vol d`ange

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vol d`ange
Vol d’ange
Ca y est ! Le professeur Lidenbrouken m’a greffée. Mon dos est désormais orné de deux
grandes ailes ivoire douces comme la soie. En effet les savants de son laboratoire ont décidé
d’hybrider les hommes et les colombes pour rendre l’humanité plus pacifique et qu’elle puisse
réaliser un rêve universel depuis la fameuse et triste expérience de Dédale et de son fils Icare.
Aujourd’hui, en octobre 2847, enfin un être humain parvient à voler sans utiliser de machine
sophistiquée qui en plus pollue notre atmosphère.
Moi, Angèle, je suis l’une des cobayes de ces scientifiques. Je m’habitue peu à peu à ces
nouveaux membres qui font maintenant partie intégrante de mon corps depuis deux mois. J’ai
été mise au courant lors de l’entretien préliminaire que j’aurai des tâches à accomplir.
Aujourd’hui, je prendrai connaissance de la mission qui me sera confiée pour les années à
venir. En attendant je me fais belle, je choisis de porter une jolie robe blanche qui est en
parfaite harmonie avec mes ailes et je prends soin de moi. Du vernis à ongles aux bijoux, tout
y passe, même la coiffure. Il n’est pas question que quelqu’un, encore moins un garçon ou
mon patron, ne me voie comme ça !!
Quelques heures plus tard, le professeur me donna mon ouvrage. Ma charge était ardue :
enrayer les guerres des hommes, un vaste programme ! Monsieur Lidenbrouken m’offrit
alors un objet qu’il appela télécommande téléportatemporairephonique. Ce nom était fort
complexe mais, comme pour de nombreuses choses sur cette terre, il m’expliqua que par
abréviation on appelait cet engin une TT. C’était un objet circulaire avec un écran rosé et les
côtés violacés. Je comprenais enfin pourquoi l’une des questions lors de mon embauche avait
porté sur mes couleurs préférées. Un vrai petit bijou de sac à main ! Magnifique objet auquel
je pourrais vite devenir accro ! Je pouvais discerner trois boutons: l’un servait à se téléporter,
un autre à voyager dans le temps et un dernier pour les communications holographiques.
L’équipe de scientifiques ne me donna aucune directive particulière si ce n’est de brèves
explications sur l’utilisation des commandes. Des informations de base sans réel intérêt. Je
pouvais débuter ma mission dès que je me sentirais prête mais sans trop tarder, la situation
mondiale en dépendait et les guerres, aux raisons diverses, plus violentes les unes que les
autres faisaient rage en tous endroits.
Je décidais le lendemain des combats dans lesquels j’effectuerais ma première action ...
Pourquoi pas la guerre du Pakistan ? Les guerres de religion, cela semble être un bon sujet
pour les débutants, non ? Quoi que…
Pour mieux comprendre la situation, je décidais de consulter une spécialiste qui s’était fait
connaître dans le temps mais était aujourd’hui presque oubliée malheureusement. Malala
Yousafzai avait vécu au début du XXIe siècle, et d’après mes connaissances historiques avait
survécu à un attentat en octobre 2012. Elle valait le détour, elle avait même reçu le prix Nobel
de la paix. Je décidais donc de lui rendre visite en 2013 alors qu’elle se trouvait en
convalescence à Birmingham. J’attrapais donc ma TT et me retrouvais directement dans la
chambre d’hôpital souhaitée. Après avoir salué l’héroïne, je me fis passer pour une
admiratrice contemporaine venue la soutenir. Difficilement, et afin de lui fournir une
explication plausible concernant mes ailes, je lui fis croire que je portais un déguisement pour
une soirée à laquelle j’étais conviée. Elle me renseigna ensuite sur le contexte historique dans
lequel elle avait évolué dans la vallée de Swat. Elle me parla aussi de son exil forcé en ville,
des difficultés qu’elle avait rencontrées afin de pouvoir être scolarisée et de la peur
omniprésente qui la tenaillait chaque jour à Mingora. Je la quittais quelques heures plus tard
bien au fait de la situation dans ces pays accablés par les combats.
Voilà aujourd’hui des siècles et des siècles que des ultras sèment la terreur sur leur pays, je
l’ai étudié dans mes cours d’histoire de l’académie primaire, Malala a complété mes
connaissances, je maîtrise le sujet et je suis révoltée qu’à l’heure actuelle encore des jeunes
filles ne soient pas libres d’étudier, de se cultiver et d’évoluer dans la société. De plus, depuis
2293, les talibans exercent une autorité titanesque avec des ordres aussi insensés que leurs
punitions : peine de mort, supplice du jeûne, tortures dignes du moyen âge et j’en passe des
plus terribles encore. Cette première mission me semblait une juste cause, bien choisie.
Je me servis de nouveau de la TT pour me téléporter là bas.
« Alors, bouton gauche…penser à là où je désire me rendre…Hop !voila ! »
La guerre battait son plein : les soldats enchaînaient les corps à corps dans la boue mêlée au
sang, et de nombreux sous-officiers grelottaient, transis de froid, blessés, et malades, au fond
de leurs tranchées. Je décidais de regarder la scène depuis le ciel ce qui m’éclaircirait
probablement les idées. Soudain, à ma grande surprise, sous mes yeux, la paix revint sur cette
triste plaine souillée où quelques minutes auparavant des hommes mouraient toutes les
minutes. Ma mission ici semblait donc vouée à l’échec, plus aucune guerre à éradiquer, au
moment même où je me rendais sur place les combats venaient de cesser. Je choisis donc de
m’envoler vers le nord. Je réitérais l’expérience sur le champ de bataille suivant et je me
rendis vite compte qu’à chaque vallée survolée, la quiétude revenait. Je compris alors que
planer au dessus d’un lieu lui ramenait la sérénité, et je me promis que, même si l’épuisement
s’en mêlait, je survolerais chaque moindre parcelle de ce pays déchiré par les extrémistes.
Je devais procéder avec ordre et méthode. Je commençais alors mon ouvrage par le petit
village de pêcheurs de Meerwala. Aucune cabane n’avait été épargnée, aussi éloignée soit
elle. Je fis trois fois le tour de la mosquée et quatre fois celui de l’école de ce lieu troublé qui
redevint instantanément un véritable avant-goût de paradis
La plus éprouvante de ces scènes fut sans aucun doute lorsque je vis un boulet de canon
passer au ras d’enfants jouant dans leur jardin. Il s’en était fallu de peu, heureusement je
passais par là au bon moment faisant disparaitre le projectile qui s’envola tel un ballon de
baudruche vers le ciel. Je pense n’avoir jamais ressenti un soulagement aussi fort que celui
que j’ai vécu au moment où la sphère de métal s’est mise à flotter lentement vers les nuages.
Quand le calme est revenu partout au Pakistan, j’ai décidé de me rendre à Mingora, village
natal de Malala. Puis je suis retournée, à l’aide de ma TT, au temps où la végétation abondait
dans certaines régions de France. J’ai cueilli un rameau d’olivier et me suis employée à le
planter avec soin et amour sur le sol Pakistanais, en symbole de la réussite de ma mission et
de la paix retrouvée. J’avais lu cela quelque part, dans les temps anciens, cette plante voulait
dire beaucoup. Tout le monde l’avait à présent oubliée depuis que sans couche d’ozone elle
avait tout simplement grillé. Mais il me tenait à cœur de la remettre au goût du jour et de m’en
servir comme signature. Certains super héros inscrivaient leurs initiales sur les murs pour
laisser une trace de leur passage ; je ne suis pas une héroïne, je ne suis qu’une artisane de la
paix, une femme-colombe portant un rameau d’olivier. Je mène simplement mon combat,
mon devoir pour un monde meilleur et je souhaite poursuivre mes missions afin que chacun
vive sur terre comme au paradis. Comptez sur moi, les guerres seront bientôt trépas.