Apprendre à vivre en maternelle

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Apprendre à vivre en maternelle
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Apprendre à vivre en maternelle
Christophe Prath, inspecteur
Se poser la question de la violence en maternelle n’est pas anodin. Cette interrogation
amène directement plusieurs autres questions : peut-on réellement parler de violence
chez des enfants de 2 à 5 ans ? Si la réponse est oui, cette violence s’exerce-t-elle
de manière consciente et délibérée ? Enfin, et pour ne pas en rester à un simple
constat des faits : quels gestes professionnels mettre en place pour les équipes
enseignantes ?
Le développement de la personnalité et la scolarisation
Avant 4 ans :
Quiconque a déjà observé des enfants très jeunes perçoit des conduites qui ne seraient pas tolérées
chez des sujets plus âgés ou chez des adultes. Des colères violentes existent dès les premiers mois
de la vie et se manifestent par des grimaces, des cris, des refus, des gesticulations voire des coups.
Ces comportements typiques appelés « crises de colère » surviennent généralement entre 18 mois et
3 ans et ont des origines diverses : frustration, désir d’attention, convoitise... Il ne serait donc pas
anormal de percevoir au cycle 1 des élèves qui frappent, qui mordent pour récupérer un objet ou pour
obtenir l’attention de l’autre.
80 % des enfants âgés de 30 mois s’emparent de force d’un objet convoité tenu par un
autre enfant
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25 % des enfants âgés de 17 à 30 mois mordent d’autres enfants fréquemment ou à l’occasion
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Ces crises de colère ont tendance à disparaître vers l’âge de 4 ans sous l’effet de la maturation
(développement du langage, contrôle des émotions) d’une part, et quand elles sont « contrôlées » par
les adultes et qu’elles s’accompagnent d’explications sur les comportements socialement admissibles,
d’autre part. Il convient donc de prendre en compte l’agressivité précédemment décrite comme une
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Institut de la Statistique du Québec. Longitudinal study of child development in Québec, 1998- 2002
Tremblay R. et al. The search for the age of onset of a physical agression : Rousseau and Bondura revisited, 1999
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évolution normale des comportements sociaux du jeune enfant confronté au rapport aux autres et non
comme une forme de violence « volontaire ».
En revanche, quand un enfant perçoit que ses crises lui permettent d’obtenir ce qu’il désire, il aura
tendance à les reproduire au-delà de 4 ans. Le rôle de l’école, en complément de celui joué par la
famille, est donc primordial à ce stade de développement. Les objectifs de scolarisation doivent
envisager des apprentissages qui permettront progressivement à l’élève:
de mieux comprendre son action sur le monde qui l’entoure
d’interpréter ses propres émotions ainsi que celles des autres (la colère, la tristesse, la peur,
la douleur ...)
de passer d’une émotion ressentie à l’expression verbale de cette émotion et, ce, en utilisant
un vocabulaire de plus en plus précis et adapté
de comprendre progressivement les comportements qui sont tolérables ou non et par voie de
conséquence directe, ce qui sera admis ou réprimandé dans la classe, dans l’école, dans la
rue..., dans la société.
Le rôle de l’équipe enseignante est primordial dans cet apprentissage qui est souvent le premier de la
vie en société. La réflexion collective doit permettre :
d’assurer un cadre cohérent et sécurisant pour les élèves, notamment pendant les temps
collectifs (récréation, sorties, temps de motricité ...)
d’enseigner, par des propositions d’activités collectives qui vont mettre en jeu la collaboration,
le respect, la nécessité d’entraide, la solidarité (ce n’est pas parce que l’école propose
généralement des travaux menés en groupes que ces enjeux liés à la vie en société sont
présents ou explicités aux élèves).
Après 4 ans :
Doué de capacités physiques et intellectuelles qui se sont élaborées avec l’âge et l’apprentissage,
l’enfant peut « gérer » d’une manière différente et plus adaptée à la vie en société ce qu’il ressent.
L’importance des apprentissages langagiers demeure, à cet âge encore, le meilleur moyen de
diminuer les comportements agressifs : l’usage d’un langage plus élaboré qui lui permet d’être mieux
compris et sa capacité à mieux comprendre ce que les autres disent diminuent la nécessité de
s’imposer physiquement pour exprimer peur, frustration ou volonté d’obtenir. De manière générale,
plus ses habiletés langagières seront développées et moins l’enfant sera susceptible d’avoir recours à
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l’agression physique. Moins elles le seront et plus il risquera d’y recourir fréquemment .
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Dionne G. - Développement du langage et comportement agressif - 2005
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Pourtant, ce n’est pas parce que les crises de colère, et les agressions physiques qui y étaient liées,
disparaissent généralement après 4 ans que l’enfant perd toute velléité d’agresser. Les
comportements évoluent, et apparaît très souvent une nouvelle forme de brutalité : insultes,
agressions verbales, menaces...
Par ailleurs, il n’est plus à démontrer que l’exposition à certaines images, situations ou jeux renforce
cette nouvelle violence. L’école ne peut ignorer l’impact reconnu de scènes agressives sur l’imaginaire
des plus jeunes et sur le renforcement du sentiment de toute puissance qui peut s’installer à cet âge
(dans les jeux ou dans les films, c’est souvent le plus fort qui gagne !). En outre, les repères que
l’enfant se crée lui même, par la fréquentation régulière de certains programmes, viennent parfois
remettre en cause ceux qui sont donnés par les adultes à l’école. Jusqu’à peu, l’usage de la littérature
de jeunesse dans la famille ou dans les apprentissages scolaires permettait de distinguer ce qui était
réel de ce qui ne l’était pas. Très rapidement, en effet, l’enfant comprenait que les animaux ne
parlaient que dans les livres ou que les méchants qui tombaient dans la marmite d’eau bouillante ne
brûlaient pas « pour de vrai ». Aujourd’hui, le réalisme de certaines images (jeux vidéo, dessins
animés, films, mais aussi images d’informations) ne permet plus de distinguer aussi facilement ce qui
est de l’ordre de la fiction de ce qui ne l’est pas. Généralement, il revient à la famille d’établir ce
distinguo et de se charger d’émettre des réserves sur « ce que croit comprendre » l’enfant. Il s’avère,
et l’observation des cours de récréation le démontre tous les jours, que certains élèves encrent une
part de leurs comportements dans des repères que l’on pourrait qualifier de « non fiables » :
l’incursion des prises de catch, l’identification répétée à des super-héros, la dureté de certaines
paroles ou de certains actes, mais aussi le rejet régulier de toute forme d’autorité, questionnent les
professionnels en charge de l’éducation. S’il n’est pas question d’interdire aux élèves de « jouer » à la
bagarre (fiction) comme cela s’est toujours fait (pour les garçons comme pour les filles d’ailleurs), il
n’est pas question de leur laisser « faire » la bagarre (réalité).
Il convient surtout de ne pas laisser perdurer des attitudes qui risqueraient, si elles n’étaient pas prises
en compte, d’altérer les capacités de l’enfant à faire confiance (à lui-même, aux autres) et à installer
des relations sociales empathiques nécessaires à la vie en société.
Une tentative de réponse : « Le jeu des trois figures »
Serge Tisseron, psychanalyste, propose, pour des élèves de moyenne ou de grande section (après
une expérience de plusieurs années en Belgique et en France) la mise en place d’un jeu de rôle : « Le
jeu des trois figures ». Cette activité permet une réflexion d’équipe sur les apprentissages du vivre
ensemble et la prise en compte de l’impact d’images violentes sur les enfants.
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Plusieurs principes vont permettre un travail sur plusieurs séances : construire une situation narrative
(à partir de l’oralisation d’images violentes vues à la télévision ou sur un jeu vidéo), imaginer et jouer
plusieurs rôles, celles des 3 figures : agresseur, victime, redresseur de tort.
7 consignes président à la mise en place de ce jeu de rôle et ce, pour chaque séance :
er
1 moment : « On va jouer comme au théâtre »
e
2 moment : « Est ce qu’il y a des images que vous avez vues et dont vous avez envie
de parler ? »
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3 moment : « On va inventer une petite histoire ensemble »
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4 moment : Mise en place des actions et des dialogues
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5 moment : Demande de volontaires et rappel des consignes
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6 moment : Mise en place du jeu, régulations intermédiaires
e
7 moment : « Bravo à tous ! ».
L’objectif avoué de l’activité est de permettre à chaque élève de jouer chacun des rôles de manière à
lui faire appréhender que dans la « vraie vie » ces trois postures existent. Se prévalant de toute action
thérapeutique ou de théâtre d’improvisation libre, cette manière de procéder permet aussi de renforcer
l’enseignant /adulte dans sa position de régulateur (tout comme dans la cour de récréation ou dans la
classe). En termes d’apprentissage, le jeu des trois figures sollicite le langage, la socialisation,
l’imagination et l’expression par le corps. Il permet un travail spécifique de gestion des émotions ainsi
qu’un acte concret de prévention et d’éducation à l’image et aux médias.
Des gestes professionnels
L’école en général, l’école maternelle en particulier, ne peut se contenter de constater que le monde
qui l’entoure perd en sérénité sans rechercher des réponses qui pourraient prévenir ou au moins
prendre en compte cette évolution qui touche les apprentissages scolaires. De nombreuses initiatives
d’équipes ou d’enseignants tentent quotidiennement de prendre en compte l’intrusion de la violence
dans un monde protégé, celui des classes maternelles. Quelques éléments de recherche et de bon
sens font consensus en la matière :
La cohérence et la continuité de l’action des adultes (qu’ils soient enseignants ou non) doivent
garantir l’aspect sécurisant du cadre scolaire.
Tout acte jugé violent doit donner lieu à une remise en cause et une réaction de la part des
adultes de l’école.
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La sanction de l’élève bagarreur, mais aussi de celui qui a proféré des insultes ou des
menaces doit s’accompagner d’un temps d’échange et d’explicitation avec l’ensemble des
enfants concernés... sans négliger l’importance de l’attention à accorder à la « victime ».
Les
apprentissages
langagiers
doivent
s’inscrire
dans
des
objectifs
concrets
de
communication et dans des registres qui prennent en compte l’expression des émotions.
L’apprentissage du vivre ensemble doit s’intégrer dans l’ensemble des enseignements et des
moments de vie collective (travailler avec les autres pas seulement à côté des autres).
Les temps collectifs doivent être pensés (récréation, déplacements ...) et ne pas laisser
certains élèves dans une insécurité relationnelle ou affective propice à des comportements
agressifs.
Ce qui touche à la vie à l’école (à différencier de la vie de l’école) doit être explicité aux
parents et chercher dans toute la mesure du possible leur adhésion.
Permettre aux parents de comprendre sereinement ce qui se passe à l’intérieur d’une école. Il
est en effet plus aisé pour un parent d’admettre comme naturels certains phénomènes
d’agressivité quand son enfant est en position d’ « agresseur » plutôt qu’en position de
« victime ». Il est donc important, sans banaliser ni dramatiser (et sans se référer
systématiquement à des phénomènes graves qui peuvent être médiatisés) d’expliquer
comment s’établissent les rapports et les relations au sein d’un groupe d’enfants.
Apprendre à devenir élève
Les agressions physiques et verbales ne sont pas anormales dans les premiers temps de la vie des
enfants, et de fait, touchent chaque école maternelle. Ces actes parfois agressifs inhérents au
développement de tout enfant placé dans un contexte de relation aux autres ne peuvent à proprement
parler être qualifiés de « violence ». Tout enfant qui cherche à obtenir le goûter d’un camarade n’est
pas un racketteur en puissance...
Toutefois, il convient d’être vigilant à ne pas laisser perdurer des conduites agressives récurrentes
alors même que l’enfant, en grandissant, développe normalement des capacités socialement admises
d’exprimer ce qu’il ressent ou ce qu’il désire.
L’action des équipes enseignantes dans une démarche partenariale d’action et de communication doit
s’engager auprès des élèves sur la valorisation des conduites les plus appropriées (expression,
écoute, médiation, prise en compte des autres et des règles, acceptation des sanctions...) pour vivre
en société et préparer la suite de la scolarité. La continuité des démarches professionnelles qui doit
exister entre les différents adultes de l’école, mais aussi entre école maternelle et école élémentaire
doit prendre en compte un domaine trop souvent sous-estimé : « l’apprentissage du devenir élève ».
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Ressources
Bernard Stiegler et Serge Tisseron - Faut-il interdire les écrans aux enfants ? - Editions
Mordicus - 2009
Serge Tisseron - Le jeu des trois figures en classes maternelles - Editions Fabert - 2011
Colette Vassieux - Répondre à la violence - Les cahiers pédagogiques n°456 - Dossier l’école
maternelle aujourd’hui - 2007
Richard E. Tremblay, Jean Gervais, Amélie Petitclerc - 2008
Prévenir la violence par l’apprentissage à la petite enfance
http://www.excellence-jeunesenfants.ca/documents/Tremblay_RapportAgression_FR.pdf
Vidéo sur le site capcanal - Violence : en maternelle aussi ? - 2009
http://www.capcanal.tv/video.php?rubrique=1&emission=1&key=3rq5bExoHG
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