La Bible, Traduction officielle de la liturgie

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La Bible, Traduction officielle de la liturgie
La Bible, Traduction officielle de la liturgie - Mame, Paris, 2013 - ISBN 978-27189-0863-3 – 2918 pages ; € 64,90 pour l'édition de référence grand format et €
29,90 pour l'édition petit format.
C'est un événement important pour l'Église catholique francophone : à ma
connaissance, c'est la première fois qu'une Bible complète, spécifiquement destinée
à l'usage liturgique, est publiée en français. 70 spécialistes y ont travaillé de
manière anonyme pendant 17 ans. La traduction est basée sur les textes hébreu,
araméen et grec - et non plus sur le latin. Cette traduction a l'aval des épiscopats
de France, Belgique, Luxembourg, Suisse, Canada et Afrique du Nord. L'Afrique
subsaharienne n'est pas impliquée dans ce projet.
L'édition de référence grand format se présente comme un gros volume de très belle
facture. J'ai apprécié que les textes poétiques soient disposés en stiques, sur une
seule colonne, et cela non seulement pour les Psaumes et Job, mais aussi pour
tous les passages poétiques des prophètes et même ceux du Nouveau Testament
comme le Prologue de Jean, le Magnificat, etc. Un petit regret personnel cependant :
les textes en prose sont imprimés sur toute la largeur de la page, avec de grandes
marges, certes. Celles-ci laissent de la place pour des indications liturgiques sur
l'occasion de la lecture d'une péricope donnée. Malgré ces marges, les lignes
comptent tout de même plus de 80 signes. C'est trop et entraîne une certaine
fatigue en cas de lecture prolongée. L'impression des textes en prose sur deux
colonnes aurait, d'une part, permis de palier cet inconvénient et, d'autre part, de
diminuer l'espacement entre les lignes : d'où gain de place et diminution des frais
de production.
Une question peut se poser : "Pourquoi faire une traduction particulière destinée à
la liturgie, alors qu'il existe dans l'Église catholique de nombreuses traductions
bibliques de bonne qualité ?" À la page 24, ces traductions bibliques, y compris
celles qui ne sont pas catholiques, sont explicitement reconnues, mais on nous
explique l'importance d'un texte de référence fidèle qui puisse être lu, écouté et
mémorisé. Ce texte devra être utilisé à la proclamation de la Parole lors des messes,
dans la liturgie des heures, la catéchèse, etc.
En pensant à la lecture publique, on a été attentif à éliminer des tournures qui
pourraient être ambiguës à l'audition, comme "L'Oint du Seigneur" et "Loin du
Seigneur", ou "il a bâti" et "il abattit". Les noms propres ont été translittérés en
visant une prononciation correcte lors d'une lecture publique. Ainsi dans 1 Ch 2,18,
on écrit Hesrone et Yerioth pour éviter une prononciation du type "Esron" ou
"Yerio".
Si, dans le fond, on ne peut qu'approuver le souci pastoral de disposer d'une Bible
facile à mémoriser dont le fidèle puisse s'imprégner, on peut néanmoins se
demander s'il est encore possible, dans l'Église d'aujourd'hui, de concilier des
besoins aussi différents que ceux d'un religieux et ceux d'un laïc se rendant
occasionnellement à la messe ?
Le type de traduction choisi pour la Bible de la liturgie est celui de l'équivalence
formelle, c'est-à-dire qu'on cherche à calquer le plus exactement possible la forme et
les mots du texte source dans la langue réceptrice. Ce genre de traduction
me paraît tout à fait approprié à des moines ou à des chrétiens engagés qui ont
bénéficié d'une catéchèse biblique de bon niveau et qui eux-mêmes lisent
quotidiennement la Bible et l'étudient régulièrement. En revanche elle me semble
tout à fait inadéquate pour les paroissiens "moyens", peu familiers de la Bible. Là, il
faudrait, à mon avis, opter résolument pour des traductions à équivalence
dynamique qui rendent avec exactitude et fidélité le texte source dans la langue
réceptrice, mais en utilisant toutes les ressources propres à cette langue pour le
dire naturellement. Dans ce type de traduction, on pourrait citer la Bible en
français courant et la Bible en français fondamental, Parole de Vie. Rappelons en
passant que "Parole de Vie" avait été commanditée en son temps à l'Alliance
biblique universelle par la Commission épiscopale de catéchèse et de liturgie pour
l'Afrique de l'ouest.
La Bible de la liturgie n'est pas une Bible d'étude : les introductions sont
relativement brèves : elles présentent le contexte historique en ayant intégré les
conclusions de la critique historique de la Bible, mais sans insister trop sur la
question ; ensuite le livre est analysé sobrement pour que le lecteur puisse suivre le
développement du texte biblique. Relevons le caractère biblique de ces
introductions (du moins de celles que j'ai lues) : celle sur l'Épître aux Romains, par
exemple, expose le salut par la foi selon la pensée de Paul, tout en précisant, à
propos des œuvres de la foi (chap. 12-15) que ces œuvres sont la conséquence et
non la cause du salut.
Les notes sont réduites à une moyenne de deux ou trois lignes par page pour
l'Ancien Testament, un peu plus pour le Nouveau Testament. Elles se contentent
d'informer le lecteur sur la possibilité d'une traduction différente, soit en raison de
la polysémie d'un terme, soit en raison d'une variante textuelle dans les originaux.
Relevons qu'on a suivi les textes hébreu et araméen pour l'AT et grec pour le NT,
selon les meilleures éditions critiques. On a nettement l'impression que la "vérité
hébraïque" si chère à saint Jérôme prime. Quant aux cartes, simplement en noir et
blanc, elles permettent de localiser une ville, mais pas de se faire une idée du relief
du terrain.
A propos du "politiquement correct", on sait que la TOB 2010 a fait un effort pour
éliminer de la traduction les expressions jugées discriminatoires, comme "juifs"
dans l'Evangile de Jean, pour les remplacer selon les cas par "les autorités juives",
etc. La Bible de la liturgie ne fait pas cela aussi systématiquement, mais on sent
que le problème a été vu et on trouve en note des précisions sur ce qu'il faut
entendre par "juifs"; par exemple des pharisiens, des autorités religieuses, etc.
Pour en venir à la traduction proprement dite, la présentation (pp. 26-27) explicite
les défis auxquels ont été confrontés les traducteurs : maintenir autant que
possible le sens liturgique des textes (obtenu essentiellement par la relation
intertextuelle entre l'Ancien Testament, l'Épître et l'Évangile) sans gauchir le sens
du texte original. Derrière cet a priori, il y a l'idée que l'Esprit qui a inspiré les
textes originaux est le même que celui qui a assisté l'Église dans sa tâche
d'interprétation. Ainsi, dans Isaïe 7,14, on trouve "Voici que la vierge est enceinte",
alors que la traduction officielle de la liturgie de 1973 avait "la jeune femme". Est-ce
dû au sens liturgique ? ou bien a-t-on déjà tenu compte de la recherche de
Christophe Rico, dont on peut lire les résultats dans "La mère et l'enfant-roi : Isaïe
7,14" – recensé par Antony Perrot dans Hokhma N° 104, pp. 140-142 ?
De toute manière, dans une traduction destinée à la liturgie, les traducteurs se
cantonnent généralement à une manière classique de rendre le texte biblique. Il ne
fallait donc pas s'attendre à y trouver des innovations fracassantes, et de fait, je
n'en ai pas repéré.
Parmi les nouveautés, on a beaucoup parlé de la formule du "Notre Père": "Ne nous
laisse pas entrer en tentation". Entre parenthèses, disons à ce sujet qu'il faudrait
distinguer entre le "Notre Père" œcuménique, sur lequel se sont mis d'accord
protestants et catholiques en 1966 pour être récité lors des célébrations, et la
traduction de cette prière dans une version de la Bible, fût-elle liturgique et eût-elle
reçu une approbation plus officielle de la part de l'épiscopat francophone qu'un
simple "imprimatur". J'en veux pour preuve que la Traduction officielle de la liturgie
parue en 1973 avait une version différente du "Notre Père" que la version
œcuménique, notamment avec la demande "Remets-nous nos dettes, comme nous
les avons remises nous-mêmes à ceux qui nous devaient". La version 2013 reste
dans la même ligne avec : "Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous
remettons leurs dettes à nos débiteurs". Cette traduction peut très bien se défendre
dans une Bible, même liturgique. Mais le fait que la péricope contenant le Notre
Père puisse être lue dans ces termes le mardi de la première semaine du Carême ou
le jeudi de la onzième semaine du temps ordinaire, ne change rien à la nécessité
que le Notre Père qu'on récite tous ensemble lors d'un office, suive une formulation
œcuménique sur laquelle toutes les Églises devraient se mettre d'accord. Telle
qu'elle est, la formulation de la Bible officielle de la liturgie concernant la remise de
dettes me semble inadaptée pour une prière qui sera dite par des personnes n'ayant
pas forcément en tête la législation vétérotestamentaire sur l'année sabbatique et
celle du jubilé.
Parmi les choix de traduction qui me semblent trop difficiles, je citerais : "Il disperse
les superbes" pour "orgueilleux", sens jugé "vieilli" par le Petit Robert, en Lc 1,51.
Certaines phrases sont carrément incompréhensibles comme : "Ils mangeront et
piétineront les pierres de frondes" (Za 9,15). D'accord que le texte massorétique est
difficile, mais il y aurait eu des solutions pour éviter de faire imaginer des Israélites
aux mâchoires d'acier capables de broyer des pierres de frondes ! J'ai été aussi
surpris par le traduction très énigmatique de Ro 12,6 : après avoir dit qu'on reçoit
des dons différents, le texte poursuit : "Si c'est le don de prophétie, que ce soit à
proportion du message confié" ?
Malgré ces remarques, je tiens à souligner la bonne qualité d'ensemble de cette
traduction qui fait un réel effort pour être fidèle au texte biblique. Dans Mt 5,3-5,
les traducteurs de 2013 ont osé mettre les béatitudes dans l'ordre : "Heureux les
pauvres... ceux qui pleurent ... les doux", différent de l'ordre traditionnel de la
Vulgate et de l'Église latine : "Heureux les pauvres... les doux... ceux qui
pleurent...". Et dans Mt 1,25, on trouve un changement remarquable : dans la
version 1973, on lisait : "Il (Joseph) prit chez lui son épouse, mais il n'eut pas de
rapport avec elle ; elle enfanta un fils auquel il donna le nom de Jésus." Cette
formulation évitait de susciter des questions par rapport à la virginité perpétuelle de
la Vierge Marie. Par contre la version 2013 traduit : "Il (Joseph) prit chez lui son
épouse, mais il ne s'unit pas à elle, jusqu'à ce qu'elle enfante un fils auquel il donna le
nom de Jésus." Belle leçon de respect du texte biblique.
Alain Décoppet
Tiré de Hokhma, revue de réflexion théologique, N° 105

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