Serge Prokofiev (1891-1953) - Orchestre symphonique de Bretagne

Transcription

Serge Prokofiev (1891-1953) - Orchestre symphonique de Bretagne
Serge Prokofiev (1891-1953)
Pierre et le loup, conte symphonique pour enfants, op. 67 (1936)
Féerie poétique et fable politique ?
Serge Prokofiev fait parti de ces compositeurs que l’histoire chahuta. Mort
le même jour que Staline, il connut l’exil, la persécution, les honneurs, la
pauvreté ; mais la musique, la sienne souvent âpre et contrastée, toujours
resta vivante en lui. Pierre et le loup, feuillets symphoniques écrits par
Prokofiev à l’issue de toute une série de partitions à préoccupations
pédagogiques conçue en 1935-1936, ont pour dessein d’accoutumer de
jeunes auditeurs, avec charme et subtilité, fraîcheur et sincérité, aux
principaux instruments ou à un groupe d’instruments d’un petit orchestre : en
faisant représenter par les timbres spécifiques de l’orchestre les
protagonistes d’une histoire lapidaire.
L’auteur définit lui-même son plan : « Chacun des personnages de ce
conte est représenté par un instrument de l’orchestre : l’oiseau par la flûte,
le canard par le hautbois, le chat par la clarinette staccato dans le
registre grave, le grand-père par le basson, le loup par les trois cors, les
fusils des chasseurs par les timbales et la grosse caisse, Pierre enfin par le
quatuor à cordes. Avant l’exécution, il est préférable de présenter ces
divers instruments aux enfants et de leur jouer les leitmotive. De cette façon
ils apprendront sans effort à identifier les différents instruments de
l’orchestre. »
Ce conte musical ne s’adresserait par seulement aux enfants. Vu que
certains esprits habiles voulurent y lire une fable politique voilée, une
œuvre à clef. Le petit Pierre, capturant le méchant loup gris, même pas
peur ! a évidemment toutes les qualités de l’Homme soviétique, courageux,
inventif, face à la couardise du canard bedonnant, ce pleutre bourgeois ;
à l’étourderie de l’oiseau qui gazouille et voltige, innocent croyant en une
idéologie neuve ; à la fourberie du chat, rusé et sournois, symbole peutêtre du Guepeou, la police d’État. Quant aux chasseurs qui font
beaucoup de bruit pour rien, tirant les marrons du feu, ce serait des
hommes politiques ou des ronds-de-cuir.
Pierre et le loup est créé le 2 mai 1936, à Moscou dans la nouvelle salle
du Théâtre central pour enfants. L’enthousiasme est immédiat, les thèmes de
l’œuvre hantent rapidement les mémoires, à tel point que les Américains, à
leur tour, vont l’accueillir triomphalement ; certains rapprocheront même le
talent musical de Prokofiev de celui du cinéaste et animateur de dessins
animés Walt Disney (en 1946, ses studios mettront le conte en images).
Jean-Noël von der Weid
Lire
Ueda Akinari, Contes de pluie et de lune, Paris, Gallimard/Unesco, coll.
« Connaissance de l’Orient », 1990.