A propos du conte - Production des enseignants et des chercheurs
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A propos du conte - Production des enseignants et des chercheurs
A propos du conte par Van Dai VU Les contes sont universels et font partie du trésor culturel des peuples du monde. Ils ont un pouvoir magique attirant tous les enfants. On peut se demander pourquoi. D'abord, le conte est caractérisé par l'imagination, la fiction et le romantisme. Ces trois éléments sont présents chez n'importe quel enfant. Il vit l'histoire racontée dans le conte comme s'il vit la sienne. L'imagination permet de sortir de la réalité qui est souvent moins belle que le rêve. La fiction reflète l'aspiration de se surpasser pour atteindre le beau, le sublime. Le romantisme répond au souhait que tout se termine en rose. L'enfance est synonyme du beau. Ensuite, dans le conte, les personnages se répartissent en deux camps représentant le bien et le mal, l'honnêteté et malhonnêteté. Pour les âmes innocentes que sont les enfants les méchants doivent être punis, les braves gens doivent trouver le bonheur. Dans les contes, il y a toujours la victoire inéluctable du Bien sur le Mal. Cela correspond aux attentes des enfants. Puis, l'histoire, l'événement raconté dans le conte est attirante. Les enfants voyagent dans le conte comme s'ils voyagaient dans un monde merveilleux, qu'ils prennent comme authentique. Les adultes, forts de leurs expériences ne croient pas facilement à la fiction, lisent les contes avec vigilance. Les enfants, par contre, se laissent facilement emportés par l'histoire. Enfin, le conte est la capacité de charmer, d'instruire, d'émouvoir les hommes, ils portent en soi la raison d'être nécessaire et viennent nécessairement de l'identité culturelle de la nation. La comparaison des contes populaires va nous démontrer ces remarques. Nous allons comparer Cendrillon raconté par Grimm et le conte populaire vietnamien Tâm Cam. Comme Cendrillon, Tâm a perdu sa mère quand elle était enfant et son père a pris une seconde femme, qui est sa marâtre. Peu après, son père trouve aussi la mort. Tâm a seulement une demie-sœur (Cam) alors que Cendrillon en a deux. Chaque fois qu'il lui arrivait un malheur, Cendrillon se rendait à la tombe de sa mère, sur laquelle elle avait planté un arbre et un petit oiseau blanc qui s'y posait, lui donnait ce qu'elle souhaitait. Tâm connaît les mêmes malheurs que Cendrillon, mais à chaque difficulté elle pleurait à chaudes larmes. Alors Bouddha apparaissait et l'aidait à franchir l'obstacle. C'était Bouddha qui lui a donnait de beaux vêtements et faisait venir des moineaux pour trier les grains de riz.... A la différence de Tâm, Cendrillon résiste mieux aux difficultés: obligée de trier le pot de lentille que la marâtre avait versé dans le cendre, elle a gagné le jardin par la porte de derrière et a appelé les oiseaux qui sont venus l'aider à le faire. La fiction dans le conte vietnamien est plus grande : après avoir épousé le prince, à la suite des manœuvres de Cam et de sa marâtre, Tâm est morte plusieurs fois et s'est transformée tour à tour en un oiseau jaune, un lilas, un métier à tisser et une plaquemine. Mais elle continuait à exister grâce à Bouddha. Dans le conte de Grimm, Cendrillon, l'enfant pieux ne connaît pas la mort et la métamorphose. Quant à la punition de l'enfant méchante, elle est assez tragique dans le conte vietnamien : Tâm a conseillé à Cam de se baigner avec de l'eau chaude afin de devenir blanche, provoquant la mort de sa demi-sœur. Après, elle a fait du corps de cette fille de la salaison et en a donné à la marâtre. A la différence de cette fin, les filles de la marâtre dans le conte de Grimm sont punies par la cécité : les colombes leur piquent les yeux. Il est aussi intéressant de voir que le nom des personnages dans le conte vietnamien est lié à la production de riz, aliment de base des Vietnamiens. En effet, Tâm signifie brisure de riz, Cam, le son. Avant les paysans vietnamiens étaient très économes car ils devaient faire face à la pauvreté et à la famine, causées par la perte des récoltes de riz en raison des calamités naturelles. En cas de disette, les hommes étaient obligés de consommer des brisures de riz. Le son servait à l'élevage du bétail qui constituait une source d'alimentation et de revenu. Pour les paysans, le riz n'a rien d'inutile. Comme Cendrillon l'histoire de Tâm Cam affirme la victoire du Bien sur le Mal et conseille aux gens de vivre avec humanisme et d'éviter la jalousie. Pour conclure on peut dire que les contes sont un legs universel, le patrimoine du monde. Ils ont une vertu magique et un pouvoir merveilleux. Ils se sont implantés spontanément dans l'esprit des hommes. Ils sont comme une modeste fleur anonyme. C'est-à-dire qu'ils sont antérieurs à toute théorie littéraire. De ce fait ils sont plus authentiques que d'autres productions. C'est pour ces raisons qu'on ne doit pas cesser de les raconter aux enfants. Cesser de les raconter veut dire mutiler l'enfance de nos enfants. Mais comment raconter ? Il s'agit d'une question fondamentale à laquelle doivent répondre écrivains, chercheurs et éducateurs. février 2004 Van Dai VU est professeur à l' université des langues étrangères de Hanoï (Viet-Nam). Il est membre du comité scientifique du réseau « Littératures d'enfance » de l'Agence universitaire de la francophonie. Ce texte reprend une communication réalisée au Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil, le 1er décembre 2003. Contact : <[email protected]> Tâm Cam et autres contes (quelques réflexions faisant suite à la contribution de M. Van Dai VU) par Jean Foucault Tout d'abord signalons pour ceux qui ne connaissent pas le vietnamien - ce qui est mon cas - qu'il existe des traductions en français de contes de ce pays. J'ai en main dans Contes d'une grand-mère Vietnamienne, une sélection de contes présentée par Yveline Féray[1], le conte « Tam et Cam », L'article de M. Van Dai Vu m'amène à souhaiter que nous puissions développer les échanges sur les contes de nos différents pays et approfondir plusieurs aspects : - leur histoire, avec par exemple les dates et sociétés où ces contes ont été racontés et les variétés des versions selon les régions. - Le lien qui a pu être établi avec les versions venues d'autres pays (contes de Grimm et de Perrault par exemple) : cela a-t-il influé sur les versions autochtones, y a-til eu vie parallèle de des variations ? - Les images qui ont pu en être tirées dans la tradition et à l'époque contemporaine (quel élément de l'histoire est mise en valeur, abandonné,…) Le travail sur les contenus ne peut se faire sans une connaissance minimum de l'univers culturel dont sont issus les récits : influence du bouddhisme par exemple sur les contes originaux ou les versions vietnamiennes (qui prend dès lors une toute autre connotation : as-t-on connaissance de commentaires en lecture savante, populaire ou pédagogique… ?). Influence aussi des religions, des idéologies… Découvrir ou approfondir notre connaissance de « l'air » qu'il y a autour de chaque mot, chaque expression, chaque image. Ainsi pourrait-on échanger entre les chercheurs vietnamiens et ceux d'autres pays du réseau. Cela interpellant à son tour la connaissance intuitive ou « savante » que nous avons de notre propre tradition. Je ne suis pas sûr que les enfants veuillent toujours que le conte se termine bien. Il me semble que c'est plutôt l'influence d'une certaine vision pédagogique qui entraîne à cette impression. C'est pourquoi la question d'une littérature pour enfants se pose et se posera toujours : si elle est par destination pour l'enfance (intentionnelle dirait Johanne Prud'homme), alors elle va privilégier certains aspects. Mais ne nous berçons pas d'illusion sur la « liberté » de l'écrivain : il agit en fonction d'un lecteur « modèle », qui vient de lui-même (son propre rapport à l'enfance) et de ce que dit et fonde la société dans laquelle il vit. C'est à ce croisement que sans cesse on « produit » de la littérature. En ce sens il n'y a pas nécessairement une forme qui prédomine. En ce sens ce qui est considéré comme bon pour les enfants à une époque sera bousculé par une autre car les valeurs changent. 15 juin 2004 Jean Foucault est coordonnateur du réseau LDE est chercheur associé des universités de Cergy et d'Artois (France) Contact : <[email protected]> [1] Yveline Féray, Contes d'une grand-mère vietnamienne, éditions Philippe Picquier, 1998.