Deux vies professionnelles au service du collectif

Transcription

Deux vies professionnelles au service du collectif
Entretien de Henri et Lucette Laterrot
réalisé en 1997, revu par les témoins en 2010
Deux vies professionnelles au service du collectif
Note : Les témoins signalent que les extraits présentés ici ne constituent pas un discours construit et ne peuvent en aucun cas
être utilisés comme des citations.
De l’amicale à l’ADAS
Lucette Laterrot - On a été intégrés à un Centre qui se créait. On était jeunes tous,
c’est vrai. En même temps, on avait envie que cela marche à tous points de vue, que
ce soit dans le travail, syndical, que ce soit l’Amicale, l’ADAS. Il y avait une volonté
de tous et à tous les niveaux, de faire quelque chose de ce Centre. A part nous qui
venions de Versailles, mariés, tous ceux qui sont arrivés à la station d’Amélioration
des Plantes, parmi les chercheurs, étaient des gens célibataires.
Henri Laterrot - Ici, cela faisait un peu désert quand même. C’est pour cela qu’on
s’est dit qu’il faut faire quelque chose.
(…) Par exemple, en 1959, il n’y avait pas de bibliothèque ici. Pécaut raconte cela
dans un petit livre… « L’homme à la valise »… Je me suis dit que la CGT pouvait
me donner un peu d’argent pour acheter des livres. Il fallait quand même faire
quelque chose, il n’y avait pas de bibliothèque comme maintenant, non plus. C’était
fermé quand vous arriviez à Avignon. Il y avait beaucoup de célibataires logés. La
CGT m’a donné un peu d’argent, j’avais une vieille valise, j’ai mis les bouquins
dans la valise. Une fois par semaine, j’allais à la cantine, j’ouvrais la valise. Après, il
y a eu deux valises ; puis l’administration locale m’a donné un placard.
Lucette Laterrot - C’était des livres de loisir, c’était une bibliothèque de loisir.
Henri Laterrot - Ensuite, cette bibliothèque a été un peu la raison pour laquelle
après, on a dit qu’on va créer l’Amicale.
(…) A cinq ou six, on a créé l’Amicale. On louait un car pour aller à la neige au
Ventoux, on faisait des fêtes déguisées…
Lucette Laterrot - On faisait des sorties familiales, on est allés au Sambuc, on est
allés un peu partout, on emmenait les gens…
Henri Laterrot - Visiter la Camargue,… les oiseaux… L’Amicale, on avait commencé
en 1960, 1961… Oui, en hiver 1960, 1961 par là… C’était un besoin. Comment
pouviez-vous aller au Ventoux à l’époque, par exemple faire du ski ? Il n’y avait rien.
On louait un car et à nous tous, on pouvait y aller comme cela.
Lucette Laterrot - Grâce à l’Amicale, il y a eu les premiers arbres de Noël aussi.
L’Amicale, c’est quand même l’INRA qui finançait cela, bien avant l’ADAS. On a fait
notre premier arbre de Noël en 1960. Certains disaient : « Non, on ne doit pas utiliser
l’argent à acheter des jouets etc. », mais c’était très important de faire un arbre de
Noël. Cela permettait à tous les gens de se retrouver. On aimait bien vivre ensemble.
Malgré qu’il y ait des luttes, qu’il y ait ci, qu’il y ait là, on aimait bien se retrouver. On
faisait des fêtes pour le carnaval, pour Noël.
(…) J’ai été responsable de la Commission vacances dès la première année de
l’ADAS, au niveau national et pendant sept ans. J’ai fait les premiers achats de tous
les lits, tous les centres. En étant une femme et en étant responsable de la
Commission vacances, et d’aller dans tous les comités d’entreprises, tous les
centres de vacances existants, on ne me prenait pas au sérieux parce que j’étais une
femme. Les choses ont terriblement changé. A l’époque, cela se sentait.
L’activité syndicale
Henri Laterrot - Un jour, l’administrateur, Monsieur Ferron, a dit : « On va passer
aux 40 heures. On a une pression, vous faites vraiment les 40 heures. » On avait
commencé à s’organiser pour dire oui, mais en cinq jours : « On est d’accord de faire
les 40 heures dans cinq jours. On ne va pas continuer à faire cinq jours et demi. »
C’est comme cela qu’on est passé à cinq jours. Ici, il y avait un petit noyau, le
syndicat CGT il n’y avait que cela.
(…) En arrivant, je n’étais pas syndicaliste à Versailles, mais là, en voyant
l’isolement, et puis, commençaient à apparaître quelques petits chefs quand même,
déjà, qu’il fallait un peu contrôler.
Lucette Laterrot - Les notes de service n’étaient pas affichées. (…) On avait
l’habitude d’avoir les informations de l’administration quand on était à Versailles.
Quand on est arrivés ici, tout ce qui était considéré comme sans importance – il y
avait beaucoup de choses qui n’avaient pas d’importance – n’était pas affiché.
Henri Laterrot - Cela semblait normal pour les gens d’ici.
Lucette Laterrot - Les gens qu’on avait recrutés sur place ne se rendaient pas
compte que l’INRA dépendait du Ministère de l’Agriculture, qu’il y avait Paris... Eux,
ce qui existait, c’était leur Directeur et ce qui les entourait. Ils ne se rendaient pas
compte de la nécessité et ils ne savaient même pas que des notes de services
existaient et qu’il fallait qu’elles soient affichées, quelles qu’elles soient. Là, il y a eu
une lutte qui a commencé. Ces notes n’étaient pas affichées, et c’était fait sciemment
par des gens qui venaient de Versailles et qui avaient vu que c’était affiché (à
Versailles). C’est cela qui était très drôle, c’était incompréhensible.
Cela a poussé des gens qui ne voulaient pas se battre, ni imposer quelque chose, ni
se syndiquer, cela les a poussés à se syndiquer. Cela a poussé aussi ces gens à se
dire : « Un syndicat, ce n’est pas suffisant. » Entre autres, c’est mon mari qui a dit
cela.
Henri Laterrot - J’ai invité la CFTC (la CFDT de l’époque) à venir ici. (…) j’ai
contacté Marrou ; Il devait être un des responsables de la CFTC.
Lucette Laterrot - C’était un des responsables de la CFTC à Versailles, et mon mari
lui a écrit en lui disant : « Ce n’est pas possible, il n’y a que la CGT, et quand il n’y a
qu’un seul syndicat, tout ce qu’ils disent, c’est du pain béni et ce n’est pas vrai. Il faut
toujours qu’il y ait une contradiction. Ce qui est important, c’est que les gens se
syndiquent, quel que soit le syndicat, mais qu’ils soient syndiqués. » Marrou a fait le
nécessaire. Il a fait une réunion, il est venu. Le syndicat CFTC est apparu sur le
Centre. Après, il y a eu la scission CFTC, et la CFDT est apparue, mais au départ, il
y avait la CGT, puis il y a eu la CFTC. Il y avait deux syndicats sur le Centre. A la
suite de ces deux syndicats, il y a eu plein de choses qui se sont mis en place, entre
autres, le Comité d’hygiène et de sécurité, plein de choses.
Henri Laterrot - Il y avait un petit problème dans les relations, c’est le fait qu’à
l’époque, il y avait les contractuels, les chercheurs, les scientifiques. Les
scientifiques appartenaient au cadre fonctionnaire. Il y avait les techniciens et les
secrétaires qui étaient contractuels, et puis il y avait les ouvriers agricoles qui étaient
mutualistes social/agricole et ils faisaient 48 heures. Ces ouvriers agricoles avaient
été recrutés localement. Eux, avaient une vie souvent plus facile que les techniciens,
en fait. Souvent, ils quittaient l’agriculture - on commençait ici à avoir des petits
problèmes de surface, modernisation etc.… Des fils d’agriculteurs qui avaient été
contents d’entrer à l’INRA mais qui avaient quand même des terres pour construire
leur maison ou un appartement déjà, avec la famille, ou même des agriculteurs
assez jeunes qui avaient quitté, parce qu’on construisait, la ville s’agrandissait...
(…) Il y a eu des luttes pour qu’il y ait un seul statut.
(…) La première lutte a été pour que ces gens soient intégrés – c’était les années 70.
Intégrer les ouvriers agricoles en 1972 par là. En 1974, le statut, je crois…
L’intégration totale… cela a duré des années. L’intégration des ouvriers agricoles a
été une mobilisation importante. Ils étaient d’accord, comme cela, ils faisaient 40
heures aussi, en même temps.
Lucette Laterrot - En 1968, on a eu des grèves très importantes, y compris avec
nos directeurs.
(…) Tout le monde faisait grève et on a créé des commissions, entre autres, la
réorganisation de l’INRA. Mon Directeur faisait partie de la même commission que
moi. On a travaillé à essayer de restructurer l’INRA ; de créer des instances qui
n’existaient pas, entre autres, les Conseils scientifiques, les conseils de stations, de
centres, etc. Les gens n’étaient pas grévistes chez eux, ils étaient grévistes sur le
Centre. Cela veut dire que les gens travaillaient dans des commissions ou
travaillaient à maintenir les plantes, à entretenir, à ne pas abandonner le matériel qui
était utile et nécessaire pour la poursuite des recherches.
(…) Il y avait aussi une chose qu’on réclamait en 1968. C’est que le supplément
familial soit égal pour tout le monde. C’est-à-dire que si nous, nous avions deux
enfants, le supplément familial était supérieur au supplément familial d’un ouvrier
agricole. Si vous étiez Directeur de la station… C’était hiérarchisé. On trouvait cela
inadmissible. Tout le monde était d’accord, les chercheurs aussi. Cela a fait partie
d’une revendication de 1968, mais c’était surtout les structures de l’INRA, la
conception, comment on devait tourner. On a combattu un peu le mandarinisme, y
compris nos Directeurs qui, par moment, étaient des mandarins locaux. Ils avaient
les mandarins au-dessus qu’ils combattaient.