Alphabétisation et bilinguisme dans la nouvelle économie : études

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Alphabétisation et bilinguisme dans la nouvelle économie : études
Alphabétisation et bilinguisme
dans la nouvelle économie :
études de cas ethnographiques
Rapport final
Normand Labrie, Nathalie Bélanger, Monica Heller, Fasal
Kanouté, Jürgen Erfurt, Normand Savoie, Gisèle Mellish, Gabriele
Budach, Sylvie Lamoureux, Roger Lozon et Sylvie Roy
Ce projet a été financé dans le cadre du programme " Valoriser
l’alphabétisme au Canada " du Conseil de recherches en sciences
humaines du Canada (831-2000-0002).
Il a été réalisé grâce à un partenariat entre le CREFO, l’ABC
Communautaire de Welland et Alpha-Huronie de Penetanguishene
Résumé
L’objectif principal visait à étudier de quelle façon des
francophones à la recherche d’emplois dans les secteurs liées à la
nouvelle économie exploitent leurs ressources linguistiques et
culturelles, et parallèlement, de quelle façon les entreprises de ce
secteur tiennent compte des ressources linguistiques et culturelles
lorsqu’ils procèdent à l’embauche et à la formation du personnel.
L’enquête a eu lieu dans le Centre-Sud de l’Ontario. La
méthodologie consistait en une étude ethnographique menée
auprès de quatorze chercheurs d’emplois et de trois entreprises,
afin d’analyser leurs pratiques sociales et les discours en
circulation.
L’étude fait état de rapports complexes entre les compétences
langagières des personnes à la recherche d’emploi et l’accès au
marché du travail dans la nouvelle économie. On parle
d’importants décalages où des chercheurs d’emploi, souvent pris
dans un cycle de mobilité sociale descendante, voient leurs
compétences langagières peu appréciées ; où des employeurs se
disent à la recherche de personnel bilingue mais ne valorisant pas
les habiletés particulières requises, ce qui se reflète dans les
conditions de travail ; et où des centres d’alphabétisation cherchent
à répondre aux besoins d’une clientèle hautement diversifiée au
plan de la scolarité et devant affronter, pour des raisons très
distinctes, d’importantes barrières, tant dans la structure de
l’emploi que dans les programmes préparatoires permettant d’y
accéder.
Objectifs
Notre objectif dans cette étude était d’expliquer de quelle façon des
francophones à la recherche d’emplois dans les secteurs
économiques en émergence exploitent leurs ressources
linguistiques et culturelles comme moyen d’accéder à l’emploi
(que ce soit en ayant recours aux services d’alphabétisation ou
pas), et quelles ressources linguistiques et culturelles sont
pertinentes pour les entreprises de ce secteur (centres d’appels,
entreprises touristiques et nouvelles technologies de l’information
et des communications) lorsqu’elles procèdent à l’embauche et à la
formation du personnel.
Avancement des connaissances
En vue d’affiner les résultats du projet "Alphabétisation et
bilinguisme dans la nouvelle économie" (CRSHC 831-99-0005)
complété en 1999-2000 dans trois régions du Centre-Sud de
l’Ontario (Simcoe, Péninsule de Niagara et Toronto), nous avons
utilisé une approche ethnographique afin de mieux comprendre les
écarts entre les réalités vécues par les chercheurs d’emploi et les
conditions établies par les employeurs. D’une part, nous nous
sommes intéressés aux expériences vécues par des chercheurs
d’emplois visant à intégrer des secteurs économiques en
émergence, en termes de pratiques sociales et langagières qui se
sont avérées importantes, et par rapport à leur formation en matière
d’alphabétisme. D’autre part, nous avons examiné les pratiques
langagières et sociales relativement à l’embauche, à la formation
du personnel et à l’exercice du travail dans des entreprises de
secteurs économiques en émergence dans trois régions ontariennes
: deux centres d’appels et une entreprise agro-touristique.
Le projet " Alphabétisation et bilinguisme dans la nouvelle
économie " nous avait permis de dresser un panorama global de la
situation dans chacune de ces trois régions en mettant l’accent sur
la diversification des clientèles des programmes d’alphabétisation
et des besoins langagiers des entreprises, ce qui nous a permis de
mieux cibler les terrains d’enquête spécifiques pour cette étude
ethnographique. Notre comparaison des trois régions nous avait
montré que la mondialisation favorise le développement des
services à la clientèle, ce qui suppose une importance accrue pour
la capacité de communiquer, principalement à l’oral. Chez les
francophones, la réserve de main d’œuvre qui se trouve sans
emploi, fait face à divers défis, non seulement en termes de
formation, d’alphabétisme, de bilinguisme ou de double
alphabétisme, mais aussi lorsqu’il s’agit de se procurer l’équivalent
d’un diplôme d’études secondaires, ou de faire preuve de mobilité,
soit en déménageant pour un emploi, soit en effectuant un trajet
quotidien sur de grandes distances, ce qui suppose renoncer plus
ou moins au réseau de solidarité communautaire. Si l’on est
immigrant, il est souvent nécessaire de faire d’abord l’acquisition
de l’anglais, et de surmonter divers obstacles supplémentaires, tels
que faire reconnaître ses diplômes et acquérir une expérience de
travail en contexte canadien. Il existe donc une relation étroite en
milieu minoritaire entre la mondialisation et la mobilité
géographique, comme condition à la mobilité sociale, et le
maintien des liens au réseau de solidarité familial, communautaire
et institutionnel, ce qui peut avoir un impact sur le maintien de
l’usage de la langue dans la communauté et sur le maintien même
de la communauté. Si l’on observe partout une diversification des
besoins en matière d’alphabétisation liée à la nouvelle économie,
cette diversification ne prend pas les mêmes formes partout,
compte tenu de la base économique locale ou régionale. La
nouvelle économie suppose une valorisation du bilinguisme et du
double alphabétisme, en même temps qu’une diversification de la
clientèle potentielle des organismes d’alphabétisation. Ainsi, elle
fait appel à une main d’œuvre alphabétisée dans les deux langues,
mais dans les faits, on a affaire à des populations ayant des bases
linguistiques inégales pour développer ce double alphabétisme.
Misant sur ces résultats, nous avons effectué un travail
ethnographique auprès de quatorze personnes qui étaient engagées
dans un processus de recherche d’emploi (six dans la région de
Simcoe, cinq dans la péninsule de Niagara et trois dans la région
de Toronto). Dans chacune des régions, nous avons effectué
également du travail ethnographique dans une entreprise dans les
domaines reliés à la nouvelle économie où les compétences
langagières bilingues sont valorisées, afin de mieux comprendre
ses pratiques d’embauche de personnel, ses pratiques de formation
pour le personnel en place et les pratiques langagières au travail
(des centres d’appels dans Simcoe et à Toronto et une entreprise
agro-touristique dans la Péninsule de Niagara). Le travail
ethnographique consistait, d’une part, à suivre les démarches de
recherche d’emploi, et éventuellement d’alphabétisation, de
formation et de travail des participants sur une période de six mois
au moyen de rencontres bi-hebdomadaires et d’observations
ponctuelles d’activités. Il consistait, d’autre part, à observer des
pratiques d’embauche et de formation ainsi que les pratiques
langagières au travail dans trois entreprises dans le courant de
l’année.
Les données recueillies ont consisté en des entrevues semi-dirigées
auprès de l’ensemble des participants, i.e chercheurs d’emplois et
entreprises, ainsi qu’auprès de quelques autres acteurs sociaux
susceptibles d’apporter un éclairage complémentaire aux
phénomènes que nous tentions d’expliquer. Avec les chercheurs
d’emplois, nous avons effectué des entrevues d’entrée et de sortie.
Les données consistent également en des observations en milieu de
travail ayant donné lieu à la rédaction de rapports d’observation, en
des contacts réguliers avec les chercheurs d’emplois sous forme
d’entretiens en face à face ou téléphoniques (consignés dans des
procès verbaux rédigés par les chercheurs), ou de courriers
électroniques. Nous avons également recueilli de la documentation
sur les programmes étatiques, sur les emplois recherchés dans les
foires d’emploi, sur les outils de travail dans les entreprises, sur le
matériel de formation en milieu de travail. Les réunions régulières
de l’équipe de recherche ont donné lieu à la rédaction de procès
verbaux. La totalité des entrevues ont été transcrites. L’analyse des
données a été menée de façon collégiale lors de réunions d’équipe.
En voici ci-après les grandes lignes.
Tout d’abord, on doit souligner que l’ensemble des acteurs sociaux
ayant participé à ce projet, qu’il s’agisse de chercheurs d’emplois,
d’entreprises ou d’institutions, font face à une situation de
changement et que tous cherchent d’une façon ou d’une autre à s’y
adapter de façon avantageuse. Cette situation de changement est
liée aux transformations socio-économiques globales et aux
ajustements de la base économique régionale ou locale, et en
même temps à l’adoption d’une approche idéologique néo-libérale.
Cette situation de changement entraîne une mobilité sociale des
acteurs sociaux, soit ascendante, soit en déclin, ainsi qu’une
mobilité géographique qui peut prendre diverses formes pour
occuper un emploi : le transport quotidien, le déménagement, ou la
migration. Cette situation de changement était caractérisée au
cours de l’étude par un contexte de croissance économique, qui
pourrait toutefois se transformer au moment de rédiger ce rapport
de recherche. Voyons comment les divers acteurs sociaux,
apprenants, entreprises et agences d’alphabétisation, s’ajustent au
changement, et quelles en sont les manifestations linguistiques et
sociales et les conséquences pour des minorités de langue
française.
Les chercheurs d’emploi que nous avons suivis se trouvaient tous à
un moment de leur vie où ils devaient acquérir de nouvelles
compétences pour avoir accès à un emploi qui pourrait les
satisfaire. Certains d’entre eux avaient perdu leur ancien emploi en
raison de fermetures ou de problèmes de santé ou de handicaps,
d’autres retournaient sur le marché du travail après un arrêt de
travail prolongé, d’autres encore occupaient un emploi de façon
occasionnelle ou temporaire et cherchaient à obtenir un emploi
plus satisfaisant, enfin un jeune décrocheur potentiel cherchait à
s’insérer en milieu professionnel. Tous cherchaient à s’adapter au
marché de l’emploi, tout en devant composer avec une
organisation institutionnelle de l’accès au travail à travers des
programmes étatiques divers, souvent limités dans le temps,
parfois éprouvants sur le plan de l’estime de soi. Sauf exception,
l’accès au travail était difficile pour plusieurs raisons, et la
question des compétences langagières faisait partie d’un ensemble
complexe de facteurs, tels que la formation générale, l’état de
santé, la possibilité de mobilité géographique, les conditions
matérielles d’existence. Malgré la disponibilité de programmes
divers, l’accès au travail passe très souvent dans les faits par le
réseau de connaissances, ce qui n’aide pas les plus démunis et ce
qui n’est pas pris en compte sur le plan institutionnel. Par ailleurs,
nous avons noté que certains chercheurs d’emploi ne disposent pas
du type d’informations élémentaires mais néanmoins nécessaires
pour obtenir un emploi, et qu’il n’existe pas de services
d’orientation individualisés les aidant à identifier le type
d’informations dont ils auraient besoin. Plusieurs de ces chercheurs
d’emploi se trouvent dans un cycle de mobilité sociale
descendante, impliquant une santé défaillante (maladie ou
accidents de travail, affectant parfois aussi d’autres membres de la
famille), une perte d’emploi, une séparation, un déménagement,
des limites de mobilité " pas de permis de conduire, pas d’auto, pas
de travail ", ainsi que des contraintes matérielles (pas de vêtements
appropriés pour se chercher du travail). Sur les 14 chercheurs
d’emploi, neuf étaient des femmes. Leur situation était différente
de celle des hommes dans la mesure où plusieurs d’entre elles
avaient interrompu leurs activités professionnelles pour élever
leurs enfants et elles avaient dû réintégrer le marché du travail ;
certaines d’entre elles s’étaient rendues vulnérables en vivant sous
la dépendance économique de leur conjoint, ce qui pouvait être
catastrophique en cas d’accident de travail du conjoint, de maladie,
notamment d’alcoolisme, de violence conjugale ou de séparation.
Si la majorité des chercheurs d’emploi avaient connu un processus
de migration interne au Canada (du Nord ou de l’Est de l’Ontario
vers Toronto, du Québec ou du Nouveau Brunswick vers
l’Ontario), trois d’entre eux provenaient de l’étranger. Ces
derniers, francophones d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne disposant tous d’une formation universitaire et d’une
maîtrise du français normatif (oral et écrit), devaient d’abord faire
l’acquisition de l’anglais, mais une fois l’anglais en cours
d’acquisition, ils faisaient face à diverses frustrations liées à la non
reconnaissance des diplômes, à l’absence d’expérience en milieu
de travail canadien, aux pratiques culturelles nord-américaines,
voire à la discrimination. Dans l’ensemble, les participants
disposent de compétences langagières diverses (pour les
immigrants : français oral standard et français écrit, mais
connaissances limitées en anglais ; pour les autres : anglais oral
standard, mais anglais écrit lacunaire, français oral vernaculaire,
français écrit lacunaire, mixage du français et de l’anglais). Aussi,
plusieurs sont conscients que le bilinguisme français et anglais
constitue un atout pour accéder à l’emploi, mais ils sont aussi
conscients de l’existence de normes spécifiques au marché du
travail favorisant la maîtrise des variétés standards à l’oral et la
maîtrise de l’écrit, tant en anglais qu’en français. L’apprentissage
de telles habiletés linguistiques est parfois forcé par les
programmes gouvernementaux, mais il répond aussi dans certains
cas à une initiative individuelle.
Les entreprises que nous avons suivies sont actives dans la
nouvelle économie (une entreprise agro-touristique, une entreprise
d’imprimerie comprenant un centre d’appels pour la vente de ses
produits à travers le Canada, et un centre d’appels sous-traitant
pour plusieurs compagnies nord-américaines et européennes). Ces
entreprises se trouvent toutes en processus de croissance, ce qui
signifie une expansion de leurs marchés débordant le cadre local,
pour inclure soit le marché québécois, soit une clientèle
internationale. Ces entreprises ont besoin qu’une portion de leur
main d’œuvre affectée aux relations publiques et aux services à la
clientèle maîtrise le français oral, en plus de l’anglais qui constitue
une exigence essentielle, le français écrit n’étant généralement pas
indispensable. Un service à la clientèle professionnel constitue
pour ces entreprises une façon de se démarquer de leurs
compétiteurs. Ces entreprises possèdent des exigences relativement
élevées en ce qui a trait à la " qualité " du français oral, en plus
d’autres exigences ayant trait à l’expression orale en général, à
l’empathie envers les clients, à la tenue vestimentaire, etc. Un
diplôme d’études secondaires de l’Ontario (DESO) constitue
souvent une exigence servant à la sélection des candidats.
L’embauche de personnel bilingue est d’autant plus difficile que le
taux d’occupation professionnelle est élevé en période de
croissance économique. Les emplois en relations publiques et aux
services à la clientèle sont relativement peu payés (de 10 à 12
dollars l’heure), certains sont à horaire flexible, certains sont
saisonniers, certains sont répétitifs. Par conséquent, il est difficile
de recruter un personnel bilingue sur le plan local, car les
entreprises exigent des compétences linguistiques au delà de ce
que l’on peut attendre de gens qui accepteraient de travailler dans
des conditions de travail plus ou moins intéressantes. Dans un
autre ordre d’idées, la plupart des entreprises font preuve
d’amateurisme au moment d’évaluer les compétences langagières
des candidats, plusieurs employeurs n’étant pas en mesure de juger
de ces compétences par eux-mêmes, soit parce qu’ils ne parlent pas
français, soit parce qu’ils ne disposent pas de moyens objectifs
d’évaluation. Si ces entreprises offrent des formations
professionnelles en cours d’emploi, ces formations sont
généralement techniques et elles comportent rarement un volet
linguistique en français. Souvent, elles n’offrent qu’un soutien
minimal aux employés bilingues pour la réalisation de leur travail
en langue française. Le travail de services à la clientèle en langue
française, effectué presqu’uniquement à l’oral, est souvent réalisé
au moyen d’outils en langue anglaise, comme des scripts sur
ordinateur en anglais, ou traduits de l’anglais de façon
approximative. Les conditions de travail des employés bilingues
sont plus exigeantes que celles des employés unilingues
anglophones, car le volume de travail est plus intense (étant donné
la pénurie de personnel bilingue), car le travail suppose le passage
incessant de l’anglais au français et vice versa, et car le travail
suppose, dans les centres d’appels par exemple, d’effectuer
plusieurs tâches différentes dans les deux langues simultanément,
comme parler en français avec le client, activer un système
informatique en langue anglaise, se servir de scripts en langue
anglaise ou de scripts bilingues, remplir des masques de saisie en
français ou en anglais, rédiger des rapports en anglais. Étant donné
la pénurie de personnel bilingue, les employés bilingues sont
souvent confinés aux emplois aux services à la clientèle et sont
souvent restreints dans leurs possibilités de promotions internes.
De plus, les employeurs prennent souvent pour acquis que toute
personne bilingue peut traduire de façon spontanée, alors qu’il
s’agit d’une habileté qui exige une formation professionnelle.
Enfin, l’exercice d’un emploi bilingue est plus ou moins reconnu
par les employeurs, se limitant parfois à une prime équivalent à 1
% du salaire.
Les agences d’alphabétisation fonctionnent sur la base d’un
mandat institutionnel, mais elles doivent aussi composer avec les
réalités des apprenants et des employeurs de leur milieu. Leur
mandat consiste à offrir une formation de base en lecture, en
écriture et en calcul pour des adultes sous-scolarisés, dans leur
langue maternelle. En milieu francophone minoritaire, cependant,
il n’est pas toujours possible de distinguer entre langue maternelle
et langue seconde. Les apprenants qui se présentent à leurs portes
sont souvent des personnes scolarisées en anglais, intéressées à
parfaire leur connaissance du français écrit, soit pour suivre la
scolarisation de leurs enfants inscrits à l’école de langue française
(généralement les femmes), soit pour pouvoir accéder à des
emplois bilingues. Il s’agit aussi parfois de femmes d’origine
immigrante sous-scolarisées dans leur pays d’origine. Par ailleurs,
compte tenu de la rareté des ressources langagières dans le milieu
(le système éducatif primaire et secondaire étant restreint aux
besoins des élèves, et axé surtout sur une trajectoire académique
menant aux études postsecondaires), les entreprises faisant face à
des besoins de formation linguistique de leur main d’œuvre se
tournent souvent vers les agences d’alphabétisation. Les agences
d’alphabétisation répondent donc à des besoins divers dans leur
milieu tout en demeurant en marge du système d’éducation
officiel. Le domaine de l’alphabétisation populaire a connu un
processus de bureaucratisation et de rationalisation au cours des
années quatre-vingt-dix menant à la quantification des
interventions de formation auprès d’apprenants correspondant à
des critères d’éligibilité aux fins de subvention établis par
l’administration publique provinciale. Au moment de mener cette
recherche, un nouveau processus se dessinait dans le contexte du
quasi plein emploi, celui de la facturation des services
d’alphabétisation, soit aux apprenants, soit aux employeurs, en
même temps que la demande pour des niveaux supérieurs de
formation diminuait (les apprenants éventuels trouvant plus
facilement du travail) et que celle pour les niveaux les plus
fondamentaux se maintenait, d’autant plus que les nouveaux
programmes gouvernementaux axés sur l’idéologie néo-libérale
oblige les chercheurs d’emplois à suivre une formation, notamment
en alphabétisation, pour pouvoir se prévaloir des programmes
d’assurance emploi.
En somme, notre étude indique que dans le nouveau contexte de la
mondialisation, l’une des clefs pour s’inscrire dans un processus de
mobilité sociale ascendante consiste à maîtriser des variétés
standard à l’oral et à l’écrit, à savoir compter, à être familier avec
le numérique et avec les technologies de l’information et des
communications. Les francophones en milieu minoritaire disposent
d’atouts de par leur familiarité avec le bilinguisme français et
anglais, mais ils doivent aussi composer avec des nouvelles normes
linguistiques, avec de nouvelles contraintes institutionnelles et
avec de nouvelles idéologies étatiques. Il existe par ailleurs des
décalages importants entre les chercheurs d’emplois ne sachant pas
comment se prévaloir des programmes soi-disant mis sur pied pour
les aider et ne possédant pas les compétences langagières
nécessaires dans le monde du travail dans ces secteurs ; les
entreprises demandant des compétences langagières normalement
présentes chez des gens qui ne sont pas intéressés par les
conditions de travail des emplois bilingues en question, mais
absentes dans la réserve de main d’œuvre actuelle (soit à cause du
manque d’anglais, soit à cause de pratiques trop mixtes ou trop
vernaculaires), tandis que le exigences des entreprises demeurent
floues ; des programmes d’alphabétisation fonctionnant avec des
contraintes les empêchant de desservir la population de chercheurs
d’emplois. Il y a contradiction, d’une part, entre la valorisation du
standard dans les entreprises et la réelle nécessité du vernaculaire
pour desservir une clientèle utilisatrice du vernaculaire et, d’autre
part, entre des exigences élevées mais floues et des conditions de
travail difficiles (d’où des emplois souvent occupés par des
femmes).
Formation de chercheurs
Quatre étudiants ont bénéficié d’une formation à la recherche qui
leur sera profitable dans le cadre de la réalisation de leurs études de
doctorat. Sylvie Roy a complété une thèse sur la valeur des
ressources langagières en milieu de travail, et sa participation au
projet lui a permis de comparer ses données avec celles recueillies
dans le cadre du présent projet (soutenance de thèse, 26 novembre
2001). Roger Lozon, qui réalise une thèse sur le marché
linguistique et l’insécurité linguistique dans le Sud-Ouest de
l’Ontario, s’est familiarisé avec les techniques de la recherche, et il
a pu contraster ses données avec celles recueillies dans le cadre du
présent projet (soutenance prévue pour mai 2002). Sylvie
Lamoureux complète sa première année de doctorat ; sa thèse
portera sur l’enseignement postsecondaire de langue française en
Ontario ; sa participation au projet lui a permis de s’intégrer dans
une équipe de recherche tout en s’initiant aux méthodes de
recherche ethnographiques. Gabriele Budach (Francfort/Main)
rédige sa thèse sur l’alphabétisation dans les trois régions visées
par l’étude (soutenance prévue pour juillet 2002) ; elle a fourni des
conseils et des commentaires critiques tout au long du projet. De
plus, le projet a été réalisé en équipe, incluant autant que possible
un membre des agences d’alphabétisation locales et un
universitaire dans Simcoe et Niagara, ceci dans l’optique d’une
formation mutuelle en conformité avec les objectifs du programme
"Valoriser l’alphabétisme au Canada", où les agents
d’alphabétisation ont l’occasion de se former à la recherche
scientifique, tandis que les universitaires ont l’occasion de faire
une immersion sur le terrain.
Équipe de recherche
L’équipe de recherche était formée de Normand Labrie (chercheur
principal, OISE/UT), Nathalie Bélanger et Monica Heller (cochercheures, OISE/UT), Fasal Kanouté (collaboratrice, chercheure
postdoctorale, Université de Montréal), Jürgen Erfurt
(collaborateur et professeur Universität, Francfort/Main), Normand
Savoie (partenaire, directeur d’ABC-Communautaire de Welland),
Gisèle Mellish (partenaire, Alpha-Huronie de Penetanguishene),
Gabriele Budach, Sylvie Lamoureux, Roger Lozon et Sylvie Roy
(étudiants au doctorat et assistants de recherche).
Aspects internationaux
Le projet de recherche a profité de la collaboration de deux
chercheurs de l’étranger (voir plus haut). Par ailleurs, les résultats
préliminaires ont été présentés dans des colloques d’envergure
nationale et internationale au Canada (ACFAS), aux États-Unis, en
France, en Suisse, en Allemagne et en Autriche. Des articles ont
été publiés dans deux revues arbitrées dont la diffusion est
internationale : la Revue canadienne des langues vivantes (Canada)
et Le français dans le monde aujourd’hui (France). Des chapitres
de livres ont été soumis, dont un paraîtra à l’automne 2001 dans un
ouvrage collectif publié en Suisse.
Conservation des données
L’ensemble des données sont centralisées au CREFO. Elles
demeurent accessibles à l’équipe de chercheurs, ainsi qu’aux
étudiants gradués qui désireraient s’en servir dans le cadre de leur
thèse.
Activités de diffusion
1. Livres, numéro spécial de revue
Duff, Patricia et Normand Labrie (2000) Canadian Modern
Language Review, Numéro spécial Languages and Work/Langues
et travail, 57(1), 213 pages.
2. Articles savants, documents de travail
Budach, Gabriele (en préparation), " L'alphabétisation d'adultes en
Ontario : la valeur du français entre identité culturelle et ressource
économique ", dans M. Heller et N. Labrie, Prise de parole :
langue, pouvoir et identité dans un monde en mutation.
Duff, Patricia et Normand Labrie (2000) Editorial/Éditorial,
Canadian Modern Language Review, Numéro spécial Languages
and Work/Langues et travail 57(1): 1-8.
Labrie, Normand (à paraître), " Mondialisation et valorisation des
ressources linguistiques : stratégies locales ou globales ? ", dans S.
Cigada, S. Gilardoni et M. Matthey, Communicare in ambiente
professionale plurilingue, Lugano, Università della Svizzera
italiana. ( C )
Labrie, Normand (2001) Mondialisation et conditions de viabilité
de la langue française en Amérique du Nord, Présence
francophone 56 "Le français dans le monde aujourd’hui" (sous la
direction de Mwatha Musanji Ngalasso), 55-71.( C )
Labrie, Normand, Nathalie Bélanger, Roger Lozon et Sylvie Roy
(2000), " Mondialisation et exploitation des ressources
linguistiques : les défis des communautés francophones de
l'Ontario ", Canadian Modern Language Review. 57:1, 88-117. (C)
Lozon, Roger et Sylvie Roy (en préparation), " Challenges in the
New Economy : Literacy Through the eyes of Ontarians ", Revue
canadienne de l'éducation des adultes.
Lamoureux, Sylvie, Roger Lozon et Sylvie Roy (en préparation), "
Bilinguisme et marché du travail : les jeunes Franco-Ontariens ",
dans N. Labrie et S. Lamoureux (dir.) Enjeux de l’éducation
franco-ontarienne, Sudbury: Prise de parole.
Wilson, Denise et Normand Labrie, avec la collaboration de Daniel
Schugurensky et Darlene Clover (2001). Renforcer le potentiel de
la recherche en alphabétisation des adultes : où en sommes-nous ?
et Plan d'action, Toronto, Centre de recherches en éducation
franco-ontarienne et Adult Literacy Working Group/Groupe de
travail sur l'alphabétisation des adultes, 27 pages.
3. Textes d'exposés de conférences
Budach, Gabriele (2000), " Les processus de médiation dans les
politiques d'alphabétisation aux adultes en Ontario français ".
Communication : Colloque international organisé par l'ESA CNRS
6065 Dyalang "La médiation. Marquages en langue et en
discours", 7-8 décembre 2000, Rouen.
Budach, Gabriele (2001), " Immigration au Canada: La valeur du
français entre langue de prestige et langue minoritaire ".
Communication : Séminaire sociolinguistique de l'Université de
Vienne, 8-10 janvier 2001, Payerbach.
Budach, Gabriele (2001), " L'ethnographie et les méthodes de
recherche de la sociolinguistique : le cas de l'alphabétisation aux
adultes en milieu minoritaire francophone ". Communication :
Colloque des jeunes romanistes allemands, 20-23 juin 2001,
Frankfurt/Main.
Budach, Gabriele et Roger Lozon (2001), " Old and new
metaphors of literacy in the globalizing world ". Communication :
Interdisciplinary Literacy Conference "Researching Literacy and
Language in School and Community", 3-5 août 2001, University of
California, Santa Barbara (Calif.).
Budach, Gabriele, Sylvie Roy et Monica Heller (2000), "
Communitiy and commodity in French Ontario ". Communication
: Congrès de l'International Association of Pragmatics, 15-19
juillet 2000, Budapest.
Labrie, Normand (2001) Mondialisation et conditions de viabilité
de la langue française en Amérique du Nord, CELFA, Université
Michel de Montaigne, Bordeaux (France), 2 avril, 2001.
Labrie, Normand (2000), " Table-ronde ". Colloque de
l’Association suisse de linguistique appliquée, Lugano (Suisse),
14-16 septembre 2000.
Labrie, Normand (2000), " L’économie des pratiques langagières
au travail : stratégies locales ou globales ? ". Conférence plénière:
Association suisse de linguistique appliquée, Lugano (Suisse), 1416 septembre 2000.
Lamoureux, Sylvie, Roger Lozon et Sylvie Roy, en collaboration
avec M. Heller, F. Kanouté et N. Labrie, (2001), " Bilinguisme et
marché du travail : les jeunes Franco-Ontariens ". Communication
: Colloque "Jeunesse et société francophone minoritaire en
mouvance", Congrès de L'Association canadienne française pour
l'avancement des sciences, 14-15 mai 2001, Sherbrooke.
4. Relations médiatiques
Lozon, Roger, Entrevue sur les objectifs et le contenu du projet
Alpha II, CFRH-Radio activités, 88,1 FM, Penetanguishene, 23
février 2001.
5. Conférences et ateliers
Nathalie Bélanger, Sylvie Lamoureux et Roger Lozon (soumis)
Projet de table ronde " A discursive analysis of literacy needs and
practices of the francophone minority in Ontario ", Rochester
(N.Y.) février 2002.
6. Mémoires ou thèses découlant du programme de recherche
Budach (en cours), L'alphabétisation en français, langue
minoritaire, dans trois localités de l'Ontario. Ph.D., Institut für
Romanische Sprachen, Johann-Wolfgang-Goethe Universität,
Frankfurt.
Roy, Sylvie (2001), Valeurs du bilinguisme et pratiques
langagières dans la nouvelle économie : une étude de cas. Ph.D.,
Curriculum, Teaching and Learning, OISE/UT, University of
Toronto, Toronto.
7. Autres
Nous avons joué un rôle actif dans la réalisation d’une consultation
intitulée " Renforcer le potentiel de la recherche en alphabétisation
des adultes " menée par le Adult Literacy Working Group/Groupe
de travail sur l'alphabétisation des adultes à OISE/UT, pour le
compte du ministère de la Formation, des Collèges et Universités
de l’Ontario.
Par ailleurs, nous avons soumis des nouvelles demandes de
subvention en liaison avec le présent projet, dont l’une a été
refusée et deux ont été approuvées :
Labrie, Normand et Denise Wilson, Les programmes d’éducation
coopérative et d’expérience en milieu de travail dans des écoles de
langue française, Subvention globale du ministère de l’Éducation à
OISE/UT (demande refusée).
Labrie Normand, Monica Heller et Nathalie Bélanger (2001-2002),
Alphabétisation et bilinguisme : pratiques et normes relatives à
l’emploi et à la formation, ministère de la Formation des Collèges
et Universités (Alphabétisation et formation de base) Secrétariat
national à l’alphabétisation, (MTCU $35,000; National Literacy
Secretariat $35,000).
Heller, Monica, Annette Boudreau, Lise Dubois, Jürgen Erfurt,
Normand Labrie, Patricia Lamarre, Deirdre Meintel et Claudine
Moïse (2001-2004) Prise de parole II : la francophonie canadienne
et la nouvelle économie mondialisée, CRSHC, 198 000 $.