Durabilité pour combler le «fossé digital
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Durabilité pour combler le «fossé digital
12 // Focus: Les écobilans Durabilité pour combler le «fossé digital» «Internet pour tous!» telle est l’une des exigences formulées en politique de la formation. Et cela particulièrement pour les pays émergents et en voie de développement dans lesquels seule une minorité a accès à l’ordinateur. Mais comment combler ce fossé digital de manière à ce que le bénéfice pour la société soit le plus grand possible et que par contre la charge sur l’environnement demeure aussi faible que possible? Quelle est la meilleure solution pour cela, le nouvel ordinateur portable à 100 dollars «XO» ou l’ordinateur de seconde main rééquipé? Une étude de l’Empa fournit une réponse. TEXTE: Michael Hagmann e «fossé digital» devient de plus en plus large. Alors qu’Internet et d’autres technologies de l’information et de la communication (ICT) rapprochent de plus en plus entre eux les pays industrialisés, une grande partie de la population mondiale reste exclue de ce développement et se trouve ainsi «offline» malgré elle. Dans un monde qui se développe – comme on le prétend généralement – vers une société de l’information, voire même vers une société de la science, cela a des conséquences graves: celui qui a accès aux ICT les plus modernes a de meilleures chances de promotion économique et sociale. Le magazine allemand «Focus» a émis à ce sujet une mise en garde contre le risque du développement d’une nouvelle société à deux classes avec un «élite de l’information» et des «analphabètes digitaux». Peut-être pas totalement à tort si l’on considère les chiffres – rares et pas toujours fiables. Ainsi en Afrique, par exemple, moins des quatre pour-cent de la population est online et pas même un pour-cent possède un raccordement Internet large bande. L Un pont lancé au-dessus du fossé digital Pour surmonter ce fossé digital, l’ONU a organisé en 2003 à Genève et en 2005 à Tunis un «Sommet mondial de la société de l’information». Simultanément de nombreux pays émergents et en voie de développement s’équipent en digital. Le gouvernement colombien a lancé par exemple en 2000 déjà un programme «Computadores para Educar» (CPE, ordinateurs pour l’éducation). L’objectif de ce programme est de rééquiper techniquement des ordinateurs, des écrans et des accessoires pour les distribuer ensuite à bas prix aux établissements d’éducation. Depuis, le CPE a fournit à près de 9 400 écoles des ordinateurs de seconde main collectés et rééquipés dans cinq centres créés spécialement à cet effet en Colombie. D’autres pays, tels que l’Urguay et le Ruanda, misent sur le «portable à 100 dollars» XO, le premier ordinateur conçu spécialement pour les besoins des écoliers et écolières des pays en voie de développement. A vrais dire cet ordinateur coûte actuellement 188 dollars US, sa dénomination était une sorte d’objectif de ses «inventeurs», les chercheurs du MIT Nicholas Negroponte et Marie Lou Jepsen qui avaient présenté pour la première fois leur vision lors du Focus: Les écobilans // 13 Forum économique mondial en 2005 et qui ont créé plus tard la fondation «One Laptop Per Child» (OLPC) qui distribue aujourd’hui cet ordinateur. Le XO, qui offre une quantité de nouveautés, est considéré comme une petite révolution dans le domaine de l’informatique. C’est ainsi qu’il ne renferme, au contraire des ordinateurs courant, «pratiquement plus aucune matière toxique et son élimination ne pose ainsi pas de problèmes» comme l’explique Heinz Böni, qui dirige le groupe sustec (pour «sustainable technology cooperation») de l’Empa, groupe dont le but est de transférer et de mettre en pratique dans les pays émergents et en voie de développement des technologies ménageant les ressources. Pour ce qui est de sa consommation d’énergie aussi, le XO fait figure de pionnier car cette consommation n’atteint que dix pour-cent de celle d’un ordinateur portable standard. Et – last but not least: son écran reste parfaitement lisible même sous un soleil éclatant et il se met automatiquement en réseau avec les appareils voisins ce qui permet par exemple d’accéder à Internet au travers de l’un d’eux. Ordinateur portable à 100 dollars contre ordinateur de seconde main Quelle est la solution la plus durable, cela si l’on tient compte aussi de la totalité du cycle de vie des produits ainsi que des facteurs socio-économiques, tels que la création d’emplois locaux, et des aspects touchant la formation – le phénoménal XO ou un ordinateur de seconde main rééquipé? Pour y répondre, Böni et ses collègues ont comparé trois scénarios: le XO, des ordinateurs de seconde main complètement rééquipés en Colombie et des ordinateurs importés remis à neuf à l’étranger par des organisations non gouvernementales telles que «ComputerAid» ou «World Computer Exchange. Cette analyse tient compte de nombreux facteurs: prix et totalité des frais d’entretien, niveau technique des appareils, participation de l’économie locale, consommation d’énergie, de matériaux et d’eau pour la fabrication et en utilisation, pollution de l’environnement, par exemple par des émissions toxiques. Ces critères ont été pondérés par des experts dans des entretiens menés sur place pour calculer ensuite une valeur d’utilisation globale. Le rôle précurseur de la Colombie Les conclusions de cette étude que Böni a présentées à la mi-septembre lors du congrès «Electronic Goes Green 2008+» à Berlin: la remise à niveau des ordinateurs de seconde main en Colombie est d’une manière générale la solution la plus durable – bien que les coûts par appareil soient plus élevés et le standard technique plus bas. Si l’on désire par contre des ordinateurs aussi bon marché que possible et techniquement avancés, c’est le XO qui est le meilleur, et qui consomme aussi de loin le moins d’énergie et dont l’utilisation est ainsi écologique. La pollution de l’environnement due à la fabrication de nouveaux appareils exerce toutefois un effet dominant, ce qui confère au XO un écobilan global négatif. Et par ailleurs le marché du travail local ne profite guère du XO. >> Bon marché – mais cependant aussi chic: le nouvel ordinateur portable XO doit aider les écoliers des pays émergents et en voie de développement à surmonter le fossé digital. (Photo: Mike McGregor) 14 // Focus: Les écobilans >> «On peut considérer le XO comme un complément» déclare aussi Böni. «Mais un pays qui mise entièrement sur le XO n’utilise pas de manière optimale ses ressources matérielles et humaines.» Ceci s’applique aussi à la Colombie, qui possède le plus vaste programme de recyclage d’ordinateurs de toute l’Amérique latine. Comme le gouvernement colombien s’est donné pour objectif ambitieux de réduire d’actuellement 40 à 20 le nombre des élèves qui doivent se partager un ordinateur, le programme CPE doit recourir à des ordinateurs «étrangers». Selon les analyses de Böni, la solution qui présente la meilleure durabilité serait de recourir dans un premier temps à des ordinateurs rééquipés à l’étranger. Par exemple à des ordinateurs provenant de Suisse. Dans ce cas, les Colombiens pourraient toutefois attendre encore longtemps car ici le recyclage et la réutilisation – pour autant qu’elle existe – des appareils électroniques ne sont pas couplés. «Si nous retournons un ordinateur mis au rebut chez le marchand, celui-ci a l’obligation de le reprendre. Jusque là tout va pour le mieux. Mais ensuite l’appareil atterrit dans le recyclage, autrement dit il est éliminé» explique Böni. C’est ce qu’exige la loi. Une deuxième utilisation est ainsi exclue, il n’existe pas de programme de grande envergure de réutilisation dans le domaine ICT. «Lorsque je vois quels ordinateurs atterrissent chez nous dans le recyclage, les larmes me montent aux yeux» déclare Böni. // La Suisse soutient le recyclage des déchets électroniques en Amérique latine «Cimetière d’ordinateurs» en Colombie: depuis 2007, le «Centro Nacional del Aprovechamiento de Residuos Electronicos» (CENARE) à Bogota procède à l’élimination dans les règles de l’art des ordinateurs usagés. Pour cela, les ordinaeurs sont démontés autant que possible manuellement et leurs composants vendus à d’autres entreprises de recyclage ou à des fonderies. Certains composants sont utilisés dans le programme «Robotic» dans lequel le gouvernement colombien s’efforce d’éveiller l’intérêt des écoliers et des étudiants pour l’électronique et la technologie en général. (Photos: CENARE) Même après plusieurs rééquipements et réutilisations – tout ordinateur finit un jour ou l’autre par rendre l’âme définitivement. Il faut alors l’éliminer de manière appropriée en tant que déchet électronique car à côté de matières premières de valeur, la plupart des appareils électriques renferment aussi des toxiques tels que des métaux lourds et des produits ignifugeants. A la mi-juillet, le Secrétariat d’Etat à l’économie Seco a décidé de soutenir pour un montant de 1.7 millions de francs sur trois ans un projet de recyclage des déchets électroniques en Colombie et au Pérou mené sous la conduite de l’Empa. Dans ces deux pays, les quantités de «déchets d’ordinateurs» atteignent chaque année de 7 000 à 9 000 tonnes, avec une tendance à la hausse. Des systèmes de recyclage conformes aux exigences de l’environnement doivent être mis en place avec des partenaires locaux. «Un joli succès» se réjouit le chef de projet Heinz Böni du groupe sustec de l’Empa (voir article principal). «Nous pouvons apporter dans ces projets notre expérience de plus de trois ans acquise dans des projets en cours en Inde, en Chine et en Afrique du Sud.» En Afrique du Sud, tous les acteurs du secteur IT se sont regroupés pour faire progresser le recyclage des déchets électroniques; au mois de mars de cette année, la première usine de recyclage de déchets électronique du pays a été inaugurée au Cap. Et en Chine, l’Empa a conseillé le gouvernement lors de l’élaboration d’une nouvelle loi sur les déchets électroniques. «Le fait que ce ne soit ni les USA ni l’Allemagne mais un petit pays comme la Suisse qui ait décroché la timbale est une belle reconnaissance pour nous» déclare Böni.