entrevue

Transcription

entrevue
ENTREVUE
| TABLE RONDE |
Patrick Rich et Gaston Ouellet examinent une pièce en aluminium
d'un vélo haut de gamme sous l'œil
attentif de Bertrand Tremblay.
D'ANCIENS DIRIGEANTS D'ALCAN RACONTENT...
UN AVENIR PROMETTEUR
PECHINEY ET ALUSUISSE ÉLÈVENT RTA JUSQU'AU SOMMET
PAR BERTRAND TREMBLAY
D'anciens cadres d'Alcan
se donnent périodiquement
rendez-vous à La Rapière, un
chic restaurant du centre-ville
de Montréal, pour fraterniser,
se rappeler les grandes étapes
de leur carrière et échanger leur
perception des difficultés que
traverse l'industrie mondiale de
l'aluminium malgré la demande
accrue du métal gris.
Comme l'Institut pour l'histoire de
l'aluminium − Amérique du Nord
(IHA-ADN) présente, jusqu'en septembre, sept rencontres thématiques à la Pulperie de Chicoutimi,
Al13 a considéré l'occasion propice
à une rétrospective d'Alcan, et ce,
à travers les témoignages d'anciens dirigeants. Des membres du
groupe de La Rapière et d'autres
anciens hauts gradés de la multinationale, intégrée à Rio Tinto depuis
le 28 septembre 2007, se sont prêtés à l'exercice le jour même où
l'ancien premier ministre Bernard
Landry participait à une table ronde
sur les relations qu'entretenaient
Alcan, Pechiney et les différents
paliers de gouvernement.
L'ancien PM
Bernard Landry
souhaite
l'intervention
de l'État.
Tout comme François Legault, le
chef de la Coalition Avenir Québec
(CAQ), qui autoriserait la Caisse de
dépôt et placement du Québec
à former un partenariat avec un
opérateur pour racheter la division Alcan de Rio Tinto, monsieur
Landry favoriserait l'intervention de
l'État à un « réajustement pour que
les Québécois soient impliqués
[...] ». En passant, il fait observer
que, lors de la grande transaction,
le gouvernement de la Norvège
était le principal actionnaire.
L'ancien PM signale avoir rencontré plusieurs hommes d'affaires
désireux de participer à une éventuelle transaction; à la condition,
toutefois, que la conjoncture soit
favorable. Quand on lui demande
s'il poussera son consentement
jusqu'à exercer des pressions, il
s'empresse de préciser qu'il n'est
pas un lobbyiste. « J'agirai comme
simple citoyen... »
Toutes ces spéculations découlent de la révélation faite en
décembre 2013 par Sam Walsh,
le nouveau grand patron de Rio
Tinto, selon laquelle le conseil
Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014
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« J'ai eu beaucoup
de chance, tant
en affaires qu'en
amour », avait
reconnu Jacques
Bougie en recevant
l'Ordre du mérite,
le 5 juin 2000. Il
avait profité de la
circonstance pour
remercier son
épouse Anne-Marie.
Il devait quitter la
présidence d'Alcan
et prendre sa retraite
six mois plus tard
avec la satisfaction
du devoir accompli.
d'administration avait sérieusement songé à se départir d'Alcan,
dont le coût d'acquisition de
38 milliards $, versé en 2007,
a fondu de 79 % sous l'effet
de la chute du prix de l'aluminium
au London Metal Exchange.
Pour mieux soutenir la concurrence de la Chine et du MoyenOrient, le gouvernement du
Québec a renouvelé, pour une
durée de 15 ans, le contrat d'approvisionnement d'énergie avec
Alcoa-Québec après avoir réduit
le tarif L. Comme Alcan possède
son propre réseau hydroélectrique
au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la
situation est bien différente. La
prochaine entente devra inclure
une modification du tarif L pour
l'énergie supplémentaire que
nécessitera la mise en exploitation des deuxième et troisième
phases du Centre technologique
AP60 Arvida.
Les carnets de
commandes sont
élevés, mais
les bénéfices
insuffisants.
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Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014
Comment se comporte Alcan dans
ce contexte? Étienne Jacques, le
chef des opérations, Métal primaire
– Amérique du Nord, résume ainsi
la situation dans l'édition de février
2014 du « Lingot », une publication
de la compagnie : « Tout au cours
de 2013, le prix de l'aluminium au
LME s'est souvent maintenu sous
les 1 800 $ la tonne. Les inventaires
sont toujours à des niveaux record
au-dessus de 5 millions de tonnes.
Les primes régionales, de produits
et d'alliages, que nous obtenons
pour nos produits à valeur ajoutée, sont demeurées relativement
hautes, ce qui nous a aidés. Par ailleurs, nos carnets de commandes
se sont tenus à des niveaux élevés
et les usines ont livré le métal ».
Rio Tinto Alcan a réalisé des bénéfices de 557 millions $ au cours de
la dernière année financière, « ce
qui constitue un retour sur l'investissement de seulement 2,9 pour
cent. C'est insuffisant pour financer
des milliards d'investissements ».
Alcan souffrait d'une
alumine trop chère
et d'une technologie
dépassée.
Pour réfléchir sur les grands
moments d'Alcan, Al13 a donc réuni,
dans une vidéoconférence, trois
anciens hauts gradés de l'ancienne
multinationale : Jacques Bougie,
le premier francophone à accéder au poste de pdg (1989-1993);
Patrick Rich, le vice-président
exécutif et administrateur à la direction générale dans les années 1980;
et Gaston Ouellet, propulsé à la
direction générale d'Alcan, en
France, durant la 1re décennie des
années 2000.
Notre premier invité prenait du
soleil en Floride durant ce dernier
hiver interminable. Par la magie
d'Internet, il se retrouvait parmi
nous. Nous voulions connaître leur
perception des événements déterminants pour l'entreprise à l'époque
où ils occupaient des postes de
direction. La première question fut
dirigée vers Jacques Bougie.
Votre principale préoccupation de
pdg fut d'agrandir le réseau d'Alcan
en vous tournant vers l'Europe pour
lancer des offres d'acquisition à
Pechiney, la perle de la technologie,
et à Alusuisse, qui avait beaucoup
de ramifications dans la transformation de l'aluminium. Pourquoi avoir
choisi cet objectif?
Parce que nous avions décelé deux
faiblesses importantes dans notre
chaîne de production, soit le coût
excessif de l'alumine et une technologie dépassée. Au moment où
l'entreprise procédait au remplacement d'alumineries vieillissantes,
elle ne disposait pas de la technologie appropriée. Elle devenait
dépendante de deux concurrentes,
Alcoa et Pechiney, qui lui ont vendu
leur modèle pour la construction
des usines Grande-Baie, Laterrière
et Alma.
À travers les analyses de vos spécialistes, vous aviez donc repéré, en
Europe, la solution à vos problèmes
de production et de croissance?
Alusuisse, la première de nos deux
cibles naturelles, exploitait à très
bas coût une raffinerie d'alumine.
Et elle offrait, en outre, une oppor-
tunité intéressante dans la transformation avec des usines fabriquant
des pièces pour l'industrie automobile européenne et aussi pour
les constructeurs américains. Son
expertise dans ce domaine représentait une grande valeur.
Quant à Pechiney, elle possédait
deux alumineries et des usines
d'alumine de classe mondiale. La
multinationale française apportait
surtout une technologie de pointe
à l'égalité de celle développée par
Alcoa. Finalement, le regroupement s'est avéré fort avantageux,
puisqu'il renforçait les points faibles
d'Alcan. Notamment le secteur
d'emballage qui était relativement
modeste, alors que les compagnies
Alusuisse et Pechiney alimentaient,
avec leurs produits d'emballage
sophistiqués, d'importants distributeurs de produits médicaux et
de beauté. Tous ces éléments ajoutés à ceux d'Alcan plaçaient notre
société dans une classe supérieure. Voilà pourquoi nous n'avons
ménagé aucun effort pour compléter la transaction.
Ce ne fut toutefois pas une opération
facile. La Commission européenne
redoutait des conséquences éco-
nomiques néfastes. Vous avez
finalement réussi. Alusuisse et
Pechiney appartiennent maintenant
à Rio Tinto Alcan.
Sous la pression de gouvernements européens, la Commission
voulait nous obliger à retirer
certains de nos actifs dans l'économie européenne. Une condition
inacceptable. Nous n'avons pas
attendu le verdict. Nous avons tout
simplement retiré le dossier de
Pechiney en attendant une période
plus favorable. La transaction
s'est finalement conclue quelques
années plus tard.
L'industrie
automobile fait
de plus en plus
confiance à
l'aluminium.
Vous avez eu le mérite, Monsieur
Bougie, de promouvoir avec insistance l'utilisation de l'aluminium
auprès de l'industrie de l'automobile. Vous rouliez dans une voiture
entièrement fabriquée en aluminium. On a appris au dernier Salon
de l'automobile, en janvier dernier à
Le chercheur émérite Mohammad Zaidi qui fut viceprésident exécutif et directeur de la RD chez Alcoa a
fortement contribué à l'utilisation de l'aluminium par
l'industrie automobile. Il explique ici les innovations
appliquées par son équipe lors d'une entrevue accordée
à Al13 en 2006. Le Dr Zaidi a pris sa retraite en 2011.
Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014
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Bertrand Tremblay, Luc
Boudreault, directeur général
adjoint et secrétaire général du
CQRDA, ainsi que Gaston Ouellet
échangent sur le contenu d'Al13.
Détroit, que Ford fabriquait maintenant la carrosserie de la camionnette
F-150 en alliage d'aluminium, allégeant ainsi le véhicule d'un poids
supplémentaire de 661 livres. GM
s'apprête à imiter son concurrent.
Réalisez-vous les changements
majeurs que peut entraîner
l'exemple d'un pdg?
Le mérite de cette préférence
accrue pour l'aluminium revient
plutôt aux équipes de professionnels. Ils ont su convaincre les
spécialistes de Ford, de GM et
d’autres fabricants d'insérer progressivement plusieurs pièces
d'aluminium dans les voitures. À
l'époque, en effet, je conduisais
une Ford Taurus. Elle paraissait
encore toute neuve lorsque, plus
tard, Alcan l'a remise à Ford.
Ma contribution personnelle la plus
efficace fut sans doute quand j'ai
rencontré les dirigeants de Ford
et de GM pour qu'ils acceptent
que nos équipes de chercheurs
travaillent ensemble à la concep-
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Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014
tion de meilleures voitures grâce
à l'aluminium. Nous avons signé
une entente stratégique avec GM
en qualité de fournisseur privilégié pendant une dizaine d'années.
Aujourd'hui, Novelis et Alcoa, qui
sont les deux lamineurs de produits
destinés à l'industrie de l'automobile, signent des contrats à long
terme avec ces fabricants.
Entre-temps, des développements
importants se sont produits chez
Jaguar, qui était la propriété de
Ford. Certains véhicules de cette
compagnie, comme ceux d'Audit,
sont presque entièrement faits
d'aluminium…
Comment percevez-vous la situation actuelle de l'industrie mondiale
de l'aluminium qui doit composer
avec le faible prix du métal malgré
une demande accrue?
J'ai tourné la page il y a maintenant 13 ans. Je n'ai plus à regarder
chaque matin le cours de l'aluminium et à me préoccuper de
l'avenir du métal. Je dis ça avec
un sourire, puisque j'ai développé,
avec mon épouse, une panoplie
d'autres activités. L'augmentation
de la consommation de l'aluminium à l'échelle planétaire est
essentiellement attribuable à
l'essor des économies asiatiques.
L'industrialisation et l'urbanisation de la Chine, particulièrement,
exercent une pression énorme sur
la demande d'une multitude de produits. Dans la pièce où vous vous
trouvez, je pourrais facilement désigner une vingtaine d'objets faits en
aluminium. Imaginez les achats de
tous les articles courants d'une
population de quelque 1, 3 milliard
d'habitants, dont le revenu s'améliore constamment! Vous devinez
comme moi les complications
engendrées par une telle pression
sur l'économie.
Je demanderais maintenant à deux
anciens collègues de ressasser à
leur tour des souvenirs de leur carrière à l'Alcan. Monsieur Patrick Rich
d'abord qui occupa, rappelons-le,
Jacques Bougie participe
activement à la table
ronde comme s'il se
trouvait sur place.
entre 1959 et 1986, des postes de
direction au Canada, évidemment,
mais aussi dans six pays d'Europe
et d'Amérique latine. Vous êtes
venu au Saguenay au milieu de la
décennie 1970 afin de préparer le
renouvellement du parc industriel
d'Alcan si ma mémoire est fidèle...
Quand l'aluminerie Grande-Baie,
la première de l'ère moderne,
fut mise en exploitation en 1980,
le programme de décentralisation n'était pas encore planifié.
Outre Grande-Baie, il prévoyait
l'étalement, sur près de 30 ans,
d'usines à la fine pointe de la technologie à Laterrière, à Alma et
finalement à Arvida. Grande-Baie
a donc servi de banc d'essai avec
la technologie P155 d'Alcoa. Et
c'est, durant l'année de son inauguration, que j'ai officiellement
présenté le projet global dans un
discours à la Chambre de commerce de Chicoutimi. L'aluminerie
Laterrière, qui reproduit le modèle
Alcoa de Grande-Baie, entra en
exploitation en 1989. Dotée de la
Patrick Rich et Gaston Ouellet
ressassent des souvenirs
avec Jacques Bougie.
technologie Pechiney AP30, Alma
a livré ses premiers lingots en l'an
2000, soit une quinzaine d'années
après mon départ, et c'est encore
la technologie Pechiney qui fait
tourner l'usine pilote AP65 inaugurée tout récemment.
Le CRDA est
devenu un véritable
catalyseur pour
les PME.
Comment avez-vous vécu, à la
même période, l'émoi causé par
l'annonce de la fermeture du Centre
de recherche et de développement
Arvida (CRDA)?
J'étais bien conscient du malaise...
Bernard Landry, qui était alors
ministre d'État dans le gouvernement de René Lévesque, me le fit
bien sentir. L'idée de déménager
les activités de recherche d'Arvida
à Kingston provenait de gens du
secteur. La direction n'en a pas
perçu toutes les conséquences
quand cette idée lui fut présentée. Comme je l'ai fait entendre à
la présidence, les problèmes sont
suffisamment nombreux dans le
réseau mondial de l'entreprise
pour en susciter un nouveau par un
changement qui n'était pas strictement indispensable.
En revenant sur sa décision, Alcan
a transformé le CRDA en véritable catalyseur pour les PME. La
recherche sur l'aluminium s'est
développée à l'UQAC comme dans
d'autres universités québécoises
et le gouvernement fédéral a
implanté, à Chicoutimi, son Centre
des technologies de l'aluminium
(CTA). Il s'est ainsi produit un rayonnement que personne dans l'entreprise n'avait prévu.
Avant de passer la parole à Gaston
Ouellet, j'aimerais entendre votre
interprétation de l'empreinte carbone ou la production de gaz à effet
de serre (GES) par une activité économique. Au Québec, on vante les
Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014
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L'impressionnant hall d'entrée de la Maison
Alcan avait des allures de Nations Unies.
bienfaits écologiques de l'hydroélectricité, mais on cherche encore
les avantages économiques...
J'ai pris pleinement conscience
de ce phénomène durant les
12 années de ma carrière consacrées à un groupe industriel qui
distribuait des centaines de bouteilles de gaz spécialisées aux
utilisations multiples. Nous avions
vendu au réseau britannique Mark
& Spencer, qui comptait quelque
455 magasins, un système logistique informatique très avancé
qui réduisait considérablement le
transport et, par conséquent, les
frais de distribution et les GES.
Il est vrai que les alumineries
québécoises fonctionnent à l'hydroélectricité, une énergie verte.
Mais le transport de la bauxite
et de l'alumine de même que la
livraison à des marchés lointains
produisent beaucoup de pollution.
L'équation demeure cependant
favorable à RTA.
Terminons notre table ronde avec
Gaston Ouellet, qui a eu l'amabi-
60
Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014
lité de faire le lien entre d'anciens
cadres d'Alcan et Al13 pour cette
rétrospective du mémorable
épisode Alcan, qui se détache
comme une épopée dans l'histoire de l'industrie mondiale de
l'aluminium. Vous êtes membre,
M. Ouellet, tout comme M. Rich
de La Rapière, nom qui désigne
une grande épée à lame effilée.
Faites-vous de l'escrime?
au Québec. Nos successeurs sollicitent parfois notre opinion, mais
toujours dans le cadre de conversations amicales.
Non, non, ne vous méprenez pas;
nous ne sommes pas en train de
changer le monde. La Rapière,
c'est plutôt le nom d'un restaurant du centre-ville de Montréal.
Nous en faisons notre rendez-vous
périodique pour commémorer de
bons souvenirs. Tous les membres
s’y sont inscrits à titre personnel.
Évidemment, nous surveillons
l'évolution de RTA. Il nous arrive
même d'inviter des dirigeants
actuels à notre table.
Je me trouvais en Europe lorsque la
Maison Alcan a pris forme. Le projet comprenait l'insertion de trois
vieilles maisons et un ancien hôtel
dans un complexe revêtu d'aluminium et fort joliment intégré dans
le patrimoine architectural montréalais. Le résultat mérita même, en
1984, le prix d'excellence attribué
par la Corporation des architectes
du Québec.
La pdg Jacynthe Côté nous a déjà
fait l'honneur de sa présence à
l'une de nos réunions. Nous cherchons à connaître l'orientation que
prend la production de l'aluminium
Vous arrive-t-il de jeter un regard
nostalgique sur la Maison Alcan,
que le Cirque du Soleil a acquise
en octobre 2013 au coût de
50 millions $ pour en faire son
siège social?
Et vous, M. Bougie, quel souvenir
en conservez-vous?
David Culver voulait que la Maison
Alcan soit le centre névralgique
des opérations internationales. La
gérance des activités internatio-
nales et canadiennes s'effectuait
alors à Place Ville-Marie. La direction voulait dissocier les deux
groupes pour éviter de semer dans
les autres régions la perception
que les administrateurs canadiens
avaient une meilleure écoute
auprès de la direction générale.
assumé la vice-présidence des
Ressources humaines de SECAL,
la société qui regroupait les alumineries d'Amérique du Nord. La
direction a ajouté à vos responsabilités, en février 2005, la présidence
d’Alcan France. Un mandat plutôt
difficile, je crois. Précisez-nous les
difficultés que vous avez affrontées.
Nous avons d'abord jugé préférable de confier le travail de
réorganisation à l'équipe de
Pechiney. Le changement était draconien, douloureux même, pour
tous les employés qui voyaient
le siège social de Pechiney disparaître progressivement à la suite
de cette transaction.
Le choc économique des années
1980-1983 a incité le conseil d'administration à modifier le projet
initial. Très rapidement, il a décidé
d'unir sous le même toit tous les
services économiques localisés à
Place Ville-Marie. Le plan avait été
conçu, au départ, pour accueillir
250 personnes; cependant, il fallait trouver l'espace pour en loger
650 par la suite. Les architectes,
Peter Rose et Peter Lenken, ont
fait le nécessaire évidemment pour
respecter la volonté du président
Culver de bien ancrer à Montréal
tous les attributs du siège social.
Après la grande fusion, on vous
a confié une mission qui a mis à
l'épreuve vos talents de diplomate.
Vous étiez bien préparé, puisque
vous détenez une maîtrise en relations industrielles et que vous avez
Le somptueux Manoir du
Saguenay demeure le symbole
international d'Arvida à saveur
française.
Patrick Rich et Gaston Ouellet commentent la
page couverture d'une récente édition d'Al13.
Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014
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Les panélistes analysent les conséquences
de l’acquisition de Pechiney et d’Alusuisse.
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La perte de
Pechiney rappelle
aux Français...
la retraite de
Napoléon.
françaises. Je me devais de définir
les objectifs de la RD et de rassurer
les syndicats qui reprochaient au
gouvernement français son silence
et, surtout, le fait d'avoir accepté
de céder Pechiney à ces cowboys
d'Amérique du Nord.
La première étape qui se prolongea durant sept mois fut dramatique. Je faisais continuellement
la navette entre Montréal et Paris
pour adoucir les angles, recoller
les pots cassés... La direction a
constaté que l'intégration s'effectuerait plus harmonieusement
si je m'installais à Paris. Ne vous
méprenez pas, je n'avais aucune
autorité sur l'exploitation du réseau
de Pechiney. Je n'étais que l'intégrateur. L'essentiel de mon temps
servait à expliquer le programme,
sa nouvelle orientation aux gens
de Pechiney, aux représentants du
gouvernement français, à l'ambassade du Canada, à la délégation
du Québec, à la Chambre de commerce de Paris, bref aux communautés économique et politique
Un journaliste du « Monde »
a même comparé la vente de
Pechiney à Alcan au drame de la
Bérézina, cette rivière qui a marqué la fin de la désastreuse retraite
de Russie par la Grande Armée de
Napoléon en 1812. Bérézina sert
toujours dans l'actualité française
à désigner un désastre national. Je
m'efforçais toujours de leur exposer les conséquences positives de
la transaction avec la fusion de deux
forces universelles : l'hydroélectricité québécoise et la technologie
française. Tout le monde en profiterait des deux côtés de l'Atlantique.
Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014
En terminant, je demanderais à
chacun de vous de nous révéler un
bon souvenir que vous conservez
de votre carrière à l'Alcan.
Le « Monde », le grand quotidien
parisien, a qualifié de Bérézina la
vente de Pechiney à Alcan. Bérézina
symbolise la retraite de Napoléon.
Jacques Bougie : Mon meilleur
souvenir, c'est lorsque je suis
entré à l'Alcan en 1979. Et j'espère un jour être au volant d'une
Ford F-150 tout aluminium.
Patrick Rich : Comme j'ai quitté
Alcan en 1986 pour prendre la
direction d'une société européenne, je parodierai l'auteur de
ce dicton : « On ne pleure pas
une première épouse quand on
vit avec une autre ». Et comme
mon beau-père pêchait avec une
chaloupe en aluminium, je voudrais bien conduire un jour, pas
une Ford comme mon ami Bougie,
mais une Audit faite également en
aluminium évidemment.
Gaston Ouellet : Ma plus grande
satisfaction, c'est de réaliser que
le Saguenay, ma région natale, est
la première à bénéficier de l'AP65,
l'innovation française et la technologie de l'heure dans l'industrie
de l'aluminium. C'est un tournant
décisif… Et je suis fier de proclamer
que mon père et moi totalisons
88 ans de fidélité à Alcan.
Trois dirigeants
honorés par
l'UQAC.
Nous complétons cette table
ronde en rappelant le parcours de
deux autres anciens cadres d'Alcan, François-Sénécal Tremblay
et Carroll L'Italien, qui, comme
Jacynthe Côté, la pdg actuelle de
RTA, détiennent un doctorat honorifique de l'Université du Québec
à Chicoutimi.
François Sénécal-Tremblay a fait
le tour du jardin d'Alcan avant de
s'installer, en 1986, à la direction
générale de la Société d'électrolyse et de chimie Alcan (SECAL).
Il est retourné prendre sa retraite
à Montréal, sa ville natale, trois
ans plus tard. « Le Saguenay−
Lac-Saint-Jean, où j'ai œuvré
pendant 12 ans, demeure ma
seconde patrie. » Mais il garde
aussi un souvenir ému des trois
ans à Aughinish, une pointe isolée de l'Irlande, où il fut le pdg de
l'usine d'alumine. « J'y ai connu
des gens vraiment attachants »,
me confiait-il dans une conversation téléphonique.
À ses débuts comme assistant
ingénieur, en 1956, il s'imposa
par sa force de caractère et son
attachement à ses racines en
s'adressant aux contremaîtres
généraux en français. Or, à
l'époque, la majorité des cadres
étaient unilingues anglophones
et ne s'exprimaient que dans la
langue de Shakespeare. Il accélérera par son attitude l'application
du français, langue de travail, que
la compagnie complétera en 1975.
Chevalier, Gaston Ouellet, Jean
Minville, Claude Chamberland,
François Ameye et Robert Salette.
Alcan verse
100 000 $ à
la Fondation.
La Vallée de l'aluminium voue
une reconnaissance impérissable
à François Sénécal-Tremblay
depuis qu'il a donné le premier
grand élan à la mission de développement de l'Université du
Québec à Chicoutimi en convainquant Alcan de verser 100 000 $
Il s'estime privilégié d'avoir travaillé avec des hommes de grande
valeur comme Yvon D'Anjou, Gilles
Carroll L'Italien reçoit un doctorat d'honneur de l'UQAC le 25 mai 2001. Pierre Lucier,
le président de l'Université du Québec à l'époque, et Bernard Angers, qui assumait les
responsabilités de recteur de l’Université du Québec à Chicoutimi.
Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014
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à sa Fondation. « Il faut le dire
encore et souvent, le Saguenay−
Lac-Saint-Jean, a-t-il insisté en
recevant son doctorat honorifique
le 31 octobre 1989, mieux servi par
cette université, commence à se
distancer des multinationales et fait
place de plus en plus aux entrepreneurs qui trouvent ici et, de plus en
plus, ailleurs des débouchés pour
leurs produits et services. »
« L'approche raisonnée » conduit
à une paix
durable sous
Lévis Desgagné.
Quant à Carroll L'Italien, il a reçu un
doctorat honorifique le 25 mai 2001
de l'UQAC. L'institution reconnaissait ainsi ses efforts pour ramener
l'harmonie dans les relations de
travail. Avec la collaboration de
Lévis Desgagné, qui présidait
alors le Syndicat des employés de
l'aluminium, M. L’Italien propose
que l'approche raisonnée dans les
négociations, où l'inventaire des
intérêts de chaque partie remplace
les griefs de la confrontation.
Si une paix durable s'est installée, Carroll L'Italien n'hésite pas
à en attribuer une grande part de
mérite à « ce syndicaliste sincère,
ardent, intègre, de bonne foi et
respectueux de sa parole ». En lui
décernant un doctoral d'honneur,
l'UQAC voulait aussi remercier
monsieur L'Italien avec éclat pour
le succès de la campagne majeure
de financement lancée par l'Université du Québec à Chicoutimi, au
montant de huit millions $, afin de
soutenir l'apprentissage des étudiants. Cette grande opération fut
menée avec succès sous le règne
de l'ancien recteur Bernard Angers.
Dans son message d'appréciation,
monsieur L'Italien a fortement
conseillé aux étudiants de bien
« posséder notre merveilleuse
langue française, de la protéger
et de la respecter en s'exprimant clairement et en l'écrivant
correctement... Mais, en même
temps, il faut, dans ce monde
sans frontières, s'enrichir avec
d’autres langues ». « Notre collaboration et notre
soutien remontent à la première
heure et, ensemble, nous
avons assisté à son éclatant
développement », se réjouissait
François Sénécal-Tremblay en
recevant un doctorat honorifique de
l'Université du Québec à Chicoutimi
le 31 octobre 1989.
Avant de se quitter, les trois anciens dirigeants d'Alcan se donnent rendez-vous à « La Rapière » quelque part l'été prochain.
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