La Cour suprême se prononce dans l`affaire Kerry : Bonne nouvelle

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La Cour suprême se prononce dans l`affaire Kerry : Bonne nouvelle
AOÛT 2009
Actualités – Emploi, travail
et régimes de retraite
La Cour suprême se prononce dans
l’affaire Kerry : Bonne nouvelle pour les
promoteurs de régimes de retraite
GARY NACHSHEN ([email protected]), ANDREA BOCTOR ([email protected]) ET
ANGELA WAITE ([email protected])
Le 7 août, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision très attendue
dans l’affaire Kerry1. Cet arrêt donne des indications précises qui
intéresseront presque tous les promoteurs de régimes de retraite au Canada.
La décision pose les principes suivants :
> Lorsque les documents relatifs au régime ne l’interdisent pas, l’excédent
du volet à prestations déterminées (« PD ») peut être affecté au
financement (c.-à-d. à l’interfinancement) des cotisations dans le volet à
cotisations déterminées (« CD »);
> Lorsque les documents relatifs au régime ne l’interdisent pas, les frais du
régime, s’ils sont raisonnables et justifiés, peuvent être payés sur la
caisse de retraite;
> Lorsque les frais peuvent être payés sur la caisse de retraite, les
employeurs qui administrent eux-mêmes en partie le régime de retraite
peuvent facturer des frais d’administration raisonnables;
> Des modifications rétroactives peuvent être apportées à un régime de
retraite si elles sont autorisées par la loi;
> Les dépens liés aux litiges concernant un régime de retraite ne seront pas
automatiquement payés sur la caisse de retraite;
> Les décisions du Tribunal des services financiers de l’Ontario (le « TSF »)
qui portent sur l’interprétation du texte d’un régime de retraite ou sur le
lien entre la Loi sur les régimes de retraite et un régime doivent faire
l’objet d’une grande retenue judiciaire.
De façon plus générale, l’affaire Kerry marque la fin de l’application
systématique des principes du droit des fiducies à la résolution des
différends concernant les régimes de retraite, qui avait cours depuis une
vingtaine d’années.
Contexte
Bulletin préparé par les membres du
groupe de l’emploi, du travail et des
régimes de retraite de Stikeman Elliott.
STIKEMAN ELLIOTT S.E.N.C.R.L., s.r.l. ¦
L’affaire Kerry a commencé par deux décisions du surintendant des
services financiers de l’Ontario (le « surintendant »), qui ont été portées en
appel successivement devant le TSF, la Cour divisionnaire et la Cour
d’appel de l’Ontario.
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Kerry (Canada) Inc. ( « Kerry ») parrainait un régime de retraite à prestations déterminées (le « régime ») établi
en 1954 par son prédécesseur. Le texte initial du régime stipulait que les cotisations devaient être utilisées au
« bénéfice exclusif » des participants. Il était par ailleurs silencieux au sujet du paiement des frais du régime, sauf
pour ce qui est des honoraires des fiduciaires, qui étaient à la charge de l’employeur. En 1975, le texte du régime
a été modifié afin de permettre le paiement des services fournis par des tiers sur la caisse de retraite. Ce n’est
toutefois qu’en 1985 que Kerry a commencé à faire de tels paiements. Cette même année, Kerry a également
commencé à suspendre ses cotisations en raison de l’excédent considérable accumulé dans le régime.
En 2000, Kerry a modifié le régime de manière à établir un volet CD. Les participants de l’époque se sont vu
offrir le choix entre convertir leur régime à prestations déterminées en régime CD, ou continuer à participer au
volet PD. Le volet PD était fermé aux nouveaux employés, qui devaient tous participer au volet CD. La création
du volet CD en 2000 a eu pour effet de constituer un nouvel instrument financier, apparemment distinct de la
fiducie PD.
Après les modifications de 2000, un groupe d’anciens employés et de participants au régime ont demandé au
surintendant d’invalider les congés de cotisations que s’était accordés Kerry depuis 1985, l’affectation par cette
dernière des actifs de la caisse de retraite au paiement des frais du régime et l’utilisation par elle de l’excédent du
volet PD pour financer ses cotisations au volet CD.
L’affaire a abouti devant le TSF, qui s’est prononcé sur la question des frais, de l’interfinancement et du paiement
des dépens des participants sur les actifs du régime. En ce qui concerne les frais, le TSF a déclaré pour
l’essentiel que l’expression « bénéfice exclusif » figurant dans la première convention de fiducie de 1954
autorisait le paiement des frais administratifs sur les actifs du régime, parce qu’il s’agissait de dépenses
engagées au bénéfice principal des participants. En ce qui concerne la question de l’interfinancement, le TSF a
approuvé en principe la pratique consistant à affecter l’excédent du volet PD au financement du volet CD, mais il
a ordonné à Kerry soit de modifier rétroactivement le régime afin de désigner les participants au volet CD comme
bénéficiaires de la fiducie PD, soit de payer les cotisations qu’elle aurait versées en l’absence d’interfinancement.
Kerry a décidé de faire des modifications rétroactives. Pour ce qui est des dépens, le TSF a conclu qu’il n’avait
pas le pouvoir d’ordonner le paiement des dépens sur la caisse.
La Cour divisionnaire, qui a entendu l’affaire immédiatement après l’arrêt Monsanto2 de la Cour suprême en
2004, a considéré que la décision du TSF devait être examinée selon la norme de la décision correcte, c.-à-d.
qu’elle devait non seulement être raisonnable, mais qu’elle ne devait être entachée d’aucune erreur de droit dans
l’analyse. La Cour divisionnaire a estimé que le TSF avait eu tort relativement à l’interfinancement et aux dépens.
Kerry a été condamnée à payer une somme équivalant à tous les frais qu’elle avait prélevés sur la caisse depuis
1985, et les modifications de 2000 visant l’ajout du volet PD ont été jugées invalides. La Cour divisionnaire a
toutefois jugé que les dépens des parties ne pouvaient pas être payés par le régime.
En 2007, devant la Cour d’appel de l’Ontario, Kerry a eu gain de cause à tous égards importants. Dans une
décision saluée par les employeurs, la juge Eileen Gillese de la Cour d’appel a fait une distinction par rapport à
l’arrêt Monsanto et a statué que les décisions du TSF devaient être uniquement raisonnables et non pas
nécessairement correctes, contrairement à ce qu’avait laissé entendre la Cour suprême seulement trois années
auparavant. Elle a approuvé les décisions du TSF au sujet du paiement des frais et de l’interfinancement. Posant
des principes très généraux qui pourraient s’appliquer à de nombreux régimes de retraite, la juge Gillese a
déterminé qu’il n’y a pas de mal en soi à affecter l’excédent du volet PD au financement du volet CD lorsque le
texte du régime et la convention de fiducie en question ne l’interdisent pas. En ce qui concerne les frais, elle a
aussi conclu que, à moins que le texte d’un régime de retraite ne l’interdise explicitement, les frais
d’administration d’un régime, dans la mesure où ils sont raisonnables et justifiés, peuvent être payés sur la caisse
aux fournisseurs de services, mais non à l’employeur-administrateur lui-même.
La Cour suprême a autorisé les participants à interjeter appel.
Décision de la Cour suprême du Canada
Interfinancement
La question la plus litigieuse dans l’affaire Kerry, comme en témoigne la dissidence des juges LeBel et Fish,3 était
de savoir si l’employeur pouvait utiliser l’excédent accumulé dans le volet PD du régime pour payer ses
cotisations au volet CD, ce qui constitue de l’interfinancement. Dans les motifs de la majorité, rédigés par le juge
Rothstein, il est déclaré avec assurance et brièveté que c’est possible, à condition que les participants au volet
CD soient aussi bénéficiaires de la fiducie PD d’origine.
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À ce chapitre, les modifications apportées en 2000 au régime visant l’ajout du volet CD étaient, pour le moins
qu’on puisse dire, nébuleuses. Mais cette imprécision n’a toutefois pas dissuadé la majorité des juges de
confirmer la décision du TSF selon laquelle une modification rétroactive du régime désignant les participants au
volet CD comme bénéficiaires de la fiducie PD n’était pas interdite par la Loi sur les régimes de retraite, ce qui
permettait ainsi l’interfinancement.
En approuvant cet aspect de la décision du TSF, la Cour suprême semble indiquer qu’il faut imposer une moins
grande rigueur aux employeurs quant au libellé des régimes et laisser leur intention primer en cas de différend
dans l’interprétation du texte du régime. Même s’il demeure préférable de bien préciser leur intention dans tous
les documents du régime, les employeurs et leurs conseillers professionnels disposeront sans doute dans l’avenir
d’une certaine marge de manoeuvre sur le plan stylistique.
En bout de ligne, les juges de la majorité ont conclu, compte tenu des modifications rétroactives, qu’il n’existait
qu’un seul régime et une seule caisse de retraite et que l’utilisation de la caisse au bénéfice des participants au
volet CD ne contrevenait pas aux dispositions relatives au « bénéfice exclusif ». La majorité n’a pas examiné la
question hypothétique de savoir si le fait de considérer les participants au volet CD comme bénéficiaires de la
même fiducie exposait les actifs de leurs comptes au risque d’un éventuel déficit du volet PD.
Frais du régime
En ce qui a trait au paiement des frais administratifs sur la caisse de retraite du régime, la Cour suprême, à
l’instar de la Cour d’appel et du TSF, est d’avis que les frais du régime, dans la mesure où ils sont raisonnables,
peuvent être payés sur les actifs du régime, à moins que les documents relatifs au régime ne l’interdisent
explicitement. Selon la Cour suprême, la légitimité et la raisonnabilité des frais sont les principaux points à
déterminer pour décider si des frais sont à la charge du régime. Lorsqu’il s’agit de frais légitimes et nécessaires à
l’administration du régime de retraite, ils peuvent être payés sur la caisse.
Toutefois, la Cour suprême a poussé son raisonnement plus loin que le TSF et la Cour d’appel et a été plus
généreuse envers les employeurs. Aux paragraphes 60 et 65, le juge Rothstein a fait le « cadeau » suivant aux
promoteurs de régimes :
« À mon avis […] la question de savoir si les services sont fournis par des tiers ou par l’employeur est sans
importance dans la mesure où les frais prélevés sont raisonnables et les services sont nécessaires. »
« Lorsque les fonds en fiducie peuvent être utilisés pour payer les frais afférents aux services nécessaires au
régime, la distinction entre les services fournis par le constituant et ceux fournis par un tiers est artificielle. La seule
question est de savoir si les frais peuvent être payés sur la caisse et si les frais engagés sont légitimes et
raisonnables. Dans la mesure où les frais en question sont légitimes et nécessaires à l’administration du régime de
retraite, il importe peu que les frais soient dus à un tiers ou à l’employeur. Il n’y a aucune raison, en principe,
d’obliger l’employeur de recourir à la sous-traitance. »
Les promoteurs dont le service des ressources humaines consacre de longues heures à l’administration de leur
régime saisiront toute la portée des passages ci-dessus et pourraient chercher à obtenir une compensation
pécuniaire à cet égard.
Dépens relatifs aux litiges concernant les régimes de retraite
Bien que cette question soit souvent reléguée en note de bas de page dans les comptes rendus, voire
complètement passée sous silence, l’affaire Kerry est aussi importante en ce qui a trait au financement, par un
régime de retraite, des batailles juridiques dont il fait l’objet. La Cour suprême a posé des principes généraux
établissant les circonstances dans lesquelles les dépens peuvent être payés sur une caisse de retraite. Au bout
du compte, elle a déterminé que les frais supportés par les participants dans cette affaire ne devaient pas être
réglés par le régime. La Cour suprême partage l’avis de la Cour d’appel, selon laquelle les dépens ne sont pas à
la charge du régime lorsque le litige est contradictoire et ne porte pas uniquement sur la bonne administration de
la caisse de retraite.
De plus, il faut tenir compte, sur le plan économique, du fait non négligeable que l’employeur qui crée une caisse
de retraite est censé ne pas cesser y cotiser. Par conséquent, le prélèvement des dépens sur la caisse de retraite
risque de priver l’employeur d’un excédent de caisse et ainsi d’avancer le moment où il doit recommencer à
verser des cotisations. Seul l’avenir le dira, mais il ne serait pas étonnant d’assister à une diminution du nombre
des poursuites intentées par les participants à des régimes de retraite, lorsqu’ils risquent de devoir acquitter euxmêmes les dépens élevés de l’action.
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Norme de contrôle
Dans une sorte de volte-face en ce qui concerne la retenue judiciaire dont il faut faire preuve à l’égard du TSF, la
Cour suprême a distingué l’arrêt Monsanto de la présente affaire et a conclu que la décision du TSF quant à
l’interprétation du régime ne devait être que raisonnable et non correcte. Cette décision sera sans aucun doute
bien accueillie par les vrais spécialistes en la matière, qui siègent d’innombrables heures au TSF et dont les
décisions auront ainsi une plus grande autorité.
Conclusion
Le dernier chapitre de la saga Kerry fera sans doute l’objet de vives discussions au cours des prochaines
semaines et des prochains mois, voire des années à venir. Mais les employeurs peuvent finalement pousser
un soupir collectif de soulagement. Essentiellement, tant que les documents du régime le permettent, les
promoteurs de régimes n’ont plus à mettre en doute la validité de l’interfinancement ou le paiement des frais du
régime sur la caisse de retraite. En fait, comme les frais peuvent être réglés par prélèvement sur le régime, les
promoteurs devraient dorénavant être en mesure de récupérer sur la caisse de retraite les frais des services
administratifs raisonnables et nécessaires qu’ils rendent eux-mêmes. Enfin, les promoteurs de régimes seront
aussi soulagés d’apprendre que même si le texte de leur régime n’est pas parfait, cela n’aura pas toujours des
répercussions catastrophiques.
Certains soutiendront sans doute que l’arrêt Kerry ronge davantage le filet de sécurité des employés qui
participent à des régimes de retraite comportant à la fois des volets PD et CD. Mais en bout de ligne, l’arrêt Kerry
pourrait favoriser le maintien d’un plus grand nombre de régimes PD et/ou CD, étant donné que, grâce à cette
décision, ces régimes pourraient s’avérer avantageux pour beaucoup de promoteurs.
Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec votre représentant de Stikeman Elliott,
les auteurs ou tout membre de notre groupe de l’emploi, du travail et des régimes de retraite dont les
coordonnées figurent au www.stikeman.com.
1
Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39.
Il a été statué dans l’arrêt Monsanto que le TSF ne disposait pas d’une expertise particulière dans l’interprétation de la Loi sur les régimes de retraite. Par
conséquent, la Cour suprême a décidé dans cette affaire que, selon les règles générales du droit administratif, les décisions du TSF devaient être examinées
selon la norme rigoureuse de la décision « correcte » plutôt que selon la norme de la « raisonnabilité », qui commande la déférence.
2
3
La décision de la Cour suprême dans l’affaire Kerry est unanime en ce qui concerne toutes les autres questions.
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