Comment mieux former à prendre en compte la
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Comment mieux former à prendre en compte la
Comment mieux former à prendre en compte la dignité du patient dans le soin ? Le projet européen Dignity in Care dans la perspective du partenaire lillois. The INTERREG IVA 2 Seas Dignity in Care partnership: KAHO Sint-Lieven, Gent (B), sTimul: care-ethics lab, Moorsele (B), Université Catholique de Lille (F), Zorg-Saam ZeeuwsVlaanderen (Ne), University of Applied Sciences, Zeeland (Ne), Partners in Care, East Dorset Council, (UK). www.dignity-in-care.eu Boitte P. (1, 2), Aiguier G. (1,3), Dequiré AF. (1), Parée B. (4), Cobbaut JP. (1, 3) (1) (2) (3) (4) Centre d’éthique médicale du Département d’éthique / Université Catholique de Lille Faculté Libre de Médecine / Université Catholique de Lille Institut Recherches Santé Social / Université Catholique de Louvain Département d’éthique / Université Catholique de Lille Introduction Le tournant pragmatique de l’éthique dans le champ de la santé et l’idée d’un « savoir-agir éthique » qu’il préfigure transforme aujourd’hui la conception de la pédagogie de l’éthique. Cette dernière s’appréhende en effet comme une compétence transversale que les acteurs du soin se doivent de développer et d’intégrer à leur agir professionnel, pour être à la fois capable de réfléchir aux finalités et au sens de leur agir professionnel, mais aussi d’initier de nouvelles pratiques plus adéquates. Si, dans une contribution qui précède celle-ci1, nous avons développé les fondements théoriques et les implications pédagogiques de ce tournant pragmatique de l’éthique (centration sur les acteurs et l’expérimentation par ces derniers de nouvelles modalités d’action), l’objectif de cette contribution est plutôt d’en présenter une illustration possible, à travers le projet européen Dignity in Care, tel qu’il est développé plus spécifiquement dans la perspective du partenaire lillois. Nous commencerons pour ce faire par présenter la problématique pratique à la source de notre engagement dans ce projet, à savoir la question de la vulnérabilité et de la participation sociale des patients, pour ensuite centrer le propos sur l’un des problèmes éthiques auquel nous renvoie cette problématique : un prendre soin centré sur le patient et visant à intégrer sa perspective. Après nous être référés aux travaux consacrés à l’approche pragmatiste de la pédagogie de l’éthique2, nous pourrons alors présenter le projet Dignity In Care comme contribution possible à une démarche d’apprentissage du soin par les acteurs. Nous conclurons par une présentation des premiers éléments d’évaluation disponibles à ce jour et par la présentation des quelques perspectives qui émergent suite aux premières expérimentations pédagogiques. 1 Cfr. supra dans ce numéro le texte de Aiguier, Boitte et Cobbaut, Repenser la formation à l’éthique sous le prisme du pragmatisme: fondements et implications pédagogiques. 2 Aiguier, G., Le Berre, R., Vanpee, D., Cobbaut, J.Ph. (2012). Du pragmatisme au pragmatisme : quels enjeux pour la formation à l’éthique ? Journal International de Bioéthique, vol. 3/4, 2012, pp. 123-148. 1 Une problématique de départ : vulnérabilités et capacités sociales dans le champ des soins et de la santé La question de la vulnérabilité ou des nouvelles vulnérabilités sociales émerge des pratiques de soin. La question du sort réservé à des malades particulièrement vulnérables (SLA, Alzheimer, fin de vie…) ou celle des enjeux relatifs à la reconnaissance et à la participation sociale des personnes en situation de handicap se trouvent au cœur du projet de l’Université Catholique de Lille et font l’objet de recherches théoriques et pratiques dans notre Université. Car la médecine contemporaine et les systèmes de santé se sont développés dans une perspective de rationalisation et d’efficience des pratiques de soins, alors que, dans une série de domaines, l’évolution démographique, épidémiologique et sociale suscite de nouvelles vulnérabilités et de nouveaux besoins, nécessitant une reconnaissance et un soutien plus globaux de ces publics vulnérables et impliquant une révision des modes de prise en charge ainsi que la mise en place des conditions d’une plus grande implication collective et individuelle des publics concernés. L’évolution législative et réglementaire dans nos secteurs (sanitaire, médico-social, social) souligne ainsi la préoccupation grandissante des pouvoirs publics à prendre en compte l’importance et les nouvelles formes de la vulnérabilité (dépendance et fragilité des personnes âgées, vulnérabilité des personnes en situation de handicap, précarité sociale), tout en promouvant le respect et l’autonomie des personnes. Dans cette perspective, la qualité de vie et la participation sociale des personnes vulnérables dépendant de soins est une priorité stratégique pour l’Université Catholique de Lille, notamment au travers du développement du Pôle Universitaire « Handicap, Dépendance, Citoyenneté » ainsi que du projet « Humanicité ». Une hypothèse : prendre soin de la personne vulnérable requiert un apprentissage éthique Ces orientations transforment aussi les pratiques du prendre soin et soulèvent des questions éthiques majeures : autonomie et projet de vie ; bientraitance ; continuité des soins et interprofessionnalité. Comme équipe universitaire inscrite dans la dynamique « handicaps, dépendance et citoyenneté » de l’UCLille, le Centre d’éthique médicale est amené à approfondir la problématique des vulnérabilités contemporaines et les questions éthiques que ces situations soulèvent ainsi qu’à repenser les modalités pédagogiques que nécessite l’apprentissage du prendre soin dans ce contexte. Il le fait à partir d’une articulation entre éthique, soin et vulnérabilité : en effet, l’éthique médicale a subi une profonde évolution du fait de la transformation des pratiques cliniques, notamment du fait de l’évolution des connaissances et des techniques. Le soin s’en est trouvé modifié par une tendance à se centrer sur les enjeux biomédicaux. Un enjeu central consiste à pouvoir restaurer les enjeux éthiques du soin dans la globalité de l’existence humaine et ce notamment par une meilleure prise en compte du point de vue des patients. Aujourd’hui, l’attention croissante aux nouveaux pouvoirs de la médecine conduit à une attention beaucoup plus grande à la vulnérabilité des patients tout à la fois du fait de ces nouvelles capacités techniques mais aussi de la prise en compte des patients plus fragiles comme les enfants, les personnes âgées ou les personnes handicapées. De nouvelles modalités pédagogiques d’apprentissage du prendre soin Dans cette perspective, l’apprentissage de l’éthique du soin doit forcément évoluer. Se former à l’éthique de la santé ne vise plus principalement à mobiliser des références théoriques prédéterminées pour aider les acteurs à mieux comprendre les enjeux moraux 2 inhérents à leurs pratiques. La finalité centrale de la formation devient la production par les acteurs eux-mêmes d’une action collective susceptible de répondre aux exigences d’une prise en charge des patients de plus en plus complexe. La formation à l’éthique est ainsi amenée à proposer de nouvelles modalités pédagogiques pour accompagner les sujets-apprenants dans l’acquisition et le développement continu de ressources en éthique, et ce en complément des dispositifs plus traditionnels d’enseignement initial et de formation continue à l’éthique. Le projet Dignity in Care renvoie très clairement à de telles modalités. Si la participation de notre Université à ce projet contribue à renforcer le développement déjà entamé d’une démarche interprofessionnelle et interdisciplinaire dans le cadre des formations professionnelles dans le domaine du soin, elle fait également droit à la perspective d’éthique contextuelle et pragmatique développée par le Centre d’Ethique Médicale. Une approche contextuelle et pragmatique centrée sur l’expérience des acteurs Le Centre d’Ethique Médicale est impliqué dans la formation en sciences humaines et en éthique en faculté de médecine et dans les écoles de santé de l’UCLille depuis plusieurs années ainsi que dans une activité d’éthique clinique avec les soignants dans différents services de soin. A partir de cette expérience, nous avons développé une approche contextuelle et pragmatique de l’éthique du soin basée sur l’expérience des acteurs du soin. Cette approche nous a également amené à être de plus en plus attentifs à la dimension organisationnelle et institutionnelle des pratiques de soin du point de vue éthique 3. De plus, notre université développe un vaste projet de quartier de ville autour de l’hôpital universitaire. Ce projet entend promouvoir une vie en mixité sociale intégrant des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. L’université développe également un pôle de recherche et de formation « handicap, dépendance et citoyenneté ». Ces différents éléments ont motivé la participation au projet « Dignity In Care ». Dignity in care : une démarche innovante et fédératrice en pédagogie de l’éthique du soin Dignity in care permet de développer une réflexion éthique sur le « prendre soin » par la mise en œuvre, au sein d’un laboratoire d'éthique des soins, d'une pédagogie centrée sur l'expérience des soignants professionnels et des étudiants. En effet, ce projet, qui réunit six partenaires flamands, néerlandais, anglais et français, vise à améliorer la pratique et la réflexion critique sur les pratiques du soin, à partir de l’immersion pendant deux jours et une nuit à sTimul, laboratoire d’éthique du soin (en Flandre ou en Zélande), de professionnels de santé (qui simulent des patients dépendants) et d’étudiants en santé (donneurs de soins). Le Centre d’éthique médicale (Département d’éthique de l’Institut Catholique de Lille), des établissements de formation en soins infirmiers (IFSanté), en médecine (FLM), en kinésithérapie (IKPO) ainsi que des établissements de soins (le Groupement Hospitalier de l’Institut Catholique de Lille et l’Etablissement Hospitalier pour Personnes Agées Dépendantes Féron-Vrau) collaborent activement à ce projet fédérateur et transversal du Pôle Santé Social de notre Université. La grande originalité de ce projet est de rendre possible l’expérimentation du fait de recevoir ou de donner des soins dans un contexte aussi authentique que possible. La session 3 Voir l’article de Boitte P. et Cobbaut JP. Vers une gouvernance réflexive de la démarche éthique dans les institutions de soins. Journal International de Bioéthique, 2012, vol. 23, n°3-4, pp. 15-31. 3 d’immersion de deux jours, l’analyse à chaud de l’expérience vécue puis, à distance, six semaines plus tard, par les participants eux-mêmes des effets de cette session sur leur propre pratique sont les éléments les plus significatifs de cette démarche pédagogique. Un processus d’évaluation à plusieurs niveaux Un premier niveau concerne l’ensemble des partenaires et l’activité que constitue les sessions sTimul. Un Groupe d’experts européens évalue quantitativement (par le biais d’un questionnaire commun) l’appréciation de la session sTimul par ses participants. Cette évaluation porte aujourd’hui sur une douzaine de sessions et fait apparaître que l’expérience est très largement appréciée et reconnue comme une occasion d’apprentissage sur soimême, sur ses relations avec les autres ainsi que sur le soin lui-même. Un deuxième niveau d’évaluation concerne les autres activités de Dignity in Care (visites d’études transfrontalières, évènements de réseautage, conférences euro-régionales) qui contribuent également à la diffusion de la thématique du projet. Un troisième niveau d’évaluation, plus qualitative et effectuée par le Centre d’éthique médicale, concerne plus spécifiquement l’activité lilloise. Il s’agira d’analyser les matériaux accumulés (comptes-rendus, enregistrements de réunions divers, films..) accumulés au fil des activités du projet du point de vue de la question de l’inter-professionnalité qui est la porte d’entrée spécifique du partenaire lillois dans ce projet. Des premières évaluations encourageantes Depuis janvier 2012, plusieurs sessions ont eu lieu. Un premier groupe, composé de 9 étudiants des trois établissements de formation et de 9 professionnels et formateurs, ont participé à la première session dans le laboratoire sTimul. Les étudiants ont pris le rôle de soignants, tandis que les professionnels et les formateurs ont endossé le rôle qu’ils avaient défini préalablement de personnes dépendantes. Un travail de débriefing est réalisé en fin de session et une demi-journée de réflexion et d’évaluation est proposée à deux semaines de distance. Trois moments de débriefing sont organisés pour chaque session : un premier lors de la première journée pour caler le jeu de rôle ; un deuxième durant une heure à la fin des deux journées plus centré sur la question de l’éthique du soin ; un troisième enfin six semaines plus tard pendant une matinée (d’abord en séparant étudiants et professionnels ; ensuite en les rassemblant) qui aborde les conséquences de cette session sur les pratiques professionnelles ou de stage. Ces temps de débriefing permettent un retour réflexif en cours de session et après coup pour les participants. Les étudiants reviennent sur les soins prodigués individuellement et collectivement avec la perspective d’un ajustement possible de leur posture dans la suite de la session et dans la suite de leurs stages ; pour les professionnels, cette expérience questionne leur propre pratique de soignants à partir de la posture personnelle qui a été la leur pendant le jeu de rôle ; et pour les formateurs en soins infirmiers, l’expérience ajoute à la fois la préoccupation de la dimension éthique dans leur pratique pédagogique et la nécessité de repenser certaines pratiques pédagogiques et certains contenus de formation liés à des compétences professionnelles. Les premières réactions à l’égard du projet sont globalement positives et permettent d’ores et déjà d’affirmer le réel intérêt de la démarche, sur la base de la satisfaction rapportée des 4 participants à cette expérience, satisfaction qui constitue un critère valide de la pertinence de l’expérience4. L’apport majeur de cette démarche est de permettre aux participants (étudiants et professionnels, séparément et ensemble) d’analyser ce qui s’est passé lors de ces deux jours et une nuit et de dialoguer à propos des séquences qu’ils viennent de vivre et où il ne s’agit presque jamais de questions strictes de soins. Les participants ont trouvé l’expérience très interpellante. Elle permet par exemple de prendre en compte individuellement et collectivement la difficulté de réellement écouter les patients. Elle questionne aussi les représentations à la base de l’organisation des soins, qui rend cette organisation parfois trop rigide car trop pré-organisée et trop pré-formatée. Lors du jeu de rôles, ces représentations sont sérieusement mises à mal et montrent leurs limites. Quelle place par exemple y est donnée à la prise en compte de la perspective des patients ? Enfin, l’expérience sTimul favorise semble-t-il la construction d’une problématique commune, à savoir celle du soin, partagée par l’ensemble des acteurs impliqués dans le dispositif. Elle paraît donc de nature à modifier le type de relation entre les formateurs, les professionnels et les étudiants et à mieux réfléchir à la formation des professionnels de santé en général. Les sessions permettent aussi de développer l’attention à l’inter-professionnalité qui marque la spécificité de notre engagement dans le projet. Les participants découvrent des enjeux à la fois communs et spécifiques du soin pour les différentes professions représentées, l’impact de l’articulation entre les différentes professions ainsi que celui de l’organisation de l’équipe sur la qualité des soins et la prise en compte du patient, de ses besoins et de ses demandes. Un dispositif à améliorer et à compléter Ce dispositif pédagogique apparaît ainsi d’une grande puissance et d’une grande richesse. Mais s’il permet de prendre conscience par l’expérience vécue de l’importance d’une démarche éthique des soins, différentes stratégies pédagogiques doivent certainement compléter et renforcer ce dispositif : des séquences d’analyse éthique des pratiques, la possibilité pour les participants de prolonger et d’approfondir leurs échanges dans le cadre d’une plateforme de formation à distance comprenant des espaces de discussion et diverses ressources, une réflexion sur l’articulation entre la formation dans les écoles et l’apprentissage en contexte durant les stages… Bref, du travail d’innovation pédagogique en perspective au service d’une éthique qui prenne en compte les dimensions émotionnelles, relationnelles et organisationnelles du soin. 4 Voir par exemple Delany C. and Hall G. ‘I just love these sessions’. Should physician satisfaction matter in clinical ethics consultations ? Clinical Ethics, 2012 ; 7 :116-121. 5