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Liège, vue par ses ingénieux entrepreneurs La FABI a tenu son Assemblée générale à Liège ce 22 avril 2014. La deuxième partie de cette soirée a vu apparaître sur l’estrade «trois dirigeants d’entreprise aux parcours particuliers mais qui ont en commun d’aimer leur métier et de vouloir lutter contre ce climat morose», selon les mots de Jacques van Vyve. Et, dans la foulée, il rappelle aux jeunes ingénieurs présents dans la salle que ces capitaines d’industrie sont certainement en quête de talents frais... Trois hommes, trois entreprises À l’invitation de Guy Legrand, ex-Rédacteur en Chef du Trends-Tendance, qui arbitre ce soir-là questions et réponses, Yves Prete, Administrateur Delégué et Directeur Général de TechspaceAero ouvre les présentations : après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur civil à l’ULB, celui-ci est entré à la division «moteurs d’avion» de la Fabrique nationale (oui oui, la FN fabriquait également des moteurs d’avions!). Les moteurs d’avion ont été le fil conducteur de sa carrière, une carrière qui l’a entre autres mené en Chine dans les années 2000 et, depuis 2010, à la tête de Techspace Aero. Cette société, qui fait partie du groupe Safran, conçoit, développe et produit des modules, des équipements et des bancs d’essais pour les moteurs aéronautiques et spatiaux. «Notre ADN, c’est le savoir-faire technique» expose Yves Prete. Ce savoir-faire est visiblement très apprécié à l’étranger puisque toute la production de Techspace Aero est exportée! Techspace Aero se donne aussi les moyens de rester à la pointe: 20% du chiffre d’affaires est réinvesti en recherche et développement. «On travaille au moteur du futur, moins polluant, moins bruyant», explique Yves Prete. Notons au passage que le chiffre d’affaires a augmenté de 60% entre 2010 et 2013, pour atteindre 507 millions d’euros. Pierre Rion, lui, est à la tête du conseil d’administration de EVS Broadcast Equipment, dont les serveurs vidéos enregistrent et traitent les images professionnelles, pour le sport ou les événements d’actualité par exemple. Le coup de génie des trois fondateurs liégeois aura été d’utiliser un disque dur pour les enregistrements, bien plus rapide que la bande magnétique que tous utilisaient jusque là. Aujourd’hui, plus de 1000 chaînes de télévision recourent aux services de EVS Broadcast Equipment. La société envoie d’ailleurs 50 ingénieurs au Brésil pour un mois lors de la Coupe du Monde: «le chiffre d’affaires varie en fonction des événements sportifs» relève Pierre Rion. Comme Techspace Aero, EVS Broadcast Equipment exporte: seuls 2% de sa production trouvent preneur en Belgique... Patrick Scarpa est Technical Manager d’Euro-Diesel, à Grâce-Hollogne. Cette société a développé un système de stockage de l’énergie cinétique, le «No-Break KS», par lequel l’alimentation en électricité peut être protégée des coupures. Il va sans dire que cette innovation est particulièrement bienvenue dans une foule de services quotidiens: centres informatiques, pharmacies, transports, la liste est longue. Par exemple, l’alimentation du Tunnel de Cointe, qui traverse la ville de Liège, est protégé par quatre de ces machines. Reuters ou Citibank ont aussi recours aux services d’Euro-Diesel. Des moteurs d’avion aux enregistrements vidéos d’événements, en passant par l’alimentation en électricité: les interventions se suivent et ne se ressemblent pas? Pourtant, si: ces trois hommes ont en commun de développer des produits innovants, qui répondent à une demande précise; d’avoir fait valoir cette technique à l’international; de créer de l’emploi dans la région de Liège. «Comment en êtes-vous arrivés là?» interroge Guy Legrand. Yves Prete, pragmatique, dit que son arrivée aux commandes de Techspace Aero est «due au hasard: les cadres m’ont repéré comme un bon manager, alors que j’avais un profil de technicien - serait-ce mon passé de joueur de rugby?» Pierre Rion, lui, dira que «mon ressort, c’est d’aimer ce que je fais, ma région». Dans son parcours aussi, on voit que l’homme a su saisir les opportunités, quelles que soient le visage sous lequel celles-ci se présentent: «j’ai fait le service militaire. Nous étions très peu payés à l’armée et j’ai donc créé ma boîte en parallèle, que j’ai par la suite bien revendue à IBM». Pierre Scarpa est passé du FNRS à l’industrie. Le parcours est peu commun mais finalement guidée par une curiosité mêlée de bon sens: «on m’a approché et le produit correspondait à ma sensibilité. J’avais de la curiosité pour le monde de l’industrie: j’étais donc prêt à quitter celui de la recherche pour le découvrir». Liège, ville industrielle ... de hier à aujourd’hui? Si Pierre Rion dit être attaché à sa région, Yves Prete, lui est arrivé à Liège depuis Bruxelles pour Techspace Aero. Tous trois cependant y sont des créateurs d’emploi. Ils en soulignent quelques atouts de poids: la position géographique favorable, le multilinguisme et la qualité des écoles, dont les ingénieurs sortent bien formés. Enfin, le pouvoir régional soutient l’entrepreneuriat. Mais Yves Prête déplore la mauvaise lecture qui est faite du passé glorieux de Liège: «on oublie que ce passé glorieux était dû à des ingénieurs brillants, à des Cockerill. Et, quand on regarde dans le rétroviseur, on n’y voit que la lutte des classes. On négocie ici comme il y a 150 ans». Pierre Rion renchérit: «ce n’est pas si facile d’attirer ici des profils de hauts niveaux puisque leurs salaires y sont comparativement bas». Patrick Scarpa s’interroge sur l’image de l’industrie: «a-t-on bien conscience de sa présence?» À Liège, il y a 20% de chômage... mais il y est extrêmement difficile de trouver des ouvriers qualifiés, apprend-t-on. Et nos conférenciers s’accordent à dire que l’enseignement, c’est la clé de tout. À lui aussi de nourrir l’esprit d’entreprendre. Les programmes d’apprentissage peuvent se révéler précieux à cet égard. De l’autre côté de la frontière, les Mittelstand mettent un point d’honneur à former leur personnel, une pratique qui se retrouve aussi dans les cantons de l’Est. Techspace Aero intègre également des apprentis «mais ce n’est pas si facile à mettre en place: tes enseignants n’y sont pas toujours favorables.» Pierre Scarpa renchérit: «il faut qu’il y ait un intérêt réciproque, côté stagiaires et côté entreprise». Une industrie forte permet à une région de faire preuve de résilience en temps de crise, expliquent les trois hommes. Comment définit-on une industrie forte? S’appuyant sur leur expérience, les conférenciers avancent que la clé, c’est de développer une industrie de niche, créative, qui se rende à la fois indispensable et compétitive. «Ce que les Allemands ont», souligne Yves Prete. Pierre Rion ajoute que, toujours chez nos voisins, «les partenaires sociaux sont réellement des partenaires», constructifs comme des partenaires se doivent de l’être. Qui seront les ingénieurs-entrepreneurs de demain? Si l’Allemagne semble rafler tous les lauriers, les trois ingénieurs saluent la qualité technique de la formation des Belges. Yves Prete - inspiré par son propre parcours, du rugby à l’usine? - va plus loin: être un bon technicien, c’est bien. Un bon technicien qui se double d’un gestionnaire, c’est encore mieux. Aussi, aller voir ce qui se passe à l’étranger peut être très formateur, estiment les trois ingénieurs. Visiblement, le parcours d’ingénieur, s’il est prometteur, est aussi exigeant, d’où l’importance d’attirer et de motiver les jeunes! Comment? À nouveau, les trois conférenciers insistent sur le rôle-clé de l’enseignement dès les plus jeunes années. C’est dans les salles de classe que les étudiants apprennent et deviennent capables de poser les choix qui leur conviennent vraiment - des choix nourris par des exemples inspirants et non limités par un manque d’(in)formation. À cet égard, Jacques van Vyve relève que l’examen d’entrée ne doit pas être perçu comme un filtre mais comme une occasion d’asseoir son choix et de nourrir son appétence pour le travail. On l’a dit, le pouvoir régional soutient l’entrepreneuriat. L’aide et les subventions en tous genres existent et elles ne sont pas si difficiles à obtenir de certains organismes. Mais on a tout intérêt à les compléter par le coup d’oeil avisé de business angels qui s’impliqueront dans l’aventure avec leur expérience et leur carnet d’adresses, recommandent encore les trois dirigeants d’entreprise. Et la FABI face à toutes ces questions? Une intervenante souligne que les ingénieurs sont moins bien payés et considérés maintenant qu’avant... => tous les deux ans, la FABI organise des enquêtes où les questions de rémunération sont abordées. Entre 2500 et 3000 personnes y répondent. Une plateforme de discussion entre employeurs et diplômés serait-elle un projet à considérer? Une remarque constante unit tous les intervenants: à l’enseignement de donner au plus tôt le goût des sciences, du travail et de l’esprit d’entreprendre. => Comment donner le goût des sciences aux jeunes, si ce n’est en regroupant toutes les initiatives déjà existantes?