale de diversité. Pascal ROGARD rappelle que l’augmentation des obligations de financement du cinéma venait en contrepartie d’une diminution de quatre minutes de la publicité sur le service public. Par ailleurs, il rappelle que la redevance française est faible par rapport aux voisins européens et aux besoins de financement. Christine ALBANEL explique que le but de la réforme n’est pas d’appauvrir France Télévisions et ses programmes. Elle ne pense pas non plus à une rupture d’équilibre. Les chaînes privées disposeront de moyens supplémentaires, ce qui est positif pour le cinéma, les obligations de financement étant liées au chiffre d’affaires. Dans le même temps, le service public sera ambitieux. L’indépendance sera également respectée. VI. La télévision à péage Xavier COUTURE rappelle qu’Orange est encore un débutant dans le domaine des contenus. Il existe un changement profond de paradigme, les moyens de communication ayant radicalement modifié la donne. Orange a réfléchi aux moyens de mieux communiquer vers le public. Orange est éditeur de réseau. Cette différence a conduit à réfléchir à l’ensemble des offres en fonction des demandes des consommateurs : informations supplémentaires, non-linéaire, etc. Par ailleurs, l’éditorialisation est essentielle pour être moteur du soutien à la création. Studio 37 est ainsi un grand défenseur de la diversité du cinéma. Pascal ROGARD considère que le cinéma a besoin d’un groupe Canal + en bonne santé, car il s’agit du principal financeur du cinéma français. Frédéric MION confirme que Canal + a une relation privilégiée avec le cinéma français. La place du cinéma en général n’a jamais été aussi forte dans les programmes de ses différentes chaînes, qui offrent ainsi un contexte favorable pour que l’amateur s’y retrouve. Par ailleurs, Canal + persiste à proposer des émissions autour du cinéma. Cette volonté se traduit par des efforts financiers, Canal + restant le principal soutien financier de la création en France. La préoccupation principale pour maintenir l’effort est que l’offre conserve toute sa valeur lors de l’arrivée dans la programmation. A cet égard, dans un contexte d’explosion de la consommation numérique, il convient de lutter contre le piratage. C’est pourquoi Canal + est favorable à la loi Création et Internet. Par ailleurs, il faut une rénovation de la chronologie des médias : pour que le produit cinématographique conserve sa valeur durant toutes les phases, il convient de mieux distinguer celles-ci, par des systèmes d’exclusivités limitées dans le temps. Le prix de la consommation à l’acte doit également faire l’objet d’une régulation. Enfin, tous les modes d’exploitation d’un film doivent faire l’objet d’obligations. VII. Débat avec la salle Catherine TASCA est très partisane du projet de loi Création et Internet. Selon elle, tout le débat sur la liberté des internautes est naïf ou démagogique. Antoine de CLERMONT-TONNERRE demande si la dotation en capital donnée par l’Etat entrera dans les obligations de financement de la production. Christine ALBANEL répond par l’affirmative. Jack RALITE signale que les députés anglais débattent d’une redistribution de la redevance pour les missions de service public des chaînes privées. En France, par ailleurs, il note la double attaque de l’étatisme et de l’affairisme, dans la loi même, avec la nomination des responsables par le Président de la République et la possibilité de supprimer le seuil de 49 % de concentration dans les médias. L’indépendance sera risible si les choses restent en l’état. Enfin, Jack RALITE craint l’arrivée d’Orange, géant économique, face à la faiblesse du service public. Pascal ROGARD rappelle que le principe adopté dans la directive SMA est que les nouveaux services devront contribuer au soutien de la création européenne. Christine ALBANEL indique que la commission Copé a été très ouverte sur le financement et la compensation. La publicité n’est pas entièrement supprimée. La mesure est une juste réponse aux estimations réalisées. Thomas VALENTIN s’insurge contre la taxe de 3 % sur les ressources publicitaires, sachant que le cinéma a intérêt à avoir le plus d’argent possible dans le système, alors que les chaînes doivent financer des développements technologiques considérables. Christine ALBANEL signale que la redevance sera indexée sur l’inflation, afin qu’elle arrête de baisser.