Bénéfices d`un suivi par une
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Bénéfices d`un suivi par une
Recherche documentaire Bénéfices d’un suivi par une Dans le monde occidental, malgré une médicalisation en pleine croissance et de nombreux progrès dans le domaine de la périnatalité, de nombreuses femmes restent insatisfaites du suivi et de l’accompagnement de leur grossesse. Cette insatisfaction révèle-t-elle une faiblesse de notre système d’accompagnement à la naissance ? Dans le cadre d’un mémoire de fin d’études1, l’auteure a rencontré sept femmes ayant choisi une formule alternative appelée «Bien Naître». Cette formule est mise en pratique par des sages-femmes agréées à la maternité des hôpitaux universitaires de Genève. Elle évalue également l’importance du suivi par une seule sage-femme à travers la littérature récente. Tout au long de leur grossesse déjà, à travers différentes consultations, les femmes vont rencontrer généralement plusieurs sages-femmes. A maintes reprises, il arrive qu’une femme ayant vécu tout le travail de dilatation avec une même sage-femme n’ait pas la possibilité d’être accompagnée par cette même sage-femme pour la période de la naissance. Il en va de même en période de post-partum. Dans certains hôpitaux en effet, il paraît difficile qu’une seule et même sage-femme s’occupe d’une seule parturiente. La conséquence est que ces parturientes reçoivent des soins de manière fragmentée et sont amenées à fréquenter un grand nombre de membres d’une même équipe. Lesley A. Page (2004) précise que: «Les femmes ayant reçu des soins de manière très fragmentée décrivent des sentiments de confusion et de perplexité. Cette impression affaiblit du même coup leur sentiment de maîtrise de la situation. Certaines se sentent abandonnées.» La formule «Bien Naître» revendique une continuité des soins par la même sagefemme tout au long de la grossesse, de l’accouchement et de la période du postpartum. Ce type d’accompagnement apporte-t-il des bénéfices et si oui, lesquels sur les issues en terme de déroulement de la grossesse, d’accouchement et de postpartum? Les recherches à travers la littérature récente nous donnent quelques éléments de réponses. Le choix des femmes dans l’accompagnement Peu d’études s’intéressent au choix des femmes dans ce domaine. Selon ces études, plusieurs raisons motivent les femmes enceintes à choisir une sage-femme plutôt qu’un médecin. Leur choix est avant tout défini par leur propre représentation de la naissance, c’est-à-dire que, si elles ont pour définition que la grossesse est un événement physiologique et normal, elles seront plus à même de choisir une sage-femme pour l’accompagnement et qu’au contraire si ces femmes ont pour représentation la grossesse comme un événement de vie à risque, alors elles choisiront plutôt un médecin pour leur suivi (Howell-White. 1997). Plusieurs facteurs peuvent même influencer ce choix: la perception du risque, l’acceptation 1 La représentation de la naissance infuence le choix d’une sage-femme agréée. 34 Hebamme.ch 4/2008 Sage-femme.ch Photo: Hebammen Zentrale, Bern «Bien Naître» – Un autre accompagnement vers la naissance, HECV-Santé, Lausanne, 2006. seule sage-femme de la technologie, une ou des des moyens d’anti-douleur ainsi expériences antérieures de que sur la césarienne, pendant grossesse, la présence d’un réla période de l’accouchement et seau social de soutien et le dédu post-partum immédiat les sir – à différents niveaux – de femmes utilisent moins de pémaîtrise. thidine, ont moins recours à des Les femmes qui ont opté pour accouchements instrumentés, une sage-femme sont en majoont une sensation de maîtrise rité, selon ces études, celles qui plus élevée si elles sont accomsont désireuses d’avoir beau- Maud Elmaleh Mo- pagnées par la même sage-femcoup d’informations sur la gros- rand, infirmière et sage- me (Rowley et al., 1995, Homer femme diplômée HES. sesse et l’accouchement. Elles et al., 2002). pensent que la personne la plus à même Une autre étude intitulée «Know your de leur fournir ces informations sont les midwife» a été menée dans la région de sages-femmes. Ces femmes présentent Londres avec 503 femmes à bas risques de des caractéristiques communes: elles complications obstétricales. Le suivi se fain’appartiennent pas à un groupe religieux sant à l’hôpital avec une équipe de quatre prédéfini, elles souhaitent avoir une rela- sages-femmes, avec l’intention de faire tion personnalisée avec l’accompagnante suivre une femme enceinte par la même et moins orientée vers l’aspect médical et sage-femme pour le suivi prénatal, l’acelles ont en général un soutien du père de couchement et le post-partum. Les résull’enfant. Par contre, il apparaît que plus les tats montrent que ces femmes se sont femmes désirent avoir un niveau de maî- senties mieux préparées à l’accouchement trise élevé sur les événements de la gros- et plus libres de discuter des éventuels sesse et de l’accouchement, c’est-à-dire problèmes; elles présentaient moins qu’elles souhaitent avoir le sentiment de d’anxiété et plus de satisfaction générale. contrôler la situation et de prendre elles- Pendant l’accouchement, elles ont eu mêmes les décisions, plus elles choisiront moins recours à l’anesthésie péridurale et l’accompagnement par un médecin obs- ont subi moins d’épisiotomies (Flint et al., tétricien (Howell-White, 1997). 1989). Une autre étude, faite sur la base d’un Une autre revue systématique est recenquestionnaire distribué après l’accouche- sée sur ce concept et apparaît plus critique ment, a mis en évidence les éléments qui et controversée. En effet, dans cette favorisent une expérience positive de la étude, deux questions sont posées: quel naissance: ce sont le soutien, l’accès à l’in- est le sens donné par la définition de la formation, la possibilité de prendre des continuité des soignants? Quels sont les décisions, la maîtrise de soi, les anti-dou- aspects qui importent aux femmes dans leur (Lavender et al., 1999). ce même concept? (Green, Renfrew & Curtis, 2000). La continuité des soignants La définition du concept de la continuité est différente selon les études recensées, plusieurs d’entre elles comparent la continuité des soins des sages-femmes auprès des parturientes versus les soins prodigués par des médecins ou une équipe mélangée de médecins et de sages-femmes. Les résultats montrent que les femmes qui ont été suivies par des sages-femmes sont plus susceptibles d’assister à des cours de préparation à la naissance, sont plus informées du déroulement de l’accouchement, de l’induction du travail et Le soutien continu ED Hodnett ED (2003) propose une revue systématique qui recense 15 recherches et qui regroupe 12 791 femmes venant de différents pays (Australie, France, Grèce, Botswana, Mexique, Guatemala, USA, Afrique du Sud, Finlande, Belgique, Canada) et dont le but est d’évaluer l’effet d’un soutien continu durant la période intrapartum. Les résultats montrent que, grâce à l’intervention du soutien continu pendant la période de naissance, les femmes sont moins susceptibles d’avoir Photo: Hebammen Zentrale, Bern En Suisse alémanique Ce qui me plaît ou me déplaît le plus En positif: • Pouvoir accompagner un couple que je connais bien avant la naissance • Pouvoir me concentrer exclusivement sur un seul accouchement avec le couple • Pouvoir exprimer – et éventuellement atténuer – les angoisses et les incertitudes bien avant la naissance • Pouvoir discuter des expériences traumatiques antérieures et aider le couple à s’impliquer dans la naissance à venir, à l’appréhender de manière positive • Travailler en équipe à l’hôpital • Pouvoir discuter avec les sagesfemmes hospitalières des situations difficiles • Toujours pouvoir compter sur les services médicaux qui restent toutefois le plus possible en retrait, en «coulisses» • Ne pas avoir à faire un transfert en cas d’accouchement pathologique En négatif: • Etre souvent «de garde», ce qui restreint beaucoup ma vie privée • Devoir souvent «bousculer» à court terme des rendez-vous, parce que je suis appelée pour une naissance • Devoir refuser des couples qui seraient pourtant intéressants, parce que mes capacités sont limitées • Impossibilité, dans ce modèle, d’avoir des naissances avec la sagefemme comme à domicile. Claudia Putscher, extrait de l’article publié en allemand page 5. Hebamme.ch Sage-femme.ch 4/2008 35 Réponses «sur le vif» Etre agréée: une solution d’avenir pour le métier de sage-femme? Je pense que c’est une solution d’avenir et que c’est une solution très confortable au niveau de la responsabilité et de la prise de risques pour la sage-femme et pour la femme. Christine Bise Demay Oui, c’est une musique d’avenir pour la profession de sage-femme. En termes de santé publique c’est une manière de décharger le «trop plein» des hôpitaux. Un travail de qualité, moins coûteux et plus personnalisé... Un service que les femmes apprécieraient: être accompagnée de manière individuelle dans un cadre sécurisant... Et, comme l’hôpital reste l’endroit le plus sûr, dans l’esprit de la plupart des gens... La physiologie aura certainement plus de chance de retrouver sa place dans le processus de l’accouchement. Marie-Pierre Beck Krähenbüh Ce statut permettrait aux SFI de pratiquer dans un contexte de sécurité, d’investissement financier modéré (installer une maison de naissance!), un partenariat avec les médecins et collègues hospitalières de haut niveau. Pour ces derniers: de reconnaître le travail de la SFI et de la connaître personnellement (meilleures relations et suivi de la patiente avec obstétriciens et pédiatres...). Pour les hôpitaux: une reconnaissance du public de l’offre à la naissance, une demande plus grande des couples! Je ne vois que du bénéfice dans ce modèle de pratique SF. Fabienne Rime Pour une femme qui fait appel à une sagefemme agréée, c’est certainement très agréable et confortable à tous points de vue pour la sécurité surtout psychique de la maman. Etre sage-femme agréée, personnellement ça me paraît beaucoup plus astreignant qu’être une sage-femme engagée à domicile. Elle peut se sentir prise entre deux feux. Sachant qu’il faudra déménager en plein travail, cette solution m’a toujours semblé périlleuse. Mais l’avenir ne me semble pas résider dans cette solution de prêt-à-porter si as- 36 Hebamme.ch 4/2008 Sage-femme.ch treignante pour la sage-femme, mais plutôt vers une réalisation d’instaurer des conditions où la femme retrouverait la confiance en sa capacité de s’accoucher et de mettre au monde son enfant en grandissant et en assumant son choix. A mon avis, le métier de sage-femme gagnera à retrouver de l’autonomie en se tournant plutôt vers les maisons de naissance que vers les hôpitaux. Anny Martigny L’expérience hollandaise dont on parle souvent à propos d’accouchement à domicile comprend le concept de SF agréée dans la mesure où les SF pratiquant l’accouchement à domicile ont accès aux maternités en cas de pathologies. Dans ce type de situation, la différence avec nos SF indépendantes pratiquant l’accouchant à domicile, c’est que chez nous les SF indépendantes passent le relai aux SF hospitalières lors d’hospitalisation pour pathologie alors que, dans le système hollandais, les SF indépendantes poursuivent leur travail, selon le principe des SF agréées. En cas de pathologie, l’expérience des SF agréées posent la question de l’entente avec les SF hospitalières: Comment «se ressentent-elles» mutuellement? Peuvent-elles travailler dans les mêmes lieux, les mêmes salles d’accouchement? Quelle est la procédure quand une SF agréée arrive avec sa parturiente? N’y a-t-il pas des problèmes de territoire, de statut, de pouvoir, de représentations, de relations? En dehors de cela, la nouvelle génération de SF est-elle prête à assumer un système de garde comme SF agréée, plus astreignant au niveau de la disponibilité qu’en milieu hospitalier? Dans la mesure où être agréée signifie une disponibilité semblable à celle des SF indépendantes pratiquant l’accouchement à domicile ou en Maison de Naissance, les SF hospitalières et les médecins gynécologues (aussi que les pédiatres et les anesthésistes) sont-ils prêts à faire confiance à des SF agréées extérieures à leur «giron»: Se pose là le problème de contrôle, de maîtrise, de connaissance mutuelle! Anne Burkhalter recours à des anti-douleur et à la péridurale, ont moins d’accouchements instrumentés, ont moins de césariennes, et l’on recense moins de rapports d’insatisfaction quant au vécu de l’expérience de l’accouchement. Cependant il est reporté que les femmes apprécient mieux le soutien continu par une personne qui est extérieure à l’équipe médicale et qui commence dès la première phase du travail. Les alternatives Le concept du «One-to-one midwefery» a été instauré en Angleterre dans une politique de «Changing Childbirth» pour faire face à l’insatisfaction des femmes. Il s’agit de faire suivre les femmes enceintes par un groupe de six sages-femmes. Selon le niveau de risque, un obstétricien peut être amené à suivre la grossesse, en parallèle et en collaboration. Les visites prénatales se font le plus souvent à domicile. La femme peut choisir de donner naissance à domicile ou à l’hôpital d’affiliation des sages-femmes. Lorsque la femme entre en travail, elle appelle la sage-femme de garde qui vient évaluer l’avancée du travail au domicile de la parturiente. Cette même sage-femme assistera à l’accouchement, puis la suivra en post-partum, à domicile également. Les résultats de cette alternative sont: moins d’anti-douleur, moins de péridurales, moins d’épisiotomies, moins d’utilisation du bloc opératoire, raccourcissement de la 2ème phase du travail, plus grande satisfaction de la femme avec une plus forte perception de son contrôle per왗 sonnel (Page, 2003). Bibliographie Flint C. et al. (1989): The know your midwife scheme: a randomised trial of continuity of care by a team of midwifes. In: Midwifery, 5, 6–11. Green J. M. et al (2000): Continuity of care: what matters to women? A review of evidence. In: Midwifery, 16, 186–196. Hodnett E. D. (2000): Continuity of caregivers for care during pregnancy and childbirth. In: The Cochrane Database of Systematic Reviews, issue 4, 1–23. Howell-White S. (1997): Choosing a birth attendant: The influence of a woman’s childbirth definition. In: Social Science and Medecine, 45(6), 925–936. Lavender T. et al. (1999): A prospective study of women’s views of factors contributing to a positive birth experience. In: Midwifery, 15, 40–46. Page L. A. (2003): One-to-one midwifery: restoring the «With woman» relationship in midwifery. In: Journal of Midwifery & Women’s Health, 48 (2), 119–125. Page L. A. (2004): Le nouvel art de la sage-femme. Paris, Elsevier. Rowey M. (1995): Continuity of care by a midwife team versus routine care during pregnancy and birth: a randomised Trial. In: Medical Journal of Australia, 163, 289–293. F O C U S Habitudes et tabous Quelle place pour la pudeur en maternité? Comment les patientes ressentent-elles le dévoilement qui leur est imposé lors de leur suivi à la maternité? Comment peuvent coexister le vécu quotidien des professionnels de santé et l’expérience unique de chaque femme venant accoucher? En tant que sagefemme, comment agir pour que chacune d’entre elles se sente accompagnée et respectée selon ses spécificités, en ce lieu où elles vivent pourtant toutes le même événement? Lorsque j’ai choisi d’aborder ce sujet1 à la fin de mes études de sage-femme, aucune patiente n’avait évoqué avec moi la question de la pudeur. C’est en m’interrogeant sur ce qui se vivait quotidiennement dans de la maternité». La grossesse et la naissance d’un enfant sont des événements singuliers dans la vie d’une femme. Lors des rencontres avec les professionnels de santé, elle se présente à un instant précis de sa vie, avec sa propre histoire et son propre rapport à la nudité. Le vécu quotidien des soignants, comportant la vision habituelle de la nudité, lui est totalement étranger... Définitions – Recherche bibliographique ma pratique que le thème de la pudeur a résonné et mis en évidence les multiples situations lui faisant écho: j’ai maintes fois jugé des situations gênantes pour les patientes, dont la nudité était exposée sans précautions, je me suis souvent posée la question de l’intrusion que je réalisais dans l’intimité du couple, en partageant avec eux des événements et des émotions qui se partagent d’ordinaire avec des intimes... J’ai été troublée par la façon dont un patient peut être rabaissé au rang d’objet, parfois par nécessité, dans certains domaines d’exercice de la médecine, comme la chirurgie ou le secourisme. J’ai ainsi réalisé qu’en maternité, de nombreuses possibilités de respecter la pudeur s’offraient aux professionnels malgré des conditions très particulières d’exposition du corps. Je me suis donc posée cette question: respecte-t-on toujours au mieux la pudeur des patientes? De même que nous pouvons parfois rencontrer des difficultés, liées à l’exercice de nos professions «à part au royaume de la pudeur», les patientes peuvent avoir des réticences à laisser leur pudeur «à l’entrée Avant de poursuivre, essayons de définir en quelques mots la pudeur (...). Le dictionnaire le Robert introduit deux distinctions dans la définition du sentiment de pudeur: pudeur corporelle ou sexuelle et pudeur des sentiments. Ce serait un «sentiment de honte, de gêne qu’une personne éprouve à faire, à envisager des choses de nature sexuelle». Il s’agirait également d’une «gêne qu’éprouve une personne délicate devant ce que sa dignité semble lui interdire». Ce serait encore «un malaise devant des choses que l’on ne devrait pas voir ou que l’on ne montre que contre son gré». Chacun voit alors surgir à son esprit une situation qu’il a vécue et qui illustre parfaitement ces définitions. Et pourtant, rien ne doit être plus difficile à illustrer que ce sentiment tant il est complexe, variable et subjectif. Il existe en effet mille et unes façons de dépeindre la pudeur... Mais étonnement: la question de la pudeur en maternité n’a été que très peu évoquée dans la littérature jusqu’à présent. On ne trouve guère plus que quelques lignes évoquant à demi-mot le vécu très particulier du sentiment de pudeur au moment de l’accouchement, aujourd’hui toujours tabou. La pudeur semble être si présente à la maternité que l’on a peine à en parler! Marie Danguin, sagefemme au Centre Hospitalier de Dole, France. L’enquête Ce qui m’a poussé à réaliser un travail sur ce thème a donc été une volonté de comprendre comment pouvaient coexister le vécu quotidien du professionnel en maternité et l’expérience unique de chaque femme venant accoucher. Pour répondre à cette problématique ainsi qu’aux objectifs fixés pour ce mémoire, la parole a été donnée aux intéressées. L’enquête a été réalisée à la maternité du Centre Hospitalier Universitaire de Dijon. J’ai sollicité la participation de toutes les patientes, accouchant durant une période définie de 15 jours ainsi que celles des sagesfemmes travaillant au bloc obstétrical dans cette même période, afin de pouvoir confronter les points de vue des différents «acteurs» des mêmes accouchements. Pour recueillir l’avis des 50 patientes concernées, j’ai choisi de réaliser des entretiens dirigés, suivant la trame d’un questionnaire. Dans la période choisie, je me 1 Mémoire de sage-femme intitulé «Naissance et pudeur – Accompagner et respecter» (2005). Il avait fait l’objet d’une conférence donnée le 13 mars 2006 lors de la journée du Collège national des sages-femmes. Nous en reproduisons de larges extraits avec l’autorisation de son auteure. Hebamme.ch Sage-femme.ch 4/2008 37 Préserver la pudeur Quelques règles simples • «Pensez à vous présenter...» Pour diminuer l’asymétrie de la relation, le professionnel doit veiller à s’identifier: en se présentant, les soignants permettent aux patientes de se rendre compte de la pertinence de leur présence et de leurs actes. • «Expliquez vos gestes...» Les explications relatives aux gestes effectués rassurent les patientes et leur permettent de prendre part à ce qui se vit autour d’elles et en elles. • «Veillez au voile...» Il faut impérativement éviter les situations où le corps est dévoilé inutilement. • «Respectez notre intimité...» Il s’agit pour les professionnels de préserver un espace intime pour la patiente et le couple, en n’oubliant jamais que la pudeur ne concerne pas seulement le corps... • «Considérez notre couple...» Les couples ne savent pas quelles seront leurs réactions face à des situations qu’ils ne connaissent pas encore. Il appartient aux professionnels de prévenir les situations qui pourraient être gênantes pour l’un ou l’autre membre du couple. • «Adoptez un comportement professionnel, mais aussi humain et respectueux...» Pour soutenir la patiente dans ses efforts pour accepter les situations où l’a-pudeur est de rigueur! 38 Hebamme.ch 4/2008 Sage-femme.ch suis rendue chaque jour auprès des patientes de l’unité de soins post-accouchement. Ces entretiens m’ont permis d’aborder avec elles plusieurs aspects de la pudeur en maternité, en approfondissant notamment les thèmes suivants: • la variation de la pudeur pendant la grossesse, • la pudeur lors des consultations prénatales, • la pudeur en salle d’accouchement, le vécu des patientes par rapport à l’attitude des professionnels et des étudiants, ou encore par rapport à la place de la personne accompagnante... Ces entretiens, au cours desquels beaucoup de femmes se sont vraiment investies, ont duré de 15 à 45 minutes. L’avis des 16 sagesfemmes a été recueilli sous forme de questionnaire anonyme. Il les a interrogées sur leurs pratiques pour le respect de la pudeur en salle d’accouchement, sur leur relation avec les patientes, sur ce qu’elles percevaient du ressenti de ces femmes... Plusieurs questions étaient communes aux deux enquêtes afin de pouvoir confronter leurs points de vue sans biais. La participation de 100% des patientes et de plus de 93% des sagesfemmes a été d’une grande qualité, témoignant de l’intérêt porté à la question. Discussion Les résultats de l’enquête nous permettent de répondre aux interrogations que nous avions pour objectif de solutionner. Certains viennent confirmer certaines hypothèses que nous souhaitions vérifier: • La grossesse est-elle un moment particulier de la vie des femmes dans leur rapport à la pudeur? OUI, la grossesse est un moment marquant de la vie de la femme. Cette expérience est apparue très agréable à plus de deux tiers des patientes qui ont trouvé le temps de la grossesse trop court et qui regrettent qu’elle ne soit visible qu’à partir du 5e ou du 6e mois. Et puisque qu’elles ne renouvelleront cette expérience qu’un nombre limité de fois, elles auront veillé à la mettre en valeur. • Quelle place les patientes accordent-elles à leur pudeur lors du suivi de leur grossesse ou de leur accouchement? Les patientes savent qu’à la maternité, on s’occupera de leur état et non de l’apparence de leur corps. La nécessité de se dévoiler est rendue tolérable par l’importance qu’elles accordent au bon déroulement de leur suivi, pour la santé de leur enfant. Qu’elles soient pudiques ou non, une certaine forme d’a-pudeur est nécessaire au soin: restant toujours présente, la pudeur est enfouie sous d’autres priorités, légitimées par les patientes. D’autres résultats viennent nous surprendre et nous faire porter un regard différent sur notre pratique. Mes opinions de départ étaient proches de celles des sagesfemmes interrogées. Certains résultats m’ont montré qu’il y avait un chemin à parcourir pour se rapprocher du vécu de ces femmes et s’adapter à leur ressenti quelque peu éloigné de celui qu’on pense accompagner... Je vous propose maintenant d’apporter quelques réflexions portant sur ces résultats qui surprennent et sur d’autres thèmes en relation avec cette vaste question de la pudeur en maternité. • Comment la pudeur des femmes est-elle prise en compte au cours des différents temps de l’accès à la maternité? D’après les patientes, l’attention portée à la pudeur par les professionnels est très inégale dans le temps. Un peu pendant les consultations, beaucoup à l’accouchement, pas du tout en post-partum... Une caricature que l’on peut facilement faire correspondre aux pensées du professionnel qui hiérarchise l’importance de l’exposition en maternité. Pour lui, l’accouchement est l’événement le plus susceptible de malmener la pudeur de la patiente. A ses yeux, les consultations constituent une exposition bien moins importante. De même, en suites de couches, il peut considérer que la patiente a vécu le plus difficile, et qu’elle peut désormais tout supporter. Il s’agit pour nous, professionnels, d’être attentif au degré de pudeur de chaque femme à tous les instants de sa grossesse et de son accouchement. C’est elle qui saura le mieux en dire l’intensité. • Quelle place fait-on à l’expression pudique des émotions en salle de naissance? La discordance des avis des sages-femmes et des patientes concernant la gêne par rapport au dévoilement du corps est frappante. 60% des sages-femmes pensent que la nudité gène les patientes alors que celles-ci relèguent largement la pudeur corporelle au second plan. Les patientes ont très bien exprimé au travers de cette enquête le fait que les circonstances de l’accouchement éveillaient leur pudeur face aux émotions. Beaucoup regrettent de ne pas avoir bénéficié d’un temps d’intimité avec leur famille nouvellement constituée. Je voulais vous mentionner ici l’exemple d’une équipe d’un établissement bourguignon qui, s’étant assuré que tout le monde va bien, s’éclipse de la salle quelques minutes, laissant ainsi au couple l’entière liberté d’exprimer ses émotions. Il existe à l’inverse d’autres établissements où arrivent immédiatement après la naissance, des collègues de la sage-femme en charge de l’accouchement, pour l’aider au remplissage des papiers administratifs ou au rangement. A partir de ces deux exemples, peut-être est-il possible de trouver la juste attitude, le juste milieu, pour garantir une certaine intimité au couple... • La relation sage-femme/patiente est-elle particulière? Les résultats de l’enquête nous ont montré qu’elles ne percevaient pas la relation les liant de la même façon. Pour seulement la moitié des patientes, elle est différente de celle entretenue avec les autres professionnels de santé, alors que la quasi-totalité des sages-femmes la trouve très particulière. Aller rendre visite à une patiente en suites de couche après l’avoir accompagnée lors de son accouchement est une démarche que j’ai souvent trouvée difficile; alors qu’une relation très intime avait été établie en salle d’accouchement, les rapports sont désormais plus distants. Je pense que ce qui se vit en salle de naissance a une composante irréelle, et ce tant pour le professionnel que pour la patiente. L’accompagnement d’une femme vers la naissance entraîne forcément la chute de barrières socialement de rigueur et les sagesfemmes peuvent avoir davantage conscience de l’étrangeté de la relation par rapport aux patientes, dont l’effacement de la pudeur est légitimé par leur état. Une chose demeure cependant certaine: la sage-femme, par son travail, éveille la pudeur. Une partie importante de sa profession est fondée sur l’observation. A force de regarder le corps, la sage-femme s’habitue à la nudité mais son esprit est alors attentif à des choses plus techniques, plus professionnelles. La difficulté du travail du soignant réside dans le fait que son regard doit être respectueux de la patiente alors qu’il réifie le corps de celle-ci. Le toucher est également très utilisé par la sage-femme dans son travail. Beaucoup de soins touchent les patientes dans leur plus grande intimité, au plus profond d’elles-mêmes, puisqu’ils concernent leur sexe. Malgré cela, quand le regard, le toucher et les mots sont mobilisés pour tenter de respecter l’autre, installé dans une relation asymétrique, la situation peut s’humaniser, et les atteintes à la pudeur, malgré l’agressivité de certaines interventions, peuvent ainsi être moins fréquentes. Au cours de notre enquête, nous avons veillé à distinguer les situations d’urgence et de dystocie, des accouchements eutociques, estimant que les possibilités de respecter la pudeur n’étaient pas les mêmes. Chacun d’entre nous peut facilement s’imaginer dans une telle situation. Il faut aller vite, être efficace, et les priorités sont ailleurs. Dans ce cas, comment agir dans le respect de cette femme? Nous pensons que seuls les mots pourront être une marque de respect. «Il faut agir vite pour le bien-être de votre enfant. Beaucoup de personnes vont arriver et nous n’allons sans doute pas pouvoir préserver votre intimité». En expliquant l’impossibilité du respect, on évite ainsi l’irrespect. Illustrations Originaire de la région parisienne, Corinne Ko vit à Marseille depuis 1998. Après des études littéraires, elle s’est orientée vers l’animation spécialisée. Depuis peu, elle se consacre plus particulièrement à la création de bijoux et à la peinture dont le thème de prédilection est le corps, l’intimité. Passionnée par les estampes japonaises, surtout celles des intérieurs ou des scènes érotiques, elle situe ses personnages dans des décors aux motifs chamarrés. Source: http://kocreations.canalblog.com/ dans le sens où la partie dicible n’est sans doute pas la plus importante... Conclusion Quelles que soient les prédispositions dans lesquelles les patientes se présentent, ou les concessions qu’elles sont prêtes à faire, leur pudeur n’a pas disparu. Même si les limites ordinaires de la pudeur sont sans cesse repoussées à la maternité, les patientes tiennent au respect global de leur personne. La pudeur s’éprouve et se manifeste de façon particulière à la maternité. Elle est souvent plus discrète, plus flexible, moins Limites Même si cette enquête nous a permis de répondre à toutes nos interrogations de départ, elle comporte certaines limites que je vous propose de commenter. Nous trouvons les résultats de l’enquête très gratifiants pour les professionnels et d’après les patientes, ils le méritent sur bien des points. Nous demeurons cependant surprise qu’il n’y ait pas eu davantage de critiques. 32% des femmes ne ressentent aucune gêne à l’accouchement! On peut se demander si les femmes ne sont pas les victimes d’un fait social pouvant se résumer à l’adage «une femme enceinte n’a pas de pudeur». Les patientes sont aujourd’hui prises dans un modèle qui les contraint à laisser leur pudeur «à l’entrée de l’hôpital»! Leurs exigences diminuent, leurs concessions se multiplient et leurs critiques n’ont plus de raison d’être. Ont-elles pu penser que la réponse «ni le dévoilement de mon corps, ni le dévoilement de mes sentiments ne me gène» constituait la «bonne» réponse? Celle qui était logique? Ma réflexion sur ces résultats m’a conduite à avoir un regard critique sur ce qui a été exprimé par les patientes. Je pense pouvoir comparer le thème de la pudeur à un iceberg, fragile, mais bien présente! Lui réserver une place, c’est garantir le respect des patientes. Celles-ci acceptent les contraintes imposées à leur pudeur, reconnaissant en l’attitude des sages-femmes, la preuve que tout est fait pour la respecter au mieux. Parler de pudeur en maternité m’a conduite, subtilement, à parler de respect global de la personne. J’ai découvert les innombrables objets auxquels se rapportaient la pudeur et ainsi compris que la seule prise en compte de son aspect corporel ne pouvait être suffisante en maternité. La respecter s’apprend au quotidien, dans la relation à l’autre. C’est en étant à l’écoute de nos patientes, et en portant un regard critique sur notre pratique, que nous parviendrons à proposer un accompagnement toujours plus respectueux. 왗 Hebamme.ch Sage-femme.ch 4/2008 39