Quelle est la place de la religion dans Madame Bovary

Transcription

Quelle est la place de la religion dans Madame Bovary
Quelle est la place de la religion dans Madame Bovary ?
= dans l’intrigue, dans l’esthétique/ambition de Flaubert
Rapport Flaubert à la religion : anticlérical (mépris des églises et des prêtres dont il fustige la bêtise.)
Mais vague désir de religion. "Je suis un mystique qui ne croit à rien". Mélange de deux conceptions de la
religion : romantique et réaliste. Distingue la religion antique dont le prêtre est un sujet poétique et la
religion moderne dont le représentant est épais, vulgaire et prosaïque. Grand rêve religieux comme grand
rêve d’amour. Religieux = besoin psychologique voué à rester insatisfait. Ses deux rêves sont censurés
par une conscience trop alerte. Absence totale de la religion dans L’Education sentimentale. Aucun de ses
personnages féminins ne va à la messe comme il était coutume. Absence voulue. Ses personnages
marchent dans des églises mais Dieu n’existe pas
Intro :
Accroche : sous-titre du roman = Mœurs de province. Parmi ces mœurs, ces coutumes : la
religion. Place importante dans la société française du 19ème siècle. Elle est une des trois
instances/pouvoirs avec la science et le commerce. D’ailleurs, au centre du village d’Yonville.
Sujet : La religion est-elle au centre du roman ? Quelle place Flaubert lui attribue-t-il ? A quels
moments apparaît-elle ?
Plan : La religion trouve une place dans la vie d’Emma, passe à travers l’acide de l’esthétique de
Flaubert pour enfin disparaître totalement du roman.
I.
La religion a une place dans la vie d’Emma : elle la transgresse
> éducation au couvent : « Lorsqu’elle eut 13 ans, son
père l’amena lui-même à la ville, pour la mettre au
couvent. » I,6 – p.85. participe à son éducation et la
création de sa personnalité. (brouillon 72 – 1.132)
1. Au couvent, la religion éduque Emma
à…
- la sensualité : arrivée à 13 ans. Atmosphère confinée du couvent : « vivant donc sans jamais sortir de la
tiède atmosphère des classes et parmi ces femmes au teint blanc portant des chapelets à croix de cuivre,
elle s’assoupit doucement à la langueur mystique qui s’exhale des parfums de l’autel, de la fraicheur des
bénitiers et du rayonnement des cierges. » I,6 – p.85 : s’assoupit au lieu de s’élever, exaltation du corps au
lieu de l’exaltation de l’âme. Education se résume dans l’oxymore « langueur mystique » : « langueur »
veut dire « faiblesse, mollesse, maladie », donc appelle au corps tandis que le mot « mystique » qui
signifie « relié à la spiritualité ». Oxymore présent dès le 1er brouillon, après l’idée.
> aime le décorum de l’église : « avait aimé l’église pour ses fleurs »
> importance du corps : « parfums théologiques de fleurs d’autel »> « parfums de l’autel »
> couvent = puberté. Brouillons : « elle aimait mieux faire la petite dame ». Cf Minelli.
- // Léon : accepte un rendez-vous galant dans la cathédrale de Rouen qui apparaît comme un « boudoir
gigantesque » ! p.322 : Salomé danse au dessus de lui, sensualité du lieu (matériaux riches : « vitrail,
peintures, marbre, tapis bariolé, lustres de cristal, lampe d’argent, exhalaisons, soupirs » p.321), « Les
voutes s’inclinaient pour recueillir dans l’ombre la confession de son amour ; les vitraux resplendissaient
pour illuminer son visage ; les encensoirs allaient brûler pour qu’elle apparut comme un ange, dans la
fumée des parfums. »
- des textes religieux riches en histoires romanesques : catéchisme, missel (« livre de vignettes pieuses
bordées d’azur », l’Histoire sainte ou des « Conférences de l’abbé Frayssinous » : lectures de mauvaise
qualité. Flaubert a enlevé la référence à Bossuet et a tiré ses références vers le bas. Ne voit dans ses textes
que des histoires romanesques : « elle aimait la brebis malade, le Sacré-Cœur percé de flèches, le pauvre
Jésus qui tombe en marchant sous sa croix » (p.85) : attirée par le romanesque de la religion et non
par sa spiritualité.
- Des histoires d’amour apportées par la vieille fille du couvent, Walter Scott, « attirante fantasmagorie
des réalités sentimentales » p.88, keepsakes (qu’elle lit avec la même adoration que les missels de
vignettes) : elle se forge un idéal romanesque et non spirituel : condamnée plus tard par la mère de
Charles.
> déterminisme culturel : joue le rôle d’une fatalité pour Emma : relie bien, joue bien le rôle
d’une religion mais à un idéal, non pas spirituel mais romanesque, profane.
> Qui est l’amant idéal qu’elle va trouver dans la religion ?
2. Dans sa vie, la religion va concurrencer cette volupté et cette quête de sensations
> accès de religion au moment de crises : après le départ de Léon, après la rupture avec Rodolphe, au
moment de sa mort : 3 moments de penchant religieux. Refait un duo avec Dieu qu’elle confond avec ses
amants. Vraie gradation.
- Découverte d’un premier élan amoureux avec Léon : 1re visite à l’église. Bégaiements
amoureux//bégaiements chrétiens
- Rodolphe : prière à Dieu//déclaration d’amour à l’homme (« Tu es mon roi, mon idole ! », p.265) :
mélange élan mystique et élan amoureux/volupté : « Une exhalaison s'échappait de ce grand amour
embaumé et qui, passant à travers tout, parfumait de tendresse l'atmosphère d'immaculation où elle
voulait vivre. Quand elle se mettait à genoux sur son prie-Dieu gothique, elle adressait au Seigneur les
mêmes paroles de suavité qu'elle murmurait jadis à son amant, dans les épanchements de l'adultère. » : le
christ devient un amant idéal
> Volupté et croyance sont interchangeables, s’expriment par les mêmes paroles. L’immaculation
vaut la volupté : blasphème de la part d’Emma, véritable transgression // Félicité qui confond son
perroquet et le Saint Esprit.
> la foi d’Emma se nourrit de la même source que ses amours adultères.
- Au moment de mourir : baiser éperdu au crucifix : « Elle allongea le cou comme quelqu’un qui a soif,
et, collant ses lèvres sur le corps de l’Homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand
baiser d’amour qu’elle eût jamais donné. » (III,8 – p.418).
> le christ fait figure d’amant idéal // « Les comparaisons de fiancé, d’époux, d’amant céleste et
de mariage éternel qui reviennent dans les sermons lui soulevaient au fond de l’âme des douceurs
inattendues. »
3. La religion ne cesse donc d’être transgressée
- Pendant son mariage : adultère
- Incapable de prier
- Elle n’écoutera plus la religion : écoute Léon et non le Suisse juste avant la scène du fiacre : p.326
- Mourra dans un rire atroce : diabolique
II.
La religion a une place dans l’esthétique de Flaubert : il la fait passer à
travers le prisme du réalisme
1. Les curés sont en plâtre : le personnel religieux est dégradé
- La religion est incarnée dans le personnage de Bournisien : onomastique (niais du bourg ?), portrait
(homme rubicond, athlétique) // anticlérical Homais. Sartre : L’Idiot de la famille : Quand on voit
Bournisien on a envie d’être d’accord avec Homais, porte-parole de Flaubert.
- // avec le curé de Charles à Rouen : inutilité.
- Suisse à la fin = garde
- visionnage rapide de 2 plans de Chabrol : la caméra change de place pour filmer Bournisien. Arrièreplan clair quand Emma tente de lui demander du secours puis changement brusque, 180°, arrière-plan noir
quand il refuse de l’écouter.
2. L’église est en morceaux
- L’église de Yonville est pourrissante : « L’église a été rebâtie à neuf dans les dernières années du règne
de Charles X. La voute en bois commence à se pourrir par le haut, et, de place en place, a des enfonçures
noires dans sa couleur bleue. » ou « Les stalles du chœur, en bois de sapin, sont restées sans être
peintes. » (II,1 – p.127)
- Elle est kitch : description de l’église de Yonville avec la religion antique : « Plus loin, à l'endroit où le
vaisseau se rétrécit, le confessionnal fait pendant à une statuette de la Vierge, vêtue d'une robe de satin,
coiffée d'un voile de tulle semé d'étoiles d'argent, et tout empourprée aux pommettes comme une idole des
îles Sandwich. » : contraste entre deux systèmes religieux : sont interchangeables.
- Elle est vidée de son caractère sacré et devient un lieu touristique : Rouen. Le curé est remplacé par un
Suisse (bedeau chargé de la garde de l’église) niais (« bénignité pateline que prennent les ecclésiastiques
lorsqu’ils interrogent les enfants » p.321.
- Les traditions qui s’y perpétuent sont bâclées : mariage évidé de sa cérémonie, énumération p.90 :
« Elles lui avaient en effet, tant prodigué les offices, les retraites, les neuvaines et les sermons… »
3. La religion est impuissante
- Bournisien sourd aux appels d’Emma : ce « médecin […] des âmes » (p.120), comme il se qualifie,
faillit à sa mission : quiproquo avec Emma : lorsque la jeune femme veut parler de sa souffrance morale
et s’adresse à lui, il n’entend le mot « souffrance » que dans son acception physique :
« — Comment vous portez-vous ? ajouta-t-il.
— Mal, répondit Emma ; je souffre.
— Eh bien, moi aussi, reprit l’ecclésiastique. Ces premières chaleurs, n’est-ce pas, vous amollissent
étonnamment ? Enfin, que voulez-vous ! nous sommes nés pour souffrir, comme dit saint Paul. Mais, M.
Bovary, qu’est-ce qu’il en pense ? » (II,6 - p.172)
> jugement sévère lors du procès : « prêtre à peu près aussi grotesque que le pharmacien ».
- D’autres moments où Emma espère : p.322 et p.388.
III.
Bournisien disparaît : disparition
La religion finit par disparaître. Disparaît des habitudes des provinciaux : personne ne semble aller à
l’église // L’Education sentimentale : absence voulue. La religion a-t-elle une place pour Flaubert ?
1. La religion s’effrite comme le curé de plâtre
- apparaît dès le premier brouillon consacré à la description de la maison de Tostes.
- différentes étapes, jalons : p.81 (« Tout au fond, sous les sapinettes, un curée de plâtre lisait son
bréviaire »), 109, 118 (« Dans les sapinettes, près de la haie, le curé en tricorne qui lisait son bréviaire
avait perdu le pied droit et même le plâtre, s’écaillant à la gelée, avait fait des gales blanches sur sa
figure »), 145 (« sans compter le curé de plâtre, qui, tombant de la charrette à un cahot trop fort, s’était
écrasé en mille morceaux sur le pavé de Quincampoix ! »)
> Cet objet a une vie propre, il est un presque un protagoniste.
> Sa dégradation est hautement symbolique : il perd pied, comme Emma, mais aussi comme
Bournisien.
- Après une énième dispute avec Homais, « Ils étaient l’un en face de l’autre, le ventre en avant, la figure
bouffie, l’air renfrogné, après tant de désaccord se rencontrant enfin dans la même faiblesse humaine… »,
III,9 – p.427.
2. La religion concurrence la consommation
- Religion consommée par Emma : n’arrive pas à prier mais s’entoure de bibelots religieux : « Elle
entrevit parmi les illusions de son espoir un état de pureté flottant au-dessus de la terre, se confondant
avec le ciel, et où elle aspirait d’être. Elle voulut devenir une sainte. Elle acheta des chapelets, elle portait
des amulettes ; elle souhait avoir dans sa chambre, au chevet de sa couche, un reliquaire enchâssé
d’émeraudes, pour le baiser tous les soirs. » (II,14 – p.291)
> Elle consomme la religion : une « pâture » à son bovarysme
- Plan de Yonville : église est au centre, en face de Guillaumin : la religion//l’argent.
- La croix devient la croix d’honneur, symbole de la vanité.
- le roman se termine sur la victoire d’Homais : nouveau dieu de la société du 19ème siècle.
- anti-clérical, positiviste (seules l’analyse et la connaissance des faits vérifiés par l’expérience peuvent
expliquer les phénomènes. Pas d’introspection, d’approche métaphysique), pour les idées de 89, Voltaire
et Socrate. Duo avec Bournisien, précisés en même temps dans le 3ème scénario général.
- attaque les curés : « Bravo ! dit le pharmacien. Envoyez donc vos filles à confesse à des gaillards d’un
tempérament pareil ! Moi si j’étais le gouvernement, je voudrais qu’on saignât les prêtres une fois par
mois. Oui, madame Lefrançois, tous les mois, une large phlébotomie, dans l’intérêt de la police et des
mœurs ! » > « vous êtes un impie, vous n’avez pas de religion ! » (II,1 – p.133)
- Attaque la prière (« Puisque Dieu connaît tous nos besoins, à quoi peut servir la prière ? » p.423), la
confession (« Homais attaqua la confession. » p.427)
3. L’éviction de Bournisien
- Brouillons de l’extrême-onction : subversion du texte de l’Abbé Guillois, disparition de Bournisien et de
ses gestes, seuls les péchés restent, comme glorifiés et en même temps réduits à néant.
- Agit comme un dieu inversé/mauvais génie : indique à Emma tout ce qui va la mener à la catastrophe :
la petite porte, le théâtre, l’arsenic (lors de la dispute autour de la bassine des confitures qui apparaît dès
le 1er scénario, avant même que le personnage soit construit).
! Minelli a choisi de ne pas représenter le personnage du curé. Absence totale de la religion.
! La religion n’est pas seulement un thème important dans l’esthétique de Flaubert. Elle est
permet une réflexion plus générale, métaphysique.