Sous le match nul entre les approches en psychothérapie : les

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Sous le match nul entre les approches en psychothérapie : les
Sous le match nul entre les approches
en psychothérapie : les facteurs communs
Efficacité de la psychothérapie
Par
Yves Gros-Louis
M. PS.
Tant que les lions n’auront pas leurs historiens,
les histoires de chasse vont toujours
glorifier le chasseur.
(Proverbe africain)
D
le début des années 1960, le champ de la psychothérapie est en constante évolution, si bien que le
nombre de modèles de psychothérapie est passé de 60
à plus de 2501. En plus d’être inondé d’approches, le psychologue est bombardé de travaux sur la validité ou la supériorité de
telle ou telle technique appliquée à tel ou tel problème. Comment s’y retrouver comme clinicien dans cette mer d’information ?
Le but de cet article est de résumer les résultats qui ressortent
des nombreuses revues de la littérature portant sur la psychothérapie et son efficacité, et ce, afin de rendre ces données accessibles au psychologue clinicien. Les implications cliniques de ces
résultats seront aussi abordées de façon à ce que le clinicien
puisse ajuster sa pratique.
EPUIS
Première bonne nouvelle ! La recherche établit clairement
que la psychothérapie est efficace1-8. Cette conclusion s’appuie sur de multiples revues de littérature et de nombreuses
méta-analyses (analyses statistiques résumant les données de
plusieurs études) couvrant 60 ans de travaux sur des milliers
de personnes présentant un vaste éventail de problèmes traités par une grande variété d’approches1-8. L’ensemble des
méta-analyses conclut que la « personne traitée moyenne »
manifeste plus de signes de guérison que 80 % des personnes
non traitées4,8.
Cette bonne nouvelle est renforcée par le fait que la voie
de la guérison n’est pas longue. En effet, une méta-analyse6
établit que l’état de 50 % des clients s’améliore de façon significative après aussi peu que 8 à 10 rencontres ! Elle témoigne aussi de tels progrès observés pour un autre quart
(25 %) des clients après 26 sessions ou 6 mois de traitements
hebdomadaires. Une autre bonne nouvelle : les progrès se
maintiennent dans le temps2,4,6. Une revue de littérature exhaustive conclut que le succès a tendance à se maintenir
davantage chez les clients qui attribuent le progrès à leurs
propres efforts4.
Quant à l’efficacité différentielle des approches, nous
pouvons compter sur une preuve très solide, car la grande majorité des travaux de recherche en psychothérapie porte sur ce
sujet1,2,8. Il y a « match nul » entre les différents modèles de
.Supervision en expertise psycho-légale.
.Cour supérieure et Tribunal de la Jeunesse.
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Test de Rorschach
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psychothérapie1-8. Même si certains travaux font état d’un
léger écart entre les approches, ce dernier peut s’expliquer
par le degré de confiance des thérapeutes en leurs méthodes, lequel est un élément plus important que les approches elles-mêmes8. Quant à la supériorité de l’approche
cognitivo-comportementale relevée par certaines études, elle
s’éclipse quand les biais expérimentaux favorisant ce modèle
sont éliminés1,2,4,8.
Les facteurs communs
Quelques hypothèses ont été avancées pour expliquer ce match
nul. Toutefois, l’une d’elles a retenu le plus l’attention des chercheurs2,4,7,8 : les approches possèdent des facteurs communs qui
sont curatifs même s’ils ne sont pas essentiels à la théorie de
changement prônée par les diverses écoles de psychothérapie.
De plus, une revue de littérature récente et exhaustive8 a écarté
toutes les autres hypothèses et a estimé que 92 % de la variance
totale est due aux facteurs communs.
Selon Lambert9, les facteurs communs se répartissent en
quatre groupes : le client (changement extra-thérapeutique), la relation thérapeutique, l’espoir (effet placebo) et la méthode d’intervention. Dans un effort sans précédent pour chiffrer ces variables, il a conçu le graphique reproduit ci-dessous9. Même si
non validé sur le plan statistique, celui-ci a été largement repris
Figure 1
dans la littérature car les méta-analyses tendent à confirmer ces
chiffres1,3,7,8.
Facteur client (changement extra-thérapeutique)
La recherche est formelle : l’élément le plus important du succès
de l’intervention est le facteur client1-3,7,11. Ce facteur est composé
en partie par des caractéristiques du client (ses forces, sa motivation, son habileté relationnelle, la nature et la gravité de ses
problèmes) et en partie par l’environnement (le soutien reçu, les
événements fortuits). Comme l’indique ce graphique, cet élément
explique 40 % des changements en psychothérapie. Ces chiffres
sont tirés de l’ensemble de la littérature faisant état de milliers
de recherches9, mais aussi des données sur la rémission spontanée4,7, sur le changement des personnes non traitées4,6, avant le
début du traitement1,7,10 et avec l’usage de livres ou de programmes informatiques7. À titre d’exemple, on estime que plus
de 60 % des clients amorcent des changements avant leur première entrevue1,3,7 et que plus de la moitié recourent à une autre
forme d’aide pendant leur thérapie1,3,7,10.
Ainsi, plusieurs auteurs avancent que le véritable héros
du changement n’est pas le thérapeute, mais bien le client3,7.
Certains7 vont jusqu’à affirmer que 70 % du mérite du succès
devrait lui être attribué. Outre les 40 % décrits précédemment, ils lui accordent totalement le crédit du facteur espoir
(15 %) et la moitié des 30 % pour la création de la relation
thérapeutique.
Facteur relation thérapeutique
Espoir
(Effet placebo)
Méthodes
de traitement
Changement
extra-thérapeutique
(client)
Relation thérapeutique
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Selon plusieurs auteurs, la qualité de la relation thérapeutique
prédit le mieux le succès de l’intervention4,7,8,12. Il n’est donc pas
étonnant qu’elle explique 30 % du changement thérapeutique9.
Il existe un large consensus scientifique quant au fait que l’alliance amène le succès de l’intervention et non l’inverse2,4,6,8. La
période idéale pour jeter les bases de cette alliance est le début
du traitement car on sait qu’elle ne tendra pas à s’améliorer par
la suite1,8,12. C’est, en effet, la qualité de la relation établie entre
la troisième et la cinquième rencontre qui a la meilleure corrélation avec le succès2,8,12. Les thérapeutes et les clients perçoivent
différemment la relation1-3,7,8,10,12. Toutefois, la perception du client
est plus pertinente que celle du thérapeute ou d’un observateur
indépendant1-3,8,12.
La contribution du client et du thérapeute est nécessaire au
succès de l’alliance. En ce qui concerne le client, son implication
et sa collaboration prédisent mieux le succès que n’importe
quelle technique ou attitude du thérapeute1,3,7,8,12. Sa motivation
au changement, telle qu’évaluée par lui-même7, de même que
DOSSIER
son accord avec le thérapeute sur les buts de l’intervention7,8 sont
également associés au succès.
Quant au thérapeute, celui qui démontre plus de comportements positifs (chaleur, empathie et respect) et moins de comportements négatifs (blâme, jugement, ignorance, critique), tels
que perçus par le client, est le plus apte à développer une bonne
alliance1,2,8,12. D’ailleurs, le facteur thérapeute est beaucoup plus
important que toute technique5,8. Il est probable que certains
thérapeutes possèdent de meilleures habiletés pour stimuler
les facteurs communs1-3,7,8,12. Lorsque le client rapporte une relation insatisfaisante, le thérapeute doit alors aborder la situation
directement pour éviter la rupture12. La personnalité du thérapeute, plutôt que ses techniques, est alors déterminante pour
corriger puis maintenir une bonne relation8,12.
Facteur espoir (placebo)
Le troisième facteur commun expliquant 15 % des progrès de la
psychothérapie est le facteur placebo9. Celui-ci s’est révélé,
selon plusieurs méta-analyses, un traitement efficace en
soi1,4,6,8,13. Le client moyen recevant un placebo obtient de
meilleurs résultats que 66 % des personnes du groupe sans
traitement4,8. Le placebo ne contient pas un élément vital du
succès qu’est la confiance du thérapeute dans le traitement,
facteur beaucoup plus important que la méthode en soi8. Il est
donc prévisible qu’il soit moins efficace qu’un traitement visant
à être thérapeutique8.
Comme il n’est pas possible d’obtenir un véritable placebo en
psychothérapie4,8, un pionnier14 de la recherche sur les facteurs
communs lui a préféré le terme espoir. En 1973, il affirmait déjà
que les gens ne viennent pas consulter quand ils ont développé
un problème, mais plutôt quand ils ont perdu espoir de le résoudre14. La recherche démontre en effet l’importance de l’espoir
dans le succès, particulièrement lors des premières rencontres2.
Facteur méthodes d’intervention
Comme il a été rapporté précédemment, il y a match nul entre
les différentes méthodes d’intervention1-8. Lorsqu’une différence
apparaît entre deux modèles, ce faible écart peut s’expliquer par
la différence du degré de confiance des thérapeutes dans leur approche8. De plus, cet écart ne représente que 1 % de la variance
totale8, ce qui est bien loin des 15 % que représentent l’ensemble
du facteur méthodes. Les facteurs communs appartenant aux
méthodes sont donc beaucoup plus importants que leurs aspects
spécifiques8.
Plusieurs autres preuves viennent étayer cette affirmation.
L’application intégrale d’un manuel de traitement n’augmente
pas les chances de succès5,8, au contraire, une application trop
rigide nuit au développement des facteurs communs, surtout à
celui de la relation4,5. Étonnamment, il ressort que des composés
de la méthode sont aussi efficaces que la méthode complète5,8.
Enfin, le pairage de méthodes avec certaines caractéristiques des
clients ou avec certains types de problèmes n’augmente pas leur
efficacité8.
Implications cliniques de ces données
Le constat de 60 ans de recherche est clair : il est inutile de chercher à démontrer la supériorité d’une approche par rapport à
une autre1-5,7,8,11. L’attention des chercheurs et des psychologues
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devrait se tourner vers la compréhension des facteurs communs
aux approches1,3,7,8. La formation en psychothérapie devrait porter
principalement sur l’apprentissage de moyens pour stimuler les
facteurs communs2,4,7,12. Malheureusement, ce virage majeur est
difficile à prendre, car ces données, bien que très probantes, sont
encore contestées1,3,8,11.
Afin de favoriser le facteur client, de loin le plus important
dans le succès de l’intervention, le thérapeute devrait s’intéresser
à ses importantes forces de guérison. Le psychologue pourrait
questionner et encourager la résilience, les progrès faits avant le
début de la thérapie et entre chaque rencontre, de même que le
recours aux ressources de son environnement pouvant favoriser
la guérison1,3,11,15. Afin de faciliter le maintien des progrès, le thérapeute devrait en attribuer le mérite au client et, autant que
possible, minimiser son propre rôle1,3,11,15.
Pour créer une forte alliance qui contribue largement au
succès de l’intervention, le thérapeute ne peut se fier à sa propre
opinion1-3,8,12. Il devrait mesurer régulièrement la perception que
le client a de la relation, surtout en début de thérapie1-3,7,8,11,12.
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Ainsi, il pourrait construire une alliance qui convienne au
client1,3,7,12,15, adopter des comportements positifs favorisant la collaboration et la motivation de ce dernier1,3,11,15, mieux s’entendre
sur les objectifs de l’intervention1,3,12,15 et, enfin, réparer rapidement les bris d’alliance12.
Comme l’espoir constitue un facteur de réussite aussi important, sinon plus, que l’approche, le psychologue devrait s’assurer de susciter l’espoir chez le client, surtout lors des premières rencontres1-3,11,13,15. Pour ce faire, les meilleures stratégies
consistent à miser sur les compétences du client et à créer une
forte alliance1-3,11,13-15. Le thérapeute peut aussi éveiller l’espoir
dans la relation en manifestant sa confiance dans la guérison du client1,3,13-15 et dans ses méthodes d’intervention1,3,8,11,13,14.
Afin d’éviter d’envoyer des messages nuisibles, le psychologue
devrait mesurer le degré d’espoir en même temps que la qualité
de la relation13,15.
Quant aux méthodes, la littérature démontre que leur
impact n’est pas dû à leurs éléments spécifiques, mais plutôt à
leur façon de canaliser les facteurs communs1-5, 7,8. Le psycho-
DOSSIER
logue devrait posséder dans son coffre à outils plusieurs approches qui favorisent l’émergence des facteurs communs, les
choisissant selon la vision du changement du client1,3,5,7,14,15. Il devrait aussi manifester une grande confiance dans ses approches,
mais démontrer assez de souplesse pour les abandonner dès qu’il
n’y a pas de progrès, spécialement au cours des premières rencontres1,3,11,15. Enfin, il devrait structurer son intervention dans un
cadre à court terme1,3,11,15.
Yves Gros-Louis est psychologue en bureau privé et formateur.
Références
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Norton.
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Dans Bergin, A. E., et Garfield, S. L. (éd.). Handbook of Psychotherapy and Behavior Change (4th ed.). New York, Wiley.
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Bergin, A. E., et Garfield, S. L. (éd.). Op. cit.
11. Duncan, B. L., Hubble, M. A., et Miller, S. D. (1997). Psychotherapy with « Impossible » Cases. New York, Norton.
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Hubble, M. A., Duncan, B. L., et Miller, S. D. (éd.). Op. cit.
14. Frank, J. D. (1973). Persuasion and Healing : a Comparative Study of Psychotherapy. Baltimore, Johns Hopkins University Press.
15. Gros-Louis, Y. (2000). Les attitudes favorisant une thérapie brève et efficace.
Conférence prononcée au congrès de l’Ordre des psychologues du Québec.
Courtier exclusif de l’Ordre des psychologues du Québec
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