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entretIen
avec
alaIn MadelIn
Ancien ministre de l’Économie et des Finances (18 mai-26 août 1995)
« La maîtrise de
la dépense publique
passe essentiellement
par une redéfinition
des frontières de l’État »
Propos recueillis par charlotte cabaton
La France est-elle un pays
difficile à réformer ?
premier pas dans cette
direction ?
Alain Madelin – Non. Les réformes
souffrent davantage d’un manque de
méthode que d’un manque de courage
chez les politiques. Les très nombreux
travaux internationaux consacrés à la
réforme de l’état restent encore assez
largement ignorés en France.
Alain Madelin – La Rgpp est en soi
une bonne approche. Hélas, l’état
vient de faire un extraordinaire aveu de
l’impuissance publique en se montrant
incapable de financer le RSA par un
quelconque redéploiement de ses ressources.
La Révision générale des
politiques publiques (Rgpp)
ne constitue-t-elle pas un
Elle est une bonne méthode car elle
pose – ou du moins devrait poser – la
question essentielle du périmètre de
l’état, de la légitimité de ses fonctions et de ses interventions. Une vraie
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Dossier : Finances Publiques
stratégie d’économie de la dépense
publique nécessite de reconfigurer les
missions de l’état au sens large et donc
de se poser la question pour chacune
de ses actions : est-elle légitime, estelle efficace, pourrait-elle être effectuée
autrement ou par d’autres ? Quelle
part de ces actions échappe par nature
à la concurrence et relèvent de choix
collectifs effectués sur le marché politique ? Quelle part correspond à des
services qui pourraient être transférés
sur le marché économique et relever de
choix individuels ? Quelle part représente des missions d’intérêt général
qui peuvent être déléguées, concédées
ou effectuées en partenariats publics
privés ?
Bercy a un rôle central à jouer dans
la réforme de l’état même si cette
tâche doit être clairement impulsée
par le président de la République et le
Premier ministre. Il y a un lien entre
l’intelligence de l’économie et les économies.
La loi organique relative aux
lois de finances (Lolf) est-elle
un plus dans la maîtrise des
finances publiques ?
Alain Madelin – Indiscutablement
la France a besoin de maîtriser ses
dépenses publiques. Mais il faudrait
regarder de façon plus fine le concept
de déficit public. Car il peut être
dans certains cas considéré comme
un investissement destiné à préparer
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l’avenir – comme c’est en général le cas
de la dette d’une entreprise – ou dans
d’autres cas comme une fuite en avant
dans l’endettement pour payer un excès
de dépenses courantes ou un excès de
frais généraux. La France est plutôt et
depuis longtemps dans ce dernier cas
puisque nous n’avons jamais voté un
budget à l’équilibre depuis 1973. Et
la dette publique, liée à un excès de
dépenses publiques pèse sur la croissance et la compétitivité.
La question du déficit doit être bien
évidemment liée à celle du retour sur
investissement des dépenses publiques
i.e. de l’efficacité de l’état et des administrations publiques et sociales. La
Lolf permet une clarification comptable mais elle ne se pose pas la question
du bien fondé des actions de l’état.
Et il en va de même pour la loi de programmation des finances publiques.
J’ai toujours raillé la loi dite d’équilibre
des comptes de la Sécurité sociale. Car
depuis qu’on a décidé que le Parlement
voterait une loi d’équilibre, les comptes n’ont jamais cessé d’être en déficit.
Année après année, l’état cherche à
les équilibrer. Pour cela on augmente
les recettes, on diminue les remboursements ou on renvoie de plus en plus
sur des mutuelles. Ce qui constitue
en fait une sorte de privatisation des
prélèvements obligatoires. Et certaines
années ont fait les trois à la fois. De
plan de sauvetage en constat de faillite,
nous assistons à une véritable dérive. Il
faudrait se poser la question non pas
des « économies » que l’on peut faire
Entretien avec Alain Madelin
mais de « l’économie de la santé » que
l’on peut construire avec des acteurs
responsabilisés, des assurances sociales
en concurrence qui se comporteraient
non plus en payeurs aveugles mais en
acheteurs avisés afin de remplacer les
signaux des « tarifs » par ceux de vrais
prix.
La maîtrise de la dépense publique
passe essentiellement par une redéfinition des frontières entre l’état qui fait,
l’état qui permet de faire et l’état qui
fait faire.
La crise va-t-elle avoir pour
conséquence un coup de frein
aux réformes ?
Alain Madelin – Bien évidemment.
Elle va marquer le retour en grâce
des états et des interventionnistes qui
voyaient depuis déjà quelque temps
leurs pouvoirs rognés par la mondialisation et l’essor des marchés. C’està-dire en fait le rétrécissement de la
sphère des choix collectifs au profit
de la sphère des choix individuels. On
annonce volontiers la revanche de la
politique sur les grands méchants marchés mais celle-ci s’inscrit totalement à
contre-courant des exigences et constitue une véritable rupture intellectuelle.
Il fallait redéfinir l’état, voilà que l’état
va redéfinir le capitalisme !
Ce retour de l’État est-il
durable ?
PArCourS
AlAin MAdelin
Le 26 août 1995, Alain Madelin
quitte le ministère de l’Économie et
des Finances. Il y est arrivé trois mois
plus tôt après avoir mis toute son
énergie à faire élire Jacques Chirac
à la présidence de la République.
Mais avec Alain Juppé, alors Premier
ministre, le courant ne passe pas.
Cet avocat libéral au style vif, formé
sur les bancs d’Assas et entré en
politique à l’extrême droite, n’a
pas l’habitude de transiger. Militant
précoce, il fait ses premiers pas dans
l’Hémicycle à 32 ans et est nommé
pour la première fois ministre à
40 – il le sera à trois reprises à
l’Industrie, aux Entreprises, puis à
l’Économie et aux Finances. Il est
également l’auteur de plusieurs
livres défendant les thèses libérales.
Élu en 1997 président de
Démocratie Libérale, il se lance en
2002 dans la course à l’Élysée. Il
veut s’imposer comme le deuxième
homme de la droite. Candidat de
la réforme, il parle à « la France
qui travaille dur » mais on retient
plus son étiquette libérale que ses
origines modestes. Il recueillera un
peu moins de 4 % des voix.
Il est réélu député d’Ille-et-Vilaine
le mois suivant sous les couleurs
de l’UMP. En 2007, il décide de ne
pas se représenter, mettant fin à
une série quasi ininterrompue de
mandats parlementaires débutée en
1978. Alain Madelin a en outre été
maire de Redon de 1995 à 2001.
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Dossier : Finances Publiques
Alain Madelin – Non. Il exploite la
chute du mur de l’argent facile mais il
se heurtera inévitablement au mur des
réalités.
Libérer la croissance, cela
passe-t-il par des baisses
d’impôts ?
S’autoriser une augmentation
du déficit budgétaire et un
accroissement de la dette
publique, est-ce raisonnable ?
Alain Madelin – Des baisses d’impôts bien choisies, lorsqu’elles ont un
effet de levier sur la croissance – ce
qui ne me semble pas être le cas ces
derniers temps –, sont paradoxalement
le meilleur moyen de lutter contre le
déficit public, car elles dopent la croissance.
Alain Madelin – Il n’est pas anormal,
en période de récession/déflation, de
faire jouer les clauses de situations spéciales du Pacte de stabilité et de croissance. C’est peut-être d’ailleurs le seul
moment où je verrais des vertus à une
politique de soutien de la demande
par le déficit budgétaire. Ce qui me
semble préoccupant en revanche, c’est
la remise en cause de la politique de
concurrence au niveau européen. Car
la concurrence est par nature le levier
qui nous a permis bon an mal an de
moderniser l’état.
Le remboursement de nos dettes passe
par une politique de libération de
croissance, par l’exigence de « retrousser ses manches », pas par une politique punitive de « serrage de ceinture ».
Même en période de crise une bonne
politique exige des mesures de libération de la croissance.
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Le vrai problème, c’est que nous
n’avons pas eu une politique d’écureuil accumulant les noisettes pendant
les périodes de prospérité, ce qui rend
quasi nulles nos marges de manœuvre
pour soutenir l’activité et diminuer les
impôts.
D’autant que le plan de
soutien aux banques ne
sera pas neutre en termes de
finances publiques…
Alain Madelin – L’idée d’une facture
à supporter par les contribuables est in
fine réelle mais il y a aujourd’hui beaucoup d’incertitude sur son montant. Il
sera très différent selon la capacité de
reprise des économies et des secteurs
bancaires des différents pays.