Why Don`t CCS Appeal More Economists? The Political
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Why Don`t CCS Appeal More Economists? The Political
Responsible Development in a Polycentric World Inequality, Citizenship and the Middle Classes 14th EADI General Conference 23-26 June 2014, Bonn www.gc2014.org Why Don’t CCS Appeal More Economists? The Political Economy of Multiple Currencies in Developing Countries Author: Marie Fare & Pepita Ould-Ahmed Institution: Université Lyon- Triangle & IRD-CESSMA Address: Université Lumière Lyon 2 86 rue Pasteur 69635 LYON Cedex 07, France Email: [email protected] Abstract - Keywords - Introduction Par Complementary Currency System (CCS), nous entendons une unité (ou un système) de compte spécifique, complémentaire à la monnaie officielle, développée à l’initiative d’un groupe d’acteurs (particuliers, entreprises, collectivités locales, ONG, associations, fondations et organisations privées sans but lucratif, etc.), réunis au sein d’un réseau et/ ou sur un territoire délimité, permettant de comptabiliser et de régler des échanges de biens et de services. Malgré leur importance, ces monnaies sociales et complémentaires sont peu étudiées par la littérature économique. Les monnaies locales ne sont pas nouvelles dans l’histoire (monnaies du début du 20ème siècle, monnaies de guerre). Pourtant, elles sont évacuées par les économistes. Pourquoi ? Section 1 : les monnaies sociales, de quoi s’agit-il ? Il faut remonter aux expériences des utopies monétaires socialistes du 19ème siècle et du début du 20ème siècle pour trouver l’origine des complementary currency systems (CCS). Robert Owen (17711859) a le premier mis en place le Labour Exchange en Angleterre (1832-1834) et posé la question de l’exclusion monétaire et financière. Dans une bourse du travail équitable s’échangent, par le biais de billets de travail, les produits des artisans, des travailleurs à domicile, des coopératives à des prix calculés en fonction du nombre d’heures de travail nécessaires à leur production (Dupuis, 1991). Par la suite, divers types de monnaies locales ont eu lieu en Europe et en Amérique du Nord, pendant les années 1930. Des monnaies locales et fondantes furent par exemple expérimentées en France et au Brésil dans les années 1950. La théorie de Silvio Gesell sur la monnaie fondante a été en réalité expérimentée pour la première fois dans les années trente à Wörgl, en Autriche, puis dans les années cinquante en France, à Lignières en Berry, et bien plus tard, dans les années 2000, en Argentine1. Au début des années 1980, on observe une vague contemporaine de CCS avec la création du LETS de Comox Valley2 (Local Exchange Trading System) au Canada sur l’île de Vancouver dont le modèle a ensuite essaimé à travers le monde. Cette vague de monnaies est inédite à l’échelle mondiale depuis les débuts de l’industrialisation au tournant du 19ème siècle, et la progressive diversification des modèles existants depuis une trentaine d’années tout autant que leur pérennité posent la question du sens de ces dispositifs nouveaux. On ne dispose que d’estimations 1 2 Gomez (2008, 2009); Ould Ahmed (2009; 2010a; 2010b). Ce dispositif monétaire est créé en 1983 dans un contexte de chômage massif provoqué par la fermeture d’une industrie locale. discutables3 sur leur étendue, et leur diversité est méconnue ; mais on estime que 4500 dispositifs de ce type existent aujourd'hui dans plus de 50 pays4. Ces dispositifs monétaires ne sont donc pas homogènes: il existe une grande variété de projets politiques, de conceptions, de gouvernances et de matérialités monétaires inhérents à ces systèmes. Ces systèmes monétaires sont d’une grande complexité et s’articulent à des degrés divers au système monétaire officiel. Les CSS s’inscrivent également dans des contextes géographiques Nord/Sud marqués. Celles qui émergent dans les pays du Sud trouvent leur lieu de naissance le plus souvent dans des contextes de crise économique et auprès de couches sociales très précaires. A l’inverse, les monnaies qui émergent dans les pays du Nord touchent des couches sociales variées et les motivations sont diverses (économique, environnementale, idéologique). Néanmoins, quelque soit leur contexte spécifique d’émergence (idéologique, politique, géographique, économique, etc.), l’ensemble de ces monnaies locales partagent des mêmes objectifs : le soutien d’une dynamique territoriale socioéconomique et politique, l’instauration de nouvelles pratiques économiques reposant sur de nouvelles normes (éthiques, environnementales et responsables) et le développement de la capacité d’agir (empowerment). Si ces monnaies émergent dans des contextes de vulnérabilité, voire de crise, économique, sociale ou environnementale, dans certaines régions ou localités, elles parviennent progressivement à perdurer par-delà leur contexte originel et à se faire reconnaître par les autorités politiques locales qui voient dans leur usage un moyen de soutenir une certaine dynamique de développement territorial. Quatre générations de CCS peuvent être distingués, se caractérisant par une organisation monétaire et des rapports spécifiques au monde socio-économique et aux autorités publiques, locales ou centrales (Blanc, 2011 ; Blanc and Fare, 2012). Ces générations ne se succèdent pas mais s’imbriquent et se transforment : l’émergence d’un dispositif d’une génération nouvelle ne met pas fin aux précédents. Une première génération de monnaies émerge avec le modèle des LETS5 dans les années 1980 et n’a cessé de prendre de l’ampleur : on compte environ 2 500 monnaies de ce type dans le monde en 2012. Il s’agit de monnaies de « crédit mutuel » (sans création de monnaie au préalable), 3 Il est vrai cependant qu’aucune évaluation satisfaisante n’existe à l’heure actuelle, et l’on peut s’interroger sur la possibilité même d’une évaluation étant donnée l’hétérogénéité de ces dispositifs. Le site http://www.complementarycurrency.org/ccDatabase/ fournit une vue d’ensemble, même partielle, de cette diversité. 4 Blanc (2006c); Kennedy and Lietaer (2006). 5 North (2006), Williams (1996a, 1996b,1996e). mais aussi de monnaies papier (cas du trueque argentin). Elles ont pour caractéristique d’être inconvertibles en monnaie nationale et sont majoritairement mises en oeuvre par des associations locales en réponse à des aspirations et des besoins qui ne sont pas satisfaits par la production marchande et le service public. Peu de partenariats sont noués avec des collectivités locales. On peut citer par exemple, les systèmes d’échange local en France ou le Community Exchange System (CES), né en Afrique du Sud en 2003. La seconde génération plonge ses racines dans les dispositifs japonais de Fureai Kippu qui, dans les années 1970, construisent une réponse sous la forme d’une entraide intergénérationnelle. C’est avec les expériences états-uniennes de Time banks ou Time dollars puis les Banche del tempo italiennes dans la seconde moitié des années 1990 que ces dispositifs émergent véritablement et qu’une dynamique internationale apparaît6: on compte plus de 1 600 dispositifs aujourd’hui dans le monde. Les échanges sont concentrés sur les services et leur comptabilisation se fait sur la base du temps qui est consacré à leur prestation. Ces monnaies sont totalement inconvertibles en monnaie nationale. Contrairement à la plupart des expériences de première génération, les banques de temps entretiennent souvent des liens étroits avec des collectivités locales ou avec des organisations de l’économie sociale et solidaire (fondations, etc.) et soutiennent des objectifs sociaux (des formes d’entraide sociale locale) et non économiques. A cet égard, cette seconde génération est prolongée dans de nouvelles directions par le modèle québécois de l’Accorderie, qui combine l’échange de temps, un dispositif de microcrédit et un groupement d’achat, le tout avec un appui extérieur sous la forme de fondation (au Québec) et de collectivités locales (France) 7. Une troisième génération de monnaies démarre avec l’Ithaca Hour8, en 1991. Elle connaît un second souffle avec les cas allemand (Regiogeld)9 et brésilien (banques communautaires sur le modèle du Banco Palmas) 10. Ce n’est que dans la seconde moitié des années 2000 qu’elle apparaît en Grande-Bretagne à l’initiative des « villes en transition » (Brixton et Bristol11), puis en France (Villeneuve sur Lot). Entre 150 et 200 monnaies de ce type existent aujourd’hui dans le monde. Il s’agit de monnaies papier ou de monnaies électroniques. La conversion de monnaie nationale en monnaie locale est possible et fixe mais l’inverse est découragé par des pénalités, voire impossible. L’émission de monnaie locale est couverte par une réserve équivalente en monnaie nationale. Ces 6 Amorevole, Colombo and Grisendi (1998); Cahn (2004), Coluccia (2001), Seyfang (2006b). 7 Comeau and Boulianne (2012); Fare (2009-2010) . 8 Jacob et al. (2004). 9 Gelleri (2009), Kennedy., Lietaer (2006); Volkmann (2012). 10 Braz, Neiva, Melo. and Tsukumo (2013); Braz, Neiva and Nakagawa (2013); Braz, Neiva and Nakagawa (2013); Melo, Becu and de Freitas (2009). 11 Ryan-Collins (2011). monnaies visent les actes de consommation quotidienne des populations et reposent donc sur leur acceptation par des entreprises et des commerces. Certaines monnaies développent des partenariats avec des banques locales pour octroyer des microcrédits, mais aussi avec des collectivités locales pour le paiement des services publics et des impôts locaux (Bristol Pound et Brixton Pound). Une quatrième génération de CCS émerge dans les années 2000, prenant souvent la forme de carte à puce ou de monnaie électronique. Ces monnaies reposent sur des partenariats multiples rapprochant collectivités locales, acteurs économiques et organisations ou programmes nationaux voire européens. La multiplicité des partenariats et la matérialité monétaire spécifique conduisent à rechercher des solutions techniques coûteuses. On peut mentionner notamment le système NU, expérimenté dans la ville de Rotterdam entre 2002 et 2003, ou en France, la monnaie SOL12 entre 2006-2008 ou encore l’Eco-pesa qui a circulé en 2010 au Kenya. Dans l’ensemble, ces systèmes restent peu nombreux (une dizaine dans le monde en 2012). Figure. Chronologie simplifiée des grands types de CCS Wörgl (Autriche) 1932 1934 WIR (Suisse) Banche LETS en Time del Europe Dollar tempo SEL en (UK) (USA) (Italie) France Fureai Kippu (Japon) 1973 1976 1983 1985 1987 Community LETS Exchange (Vancouver) (Vancouver) G1 monnaie inconvertible, peu de partenariats socioéconomiques, un rapport distant voire défiant aux CL G2 monnaie temps, partenariats fréquents et souvent déterminants avec les CL : politique sociale Occitan, Regio Transition Abeille (Allemagne) towns (France) CES NU (Afrique SOL (Paysdu Sud) (France) Bas) 1991 1994 1995 Trueque Ithaca (Argentine) Hour (USA) 2002 20062007 2010 2000 2001 2012 Palmas BerkShares (Brésil) (USA) Accorderie (Québec) G3 monnaies convertibles recherche de partenariats avancés dans des objectifs économiques locaux : les CL sont peu présentes, mais leur présence est déterminante Eco iris (Bruxelles) G4 projets multiplexes (environnementaux, sociaux, économiques…) et rôle central des collectivités locales Source : Repris et adapté de Blanc et Fare, 2012. Section 2. les problèmes que posent ces monnaies à l’economie Ces monnaies sont très peu analysées par la littérature économique. Un certain nombre d’arguments peuvent expliquer ce faible intérêt que leur portent les économistes : ces monnaies nécessitent d’adopter une approche socioéconomique compte tenu de leur nouveauté relative et le 12 Fare (2012, 2011). peu d’analyse dont elles font l’objet ; elles sont également considérées comme périphériques dans la mesure où elles circulent et n’ont de valeur que dans des espaces d’échanges bien circonscrits. Elles sont en outre perçues comme des monnaies de transition, apparaissant pendant les périodes de crise monétaire ou de pénurie de liquidités, et étant vouées à disparaître dès lors que la situation macroéconomique s’améliore. Enfin, dans la mesure où seules les monnaies convertibles avec la monnaie centrale sont véritablement reconnues comme monnaie, leur propre statut de monnaie est même discuté. Si ces monnaies ont bien sûr une portée quantitative relativement réduite (pouvoir libératoire limité à des espaces et des échanges spécifiques), celles-ci ont à l’inverse une portée qualitative significative sur les dynamiques socioéconomiques qui justifie largement qu’on s’y intéresse. Cellesci participent en effet à la territorialisation des activités socioéconomiques, au soutien de nouvelles valeurs et normes de production qui régissent les pratiques économiques ; elles contribuent à la lutte contre l’exclusion monétaire et sociale et à la participation citoyenne des acteurs dans la gouvernance monétaire et socio-économique. Comme l’ont d’abord montré les géographes économistes et les socioéconomistes par la suite, ces monnaies soulèvent ainsi un certain nombre de questionnements et de défis qui font écho au contexte actuel de crise du régime de globalisation financière. 2.1. Une question de méthode ? Pour la théorie économique dominante, la monnaie est définie à partir de ses fonctions (intermédiaire des échanges, de compte et de réserve) et est appréhendée dans une perspective quantitative. Les aspects qualitatifs de la monnaie sont très peu étudiés. Cependant, la compréhension des CCS implique de décaler l’angle d’analyse et de s’intéresser aux usages et aux pratiques monétaires au sein de ces communautés d’échange (Blanc, 2009a ; Zelizer, 1994 ; Ould Ahmed, 2008). Autrement dit, cela exige d’analyser non seulement les comportements monétaires microéconomiques mais au aussi d’observer les pratiques ou usages de la monnaie qui sont pluriels et complémentaires et qui peuvent s’inscrire à l’intérieur tout comme à l’extérieur de l’échange marchand. Une telle analyse implique de mobiliser une méthodologie socioéconomique pour en dévoiler la nature, les logiques et les impacts multidimensionnels de ces pratiques et faits monétaires: il ne s’agit ni d’une part de partir d’une préconception de la monnaie déduite d’un modèle restreint et réducteur de l’économie supposée marchande, ni d’autre part de vérifier des hypothèses émises antérieurement au terrain d’enquête que celui-ci viendrait infirmer ou confirmer mais de mobiliser une approche compréhensive en partant des pratiques monétaires observables et en utilisant l’empirie afin de formuler et d’enrichir les concepts théoriques. Cela oriente vers des recherches contextualisées fortement ancrées dans la production de données primaires et la pratique du terrain. . Compte tenu de leur caractère nouveau et innovateur et de l’absence de données et d’études les concernant, , un travail de terrain majeur. pour s’ancrer dans leur réalité concrète est d’autant plus nécessaire. . Les enquêtes de terrain empruntent des méthodes et approches variées de la socioéconomie ou anthropologie économique comme: • la recherche-action qui fait porter au chercheur la double casquette de chercheur acteur. Elle consiste à porter les savoirs académiques hors de leur enceinte institutionnelle (éducation, recherche) pour dynamiser le changement social. Cette approche est particulièrement soutenue dans certains pays par les dispositifs institutionnels de la Recherche comme au Brésil avec les banques communautaires de développement ou encore en UK. Cette approche cherche également à rendre le processus de recherche transparent, à réduire les barrières hiérarchiques entre le chercheur et le sujet en vu de favoriser une recherche responsabilisante et socialement progressiste (Stringer, 1996) mais également de formuler des propositions dans l’optique de résoudre les difficultés spécifiques au groupe étudié. • la méthode par l’observation participante, inspirée de l’anthropologique quant à elle, favorise des observations directes des pratiques de la part du chercheur et une inscription dans le temps et dans l’espace de la recherche; • enfin, un autre type de recherches réalisent des enquêtes de terrain qualitatives ponctuelles et répétées axées sur la méthode des trajectoires de vie des acteurs (enquêtes, entretiens semidirectifs, statistiques) inspirée de la méthode des « récits de vie » très courante en anthropologie ou en sociologie qualitative. Le pluralisme méthodologique permet la mobilisation de méthodes et d’outils propres ou partagés par les différentes disciplines (méthodes qualitatives et quantitatives via des entretiens individuels et/ou collectifs et enquête par questionnaire). Cette méthodologie combinatoire permet d’opter pour une approche compréhensive afin de balayer le plus largement possible l’analyse des CCS. En effet, dans des domaines encore émergents de la recherche, tel que celui la, cela permet d’envisager la diversité des résultats possibles sans adopter au préalable une grille de lecture fermée qui couperait l’analyse des apports du terrain. Cette méthodologie permet de rejeter une conception instrumentale de la monnaie la réduisant à un outil découlant des échanges marchands, créé pour pallier le problème de la double coïncidence des besoins. L’approche socioéconomique et institutionnelle l’appréhende comme une institution sociale fondamentale de toute société qu’elle soit marchande ou non (Théret, 2007, 2008 ; Aglietta et al., 1995, 2002 ; Ingham, 2006) permettant de régler des dettes à travers des pratiques de compte et de paiement (Aglietta et Orléan, 1998 ; Blanc, 2000). Elles prennent également en compte le contexte social et politique dans lequel l’économie est inscrite et refusent son autonomisation et sa naturalisation (Polanyi, 2008 ; Steiner et Vatin, 2009). 2.2. Un problème de taille ? Le pouvoir libératoire limité de ces monnaies Appréhendée généralement dans les sociétés modernes comme un moyen de paiement universel, la monnaie permettrait d’accéder à tous les biens et services disponibles dans l’économie. Or, les CCS ont pour caractéristique essentielle d’être restreintes au niveau de leur usage. Ce sont des « special purpose money » pour reprendre les termes de Polnayi dont l’usage n’est pas indifférencié. Il peut s’agir d’une limite territoriale (usage limité dans un espace géographique déterminé) ou d’une limite communautaire (usage limité à une communauté de personnes) (Blanc, 2002). Cette caractéristique essentielle limite la validité et le pouvoir libératoire de ces monnaies, mais constitue à l’inverse un avantage fondamental en termes de territorialisation des activités économiques. Par conséquent, ces monnaies circulent de façon limitée et n’ont de valeur que dans des espaces d’échanges bien circonscrits. La limitation du pouvoir libératoire des monnaies alternatives peut en outre être accentuée à travers la mise en œuvre de règles d’usage et de mécanismes de création et de régulation monétaire. En effet, la majorité des CCS en circulation sont inconvertibles avec la monnaie officielle : tel est le cas des monnaies dites de première et de seconde générations (G1 et G2, voire G4). Ces monnaies sont parfois commensurables en monnaie officielle notamment pour permettre le paiement des taxes et impôts en monnaie officielle. La circulation et la validité de la monnaie interne sont limitées aux adhérents qui acceptent volontairement d’utiliser cette monnaie. La communauté, ou l’association de personnes, se construit ainsi autour de la monnaie dont l’origine résulte d’une action citoyenne. Le pouvoir libératoire est de fait limité au seul espace communautaire au sein duquel elles circulent. Les monnaies de troisième génération (et parfois de quatrième génération) supposent notamment du fait de l’intégration de commerces et de producteurs dans le cercle d’usage de la monnaie et de leur vocation de promotion de formes de développement territorial, des possibilités de conversion. Dans ces dispositifs, une équivalence fixe lie la monnaie locale à la monnaie nationale, des formes de convertibilité sont établies et toutes deux sont utilisables conjointement. L’entrée, par conversion de monnaie nationale en monnaie locale, est possible mais la sortie par conversion de monnaie locale en monnaie nationale n’est pas toujours acceptée (Ithaca Hour) ; lorsqu’elle est possible ou seulement réservée aux professionnels, des pénalités de sortie (taxes de conversion) cherchent à limiter les risques de revente en masse de la monnaie locale (Brixton pound, Bristol Pound, monnaies locales complémentaires). Ainsi, certaines CCS sont fondés sur une conversion partielle ou totale de la monnaie sociale en monnaie officielle, selon la nature des usagers (entreprises ou particuliers). De plus, certaines monnaies ciblent des biens et des services particuliers ou des catégories de population spécifiques. Certaines initiatives flèchent la consommation vers des partenaires socioéconomiques qui respectent des critères sociaux et environnementaux via l’élaboration de charte et la mise en œuvre de critères de sélection (cf. les monnaies locales complémentaires en France) (Blanc et Fare, 2013). Par ailleurs, des CCS fonctionnent sur la base de l’oxydation monétaire ou sur la fonte monétaire. En ce sens, la valeur faciale des coupons diminue périodiquement (par trimestre, semestre, etc.). Le détenteur du coupon doit parfaire la somme initiale en appliquant sur son coupon un timbre qu’il achète. Des frais de conservation sont ainsi imposés à la monnaie. À travers le principe de monnaie dite fondante, la monnaie devient périssable puisqu’elle subit une perte de valeur régulière, réduisant la monnaie « au même rang que les marchandises et le travail » (Gesell, année ?, p. 215). Par conséquent, elles se dévalorisent avec le temps et cela incite à leur emploi rapide. En raison de leur usage restreint, ces monnaies concernent généralement un volume d’échanges limité. En effet, en dépit de l’élargissement du public utilisateur au fil des générations de dispositifs, la majorité de ces derniers demeurent contenus à des niches et ne concernent qu’un nombre limité de personnes – avec l’exception notable du trueque en Argentine qui a pu concerner plusieurs millions de personnes. Aussi, si l’approche économique standard considère la monnaie comme un moyen de paiement généralisé c'est-à-dire qu’elle ne disposerait pas de signes singuliers pouvant distinguer deux avoirs d’une même monnaie qui seraient donc parfaitement substituables, les pratiques monétaires telles qu’elles se donnent à voir dans les CCS viennent infirmer ce postulat. L’observation des pratiques monétaires au sein des CCS permettent de souligner, d’une part, l’existence d’usages monétaires différenciés et d’autre part, l’existence de formes et de monnaies diverses. La mise en exergue des critères qualitatifs de conversion et de différenciation, dont disposent les avoirs monétaires, corrobore la thèse de la pluralité monétaire et infirme celle de la fongibilité pure. Comme le montre Jérôme Blanc (2009 : 677) : « l’examen des conditions de différenciation et de conversion de la monnaie permet une déconstruction du postulat économiste de la fongibilité. La fongibilité apparaît ainsi plurielle ». 2.3. L’impasse des théories monétaires pour penser les CCS 2. 3.1. Comment les théories monétaires abordent la pluralité monétaire ? La littérature économique aborde peu la question de la pluralité monétaire au sein d’un même espace. Les systèmes monétaires nationaux ou supra-nationaux contemporains semblent caractérisés par une conception unitaire de la monnaie et une organisation institutionnelle hiérarchisée avec au sommet une autorité monétaire centrale chargée de la règle d’émission (convertibilité des monnaies privées en monnaie centrale) et de la stabilité du système. Un lourd travail de synthèse mené par une équipe d’économistes français – J. Blanc, L. Desmedt, L. Lemaux, J. Marques Pereira, P. Ould Ahmed et B. Théret – a permis de mettre au jour la manière dont les approches monétaires contemporaines rendent compte ou pas de la question de la pluralité monétaire entendue comme la pluralité d’unités de compte ou/et d’instruments de paiement ou d’échange au sein d’un espace défini en termes de territoires ou de marchés (Blanc et al., 2014). De cette étude, il est possible de dissocier trois catégories d’approches. Une première catégorie d’approches ne fait aucune place à la pluralité monétaire. Seule la State money est reconnue comme monnaie avec pour seul émetteur l’autorité monétaire officielle. Il s’agit notamment de l’approche chartaliste, à la suite des travaux précurseurs de Knapp. Celle-ci reconnaît le statut de monnaie exclusivement à la state money et tout instrument de paiement non officiel circulant sur le territoire national n’est pas reconnu comme étant de la monnaie (Wray, 1998, 2003 ; Bell, 2000; Lerner, 1947). Le monétarisme, également, accorde l’exclusivité de l’émission monétaire à l’Etat. Pour garantir la neutralité monétaire et contrôler l’inflation, la monnaie ou plutôt la masse monétaire ne peut pas être produite de manière privée. La pluralité monétaire serait considérée comme du faux monnayage et une atteinte au droit régalien. Une deuxième catégorie d’approches monétaires accorde une place à la pluralité monétaire à travers la prise en compte d’une pluralité des émetteurs et d’instruments des échanges ; celle-ci est néanmoins conditionnée dans ces approches par l’unicité de l’unité de compte. Ces approches se distinguent d’ailleurs très largement entre elles : par le cadre d’analyse économique retenu (économie monétaire de production versus économie de marché décentralisée) ; et par la manière de penser l’organisation du système monétaire (système hiérarchisé autour de la monnaie centrale et de la Banque centrale versus système décentralisée et régulée par la concurrence des marchés). Les approches post-keynésiennes, post-marxistes et régulationnistes posent la pluralité monétaire comme une caractéristique de l’économie monétaire de production capitaliste. Celles-ci lèvent l’hypothèse de l’exclusivité de l’Etat sur l’émission monétaire et reconnaissent une pluralité d’émetteurs privés (les banques, voire les entreprises) qui mettent en circulation une diversité d’instruments de paiement. Néanmoins, pour être reconnues comme monnaies privées, ces reconnaissances de dettes sont soumises à la règle monétaire i.e. à leur pouvoir de convertibilité en monnaie centrale. Ces approches raisonnent donc sur la base de systèmes monétaires et bancaires ordonnés et hiérarchisés autour de la monnaie centrale (unité de compte unique) et de l’institution monétaire officielle. La pluralité monétaire est interprétée selon les approches comme l’expression d’une circulation plurielle d’instruments des échanges ayant des niveaux d’acceptabilité (de liquidité) plus ou moins étendus (facteur de crise) ou/et des rendements plus ou moins élevés. D’autres approches monétaires posent la pluralité monétaire comme un choix optimal de la part d’agents économiques rationnels. Il s’agit notamment de quelques modèles de cash in advance (en particulier Sturzenegger, 1992) et de modèles de search (Kiotaki and Wright, 1991, 1993 ; Kocherlakota and Krueger, 1999). Elles prennent comme cadre d’analyse l’économie marchande décentralisée et abordent la monnaie par sa fonction d’instrument des échanges. La circulation simultanée d’instruments des échanges distincts (fiat money, monnaie nationale, devises, compte chèques portant intérêt, monnaie marchandise ou cartes de crédit) s’explique par un problème de substituabilité imparfaite des monnaies en raison de leurs coûts de transaction et leurs degrés différentiels de rendement et d’acceptabilité Une dernière catégorie d’approches revendique d’un point de vue normatif la pluralité monétaire. Celles-ci se placent dans un cadre d’analyse de l’économie en termes d’économie de marché parfaitement concurrentielle et décentralisée. Il s’agit notamment des théories mengeriennes de la monnaie (Free Banking, modèle de competittive fiat money) et des théories monétaires qui intègrent la financial economics (New Monetary Economics). Selon ces approches, les fonctions monétaires ne sont plus exercées par une seule monnaie : ces approches dissocient la monnaie unité de compte, émise soit par la Banque centrale (Free Banking, Modèle de competitive fiat money) soit par le marché (NME), et une pluralité de monnaies bancaires concurrentes servant d’intermédiaires des échanges dont la valeur est déterminée sur le marché (marché financier pour la NME). Les modèles de competitive fiat money (Hayek, 1976-1978, 1979 ; Klein, 1974) vont encore le plus loin dans la pluralité puisqu’ils supposent une pluralité d’unités de compte également : les banques détiennent selon cette approche leur propre marque (unité de compte) à partir desquelles elles libellent leur monnaie moyen de paiement. Ces approches se différencient dans leur manière de concevoir la régulation monétaire. La NME et les modèles de competitive fiat money envisagent toutes deux une régulation par le marché (et non plus par la Banque centrale) et l’absence de toute règle de convertibilité des monnaies privées en monnaie centrale. Pour la competitive fiat money, la monnaie est reconnue non plus par sa convertibilité en monnaie centrale mais par la stabilité de son pouvoir d’achat. La NME met quant à elle en concurrence des monnaies privées bancaires apparentées à des actifs financiers (porteurs d’intérêt) et le règlement interbancaires passe par des clearing houses. En revanche, la Free Banking (Selgin, White) ne remet pas pour autant en cause la centralisation des compensations interbancaires et le besoin de conversion de un à un des monnaies bancaires privés en monnaie centrale publique (unité de compte unique). Si ces approches monétaires revendiquent la pluralité comme la solution monétaire optimale, cette pluralité est conditionnée in fine à l’existence d’une unité de compte (unique ou commune) pour garantir la stabilité du système ou l’efficience des transactions. 2.3.2. Quid des CCS ? La particularité des CSS – tant dans leur dimension conceptuelle que dans leur organisation pratique – contrevient aux nombreuses hypothèses et conceptions théoriques et normatives des approches économiques pluralistes de la monnaie qui délimitent ainsi le champ des possibles monétaires en ce qui concerne : la nature de l’émetteur de monnaies ; le statut et le cadre légal de la monnaie ; le rapport que les différentes monnaies entretiennent entre elles au sein d’un même espace ; et enfin, la régulation de l’ordre monétaire. Sur la question de l’émission monétaire, tout d’abord, les théories économiques de la monnaie reconnaissent deux catégories principales d’émetteurs, l’Etat et les banques (les entreprises dans certaines approches). Or les CCS sont émises par des acteurs de la société civile tels que des particuliers, des entreprises, des collectivités locales, des ONG, des associations, des fondations, des organisations privées sans but lucratif… De ce point de vue, on peut supposer que cette initiative monétaire de la part de la société civile d’une part n’est pas sans susciter une certaine réticence de la part des économistes qui ont une grande inclination à considérer implicitement la monnaie comme un outil économique, et sous-entendu technique, dont l’appropriation et sa gestion ne peuvent que relever par conséquent de la compétence d’experts et d’institutions officielles légitimes. D’autre part, ces pratiques viennent également interroger le rapport des monnaies à la souveraineté en remettant en question une pratique de souveraineté et des monnaies nationales considérées toujours, dans les textes de loi, comme souveraines et exclusives. La pluralité monétaire s’oppose en effet au principe « d’exclusivité monétaire nationale » : une seule monnaie – la monnaie nationale – ayant cours légal. Historiquement, cette conception d’unicité monétaire a fait l’objet de contestations et de réalités contrastées, mais celles-ci sont jusqu’ici largement restées marginales tant la force de rappel de la souveraineté monétaire centralisée semble puissante. Elle invite aussi l’ensemble des parties prenantes à réinterroger leur rôle et leur place, à réfléchir sur la vocation de dispositifs monétaires complémentaires et ses conséquences pour l’organisation de nos sociétés (démocratisation, nouvelles richesses, nouvelles valeurs, biens communs, préservation des ressources, transition/transformation des comportements et des consciences). Une deuxième caractéristique de la monnaie renvoie à la question de son statut. Les théories monétaires reposent sur une conception statutaire de la monnaie qui s’inscrit dans un cadre légal. Aussi, seules la state money et l’ensemble des instruments de paiement officiels (monnaies privées) sont reconnus comme étant de la monnaie. La reconnaissance du caractère monétaire des monnaies privées bancaires est conditionnée, selon les approches, à leur pouvoir de conversion entre elles et/ou avec la state money. Aussi, toute monnaie est reconnue comme telle par sa légalité et sa convertibilité. Or les CCS se caractérisent par un vide juridique au sens où ils se situent bien souvent dans les « zones grises » de la législation et qu’ils ne bénéficient généralement pas d’une reconnaissance légale de leur statut de monnaie ou de moyens de paiement13. Ce cadre légal est en cours de construction ou en cours de discussion14. De plus, certaines CCS ne sont pas convertibles (cas des monnaies G1 et G2, parfois G4). Il s’agit majoritairement de monnaies qui ne sont pas reconnues auprès des institutions monétaires privées et publiques officielles, qui ne disposent donc pas d’une convertibilité officielle envers les monnaies privées (bancaires) ni envers la monnaie centrale. Autrement dit, les CCS sont disjoints du système monétaire officiel. Dans la mesure où ces monnaies ne sont pas reconnues comme partie intégrante du système monétaire hiérarchisé et ordonné autour de la Banque centrale, la majorité 13 Cette absence de reconnaissance de leur statut légale n’empêche pas dans certains cas, une reconnaissance de leur utilité sociale (cf. le cas de banques communautaires de développement au Brésil, reconnus comme des outils de lutte contre la pauvreté et l’exclusion). 14 Nous renvoyons en France aux discussions entre le réseau des MLC/SOL (monnaies locales de troisième génération) et l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) sur le cadre juridique et monétaire qui s’appliquerait aux MLC. Le même type de discussions est en cours mais à des degrés d’avancement divers notamment en Belgique ou en Angleterre. Dans un article paru dans la Revue de l'ACPR, l’ACPR a officialisé sa position sur les monnaies locales complémentaires en précisant le cadre juridique qu’elle entend leur appliquer. http://www.acpr.banquefrance.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/revue-acp/201309-Revue-autorite-controle-prudentiel-resolution.pdf de ces dispositifs monétaires ne sont pas soumis au contrôle et à la régulation monétaire par la Banque centrale. L’absence de convertibilité officielle des monnaies communautaires avec d’autres monnaies de quelque type que ce soit (communautaire, bancaire, nationale, devise), est perçue comme une limite existentielle importante. Le pouvoir libératoire est en effet limité au seul espace communautaire au sein duquel elles circulent. Nous devons tout de même souligner une exception, celle des monnaies de troisième génération qui sont d’une part convertibles en monnaies privées bancaires et qui d’autre part et dans certains cas sembleraient soumises au contrôle des autorités monétaires. Mais ces possibilités de conversion ne résultent pas d’une obligation légale mais de choix organisationnels qui président la mis en place des CCS. Par conséquent, dans la majorité des cas de CCS, il n’existe pas de cadre réglementaire adapté reconnaissant leur spécificité (Blanc et Fare, 2013a). Une troisième caractéristique des approches de la pluralité monétaire est de l’appréhender en termes de concurrence et de substituabilité ou bien comme étant une composante du système monétaire décentralisé et hiérarchisé. Or par leur statut, on l’a vu, les CCS sont extérieurs au système monétaire officiel. En outre, le développement des CCS ne résulte pas d’un arbitrage monétaire optimal des agents en termes de coûts de rendement ou de transaction des monnaies concurrentes. La mise en exergue des critères qualitatifs dont sont dotées les CCS par Blanc (2008a, 2009a) souligne le caractère pluriel et l’absence de fongibilité pure de la monnaie. Ceci conduit à adopter une approche théorique qui laisse place à la complémentarité des monnaies et non plus seulement relativement à leur concurrence (Blanc, 2009c). En ce sens, les monnaies ne seraient pas nécessairement en concurrence, leur coexistence est légitime et ce, quelques soient les sociétés même contemporaines (Blanc, 2000). Dans une perspective historique et contrairement à une idée reçue, la volonté d’homogénéisation monétaire est relativement récente. Elle procède de la centralisation et du monopole d’émission monétaire qui ont tenté de mettre fin à la pluralité monétaire sans y parvenir. En résumé, la pluralité monétaire telle qu’elle se caractérise par la circulation de CCS en parallèle de l’ordre monétaire officiel trouve difficilement une place dans le cadre d’analyse de l’économie monétaire conventionnelle. Sans surprise, celle-ci est logiquement interprétée, selon les courants de pensée monétaires : comme un phénomène non monétaire (les CCS ne sont pas des monnaies légales) ; ou bien comme un phénomène insignifiant, marginal (pouvoir libératoire trop restreint) ; ou encore, comme une pathologie relative à la quantité ou à la qualité de la monnaie dont la solution est à chercher dans l’ordre monétaire (via des réformes des politique monétaire, fiscale ou de redistribution). Quelle qu’en soit l’interprétation retenue, les CCS ne constituent pas un objet d’étude en soi. Section 3. A survey of the literature about the economy of CCS Les CSS sont inscrites, on l’a vu, dans des périodes historiques (type de générations des CSS) et dans des espaces géographiques, socioéconomiques, politiques, environnementaux spécifiques. Les recherches sur les CCS sont également marquées par les lieux et les normes de production du savoir - héritage disciplinaire d’emprunt des auteurs, contextes géographique, culturel, idéologique et politique dans lesquels se construisent les savoirs. Celles-ci se développent, selon les disciplines d’origine, dans des directions et selon des questionnements spécifiques aux disciplines, néanmoins de moins en moins exclusifs à mesure que l’interdisciplinarité gagne du terrain dans le champ académique. Il ne s’agit pas ici de proposer une synthèse exhaustive des recherches sur les CCS, mais plutôt de retracer les principaux questionnements qu’ils soulèvent, en tenant compte de l’évolution historique des CCS et du savoir. Les CCS constituent une thématique relativement récente qui prend de l’ampleur dans le champ de la recherche avec le développement concomitant de ces monnaies. On assiste à la création d’un espace commun dans le champ académique qui vise à favoriser le dialogue entre les chercheurs travaillant le plus souvent sur des dispositifs monétaires spécifiques. La création en 1997 de l’International Journal of Community Currency Research Journal (IJCCR) (http://ijccr.net/) par Colin Williams, Mark Jackson et Gill Seyfang15 a joué un rôle important dans la diffusion du savoir sur les CCS. This journal constitutes the online forum between ‘academics’ and ‘activists’ for empirical, critical and theoretical research on community currencies. La création d’un espace propre à cette thématique dans le champ de la recherche est renforcée par l’organisation d’un congrès régulier sur les CCS et par la création (en cours de construction) d’une association internationale de chercheurs sur les CCS. Le premier congrès international s’est tenu à l’université de Lyon16 en février 2011, 15 16 Aujourd’hui cette revue est dirigée par Gilles Seyfang et Noel Longhurst. Voir le site CC-conf : http://conferences.ish-lyon.cnrs.fr/index.php/cc-conf/2011. Ce colloque a été organisé par les laboratoires LEFI et Triangle et a été soutenu par l’Institut Veblen pour les réformes économiques et la FPH (Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’homme), l’Institut Caisse des dépôts et consignations pour la recherche et la région Rhône-Alpes. (http://conferences.ishlyon.cnrs.fr/index.php/cc-conf/2011/schedConf/presentations). accueillant des chercheurs de 21 pays sur quatre continents. Ce succès a donné lieu à l’organisation d’un deuxième colloque en juin 2013 à l’International Institute of Social Studies (ISS) à La Haye; le 3ème Congrès se tiendra en octobre 2015 à l’université fédérale de Bahia (UFBA) au Brésil. Les travaux théoriques sur les CCS demeurent pour l’heure minoritaires, comme le souligne RyanCollins (2011b). Un grand nombre de publications correspondent à des études de cas empiriques. La rareté des travaux théoriques s’explique selon nous par le besoin de recul temporel compte tenu du degré d’innovations monétaires qu’elles représentent, de leur grande diversité et complexité, obligeant au préalable un travail de décryptage et de formalisation. Ainsi compte tenu de la nouveauté de ces dispositifs, un préalable méthodologique semble nécessaire. Les chercheurs doivent réaliser au préalable un travail d’enquêtes et d’entretiens afin de construire une base de données quantitatives et qualitatives permettant alors de rendre compte de la réalité des pratiques observables, leurs logiques, leurs contraintes et leurs impacts. CCS et dynamique locale Les premières publications portant sur les CCS contemporaines émanent de géographes économistes anglais avec en particulier les travaux de Colin Williams (Williams, 1996a, 1996b, 1996d) et de ses collaborateurs - Theresa Aldridge, Roger Lee, Andrew Leyshon, Jane Tooke, Nigel Thrift - (Williams et al., 2001a, 2001b, 2001c), et les travaux de Peter North (1999). Leurs études empiriques portent sur la première génération des dispositifs monétaires alternatifs, en particulier les LETS, dont ils évaluent leurs potentialités en termes de développement économique local (création d’emploi, auto-entrepreneuriat, accès au crédit gratuit, etc.) et de bien être social (création de liens sociaux, d’équité, de confiance en soi, de qualité de vie, etc). Des études ont été également réalisées sur les LETS australiens (Williams, 1997; Liesch and Birch, 2000) et néo-zélandais (Williams, 1996c) mais aussi sur les banques de Temps néo-zélandaises (Ozanne, 2010), montrant les obstacles et les leviers (internes et externes) à leur diffusion et extension. Ces travaux ont ouvert la voie à d’autres chercheurs anglais comme Gill Seyfang (2001a, 2006, 2009) et Noel Longhurst (2009), qui intègrent, outre les effets socioéconomiques de ces dispositifs locaux, leurs effets écologiques, à travers les concepts de consommation soutenable. Ils étudient tout d’abord les LETS (Seyfang, 1997, 2001b) et les Totnes et/ou les banques de temps in UK (2002, 2003, 2004a, 2006a, 2006b), puis les monnaies locales des villes en transition créées à partir de 2009 en UK. Ces derniers dispositifs sont également étudiés par d’autres chercheurs comme Scott Cato et Suárez (2011) qui étudient le Stroud Pound; mais aussi par des chercheurs-acteurs, directement impliqués dans leur mise en place, tels que Ryan Collins (2011) pour le Brixton Pound et Mark Burton pour le Bristol Pound. Seyfang et Longhurst présentent les CCS comme des niches socio-techniques, des « local grassroots innovations » : celles-ci sont issues d’initiatives citoyennes et visent à expérimenter des modes de vie et des pratiques alternatives et soutenables capables de croître et d’influencer la société à une échelle plus large (Seyfang et Smith, 2007; Longhurst et Seyfang, 2011, 2013). La capacité des CCS à soutenir un développement soutenable local est également analysée dans des contextes variés par d’autres chercheurs: en France, avec le SOL et au Canada avec l’Accorderie (Fare, 2011, 2012) ; au Kenya, avec le Bangla-Pesa (Ruddick et al., 2013); au Brésil, avec les banques de développement communautaire brésiliennes (Fare, Meyer et de Freitas, 2013 ; De Oliveira Barros Braz, Leser de Mello, Dos Santos Veiga Silva, 2011, colloque de Lyon ; ): ou encore en Argentine, avec les barter clubs analysés comme des instruments de selective and protected spatial closure (Gomez and Helmsing, 2008; Pacione, 1999). Par leur usage territorial restreint, ces monnaies promeuvent de manière endogène une économie locale - consommation à l’intérieur de l’espace monétaire et territorial concerné, création de richesses, de nouveaux débouchés et d’emplois- et favorisent un modèle de développement basé sur le micro-entrepreuneuriat et des valeurs extra-économiques. Pour appuyer une stratégie de développement économique territoriale local, certains dispositifs monétaires alternatifs s’articulent avec la création de microcrédits en monnaies locales. Cette ingénierie monétaire et financière est pour l’heure exceptionnelle et renvoie aux expériences brésiliennes. La réussite de ce dispositif explique la prolifération de banques de temps communautaires sur tout le territoire national. On recense aujourd’hui plus d’une centaine de dispositifs fonctionnant selon un mode d’auto-gestion communautaire et des valeurs de solidarité. (Carvalho de França Filho G., Torres Silva Junior J., Scalfoni Rigo A, 2012). Marek Hudon et Meyer (2013) montre que les CCS pourraient être un outil supplémentaire utilisé par les IMF qui jusque là touchent les pauvres actifs, en particulier les banques de temps. Ils étudient dans quelle mesure les CCS peuvent être un instrument innovant dans la gamme des produits des IMF CCS et ordre de valeurs (solidarité, réciprocité, égalité, entraide (ESS, économie populaire) : (SEL, 14 ; BCD et finance solidaire ou de proximité, 1 ; économie de la relation (1, 5) ; réseaux solidaire, 21 ; rapport d’entraide inspirée de Mauss, 23 ; Monnaie argentine et ESS, 28) CCS comme élément important de l’anti-globalization (cf. texte de Powell) Différentes formes d’organisation monétaires des CCS sont à l’œuvre et reflètent des conceptions variées de l’implication des acteurs dans le processus de décision et de gouvernance de la monnaie communautaire. CCS et monnaie En France, le Centre Walras (Université de Lyon II) est précurseur sur la thématique des CCS à travers un programme de recherche relatif aux SEL (l’équivalent des LETS) dans les années 1980-1990 en France. Les travaux qui y sont menés, sous la direction de Jean Michel Servet (Servet, 1999) puis de Jérôme Blanc (Blanc et al., 2003), s’inscrivent dans une démarche socioéconomique proche du courant institutionnaliste Polanyien et de l’économie sociale et solidaire. Ces auteurs interrogent les pratiques monétaires des CCS et analysent comment celles-ci offrent un éclairage conceptuel sur la question de la monnaie, sa nature, ses formes et ses usages sociaux. Jean Michel Servet montre comment les SEL rappellent le caractère fondamentalement social de la monnaie. Dans ces dispositifs, la monnaie joue pleinement son rôle de créateur de liens entre les individus, comme entre les générations (Servet, 2002). Des relations de dette se nouent entre les individus, conditionnés à la confiance et aux valeurs de solidarité et de réciprocité partagées. Jérôme Blanc examine la pluralité du fait monétaire tels qu’elle se donne à voir par le développement de monnaies sociales, locales et complémentaires parallèles à la monnaie nationale (Blanc, 1998, 2000, 2002a, 2002b, 2009a). Il réalise également un important travail de catégorisation et de terminologie de ces monnaies parallèles (2000, 2011, 2013) ainsi qu’une typologie des monnaies parallèles (cf. figure). Il étaye avec Marie Fare dans une optique transversale les différents critères retenus pour la typologie des CCS tels que l’existence et le type d’innovation sociale des CCS (Blanc et Fare, 2012), le rôle des pouvoirs publics dans ces dispositifs (Blanc et Fare, 2013a), ou encore le rôle des chartes et des critères d’agrément dans ces dispositifs (Blanc et Fare, 2013b). Des débats ont lieu sur la terminologie (Blanc, 2006c), sur des typologies des monnaies parallèles (Martignoni, 2012). Marie Fare interroge également les conditions pertinentes d’implantation, d’acceptabilité et de l’échelle d’action des CCS en proposant un schéma monétaire fondé sur la subsidiarité monétaire dans le cadre d’un développement territorial soutenable (Fare, 2011, 2013). En effet, dans la mesure où ces dispositifs sont divers, comme les enjeux du développement territorial soutenable, cela souligne le besoin d’appréhender un agencement monétaire pluriel. Ainsi la subsidiarité monétaire caractérise un schéma monétaire complémentaire où à chaque échelle d’action pertinente se déploie une monnaie spécifique dont la sphère socioéconomique et territoriale est unique. Il s’agit in fine de pousser le principe de complémentarité à son extrême en déterminant pour chaque type de monnaie (en fonction de ces objectifs) une échelle de déploiement unique dans le cadre d’une gouvernance territoriale renouvelée. Pepita Ould Ahmed (2010a) questioned the monetary plurality, and more particularly wondered if the CCS necessary need to establish some kind of relation (practical, ideological, political, symbolic) with the official macro-monetary system both for justifying its creation and acceptance and for making it operational within these community-based spaces of exchange. Dans une perspective d’économie politique de la monnaie, certains auteurs montrent how the political reveals itself on the alternative currency movements, its forms and spaces. Les questions de souveraineté et de citoyenneté monétaires y sont soulevées. From various cases studies (Argentine barter clubs, SEL in France, LETS in UK, Green Money in Hungary, Green dollars in New Zealand, etc), the authors show how the CCS play a part in re-territorialising the political by creating new spaces for contestation and liberation of monetary order (Laacher, 2003; North, 2007; Ould Ahmed, 2010b). By creating their own currency, the promoters contested the sovereignty of State of the right to issue money and define a completely different monetary relationship that aims at developing new economic practices based on a new expression of the economic value (Ould Ahmed, 2010b). Les CCS peuvent être appréhendés comme des mouvements sociaux à vocation politique, ayant comme objectif de construire collectivement de nouvelles sociabilités économiques et sociales, respectant de nouvelles valeurs (non capitalist norms) comme la solidarité, l’entreaide, la démocratie participative, etc. Au sein de ces communautés monétaires, les liens tissés entre les personnes sont, comme le dit très justement Smaïn Laacher, des liens sociaux politisés (Laacher, 2003), mais qui s’instituent le plus souvent en dehors des structures politiques conventionnelles, de ses représentants et de ses espaces (Ould Ahmed, 2014). L’agir politique est néanmoins davantage vécu comme telle par les leaders et les organisateurs des CCS que par les usagers des CCS qui nourrissent plutôt des attentes plus pragmatiques et d’ordre matériel et symbolique. Etudes d’impact économiques et sociales La grande majorité des enquêtes de terrain étudient la portée des CCS au niveau économique, social et environnemental (pour certains). Les indicateurs de mesure ou critères retenus sont hétérogènes et il n’existe pas pour l’heure de grille d’évaluation commune pour comparer les expériences de CCS. Quelques auteurs se sont prêtés néanmoins à cet exercice de construction comme Gill Seyfang (1997). Sa grille d’évaluation repose sur des indicateurs de performance (quantitatif et qualitatif) et a été constituée à partir des expériences de LETS et de time banks qu’elle a étudiées. Plus récemment, Leander et Place (2013) cherchent à développer une matrice d’évaluation standardisée d’impacts multicritères, élaborée sur la base d’un travail de recension des facteurs clés de succès et d’études de cas de référence. Pour évaluer les projets d’économie locale durable reposant sur la création de CCS qu’il soutient en Amérique centrale, The Social Trade Organization in Central America (STRO-CA) a également mis en place une grille de mesure multidimensionnelle basée sur le « Sustainable Local Economy Framework » en intégrant le plus possible la spécificité de l’environnement social et économique des projets (Brenes, communication de La Haye, 2013). On peut mentionner également, pour le cas brésilien, l’élaboration de cartographie réalisée à l’initiative de l’Institut Palmas s’avère être un outil utile d’implémentation et de gestion monétaire des CCS. Sont recensés les lieux de production et de consommation afin d’analyser la circulation et les besoins monétaires (Neiva et al., 2013). Les critères retenus pour évaluer l’impact des CCS sont très hétérogènes et relativement pertinents en fonction des formes et des objectifs spécifiques que se fixent ces dispositifs. On peut mentionner ici un certain nombre de ces indicateurs. Pour mesurer l’impact des CCS, la taille de la communauté monétaire et le volume des échanges qui y sont réalisés en son sein permettent de donner un ordre de grandeurs de ce dispositif dans l’espace monétaire, économique, territorial et social. Il semble que les CCS jouent un véritable impact pour impulser une dynamique économique locale dès lors qu’ils atteignent une échelle significative (Goméz et Helmsing, 2008). Tel est le cas des barter clubs argentins qu’ils étudient. A l’inverse, Aldrige, Leyshon and Williams (2001) montrent l’impact marginal des LETS qu’ils expliquent par leur taille trop réduite comme Krohn et Snyder (2008), qui dans une étude économétrique sur les monnaies locales aux Etats-Unis montrent que l’effet multiplicateur local est trop faible pour être détecté dans la croissance du revenu par tête au cours des années 90. Ils concluent ainsi que dans un contexte économique favorable les monnaies locales ne favorisent pas le développement économique, néanmoins ils omettent de comparer le volume de monnaie locale en circulation (et la valeur ajoutée créée en CCS) au regard du volume de monnaie globale en circulation. L’impact de ces dispositifs se mesure également à partir de leur capacité à sortir ou non de l’exclusion financière (Williams, LETS in UK, 2006). Deux critères sont généralement pris en compte : la capacité des CCS à créer des emplois directs au niveau local; l’accroissement du capital économique, social et humain des personnes en situation d’exclusion. Alors que certains dispositifs visent l’appareil productif local et l’emploi (l’Ithaca money in the USA, Douthwaite, 1996) la production et la dynamique locale, d’autres CCS visent l’essor d’une consommation soutenable (les cartes de fidélité « points verts » du programme Spaarpas à Rotterdam, Van Sambeek and Kampers, 2004 ; Lenzi, 2006 avec les SEL; Seyfang, 2002, 2003 avec les time banks in UK). Pour sortir de l’exclusion sociale, Gill Seyfang (2006) mesure la capacité des CCS à permettre aux usagers d’exercer leurs droits de citoyenneté sociaux (intégration dans des réseaux, liens de réciprocité), économiques (percevoir un revenu, reconnaissance par le travail, consommer et épargner) et politiques (participation aux espaces publics et associatifs des prises de décision). Fare (2011, 2012) évalue le potentiel des CCS à travers trois dimensions : la territorialisation des activités (via la localisation des échanges, la création de liens sociaux, la participation démocratique), la dynamisation des échanges (à travers le développement de l’accès au crédit, l’empowerment et la lutte contre la pauvreté) et la transformation des pratiques des modes de vie et des représentations sociales (consommation responsable, citoyenneté écologique, responsabilisation des organisations, valorisation des capacités de chacun et empowerment collectif). L’impact des CCS à lutter contre les inégalités sociales et en particulier de genre est également mesuré. Les CCS constituent un outil pour les plus démunis n’ayant pas accès à la monnaie officielle (Stodder, 2007) en particulier les dispositifs monétaires des pays du Sud qui s’adressent à des groupes sociaux défavorisés. Cependant, s’ils peuvent aider certains groupes à faible revenu à se protéger et à améliorer leur mode de vie, ils ne sont pas un outil général pour la réduction de la pauvreté (Gomez, 2010). Les travaux révèlent que, malgré la surreprésentation des femmes comme usagers dans ces dispositifs, les CCS ne permettent pas une amélioration économique significative de la condition des femmes même si elles améliorent leur sociabilité (Boulianne and Comeau, 2012 ; Powell, 200 ; Williams, 1996) Certains CCS ne visent pas des objectifs économiques et se refusent à changer d’échelle. C’est le cas notamment des SEL français (Laacher, 2003; Lenzi, 2006), des monnaies locales japonaises, les chiiki tsûka (Hirota, 2006 ; Kennedy and Liaeter, Monnaies régionales). Leur objectif est davantage social qu’économique et visent, selon les cas, des actions sociales (soutenant les personnes âgées) et écologiques et la hausse des ventes des petites entreprises. Ces systèmes recherchent pour l’essentiel à recréer des liens communautaires locaux traditionnels intergénérationnels (l’uchi) en dehors d’un rapport productif d’exploitation (Hirota, 2006). Pour ces types de CCS, les critères d’impact retenu sont leur capacité à créer des liens sociaux d’entraide et de solidarité. Nakazato et Hiramoto (2011) interrogent la portée des CCS dans leur capacité à créer du lien social à partir de la grille d’analyse de Granovetter relative aux liens forts/liens faibles. Conclusion : Conditions du changement d’échelle A partir du cas argentin, Pepita Ould Ahmed s’interroge sur les conditions d’émergence de nouveaux rapports économiques et sur leur changement d’échelle du local au global. Si certaines valeurs morales peuvent effectivement avoir un impact sur l’apparition de nouvelles pratiques au sein d’une communauté locale, elle insiste sur les conditions sous-jacentes à l’entrée des acteurs dans ce type de rapports comme des prédispositions sociale, idéologique et religieuse des acteurs, ou encore les conditions d’environnement économiques et politiques. Au delà de ce cadre local prédisposé au changement, et pour le passage au global, le changement des pratiques nécessite la modification des structures institutionnelles qui configurent les intérêts des individus et les déterminent à se mouvoir dans telle ou telle direction et à poursuivre tel ou tel objectif. Autrement dit, les valeurs et les nouveaux rapports économiques doivent être endossés par les pouvoirs publics et institutionnels qui ont un pouvoir d’enforcement ( Ould Ahmed, 2014). Les formes de gouvernance des CCS (en marchés horizontaux, système hiérarchique, en groupes communautaires locaux, en réseaux associatifs) permettent une plus grande pérennité et soutenabilité de ces mouvements, selon l’importance de leur masse critique (Gomez, IJCCR, 2012) Insertion dans un projet de territoire ((c’est pour pousser la réflexion sur les conditions de mises en œuvre…). Il s'agit là de dépasser l’outil monétaire en l'insérant dans une stratégie de développement territorial, de penser la monnaie comme médium mais au service de la transformation, en articulation avec d'autres dynamiques ou instruments inscrits dans la même visée. Les MSC peuvent venir appuyer une véritable stratégie de développement territorial au sens où leur effet levier s’accroît lorsqu’elles sont combinées avec les autres mécanismes et instruments de la politique d’intervention de la collectivité et de ses partenaires locaux. Les questions qui se posent à ce stade trouvent souvent réponse dans une connexion étroite avec les logiques et outils issus de l’économie sociale et solidaire pour un développement économique et social inscrit dans une volonté d’agir autrement pour l’insertion sociale et culturelle et la cohésion territoriale (microcrédit, tontine, groupement d’achat, épicerie sociale, coopératives, fonds de finance solidaire et d’investissement responsable, banques coopératives, banques publiques, pôles territoriaux de coopération économique) ou avec des politiques et instruments de transition écologique et de résilience territoriale (revenu inconditionnel, incitation aux comportements écoresponsables) Mais en amont même de cette articulation entre MSC et autres dispositifs, cette ouverture, cette mobilisation et adhésion de l'ensemble des parties prenantes doit être un élément constitutif des dispositifs, pour autant qu'ils se placent dans une perspective transformatrice : il s'agit bien de définir collectivement (et de mettre en œuvre) un nouveau cadre de valeurs (un nouveau modèle de développement) autour duquel construire nos relations économiques et sociales. Articulation avec les pouvoirs publics et législation La forte dimension novatrice des CCS conduit à les considérer comme des formes d’innovation sociale (Blanc et Fare, 2012). Or, un des enjeux de l’expérimentation est son institutionnalisation. L’institutionnalisation des monnaies sociales, c'est-à-dire « le travail de mise en reconnaissance de l’usage social qui est fait de l’invention ou de la découverte » (Fontan, 2007) nécessite que leur utilité sociale soit clairement reconnue. Ce processus d’institutionnalisation est long et passe nécessairement par une évaluation des dispositifs et une étude de leurs impacts sociaux, économiques et/ou écologiques. Or, malgré, un certain nombre d’études qui ont porté particulièrement sur les LETS ou les banques de temps britanniques (cf. infra), ils demeurent encore bien trop peu évalués. Un des enjeux majeurs consiste donc à généraliser les études d’impact afin d’apporter crédibilité et légitimité aux monnaies sociales. Mais cette reconnaissance de leur utilité sociale pourrait également se coupler à une reconnaissance par la puissance publique. Dans ce processus, le rôle des pouvoirs publics17 doit être discuté. En effet, si localement, ils peuvent promouvoir et soutenir dans une logique de subsidiarité le déploiement de ces dispositifs ainsi que participer activement aux dispositifs en acceptant et en utilisant ces dispositifs en tant que moyen de paiement. D’un point de vue national, l’urgence consiste à leur offrir un cadre légal clair permettant de les sortir des zones grises de la législation et facilitant ainsi l’intervention des différents acteurs sur les territoires. Des réflexions en ce sens sont d’ailleurs en cours en Amérique Latine, particulièrement au Brésil (Vasconcelos Freire, 2009), et qui permettrait de penser une organisation monétaire intégrée fondée sur la subsidiarité monétaire. 17 Pour un aperçu du rôle des pouvoirs publics dans les dispositifs de MLSC, voir Blanc et Fare (2013a). References Aglietta M. et Orléan A., (dir.), (1995), Souveraineté, légitimité et confiance, Paris : AEF / CREA. Aglietta M. et Orléan A., (dir.), (1998), La monnaie souveraine, Paris : Odile Jacob. Aldridge T. J. et Patterson A., (2002), « LETS get real: constraints on the development of Local Exchange Trading Schemes », Area, vol. 34, n° 4, pp. 370-381. Aldridge T. J., Patterson A. et Tooke J., (2003), « Trading Places: geography and the role of Local Exchange Trading Schemes in local sustainable development », in : S. Buckingham et K. Theobald, (eds), Local Environmental Sustainability, Cambridge : Woodhead, pp. 169-194. 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