Le dialogue interreligieux

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Le dialogue interreligieux
Dialogue interreligieux
Dossier
Le dialogue
interreligieux
Dans notre monde caractérisé par la rapidité des
communications, la mobilité des peuples, il existe une
nouvelle conscience de la pluralité des religions. Elles
témoignent toutes des efforts déployés pour trouver
des réponses aux énigmes de la condition humaine.
Et toute religion authentique est essentiellement une
question de « rencontre », qu'il s'agisse de se rencontrer soi-même en sa profondeur, ou de rencontrer
Dieu quel que soit le nom qu’on lui donne.
Au cœur d’un dialogue vrai, il y a ce désir d’aller à la
rencontre de l’autre sachant que l’on est précédé par
un don qui nous dépasse et déborde l’intelligence que
nous en avons.
Il est important de souligner d’emblée le caractère
respectueux et pacifique du dialogue. Il s’agit d’un
éclairage réciproque, conduisant à une meilleure compréhension mutuelle et à un approfondissement des
dimensions religieuses de l’engagement de chacun.
Le respect de la liberté d’autrui, la reconnaissance des
fautes et la demande de pardon sont des conditions
indispensables à tout dialogue. La reconnaissance
de ses propres fautes par l’Église a été ouverte par le
Concile (cf UR 3, GS 19 et NA 4]). Signalons ici
l’importance capitale des demandes de pardon de
© IDkB
« Pour s’unir, il faut s’aimer, pour s’aimer il faut se reconnaître,
pour se reconnaître, il faut aller à la rencontre l’un de l’autre. »
Cardinal Mercier
Jean-Paul II, durant le Jubilé de l’An 2000. Il n’est pas
banal que le dialogue avec tous, qui a suivi, ait permis
à l’Église d’appliquer à elle-même cette reconnaissance
de l’humilité requise par tout dialogue. La liberté de
l’Église c’est d’annoncer le Christ qui libère et suscite
la paix des cœurs.
Dans ce dossier, nous avons d’abord donné la parole
à l’école. Comme l’indique Lucien Noullez, l’école
catholique constitue un creuset de cultures et de religions qui invite à vivre d’une culture commune.
France Caillaut, directrice d’école, et Bruno Derbaix,
enseignant, livrent leur expérience de terrain.
Paul-Emmanuel Biron montre, par ailleurs, comment
le Centre Pastoral de Bruxelles est engagé dans le dialogue interreligieux.
Tommy Scholtès relate le voyage de Mgr de Kesel,
Mgr Lemmens et du Rabbin Guigui, au Maroc, à la
rencontre des trois religions monothéistes.
Nous terminons avec l’expérience de dialogue lors du
colloque « juifs et chrétiens » sur le thème du « peuple
de Dieu ».
Pour l’équipe de rédaction
Véronique Bontemps
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Dialogue interreligieux
Multiculturalisme
à l’école
Dans le creuset de cultures et de convictions que constituent
souvent les écoles catholiques, on évoque volontiers le « dialogue interreligieux » ou « interculturel ». Ce dialogue est-il possible ? Jusqu’à quel point ?
catholique veille donc à se situer. Elle annonce et fait
connaître l’Évangile et la lecture que l’Église en fait.
Elle le propose à l’acceptation, à la confrontation ou
(j’aime le terme) à la dispute, au sens philosophique.
© Institut Dames de Marie, M.-L. Chmiel
À chacun sa dogmatique La lecture de l’Évangile engage. Elle représente et
met en scène l’humanité, le Dieu trinitaire et le salut
selon une dogmatique particulière. Contrairement à
ce qu’on pense, le « dogme » n’est pas un étouffeur de
la pensée, mais plutôt un éclat lumineux qui oriente la
foi (la foi tâtonnante) vers son accomplissement, et qui
permet de la penser.
Dans le creuset de l’école catholique, chaque jeune et
chaque adulte vient, de bonne foi, vivre la recherche
de sens en portant sa propre dogmatique. Le chrétien
dira, par exemple, que Jésus est le Fils de Dieu. L’athée
proclamera que Dieu n’existe pas et le musulman que
Dieu ne peut avoir de fils !
Une amitié commune, des projets communs
J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire ici même, l’école
catholique constitue un creuset de cultures et de
religions. Ce n’est certes pas le seul lieu où des jeunes
issus de diverses immigrations et traditions religieuses
se côtoient, mais c’est le seul, probablement, qui
les invite à vivre d’une culture commune (celle de
chaque école avec ses horaires, ses cadres, ses professeurs), le seul qui les confronte à un projet de vie
humaine, sociale et professionnelle et le seul, plus
spécifiquement encore, qui propose de recevoir du
sens, de le passer au crible de sa propre critique et de
le construire, sans appeler aux reniements des origines
culturelles ou des appartenances religieuses. L’école
catholique veut former des citoyens sans reléguer dans
la seule sphère privée les appartenances souvent fortes
et parfois explosives de ses élèves.
L’esprit critique prévaut donc à l’école catholique,
puisqu’elle doit démêler le culturel du religieux, tempérer les prosélytismes, donner droit au pluralisme et,
au fond, permettre à chacun d’approfondir et d’examiner sa croyance.
Ne pouvant vraiment croire en la neutralité – car la
neutralité supposerait une pensée sans histoire, sans
croyance, sans confession, sans enracinement – l’école
8 PASTORALIA – N°1 | 2014
Ces débats, et bien d’autres, pousseraient aux conflits.
Sauf s’il s’agissait, par exemple de s’entendre au sens
strict, c’est-à-dire de s’écouter mutuellement, de se
recevoir comme irrémédiablement différents en termes
de croyances, mais de s’accepter fraternels en termes
d’amitié ou de projets communs.
Rencontres au lieu de dialogues C’est pourquoi je préfère parler de rencontre inter
convictionnelles que de « dialogue » ; car le dialogue
suppose un déplacement des convictions, là où la
rencontre (plus forte que la « tolérance ») autorise et
encourage un vivre ensemble harmonieux et heureux.
Vivre ensemble, réussir ensemble les études, porter
ensemble des projets citoyens ou solidaires peut
susciter une joie, un enthousiasme, dès lors que chacun sait qu’il sera respecté dans son vécu, dans son
histoire, non en gommant les différences, mais en
les considérant avec respect. Dans l’acceptation parfois douloureuse de l’altérité, l’école catholique peut
devenir universelle et expérimenter qu’il est possible
de travailler aux mêmes causes, chacun portant – et
c’est heureux – sa dogmatique et son ancrage religieux
particulier.
Lucien Noullez
Professeur de religion (1978-2012)
en milieu multiculturel.
Membre de l’équipe de Pastorale scolaire
(Malines-Bruxelles).
Dialogue interreligieux
Des écoles
pour construire le dialogue
École des Dames de Marie, SaintJosse-Ten-Noode
Une école avec un nom bien
catho, qui accueille plusieurs centaines d’élèves plutôt musulmans.
À sa tête, une cendrillon devenue princesse ou presque. C’est
que France Caillaut est devenue
directrice après s’être impliquée
dans le précédent établissement
qu’elle servait. De projets d’éducation à la citoyenneté en jeux de
coopération, la voilà aujourd’hui
quittant ses habits de prof de
gym. Quoique. Ici, on se dit que
les profs doivent être souples, et
armés, que le quartier craint, que
les profs rasent les murs.
Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est
pas le cas. Comme dans nombre d’écoles catholiques,
on travaille la non-violence comme une matière : « Je
ne pense pas que la non-violence soit davantage mise
en avant ici qu’ailleurs. Elle fait partie des valeurs
de notre école, que nous travaillons au quotidien.
Nous avons même une médiatrice qui travaille avec
les enfants et leur famille. En classe, nous invitons les
élèves à construire les règles du vivre-ensemble avec
eux, nous leur apprenons à identifier ce qui risque de
coincer entre eux. En construisant les règles ensemble,
on consolide les ponts qui existent entre parents et
professeurs. Le défi, c’est le français. Une langue qui
n’est pas parlée par les enfants lorsqu’ils arrivent en
maternelle, et qui n’est pas toujours maîtrisée par leurs
parents. Il faut savoir que les populations scolaires
sont relativement homogènes aux Dames de Marie.
Dans la précédente école où je travaillais, 27 communautés différentes étaient représentées. Ici, il n’y en a
que deux : à quelques exceptions près, les élèves sont
tous soit de culture turque, soit de culture marocaine.
Tous sont belges, mais le français n’est pas leur langue
maternelle, ce qui mène à des ‘clans’ linguistiques, dès
la maternelle. » Le défi de France Caillaut, c’est de leur
faire aimer cette langue, pour qu’elle puisse leur permettre de se comprendre entre eux, et de comprendre
le monde qui les entoure. D’en faire un tremplin vers
la citoyenneté responsable. Cela passe par des temps
d’apprivoisement, des temps de jeu, des temps de
découverte de livres…
Et Dieu dans tout ça ?
Tout cela n’a rien à voir avec Dieu. Et pourtant. Si les
familles adhèrent aux valeurs véhiculées et incarnées
par l’école, c’est aussi en sachant qu’ici, les croyants
disent qu’ils sont croyants. Et que Dieu, qui reste
Dieu, fait toujours partie de ce qui fonde l’identité et
l’être-à-l’autre. « Tout passe par le respect des valeurs,
et notamment par la tolérance et l’ouverture qui
en font partie. Les parents reconnaissent notre école
comme une école qui affiche son identité. Les parents
nous confient leurs enfants, en adhérant aux valeurs
défendues par l’école, même s’ils ne partagent pas notre
foi. Car dans notre école, on parle de Dieu, et les
parents n’ont aucun problème avec cela. Au contraire.
Face à des mouvances urbaines qui pourraient mettre
le développement de ces enfants en péril, l’école catholique rassure... »
À méditer.
Lucien Noullez et P.-E. Biron
© www.Villeavivre.be
© www.villeavivre.be
La dernière campagne de Villeavivre.be a touché sa cible. De
nombreux acteurs du dialogue, en milieu ecclésial comme en
milieu scolaire, ont pu notamment découvrir le témoignage de
France Caillaut, directrice de l’école des Dames de Marie, à
Saint-Josse-Ten-Noode. Un établissement qui compte plus de 450
enfants, rien que pour sa section primaire. Comment y gérer des
communautés, des cultures, des religions que tout oppose parfois ?
Rencontre à contre-courant des clichés.
France Caillaut, directrice à St-Josse
Retrouvez cette interview en vidéo sur
www.villeavivre.be, section enseignement.
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Dialogue interreligieux
« Soi-même » et « avec les autres »
Interculturalité et cours de religion
La diversité culturelle et/ou de croyance est le lot de presque toutes
les écoles aujourd’hui. Dans ce contexte, comment l’école peut-elle
aider les élèves à se construire, à s’épanouir ? Comment, dans le
même mouvement, construire un socle commun sur lequel bâtir
culturellement notre société ? À partir d’expériences vécues dans
une école « multiculturelle » de Schaerbeek (la Sainte-Famille
d’Helmet), cet article propose de partager un certain nombre de
principes tout autant que de « bonnes pratiques ».
Faire connaître et reconnaître
Pour permettre à chacun de se sentir « exister » dans
le collectif, le premier principe est de faire connaître
et reconnaître les identités en présence. Entre culture
marocaine, congolaise, turque ou belgo-belge, entre
christianisme, laïcité et islam aussi, il s’agit de permettre aux acteurs d’exprimer certaines facettes de
leur identité autant que les principes qui y sont liés.
Exposés dans le cadre
d’un cours, de projets
de classe ou de section,
de chapitres croisant
une thématique identitaire, nombreuses sont
les opportunités de
développer ce premier
principe d’action.
très « découpé ». Elle se divise en implantations, bâtiments, sections, années, locaux. Elle se divise aussi
en heures de cours et de pause, le tout strictement
rythmé par les sonneries. Or, construire une culture
commune revient à créer les conditions de rencontre
et des espaces pour les projets collectifs.
Qu’il s’agisse d’événements sur le temps de midi, de
projets transversaux ou « multiclasses », de projets en
dedans et en dehors de la classe, voire de voyages et
autres fêtes d’école, longue est la liste de toutes ces
aventures qui, par les échanges et la mise en présence,
contribuent à nous rapprocher, à nous référer à une
identité commune et positive.
Le cours de religion
Construire une culture commune
Il ne faut pourtant pas s’« arrêter » à ce premier
principe, au risque de se reconnaître mutuellement
sans vraiment se mélanger. Afin d’éviter le travers du
relativisme culturel, il est nécessaire de travailler parallèlement à la construction d’une culture commune.
Dans l’école, ce second principe est plus difficile à
mettre en pratique. Le collectif nécessite de l’espace.
Le problème ? L’école offre au contraire un paysage
10 PASTORALIA – N°1 | 2014
© Institut de la Sainte-Famille
Dans le déploiement de ces deux principes d’action,
le cours de religion est
un atout. Par la mise en
commun des acteurs,
par son d’esprit d’ouverture, il peut constituer un espace précieux
pour le travail de reconnaissance mutuelle.
Attention ! Il peut aussi
avoir l’impact inverse.
L’intitulé du cours tout
Faire connaître et
d’abord peut être la
reconnaître est imporsource d’une blessure
tant. Cela permet de
identitaire, le sousmieux comprendre les
entendu identitaire
multiples références
étant que seul le cathoqui construisent notre
licisme aurait « droit de
identité. Cela permet
cité ». Corrélativement,
aussi de mieux comselon l’espace que l’on
prendre les autres,
consacre à l’expression
dans leurs différences
Comment disserter la différence dans le collectif, réponse
identitaire « hors chriscomme dans leurs resvisuelle du peintre Pierre Bayard
tianisme », plutôt que
semblances. C’est un
d’apaiser le public en présence, il peut également avoir
socle fondamental du dialogue qui se construit par
pour effet de le frustrer encore plus.
cette action de dévoilement mutuel.
Par ailleurs, par sa souplesse et ses contenus, le
cours de religion constitue un socle intéressant pour
« construire une culture commune ». Pour ce second
principe toutefois, il ne s’agit là que d’un préalable.
Vivre ensemble dans la différence nécessite de décloisonner. À ce niveau, c’est dès lors dans la dynamique et
la souplesse du pilotage des établissements que se situe
le principal levier d’action.
Bruno Derbaix
Dialogue interreligieux
Une Église
en dialogue
Si aujourd’hui cette Coordination n’existe plus, le
Centre pastoral de Bruxelles reste néanmoins engagé
dans le dialogue interreligieux. Ceci, à titre institutionnel, à côté des engagements personnels de notre
évêque auxiliaire dans des initiatives comme le Conseil
belge des leaders religieux, par exemple. Du côté
néerlandophone de la pastorale a été mis sur pied un
tout nouveau groupe de travail en 2010 : l’IDkB Interreligieuze Dialoog van de Kerk in Brussel. Depuis
trois ans, ce groupe membre du service Verkondiging
en Viering informe les acteurs pastoraux, les paroisses
et le grand public sur les fêtes religieuses de l’année,
organise des rencontres et des visites de lieux de
culte, propose des concerts interreligieux. Ancrée
sur le terrain, l’IDkB incarne au quotidien un des
visages de l’Église, qui continue d’inviter ses fidèles,
dans le souffle de Vatican II, à découvrir ceux et
celles qui ne pensent ni ne prient comme eux. En
quelques années, l’IDkB a développé de nombreux
projets, tels que ces journées de
rencontre entre jeunes catholiques
et jeunes musulmans, ou encore
ces temps de formation dédiés
aux professeurs. Un ensemble de
propositions concrètes, locales, en
prise directe avec le réel des quartiers, que portent l’abbé Jan Van
Eycken et sa petite dizaine de collaborateurs ponctuels ou réguliers.
qui est notamment devenu une référence pour les
diverses questions liées aux mariages mixtes que les
UP rencontrent. Les Voies de L’Orient sont aussi un
partenaire privilégié du Vicariat, dans la mesure où
elles se consacrent aux philosophies et arts orientaux,
et représentent un lieu d’apprentissage et d’expériences
à la bibliothèque fournie. Il faudra encore souligner
le travail qu’accomplit la congrégation des Sœurs de
Notre-Dame de Sion en la matière, acteur de longue
date du dialogue entre juifs et chrétiens. Trois associations qui depuis les années 70, ont vu Bruxelles se
diversifier et accueillir, souvent dans la méfiance, des
populations aux convictions nouvelles ; des centres
névralgiques qui ont, en parallèle avec l’expérience de
terrain acquise en outre par Bruxelles-Accueil Porte
Ouverte, largement fait leurs preuves.
Reste que l’Église de Bruxelles a encore du chemin à
parcourir. Le Centre pastoral réfléchit précisément à
cette question, et envisage, dans un premier temps,
de proposer de manière plus régulière des journées de
formation à l’image de celle de mai 2012 (consacrée à
l’islam). Pour que les rencontres et ateliers conviviaux
d’ores et déjà mis en œuvre dans certaines UP puissent
s’accompagner de véritables élans de formation.
Paul-Emmanuel Biron
© IDkB
Depuis plusieurs années, l’Église de Bruxelles s’est engagée sur la
voie du dialogue avec les autres confessions, religions, traditions
et convictions de la ville. Un élan affirmé par Mgr De Kesel, qui
avait alors lancé une Coordination - bilingue - pour la promotion
du dialogue interreligieux. Comme un souhait de voir s’articuler
les différents partenaires d’un mouvement à la fois porté par le
Centre pastoral et ses partenaires locaux.
En pastorale
francophone
Si l’IDkB propose certains de ses
outils et rencontres en français, le
volet francophone de ce dialogue
repose plutôt sur des structures
et des associations locales. C’est
ainsi que le Centre pastoral soutient et encourage les activités de
centres d’accueil, de réflexion et
d’information comme El Kalima,
qui anime des rencontres et des
conférences consacrées au dialogue islamo-chrétien. Un centre
L'abbé de Tongerlo rencontre le sheikh de Molenbeek (2008)
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Dialogue interreligieux
Voyage interreligieux
au Maroc
Mgr De Kesel et Mgr Lemmens, le grand
rabbin Guigui, accompagnés de chrétiens,
de juifs et de musulmans se sont rendus
au Maroc. But de la visite : voir comment
la cohabitation religieuse se passe entre
les trois religions monothéistes.
1ère étape : Casablanca. Nous y avons
visité l’église Notre-Dame, la prestigieuse
Mosquée Hassan II, et le Musée juif. En
soirée, le rabbin Guigui a introduit le groupe
auprès du Président des communautés juives
du Maroc. Tous les intervenants ont fait part
de la tolérance effective et du respect de la
mémoire juive. Lors du dîner au cercle juif,
l’émotion quant au caractère exceptionnel de
cette rencontre, était palpable.
Délégation interreligieuse au cercle juif de
Casablanca
Le grand rabbin Guigui, Mgr Lemmens et
monsieur Hajji, secrétaire général du conseil
européen des Oulémas marocains
Ce qui compte,
c’est le Vivre ensemble
2ème étape : Rabat. Nous y avons été reçus
à la cathédrale Saint-Pierre par Mgr Vincent
Landel, archevêque. L’archidiocèse compte 30
prêtres, de différentes nationalités. Aucun n’est
marocain. Chaque dimanche, environ 300
fidèles (d’origine sub-saharienne ou expatriés
européens) se réunissent pour l’Eucharistie.
S’il n’existe pas de contacts officiels avec
la communauté musulmane, comme nous
le dit Mgr Landel, il insiste cependant sur
le vivre ensemble et la rencontre avec des
marocains, tous musulmans. L’archevêque
fait cependant partie du protocole officiel du Maroc. Par ailleurs, Mgr Landel
explique que pour les questions délicates,
comme par exemple les mariages islamochrétiens, il s’agit surtout d’accompagner,
sans aucune volonté de prosélytisme.
Photos : © Tommy Scholtes
La visite s’est ensuite poursuivie au Conseil
Supérieur des Oulémas (théologiens).
Véritable référence, c'est lui qui dit le
magistère et oriente les manières de faire
et de parler des imams du pays. Au niveau
hiérarchique, il est juste en dessous du
Premier ministre et du roi Mohammed
VI, « Commandeur des croyants ».
Mohammed Yessef nous dit que le jour est
mémorable. Quatre femmes théologiennes
s'occupent principalement de l'activité pastorale qui concerne les femmes.
12 PASTORALIA – N°1 | 2014
La prière,
selon le rabbin Albert Guigui
3ème étape : Fez, ville impériale, pour un
temps de visite et de partage à la synagogue.
Le rabbin Guigui y donne la parole à un
représentant de chaque religion avant de
synthétiser ce qu'est pour lui la prière : un
temps de proximité avec Dieu, un moment
de paix intérieure.
Nous avons ensuite fait la visite de la
Bibliothèque et de sa mosquée de l’Université Al Quaraouiyine, considérée comme la
plus ancienne université du monde islamoarabe.
Le dernier soir, nous avons encore rencontré le Professeur Mohamed Amine Smaili,
professeur d’études islamiques à l’Université Hassan II. Il nous dit : « le Maroc est
une terre de tous les croyants et nous faisons ensemble un travail pour nous sentir
unis. La famille d’Abraham a beaucoup de
problèmes mais nous sommes tous de la
même famille ».
« Les défis en Europe
sont nombreux »
Une parole qui doit trouver son écho en
Belgique. Les marocains qui sont domiciliés
en Belgique, se sentent belges. Leurs valeurs
culturelles et religieuses sont marocaines,
donc musulmanes. Le recteur de la mosquée Al Buraq de Malines organise régulièrement une ‘mosquée porte ouverte’. À
Malines, 20% de la population est musulmane.
Pour le rabbin Guigui : « Nous avons vécu
un dialogue plus fraternel dans l’Unité.
C’est ce message qui doit nous accompagner. Les défis en Europe sont nombreux.
Chaque religion ne pourra, à elle seule,
les relever. Notre défi est d’être unis dans
la diversité. » Un défi que travaillent justement à relever les animateurs du KMS
(Kerkwerk Multicultureel Samenleven) qui
étaient du voyage. Ils vivent déjà ce « vivre
ensemble ». Mgr Lemmens a pu rappeler
combien il était partagé par les participants
à ce voyage.
Tommy Scholtes sj
Dialogue interreligieux
Peuple de Dieu, Peuples de Dieu
En ce lundi 11 novembre, 110 participants se sont retrouvés au Chant
d'Oiseau pour le 3ème Colloque « Juifs
et Chrétiens, engageons-nous ! ». On
se souvient qu'en 1947, à la sortie de la
dernière guerre, 65 Juifs et Chrétiens,
venus de 19 pays, adressèrent aux
Églises les « 10 Points de Seelisberg »
qui visaient à mettre un terme à l'enseignement du mépris à l'égard des Juifs,
selon la célèbre formule de Jules Isaac.
© IDkB
Colloque « Juifs et Chrétiens »
Tenant compte des
progrès réalisés dans ce
domaine et animée par le
désir d'étendre le champ
d'action, l'assemblée du
Conseil International
des Chrétiens et Juifs de
2009 approuva un nouvel appel connu sous le
nom de « 12 Points de Berlin ». Celui-ci propose 12 pistes
d'action en vue de promouvoir le dialogue entre Chrétiens
et Juifs, sous forme de rencontres mais aussi sous forme
d'actions menées en commun.
Ce matin du 11 novembre, J. Hostetter, Pasteur de l'Église
Protestante Unie de Belgique, a ouvert le Colloque. Le
thème en était la notion de Peuple de Dieu utilisée par
les Juifs et par les Chrétiens mais dans des sens différents.
S'agit-il de divergences marginales ou d'une totale incompatibilité ? Le professeur Gergely, Directeur de l'Institut
d'Études du Judaïsme (ULB) et Jacques Vermeylen,
professeur émérite de l'Université Catholique de Lille ont
introduit notre réflexion sur ce sujet.
L’expérience du Peuple juif
D'emblée, le professeur Gergely mettra l'accent sur l'expérience vécue du Peuple juif à travers son histoire. « Dieu a
choisi Israël entre tous les peuples pour être les dépositaires
de Sa Loi » (prière du matin), et non pour lui accorder
pouvoir et privilèges. Au contraire, cette élection comporte
le devoir d'accomplir la volonté de Dieu dans l'humilité et
parfois dans la souffrance (Amos 3, 2). Dès le début de la
Genèse, on apprend que c'est Dieu qui prend l'initiative :
« Le Seigneur dit à Abram : Pars de ton pays, quitte ta famille
et la maison de ton père et va vers le pays que je te ferai voir. Je
ferai de toi une grande nation et je te bénirai. Je rendrai grand
ton nom et en toi seront bénies toutes les familles de la terre »
(Gen.12, 1-4). En partant d'Abraham, une vaste fresque historique nous a été présentée, relatant comment cette notion
de peuple élu a été vécue au cours des âges.
Visite d'une synagogue
L’Église comme Peuple de Dieu
Ensuite, le professeur Vermeylen, en tant que catholique, nous donna son éclairage sur la notion de Peuple
de Dieu. Il nous apprit tout d'abord que jusqu’au
concile Vatican II l’idée de l’Église comme « Peuple de
Dieu » était ni courante ni populaire dans le catholicisme, et que c’est le Concile qui l’a mise en valeur. Les
uns regardaient l’Église comme une « société parfaite »
hiérarchique et insistaient sur la primauté du pape.
Les autres voyaient la même Église comme communion des communautés qui célèbrent l’Eucharistie. Il
s'agit là d'une controverse interne à l'Église. Parler de
l’Église comme Peuple de Dieu, c’est dire que tous les
baptisés sont fondamentalement des égaux. Elle forme
un peuple en marche, à l'image du « Peuple de Dieu »
que la Bible raconte en ses deux Testaments. Ensuite,
c'est en faisant l'inventaire des fondements scripturaires de l'élection que le Professeur poursuivit son
exposé. Dans l'esprit de la déclaration Nostra Aetate, il
nous proposa, en conclusion, la formulation suivante :
Les communautés chrétiennes, héritières elles aussi
de l’unique Alliance, peuvent se comprendre comme
« Peuple de Dieu », sans se substituer au Peuple juif
mais adoptées « avec lui ».
Désiré Demeulenaere
Sr Michèle Debrouwer nds
Info : [email protected]
2014 | PASTORALIA – N°1
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