Mauro Herce : « Sans regard, pas de film : tout n`est qu`artifice

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Mauro Herce : « Sans regard, pas de film : tout n`est qu`artifice
Mauro Herce : « Sans regard, pas de film : tout n’est qu’artifice ! »
Le réalisateur catalan Mauro Herce a été membre du jury Documentaires du
53e Festival international de cinéma de Gijon, qui eut lieu du 20 au 28 novembre
dernier. Y était également projeté (hors-compétition) son premier film, Dead Slow
Ahead : l’histoire d’un marin sur un cargo, travaillant sous le joug de machines
irrémédiablement régulières, efficaces, impersonnelles. Ce documentaire avait
notamment reçu le grand Prix, ‘Opus Bonum’, au dernier Festival international du
documentaire de Jihlava, fin octobre dernier.
Votre film représente une immersion dans une atmosphère unique. Quels moyens
et quel équipement avez-vous utilisés pour réussir une telle prouesse ?
Mauro Herce : Je travaillais avec un technicien et moi j’étais à la caméra. J’ai pensé
amener un acteur pour déclencher certaines situations, mais il était impossible d’accepter
trois personnes sur un bateau. En tournage, j’aime avoir assez de liberté pour réinventer le
film, pouvoir aller d’un côté ou d’un autre, en me fiant à mon intuition, savoir qu’en
provoquant les choses, je peux amener le film là où ça m’intéresse. J’aime que tout reste
ouvert.
N’est-ce-pas trahir le « manuel du parfait documentariste » ?
Je trahis sans cesse : les choses pures et strictes ne m’intéressent pas. Je crois qu’il n’y a ni
véritable documentaire, ni véritable fiction, mais seulement des étiquettes pour les définir.
Dans le fond, la fiction a toujours quelque chose de réel, et le documentaire se construit
comme une fiction : les deux se contaminent l’un l’autre. Et il y a toujours un regard : sans
regard, il n’y a pas de film, et c’est pour ça que tout n’est qu’artifice.
Combien de temps a duré le tournage à bord du cargo ?
Ça a été un défi de trouver un équipage qui voulait bien nous laisser monter à bord. Nous
sommes partis d’Odessa en Ukraine, nous avons traversé le Bosphore, la Méditerranée, le
Canal de Suez, la Mer Rouge et sommes arrivés en Jordanie pour y apporter du blé. Une fois
la cargaison déchargée, nous avons parcouru toute la Méditerranée jusqu’à Gibraltar,
traversé l’Atlantique et remonté par la Nouvelle-Orléans jusqu’au Mississippi pour charger
du charbon. Le voyage a duré deux mois et demi au total.
Y avait-il un scénario pour ce film?
J’ai dû écrire une sorte de scénario pour obtenir un financement, même si je l’ai toujours
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Mauro Herce : « Sans regard, pas de film : tout n’est qu’artifice ! »
laissé très ouvert. Je savais de quoi je voulais que le film parle, mais j’étais aussi conscient
que tout pouvait arriver pendant le tournage. Il était important pour moi d’avoir du temps :
je suis convaincu que c’est en passant du temps dans un lieu qu’on peut comprendre
comment il fonctionne et trouver un point de contact entre la vision qu’on a du monde et
celle que ce lieu a à offrir.
Votre idée initiale a-t-elle beaucoup évolué au fil du tournage ?
Oui, elle se transforme toujours. Pour moi c’est quelque chose d’essentiel : le cinéma est
plus qu’un métier, c’est presque une nécessité. Je passe mes journées à filmer, je vis à
travers la caméra. Si je n’apprenais pas ce faisant des choses sur moi-même ou sur le monde
que je filme, alors pour moi filmer n’aurait pas d’intérêt. Pour faire naître l’émotion, je dois
me transformer. Et pour la transmettre au spectateur, je dois partager cette expérience.
Aviez-vous des références cinématographiques avant le tournage ?
J’aime beaucoup la littérature et les films marins, mais quand je travaille, j’essaye d’oublier
tout ce que je connais. Je dirais même plus : quand je reconnais des procédés que j’ai déjà
croisés au cinéma, je sens que je fais fausse route et je m’en éloigne, parce que je sais déjà
où mène ce chemin ; il ne conduit ni à l’émotion, ni à la surprise. Ce que je cherche, c’est la
surprise. Parfois, je ne sais pas comment y arriver, ça marche par élimination progressive :
je ne sais pas ce que je veux, mais je sais ce que je ne veux pas ; au fur et à mesure, je me
libère des références et des idées qui m’encombrent… Il m’est arrivé, certains matins,
d’écrire un petit guide des choses que je voulais filmer et de l’abandonner la même journée
parce qu’il commençait à se passer des choses bien plus authentiques.
Propos recueillis par Alfonso RIVERA
Source partenaire : Cineuropa.
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