Les révélations, les expériences et les réflexions personnelles d`une

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Les révélations, les expériences et les réflexions personnelles d`une
Perspectives
Les révélations, les expériences et les
réflexions personnelles d’une aidante
naturelle au sujet de la MA
Roberta Bedard est une aidante naturelle pour son mari atteint de la maladie
d’Alzheimer (MA). Elle a écrit de nombreux articles humoristiques et touchants
sur son expérience personnelle, et elle a gentiment accepté que nous fassions
paraître ses articles dans la Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer. Ses
écrits permettent aux lecteurs de partager son parcours d’aidante, donnent un
aperçu très humain de la maladie et stimulent la réflexion sur le sens profond de
la vie et de l’amour.
Dans le présent article…
Roberta souligne la valeur et l’importance de considérer toute personne – malade ou
en santé – comme un être humain. Puis, elle raconte avec beaucoup de verve son
incident « Madame Blancheville » qui l’a amenée à réfléchir et à redéfinir ses priorités.
ChapITRE 3
par Roberta Bedard
Validation
Aujourd’hui, Ray m’a raconté que,
lorsqu’il est couché, seul, il se sent
déprimé et les mêmes pensées l’assaillent constamment. Il m’a expliqué
qu’il a besoin de croire qu’il est là
pour une raison, qu’il a quelque
chose à faire ici, qu’il peut être utile
et qu’il a sa place dans ce monde.
Quand je lui ai répondu « qu’il a sa
place dans notre couple, auprès de
moi », il s’est senti rassuré.
Ces propos m’ont rappelé ce
qu’on nous a appris sur la façon de
venir en aide aux personnes atteintes
de la maladie d’Alzheimer (MA),
notamment en reconnaissant ce
qu’elles ont accompli par le passé. Il
est bon de parler de ce qu’elles
étaient auparavant, de réitérer l’importance de leurs contributions –
bref, de rappeler ce qu’elles ont fait
de bien.
Toutefois, je pousse ma réflexion
plus loin…
Lorsque nous rappelons à un être
cher atteint de la MA ses contributions
passées et leur valeur, confirmonsnous dans une certaine mesure que sa
contribution actuelle n’est pas tout
aussi importante? Quand je dis à mon
mari combien il est essentiel à mon
bien-être aujourd’hui, je sens que ces
mots le réconfortent profondément.
Son visage se détend, ses yeux brillent
et avec un sourire il me répond : « Je
suis content de t’avoir parlé ». Ray est
encore capable d’exprimer ses émotions, et j’ai bien l’intention de me rappeler ce souvenir précieux lorsque la
maladie l’empêchera un jour de dire
ce qu’il ressent.
20 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Janvier 2004
À ce moment-là, je compte bien
lui dire, dans des mots qu’il pourra
comprendre, combien il reste toujours
important à mes yeux. Je ne lui dirai
pas qu’il a été important pour moi
autrefois, mais plutôt qu’il est, dans le
moment présent, un être humain
précieux.
Si nous sommes capables d’aimer
un enfant « inutile » simplement
parce qu’il est là et qu’il est notre
enfant et si nous pouvons aimer un
chat qui – Dieu du ciel! – ne demande
rien d’autre qu’à être nourri et qu’à
avoir une litière propre, nous pouvons
sûrement convaincre les personnes
atteintes de la MA qu’elles ont leur
place dans notre vie et dans notre
société. Il importe que ces personnes
n’éprouvent pas unique un sentiment
de dépendance, mais aussi le senti-
ment de leur propre valeur, aujourd’hui
et demain, malgré la maladie.
Je suis convaincue que ce processus de validation doit être amorcé dès
que possible, avant que les sentiments
de dévalorisation soient ancrés dans
leur esprit. Nous avons la responsabilité de percevoir la valeur de
chaque être humain dans son ensemble et d’accorder à la personne
présente la même importance.
« Madame Blancheville »
J’ai enfin trouvé le moyen de surmonter mes sentiments de honte et de culpabilité causés par mon incapacité à
garder ma maison parfaitement propre
tout en assumant mes rôles d’épouse
aimante, de mère, de compagne, d’infirmière, de cuisinière, de physiothérapeute et d’aidante naturelle auprès de
mon mari, et ce, en restant relativement saine d’esprit et en me réservant
des moments pour moi.
J’ai arrêté d’essayer de battre
madame Blancheville, la ménagère
parfaite, sur son propre terrain. Quel
soulagement!
J’ai pris cette décision alors que je
venais de réprimander bêtement Ray
parce qu’il avait « osé » déposer une
cuillère sale sur le comptoir de la cuisine. Je lui ai hurlé : « Je viens d’essuyer le foutu comptoir! » Pauvre
homme! Il est resté là, honteux et
muet, croyant avoir commis quelque
terrible méfait. Le pas traînant, il a
quitté la cuisine pour aller s’asseoir sur
le divan, le regard vague, en prenant
garde de ne plus faire de « bêtises ».
J’ai senti mon cœur se briser.
Ce n’était pas ce que je souhaitais
pour nous. Ni pour lui ni pour moi.
« Je ne peux pas tout faire! », me
suis-je dit, avant de céder à une crise
aiguë d’apitoiement sur mon sort. J’ai
pleuré parce que je me sentais
coupable et frustrée. Je ne pouvais
plus continuer comme ça.
Heureusement, je suis une femme
très pragmatique, même dans les
mauvais moments. Je me suis donc
demandé ce que je n’étais plus capable de faire exactement. J’ai réfléchi :
« Je suis heureuse et satisfaite de faire
tout ce qu’il faut afin d’être une
bonne épouse pour Ray. J’aime faire
du bénévolat et j’ai plaisir à assister
occasionnellement à une réunion du
club Rotary. J’adore aller manger et
rigoler avec une amie. Je réussis à
faire tout ça, et même à faire une
sieste chaque jour. La seule chose que
je déteste, c’est faire le ménage. »
« Alors, pourquoi ai-je tant de difficulté à cesser de faire la plupart de
mes tâches ménagères? Est-ce si important que les fenêtres brillent, sauf
aux yeux des voisins? » En réalité, il
me suffisait d’abaisser un peu mes
standards de propreté, c’est-à-dire
préserver l’hygiène et la sécurité pour
que le Comité de la salubrité ne se
pointe pas. Mais « hygiénique et propre » ne veut pas dire « parfait et
impec »! Le désordre est acceptable
dans certaines limites, et la maison n’a
pas besoin de toujours être « nickel »
pour les visiteurs.
J’ai eu beaucoup de difficulté à respecter ma décision. Ma mère pouvait
repérer un fil sur la moquette à 20 pas.
À son avis, non seulement le travail
doit être bien fait, mais cela doit se voir
qu’il est bien fait. Je suis bien sa fille,
car je suis le genre de personne qui
note à l’aide de Microsoft OutlookMD
des rappels pour toutes les tâches à
effectuer chaque jour, chaque semaine,
chaque mois et chaque année. Si toutes
ces tâches sont exécutées régulièrement et correctement, il est possible de
garder une petite copropriété en parfait
état assez facilement.
Cependant… je vous l’ai dit, je déteste faire le ménage. J’adore que tout
brille, mais je suis née pour avoir des
domestiques (remarquez le pluriel – il
m’en faudrait au moins deux) qui me
libéreraient de ces tâches. Faire le
ménage me rend irritable et impatiente, un état peu souhaitable quand
l’homme de votre vie souffre de la
MA. De là, ma décision.
Désormais, nous regardons la télévision ensemble, main dans la main,
sans nous inquiéter de la pile de vêtements sur la chaise et des taches sur
le tapis. Je n’écris pas mon nom dans
la poussière sur les meubles – je
pourrais parfois construire de petits
forts! Aujourd’hui, j’ai le temps de
préparer d’excellents repas et de
fouiller dans mes livres de recettes
pour dénicher de bons petits plats afin
de varier le menu. Je prends tout le
temps qu’il faut pour les soins des
yeux et des pieds. J’ai enfin le temps
de m’asseoir, d’écouter et d’apprécier
cet homme merveilleux que j’ai
épousé – Alzheimer ou pas. Mon
mari sourit plus souvent, et moi aussi.
Il m’arrive même de rire aux éclats!
Je sens parfois le fantôme de ma
mère derrière moi qui me regarde d’un
air courroucé. J’éprouve encore une
certaine nervosité lorsqu’un visiteur
arrive à l’improviste. Je n’arrive pas à
oublier tout à fait mon éducation stricte,
et je ne peux m’empêcher d’avoir honte
ou, à l’occasion, d’avoir l’impression
d’être une piètre maîtresse de maison
parce que je n’arrive pas à tout faire.
Mais j’ai fait un choix.
Madame Blancheville est découragée? La maison est poussiéreuse?
Si c’est une question de choix – et
c’en est une pour moi – alors, ce
choix est évident. La vie est trop
courte pour que je consacre mon existence à chasser la poussière.
Ne manquez pas le chapitre 4,
« Vous, moi et le revenant », dans le
prochain numéro de la Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer.
La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Janvier 2004 • 21