Edgar Bronfman : je voulais que Jean-Marie Messier

Transcription

Edgar Bronfman : je voulais que Jean-Marie Messier
Edgar Bronfman : je voulais que Jean-Marie Messier parte de Vivendi
Première partie de l’audience du 12 novembre 2013 devant la 5ème chambre
correctionnelle de la Cour d’appel de Paris, consacrée à l’audition d’Edgar
Bronfman Junior, héritier de Seagram, témoin au procès en appel de Jean-Marie
Messier, l’ex-PDG de Vivendi. (Tout le feuilleton ici)
Edgar Bronfman est venu témoigner
devant la 5ème chambre correctionnelle
de la Cour d’appel de Paris dans le cadre
du volet pénal de l’affaire Vivendi, en
novembre 2013. (photo © GPouzin)
La présidente Mireille Filippini rappelle le contexte de l’affaire Vivendi. Le 27 juin
1996, Jean-Marie Messier est embauché comme directeur général de la Générale des eaux
dont il est ensuite devenu PDG. Suite à la fusion avec Seagram, Vivendi, Canal Plus, et
toutes leurs filiales sont consolidées à 100% avec une seule trésorerie. Après l’assemblée
générale extraordinaire du 5 décembre 2000, le conseil d’administration du 11
décembre se réunit et indique avoir approuvé la rémunération du président
conformément à l’article 225-47 du Code de commerce, qui est déterminé par un
salaire de 1,3 million de dollars par an plus un bonus ou une prime au prorata du
résultat représentant entre 200% et 300% du salaire. Ensuite, il est dit que le
président est nommé par le conseil d’administration qui peut le révoquer à tout moment
tout disposition contraire étant réputée non écrite.
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Je rappelle qu’un PDG ou administrateur ne peut pas avoir de contrat
salarié car cela exclut tout lien de subordination, ajoute la magistrate. Cela
peut exister pour un administrateur s’il est déjà salarié avant sa nomination au
conseil d’administration conformément à l’article 225-22 du Code de commerce,
et seulement si son contrat de travail est antérieur à son mandat
d’administrateur.
Toute nomination en violation de cet alinéa est nulle. En cas de fusion/scission on
peut aussi cumuler si le contrat de travail est antérieur à la fonction
d’administrateur.
Jean-Marie Messier a signé le 2 janvier 2001 un contrat de travail avec
trois sociétés américaines devenues filiales à 100% de Vivendi Universal.
Il a signé en qualité de dirigeant. De quelle société ? Peut-être les trois sociétés
américaines avec qui il a signé mais également de Vivendi Universal puisqu’on
voit que le contrat de travail prévoit qu’il consacre deux tiers de son temps en
tant que dirigeant des opérations mondiales de Vivendi Universal.
Ce contrat est intervenu après la fusion, il prévoyait des conditions
d’indemnités en cas de démission pour juste motif qui faisaient échec à
l’article 225-47 du Code de commerce. On avait beaucoup parlé du
termination agreement intervenu le 1 er juillet 2002 suite au conseil
d’administration du 25 juin qui évoquait la non-révocation, les administrateurs
français ayant voté la confiance. Ce contrat de travail ne sera jamais
approuvé par le conseil d’administration et il est qualifié par
l’ordonnance de renvoi comme une convention qui aurait dû être
approuvée préalablement par le conseil d’administration, l’assemblée
générale et le commissaire aux comptes.
Monsieur Bronfman est là puisque j’ai tenu à ce qu’il soit présent, enchaîne la
présidente. C’est lui qui avait approuvé votre termination agreement,
rappelle-t-elle à l’adresse de Jean-Marie Messier mais dans un relevé de vos
déclarations sur un échange avec Henri Lachmann vous dites : « je lui ai
indiqué qu’afin de ne pas être entre les mains du seul Bronfman junior, je
souhaiterais que Mr Viénot participe aux négociations comme représentant
des administrateurs français ». Mr Bronfman levez-vous. Vous allez demander à
Mr Bronfman comment ça s’est passé, demande-t-elle à l’interprète assermenté
qui traduit ses mots en même temps que l’héritier de Seagram écoute dans son
oreillette la traduction instantanée beaucoup plus riche que débitent deux
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professionnels se relayant au fond de la salle.
–
Ce n’est pas mon souvenir des circonstances dans lesquelles cela
s’est passé, commence Edgar Bronfman qui a suivi l’exposé introductif de la
présidente. Au conseil d’administration du 25 juin (2002), nous avons
commencé avec une brève présentation de Vivendi Environnement. Mais au bout
de quelques minutes nous avons réalisé que ce n’était pas pertinent dans cet
environnement. Même si c’était ce qui était prévu à l’ordre du jour il y avait
quelque chose de plus important avec tous les problèmes.
–
Quels problèmes ?
–
Le cours de l’action avait perdu 20% la semaine précédente, et
encore 20% la veille du conseil, poursuit Edgar Bronfman, à cause du
manque de confiance dans le dirigeant. La veille du conseil j’avais vu JeanMarie Messier et lui avais dit que j’allais demander sa démission. J’avais
parlé à plusieurs administrateurs français et américains avant la réunion,
notamment en tête à tête avec messieurs Friedmann, Lachmann et Viénot. Le
conseil se concerte et nous faisons évoluer la conversation sur le
management. Après bien des débats, je demande formellement la
démission de Mr Messier. J’avais dit démission.
–
Révocation, je suis désolée, rectifie la magistrate en relisant le
compte rendu de ce conseil d’administration. Mr Bronfman dit à peu près la
même chose mais le conseil d’administration ne peut demander que la
révocation.
–
Je ne connais pas la loi française mais mon but était que Mr
Messier parte, résume Edgar Bronfman.
–
Donc vous demandez au conseil d’administration de voter sa
révocation ?
–
Oui, mai je pense que pour demander cela il faut que le conseil se
réunisse. Nous nous sommes réunis, nous avons voté, tous les
administrateurs américains ont voté pour que Mr Messier parte, et tous
les administrateurs non américains pour qu’il reste. La réunion s’est
terminée et Mr Messier est resté PDG. Je suis retourné à Londres et le
lendemain j’ai reçu un appel téléphonique de Serge Tchuruk, le PDG
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d’Alcatel, qui me dit que les administrateurs sont en réflexion car il y a un
changement de législation qui inciterait à séparer la fonction de président et de
PDG. Il m’explique que le conseil a approuvé le fait que Vivendi devait avoir une
stratégie claire centrée sur les médias en tant que tels, gérés depuis New York
mais que le siège social devait rester à Paris. Il suggérait que Mr Messier
pourrait devenir président non exécutif et que peut-être je devrais
devenir directeur général basé à New York. J’ai dit à Mr Tchuruk que
j’appréciais cette tentative de compromis mais que je ne pensais pas que cela
changerait quoi que ce car le président restait en place, que non seulement
moi-même et d’autres administrateurs ne lui faisions plus confiance mais
que les marchés avaient décidé qu’il devait partir, et en plus je n’étais pas
intéressé pour diriger ce groupe. J’ai eu un autre appel, je ne sais plus de qui,
pour me demander de revenir à Paris le lendemain pour voir messieurs
Friedmann et Lachmann, ce que j’ai fait. Ils m’ont demandé si je voulais
toujours le départ de Jean-Marie Messier. J’ai dit que oui et que je ferais tout
ce qui était nécessaire, y compris convoquer une assemblée générale. Ils
avaient fait leurs recherches et m’ont dit que je ne pourrais pas exercer
le droit de vote de mes actions contre le président, comme le contrat de
fusion le prévoyait.
–
Le 25 juin, le conseil d’administration a voté la non révocation et il ne peut
pas être re-convoqué avant deux mois, la loi prévoyant que « quand il ne s’est
pas réuni depuis deux mois, le conseil d’administration peut être
convoqué sur un ordre du jour déterminé sur demande d’un tiers au
moins des administrateurs ». Seul le PDG pouvait le re-convoquer avant
deux mois et il ne voulait pas le faire tant que son termination agreement
n’était pas signé.
–
Pour montrer ma détermination aux administrateurs français je leur ai dit
que j’étais prêt à convoquer une AG pour renvoyer le conseil
d’administration, explique Edgar Bronfman. Mr Lachmann et Friedmann
m’ont dit « d’accord, on est prêt à parler à Jean-Marie Messier et à lui
dire qu’il faut qu’il démissionne » et qu’ils iraient lui parler le lendemain. Ils
m’ont dit que j’aurai des nouvelles de Mr Viénot dont ils avaient décidé
qu’il représentait les administrateurs français. Nous devions attendre deux
mois pour avoir un nouveau conseil d’administration et on ne pouvait pas
attendre, donc il était nécessaire de négocier avec Jean-Marie Messier
pour avoir son accord de convoquer un conseil pour qu’il puisse demander son
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départ. En substance, il avait la clé permettant de déverrouiller la
possibilité de convoquer le conseil d’administration pour requérir son
départ.
–
Il a signé un termination agreement, il donne sa démission, ce n’est
pas une révocation par le conseil, relance la magistrate pour tester la thèse
défendue par l’accusé.
–
Quand un conseil d’administration demande au président de partir, la
forme n’est pas importante, résume Edgar Bronfman. Dans les faits, aux
Etats-Unis, dans 99% des cas où un PDG est viré, il annonce sa démission.
–
Cela fait plus joli, traduit la présidente.
–
Yes, it looks better, confirme aussitôt Edgar Bronfman en répétant la
traduction simultanée reçue dans son oreillette avant que l’interprète assermenté
ait pu parler. It’s prettier flowers but with the same smell. Ce sont de plus
jolies fleurs avec la même odeur, répète le traducteur à la cour.
–
Comme c’est joliment dit ! Vous négociez donc pour obtenir cette clé
de Jean-Marie Messier, poursuit la magistrate.
–
Je ne parle qu’avec Mr Viénot qui me dit que Jean-Marie Messier veut
le même accord que pour mon départ. Je lui ai dit que cela m’offensait.
–
Vous avez déclaré votre « écoeurement », relève la présidente dans ses
dossiers.
–
Je me souviens avoir dit devant un tribunal précédent que la
comparaison était « odious » (odieuse), précise Edgar Bronfman, après un
court débat sur la bonne traduction d’« écoeurement ».
–
Pourquoi ? Vous aviez un contrat de travail signé avec la même société
avant la fusion et votre terminal agreement a été signé alors que vous n’étiez
plus dirigeant opérationnel mais toujours administrateur, ce qui nécessitait une
convention, ajoute au passage la magistrate en soulignant les ressemblances.
–
La raison pour laquelle je trouvais cela abusif est qu’il y a une différence
très importante entre un accord de rupture protecteur et un parachute
doré. La différence est qu’avant la fusion nous étions 18 dirigeants de
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Seagram, moi inclus, à recevoir un accord de rupture protecteur, comme
approximativement autant d’administrateurs français ont eu un accord
semblable. La raison pour laquelle le conseil d’administration octroie de
tels accords est que lorsque les administrateurs négocient une fusion
pour les actionnaires, il est presque certain qu’ils seront virés. Le jour de
la vente à Vivendi on me devait le paiement de trois années de salaire en
échange de l’abandon d’un emploi qu’en d’autres circonstances j’aurai
encore occupé dix ou vingt ans. Je devais recevoir cet argent le 8 décembre
2000, sauf que Vivendi Universal m’a demandé de rester pour aider à
réaliser la fusion. J’ai accepté à condition de ne pas être désavantagé. Si
je décidais de partir dans un an, on devrait me payer l’argent que je ne prenais
pas maintenant. Dans mon esprit, je transmettais aussi une société très
bien gérée en renonçant à mon poste, c’est une différence très
importante avec les circonstances du départ de Jean-Marie Messier qui,
dans mon esprit, n’a pas bien géré Vivendi Universal. A l’été 2002, la
société avait de très sérieux soucis financiers. S’il fallait payer à Jean-Marie
Messier un millième de pourcent de la valeur de la société pour s’en séparer,
j’estimais qu’il valait mieux me boucher le nez et le payer que de perdre
la société.
–
Vous pensiez que Jean-Marie Messier était si nocif que cela,
reprend la magistrate en remerciant son témoin avant de redonner la parole à
l’ex-PDG.
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