2. Jack Rollins (Christian Bale), le « prophète », chanteur

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2. Jack Rollins (Christian Bale), le « prophète », chanteur
Laura Le Gall - Une icône insaisissable à l’écran : Bob Dylan dans I’m Not There, l’identité atomisée
2. Jack Rollins (Christian Bale), le « prophète », chanteur folk converti au
christianisme 20 ans plus tard.
3. Billy the Kid (Richard Gere), « hors-la-loi » vieillissant qui aurait survécu et se
cacherait maintenant dans une ville imaginaire.
4. Woody (Marcus Carl Franklin), l’« imposteur », vagabond se faisant passer pour le
chanteur folk Woody Guthrie.
5. Robbie Clark (Heath Ledger), la « star électrique », acteur vedette machiste qui
n’arrive pas à se défaire du rôle qui l’a révélé.
6. Jude (CateBlanchett), unique figure féminine, ancienne star de la musique folk qui
opère un virage vers le rock et s’attire les foudres de ses admirateurs. Ce personnage est inspiré de la période où Dylan côtoyait la Factory d’Andy Warhol
ou encore le poète Allen Ginsberg, période marquée par ses problèmes d’addiction à la drogue.
Ce dispositif, s’il est plutôt rare au cinéma5, rappelle l’œuvre singulière de l’écrivain portugais Fernando Pessoa qui, par l’écriture, parvenait à donner vie à des « hétéronymes »,
différents « moi » préexistant en lui virtuellement. L’orchestration de cette dramaturgie, dans laquelle il jouait lui-même tous les rôles, lui permettait de mettre en place une véritable
« stratégie existentielle », autorisant sa «conscience recroquevillée dans un moi contingent,
unique, limité, déterminé » à « se déployer librement dans l’espace de l’imaginaire »6.
L’imaginaire et le fantasme ont aussi joué un rôle de premier plan dans l’élaboration des personnages de I’m Not There. Certains sont d’ailleurs difficilement identifiables en tant que
représentations de Bob Dylan. En outre, le montage ne facilite pas la création de liaisons entre
les différents avatars puisque quasiment aucune interaction n’est établie entre eux : chacun
évolue de façon autonome dans un univers narratif clos, marqué par des références esthétiques
et un style visuel distincts. On repère ainsi l’influence des films en noir et blanc de Federico
Fellini et du cinéma-vérité de D.A. Pennebaker pour Jude. Robbie évolue dans un univers
citant volontiers les films de Godard, comme Masculin, Féminin. Woody et Billy le « hors-laloi », qui sillonnent l’Amérique des grandes plaines sans vraiment savoir où aller, semblent
5
Au moins deux cas de figures récents dans le cinéma américain méritent d’être relevés. En 2007, année de
production de I’m Not There, sort également Palindromes, réalisé par Todd Solondz, film dans lequel un même
personnage est joué par huit acteurs différents. En 2009, suite au décès de Heath Ledger qui occupait le rôle
principal de L’imaginarium du docteur Parnassus, Terry Gilliam engage Johnny Depp, Jude Law et Colin
Farrell pour le remplacer : tous les quatre incarnent donc un même rôle évoluant néanmoins au gré de passages à
travers un miroir, permettant de faire apparaître chaque nouveau visage.
6
Robert Brechon, préface à Fernando Pessoa, Œuvres poétiques, éditions Gallimard, 2001, p.XIII.
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