La Course du Cœur, Entretien avec Olivier Coustère, directeur de la

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La Course du Cœur, Entretien avec Olivier Coustère, directeur de la
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La Course du Cœur,
“4 jours, 4 nuits, pour faire courir la vie”
Entretien avec
Olivier Coustère,
directeur de la course
La 21e édition de la Course du Cœur est partie du Trocadéro, à Paris, le 28 mars dernier et
s’est s’achevée à Courchevel le 1er avril. Cette performance sportive, à laquelle ont participé
une vingtaine d’équipes, dont une de coureurs greffés, vise à promouvoir la nécessité
du don d’organes et le bénéfice de la pratique d’une activité physique et sportive pour
les transplantés et dialysés. Cardio & Sport a voulu donner la parole au directeur de cet
événement généreux.
Propos recueillis par le Dr Jean-Claude Verdier (Institut Cœur Effort Santé, Paris)
1. La réhabilitation des greffés et dialysés par l’activité physique et sportive.
Dr Jean-Claude Verdier : Olivier
Coustère, pourriez-vous présenter
“Trans-Forme” et vous-même, le
Directeur de cette association ?
Olivier Coustère : Trans-Forme a été
créée en 1989, avec 3 objectifs.
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L’originalité de ce projet était l’idée
d’incorporer les dialysés dans une
démarche de retour à une qualité de
vie. En effet, les dialysés sont des
futurs, voire des ex-greffés : c’est l’histoire continue de l’insuffisance rénale.
L’originalité consistait aussi à amener
l’activité physique à la transplantation : à l’époque, on parlait de transplantation en terme de survie et l’on
m’a tantôt traité de suicidaire, tantôt
de héros. Enfin, l’originalité a été de
proposer une activité physique et
sportive à tous les greffés (tout
organe), car il n’y avait pas d’association en France qui les représentait
et personne avant n’avait considéré
l’activité physique assez cruciale pour
justifier la création d’une fédération
de santé sur ce thème. Je suis très
content que l’on ait créé Trans-Forme
à cette époque, cela nous a laissé tout
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le temps nécessaire pour approfondir
vraiment ce sujet énorme.
2. La sensibilisation du public à la
greffe et au don d’organes.
A la création de notre association,
nous nous sommes rendus compte
que l’image innovante de dialysés et
de greffés pratiquant du sport plaisait aux médias. Nous avons donc
rapidement décidé d’exploiter ce
phénomène pour sensibiliser le
public à la réussite de la greffe. On ne
parlait pas encore directement de
promotion du don d’organes, mais
de sensibilisation à la réussite de la
greffe et de son corollaire, la promotion du don. A l’époque, l’appel au
don était mené par les médecins et
non pas par les patients. Cette
démarche a posé problème au
moment de l’affaire du sang contaminé : on pensait que l’on donnait les
organes aux médecins et comme ils
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Les enfants participent massivement à l’opération “10 000 cœurs pour l’hôpital”.
ont été diabolisés, le don d’organes a
chuté. Immédiatement, nous nous
sommes donc positionnés en tant que
receveurs de ces organes, c’est-à-dire
parmi les meilleurs ambassadeurs de
l’utilité du don, derrière, tout de
même, les donneurs et leur famille
eux-mêmes.
3. L’accompagnement et le soutien
des médecins dans notre démarche.
Certains médecins, comme vousmême, Jean-Claude Verdier, nous ont
accompagnés dès la création de TransForme : les greffés exprimaient le désir
de se prendre en main et ils ont choisi
de les y aider. Parmi ceux-là, je me
souviens très bien de Christian d’Anzac, néphrologue, qui avait déclaré :
« de toutes façons, vous allez faire des
conneries, alors je préfère vous
accompagner plutôt que de vous
laisser faire seuls. » Le 3 e objectif a
donc été d’inventer la médecine du
sportif transplanté et du dialysé, ce
qui n’existait pas à l’époque.
JCV : Combien d’adhérents y a-t-il à
Trans-Forme ?
OC : Il y a environ 1 000 adhérents
aujourd’hui. Je ne connais pas le
nombre de greffés cardiaques, mais
maintenant, certains siègent au
conseil d’administration. A l’époque
et pendant 15 ans, les greffés du cœur
ne se sont pas mobilisés à TransForme : on les retrouvait plutôt dans
d’autres associations. Aujourd’hui, sur
150 participants aux Jeux Nationaux,
nous comptons une trentaine de greffés du cœur. Avec la mucoviscidose,
les greffés cœur-poumons nous rejoignent. Je vois, dans ce phénomène,
les bienfaits de toutes les campagnes
de lutte contre la mucoviscidose et,
en même temps, les bienfaits de l’activité physique que ces greffés commencent à pratiquer, même si c’est
de manière très particulière chez eux.
JCV : Tous les médias entendent
parler de la Course du Cœur, mais
ne savent pas forcément de quoi il
s’agit… Alors finalement, pouvezvous nous dire ce qu’est cet événement ?
OC : La Course du Cœur existe depuis
1986 et nous venons de clore cette
année sa 21e édition. C’était ParisLa Plagne pendant 16 ans, ParisCourchevel ensuite. Cette opération
vise à rassembler des équipes d’entreprises (Renaud, Dassault, Roche,
Gaz de France, SAP…), autour d’une
équipe de greffés tout organe - même
si historiquement, il s’agissait de
greffés du cœur - pour courir pendant 4 jours et 4 nuits (à peu près
750 km), avec, au-delà de l’événement sportif, une seule mission :
promouvoir le don d’organes à travers les départements traversés. C’est
donc le prétexte, pour Trans-Forme,
d’aller à la rencontre du public pour
informer, sensibiliser et mobiliser
(distribution de documents d’information et de cartes de donneurs,
stands, affiches). En parallèle de la
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course, Trans-Forme organise l’opération “10 000 cœurs pour l’hôpital”
vers les enfants. Cette action consiste
à solliciter toutes les écoles des communes traversées pour que les
enfants fabriquent des cœurs en
papier. Ce travail manuel est l’occasion de leur expliquer ce qu’est la
transplantation et de les sensibiliser
dès le plus jeune âge à la générosité
et à la solidarité. Ces cœurs sont
ensuite collectés et envoyés aux praticiens des unités de greffe en France
avec le message : « donnez ces cœurs
des enfants à vos patients, en guise
d’encouragement avant la greffe ».
La Course du Cœur mobilise à peu
près 340 personnes, en comptant
toute l’organisation logistique autour
des coureurs, et rassemble 14 équipes,
nombre record atteint cette année.
L’événement échouerait dans sa mission s’il se contentait d’être sportif.
Toutes les équipes engagées représentent le fer de lance des entreprises:
elles ont mené en leur sein même des
actions de sensibilisation et les coureurs sont devenus des complices de
distribution de l’information. D’ailleurs,
depuis 4-5 ans, nos interlocuteurs ne
sont plus les mêmes : alors qu’il s’agissait
de sportifs et des comités d’entreprise
à nos débuts, ce sont maintenant les
directions générales qui s’investissent.
JCV : Quelles sont les caractéristiques
du coureur de la Course du Cœur ?
OC : Entraîné : la Course du Cœur ne
s’improvise pas. On demande,
comme prérequis, qu’ils soient
capables de courir à 12 km/h, chaque
coureur parcourant l’équivalent d’un
semi-marathon par 24 heures. L’effort
de la Course du Cœur est très atypique : les problèmes qui lui sont
corrélés ne sont pas ceux d’un marathon ou d’un semi-marathon classique. Il y a une répétition de l’effort
quotidien, à des heures totalement
variables (jour ou nuit), sous les
conditions climatiques variables.
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JCV : Quels sont les accidents que vous
avez rencontrés et parmi ceux-ci, y at-il eu des problèmes cardiaques ?
OC : Les coureurs sont assez euphoriques et ne se ménagent pas. Même
s’ils sont entraînés, ce sont des amateurs : ils ne savent pas forcément
gérer un effort répétitif sur 4 jours et
4 nuits et peuvent donc rencontrer
des ennuis gastriques sérieux et des
hypothermies. Par contre, nous
n’avons pas rencontré de problèmes
cardiaques. D’abord parce qu’il y a
une équipe médicale vigilante autour
de la course et, surtout, parce que les
coureurs présentent un dossier médical avant la course, qui exige un certain nombre de précautions et de
tests. Parmi ceux-ci, on oblige les coureurs de plus de 40 ans, y compris
ceux détenteurs d’une licence de la
fédération française d’athlétisme, à
passer un test d’effort. Ce test est
ensuite agréé par l’équipe médicale
encadrant la sécurité de la course. Ils
reçoivent aussi un courrier de prévention, spécifiant les efforts très particuliers qu’exige la course. Nous n’oublions
pas qu’ils restent des amateurs.
Trans-forme
JCV : Est-ce que vous avez pu profiter
de cette course très particulière pour
faire quelques travaux scientifiques,
améliorer l’approche de ce type
d’activité auprès des populations
à risque ?
OC : Effectivement, nous avons déjà
réalisé quelques prises de mesure sur
l’équipe de greffés pendant la course,
L’équipe des greffés 2006.
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qui ont donné lieu à des publications.
Et nous sommes demandeurs de
projets d’étude sur des thèmes particuliers, qui nécessiteraient d’être
approfondis. Par exemple, il serait très
intéressant de comparer les mesures
des greffés avec celles des coureurs
“normaux”pendant la course…
JCV : Vous avez parlé des résultats
déjà réalisés sur les transplantés,
cœur notamment. Vous parlez
d’études potentielles sur les coureurs pour ce type d’effort répétitif,
qui ne peuvent être faites sur les
grandes classiques comme le marathon des sables. Disposez-vous
d’une équipe médicale qui pourrait
gérer ces études ?
OC : Oui, nous disposons d’une équipe
médicale au “cœur” de la course, qui
assure une présence jour et nuit. Cette
équipe comporte 8 médecins, 4 véhicules avec, à leur bord, 1 anesthésiste
réanimateur chacun, 1 ambulance et
2 ambulanciers, plus 25 kinésithérapeutes. La répétition des efforts est
fondamentale à traiter. A chaque fois
que les greffés font une étape (en général, ils ne font pas les étapes de nuit),
un des véhicules est plus particulièrement affecté aux greffés. Nous n’avons
jamais rencontré d’incidents et c’est
rassurant pour tout le monde.
Les médecins présents sur la course
sont tout à fait à même de mener ces
études : ce sont des cardiologues et
médecins du sport, qui disposent d’un
plateau technique permettant de faire
les mesures. Mais nous apprécierions
de recevoir des renforts sur des sujets
bien précis qui l’exigent. Par exemple,
certains greffés sont porteurs de fistules artério-veineuses et nous aurions
besoin d’études pour juger d’une éventuelle incidence de ce type d’effort.
JCV : Quels sont les messages de
Trans-Forme sur le plan cardiovasculaire ?
OC : Cet après-midi, je vais interve-
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nir auprès de visiteurs médicaux afin
qu’ils puissent démarcher les chefs
de service des unités de greffe et les
convaincre des bienfaits de l’activité
physique à l’hôpital. Nous souhaiterions que se mettent en place des protocoles de réadaptation à l’effort,
prescrits par les praticiens de transplantation eux-mêmes, qui dirigeraient les patients vers des structures
capables de les mettre en place.
Nous aimerions faire entendre que la
pratique d’une activité physique n’est
pas une option pour un greffé : c’est
une thérapie auxiliaire, qui maximise
les chances de succès de la greffe. Le
corps a été meurtri par la maladie. Il
est important que les greffés reconquièrent leur corps, ainsi qu’une certaine qualité de vie, à tous les niveaux :
“bien dans son corps, bien dans sa
tête”.
De plus, le sport facilite les liens sociaux
et permet donc une meilleure réintégration. Il permet aux greffés de se
réadapter à l’effort et de sortir de la spirale de déconditionnement du dialysétransplanté et de la période d’attente.
Enfin, la pratique d’une activité physique permet de protéger le système
cardiovasculaire, mais aussi rénal
(avec la dialyse, des dépôts phosphocalciques rigidifient les artères et peuvent entraîner des infarctus), et de
prévenir les problèmes ostéo-articulaires, respiratoires, neurologiques et
musculotendineux.
J’ajouterais également que chaque
année, au moment des Jeux Nationaux, Trans-Forme organise une session médico-sportive d’environ une
heure. Tous les médecins qui souhaiteraient communiquer auprès des
greffés sont les bienvenus. Des sujets
tels que « Qu’apporte le V’O2max aux
sportifs ? », « Quel bilan CV pour quel
sportif ? » devraient intéresser les
greffés, bien souvent très demandeurs
d’informations médicales sur le sport
les concernant.
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JCV : Vous-même, quelle activité
sportive pratiquez-vous ?
OC : Je dois m’y remettre, mais je pratique le badminton. J’ai été en compétition et je suis classé. Mais je dois
me cacher : pour pratiquer en compétition, il faut solliciter une licence à
un club. Or, étant moi-même greffé, si
je commence à décliner mon CV
médical, je ne l’obtiendrais sans doute
jamais. Je ne suis donc pas très sécurisé en pratiquant et si je fais un tournoi, l’organisateur de ce tournoi et
mon club ne sont pas complètement
sûrs d’être assurés. Sans compter que
je prends des médicaments interdits
car dopants... C’est toute l’ambiguïté :
nous disons, à Trans-Forme, qu’il faut
faire du sport normalement, pour
retrouver une qualité de vie normale.
Mais même si la société nous assure
que nous sommes redevenus normaux
grâce à la greffe, dans la réalité, nous
ne retrouvons pas de travail, n’obtiennent pas de crédit bancaire et ne peuvent pas pratiquer du sport normalement. Il y a du chemin à faire...
JCV : Faisant partie de l’association
française de lutte contre le dopage,
je sais qu’il existe maintenant des
demandes de dérogation avec les AUT
(Autorisation à Usage Thérapeutique),
auxquelles les médecins répondent
de plus en plus favorablement quand
il s’agit d’une transplantation. C’est
en train de se normaliser…
OC : Voilà maintenant 17 ans que
l’on réclame, auprès des ministères
successifs, un véritable statut physique et sportif du greffé. Le paraolympique et l’olympique ont leur
statut. Entre les deux, c’est le vide
juridique total. L’AUT, pourvu qu’elle
intègre l’interdisciplinarité, devrait
représenter un outil utile. Mais
actuellement, il s’agit d’un dossier
annuel, pour une demande annuelle,
pour une seule discipline. Il faudrait
un renouvellement automatique, ce
qui est le cas je crois pour les maladies
chroniques, et un même dossier pour
plusieurs sports : les greffés, contrairement aux sportifs non greffés, très spécialisés, pratiquent plusieurs sports. ❚
Avec la collaboration
de Marjorie Andrès
La course du cœur, c’est...
750 km de course à pied en relais non stop, en quatre jours et
quatre nuits, entre Paris et Courchevel
Entre 12 et 15 équipes de 14 coureurs dont 1 équipe de
personnes transplantées (cœur, foie, rein, moelle osseuse)
●
Plus de 200 communes traversées par une caravane de
95 véhicules
Des épreuves de 10 à 80 km et des épreuves spéciales : bike
and run, relais volants…
●
● Une équipe médicale spécialisée de 8 médecins et de
25 kinésithérapeutes (bénévoles), dotée du matériel médical
approprié
● Un escadron moto de la Garde Républicaine et des commissaires
pour la sécurité de l’épreuve
●
Plus de 120 bénévoles au service des coureurs
● Des animateurs et des musiciens pour supporter les coureurs
Plus de 3 000 repas servis en auberge, restaurants ou paniers-repas, de jour comme de
nuit, aux arrivées d’étapes
● Une équipe de communication qui assure la promotion et la sensibilisation au don
d’organes tout au long du parcours
Une opération spécifique de sensibilisation au don d’organes pour les enfants :
“10 000 cœurs pour l’hôpital” tout le long du parcours de la course
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