Piraterie, en mer avec de futures équipes de protection

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Piraterie, en mer avec de futures équipes de protection
Piraterie : En mer, avec de futures
équipes de protection privée
14/06/2012
crédits : MER ET MARINE - CAROLINE
BRITZ
Un peu de houle au large de Concarneau.
Sur le pont du bateau de pêche promenade,
une quinzaine d'hommes regarde dans la
même direction. A un peu moins de 200
mètres du bord, une cible montée sur des
flotteurs est portée par les vagues. Elle
apparaît et disparaît. L'instructeur
commence son briefing. « Tendez le bras,
pointez vers la cible quand vous la voyez.
Cela vous donnera la direction de tir ».
La deuxième promotion du stage d'agent de protection armé embarqué, organisé par la
société Kargus Sea Interconnection (KSI) et le Centre européen de formation continue
maritime (CFCM) de Concarneau va commencer sa première séance de tir en mer.
Agent de protection armé sous contrat privé.
Des hommes qui ont choisi de se former pour
pouvoir embarquer sur des navires transitant
dans des zones touchées par la piraterie. « La
demande est forte de la part des armateurs. Et
c'est un marché où il y a toutes sortes de
personnes qui proposent leur service :
beaucoup d'anglo-saxons, des gens sérieux
mais aussi d'autres moins recommandables.
Face à cette situation, nous avons décidé de
mettre en place une formation spécifique "à la
(© : MER ET MARINE - CAROLINE française", correspondant aux plus hauts
BRITZ)
standards internationaux en matière de
protection privée ».
Thierry Houette est directeur associé de KSI, une société spécialisée dans la sûreté qu'il a
cofondée en 2005, à la suite de la mise en oeuvre des normes ISPS. C'est aussi un ancien
officier de marine, plongeur-démineur de spécialité. Autour de lui, pour encadrer les
stagiaires, il y a d'ailleurs beaucoup d'anciens marins, et notamment des commandos
marine. Tous sont là pour « maritimiser » les stagiaires. La quinzaine de stagaires est issue
des rangs de la Légion. Certains d'entre eux ne sont quasiment jamais montés sur un navire
avant de venir en stage à Concarneau. « Ils sont en reconversion après avoir servi dans
l'armée », explique Thierry Houette.
Pour pouvoir postuler au stage, un passé
militaire est nécessaire, ainsi qu'un casier
judiciaire vierge et un certificat d'aptitude
médicale. « Nous recevons des CV et
effectuons une sélection. Le bouche-à-oreille
a bien fonctionné, alors que notre activité est
récente, nous avons déjà pas mal de
candidatures. Nous travaillons aussi avec
des organismes comme Défense Mobilité,
l'Office nationale des anciens combattants
ou Pôle Emploi. La plupart de nos stagiaires
sont financés par des bourses, qui couvrent
une grosse partie, parfois la totalité, du coût
du stage et des frais durant le mois de
formation à Concarneau ».
(© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
L'équipe dirigeante de KSI (© : MER ET
MARINE - CAROLINE BRITZ)
Sur le pont du bateau, deux fusils semiautomatiques sont disposés à l'arrière. Les
conditions de mer sont un peu sportives, le
bateau roule bord sur bord, le froid
commence à tomber sur l'eau, les visages
sont tendus et parfois un peu pâles. Les
instructeurs sont attentifs à ces signes. «
Cela leur permet de se rendre compte de
ces contraintes que peuvent imposer les
conditions météo en mer ». Durant les trois
dernières semaines, les stagiaires ont suivi
plusieurs modules d'enseignement pour leur
apprendre leur futur cadre d'action.
Thierry Houette revient sur la pédagogie mise en place : « Pour élaborer ce programme,
nous avons choisi de nous baser sur les textes internationaux encadrant l'action des équipes
de protection privée ». Actuellement, aucun texte contraignant n'existe : l'Organisation
maritime internationale a sorti une circulaire MSC 1 en septembre 2011, qui a une valeur de
recommandation. La France n'a, pour l'instant, pas de législation dans le domaine. Le député
Christian Ménard a d'ailleurs, dans un rapport récent, pointé la nécessité de formaliser et de
donner un cadre juridique à l'action de ces équipes, dont les armateurs auraient un besoin
criant. « Nous espérons que cette situation se débloquera avant la fin de l'année ». Thierry
Houette espère en effet qu'un tel cadre juridique puisse permettre l'émergence d'un modèle
« français » de standard élevé, qui pourrait faire sa place sur un marché essentiellement
anglo-saxon.
« Pour ce stage, nous avons voulu non seulement agir selon ces standards internationaux,
mais également délivrer des formations compatibles avec les conventions, comme la
convention STCW (qui codifie les conditions de formation des gens de mer ainsi que
l'organisation de la sécurité à bord). Grâce à notre partenariat avec le CFCM, nous pouvons
proposer une formation maritime professionnelle ». Les stagiaires se voient ainsi initier par
des intervenants spécialisés au contexte règlementaire, géographique, sociologique de la
piraterie. Ils ont ensuite un module qui leur permet d'appréhender la navigation à bord d'un
navire de commerce : de l'organisation en quart à la composition de l'équipage. La formation
maritime en tant que telle est étoffée : notions de navigation (point, carte, lecture d'un radar,
appréciation des distances sur l'eau, code ISM), anglais maritime, sécurité de base (avec
l'obtention des certificats STCW TIS (technique individuelle de survie), SPRS (sécurité des
personnes et responsabilités sociales), l'ASN (Agent de sûreté des navires) ainsi que le FBLI
(formation de base à la lutte contre l'incendie). Enfin, le dernier module est consacré à la
mise en oeuvre. « Il s'agit, par des exercices, de créer une mécanisation dans l'application
des règles d'engagement. Celles-ci sont celles actuellement pratiquées par la Marine
nationale. Nous leur apprenons à se placer sur un navire, à évaluer le danger, à donner des
ordres cohérents à leur co-équipiers et, par un exercice comme celui d'aujourd'hui, à pouvoir
effectuer des tirs à distance depuis le pont d'un navire ».
Les deux instructeurs de tir, dont un ancien
commando, arment les fusils. « Ce sont des
armes semi-automatiques. Les équipes
privés ne peuvent utiliser des armes
automatiques, puisqu'il s'agit d'armes de
guerre », précise l'un d'entre eux. Les armes
ont donc un calibre identique à des fusils de
7.62 mm, mais doivent être réarmées entre
chaque tir. Les stagiaires, plus familiers de la
terre ferme et du Famas, prennent leurs
marques.
(© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
Les instructeurs les conseillent : « Suis les mouvements du navire, attends que l'on remonte
sur la vague pour ajuster, réfléchis à comment te déplacer, les espaces sur un navire
peuvent être étroits, ça peut glisser, anticipe toujours le mouvement d'après ». Les tirs,
d'abord maladroits, deviennent de plus en plus précis. « Mais, ce n'est vraiment pas facile »,
sourit l'un des stagiaires. « On ne pouvait pas imaginer ce que c'était avant de venir, c'est
complètement différent des missions que l'on connaît ».
La nuit est tombée, le bateau fait route retour vers Concarneau. Thierry Houette est satisfait
du déroulement de l'exercice et de la motivation des stagiaires. « A travers ces stages, ce
que nous voulons c'est bien former des gens, qui se comporteront de manière responsable
et appropriée sur un navire. Nous voulons créer un métier et pour cela nous essayons de
poser des bases, un standard, que nous espérons voir devenir obligatoire. Nous venons de
créer une fédération professionnelle, nous sommes dans une démarche constructive et
complètement en accord avec les acteurs de ce milieu, des armateurs à la Marine nationale
». Reste simplement à obtenir un signe de l'Etat.
http://www.meretmarine.com/fr/content/piraterie-en-mer-avec-de-futures-equipes-de-protection-privee