La Danseuse de Flamenco - THOMAS DESMOND

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La Danseuse de Flamenco - THOMAS DESMOND
Thomas Desmond
LA DANSEUSE DE FLAMENCO
Pour toi qui peut-être lira ceci.
J'étais amoureux de la Danseuse de Flamenco.
Ça a commencé comme ça, comme un corps qui prend feu subitement, sans
prévenir. Pas d'étincelle, juste un brasier d'enfer. Un regard, une lumière de
dents, une peau d'une couleur sans nom, des épaules comme une dune
immaculée, caressée par les rayons fous d'une chevelure dérangeante,
hypnotisante, et là, c'est la fin et l'aube de tout, l'apocalypse tant attendu d'une
vie médiocre, un coup de tonnerre dans un cagibis grouillant de ténèbres.
On oublie les ratés qui nous entourent, ces ratés qui nous ressemblent tant,
une fois qu'on les a dépouillés de leurs déguisements. Ils sont peut-être
amoureux eux-aussi, ces pantins répugnants, ces autres, fous amoureux de la
Danseuse, ma Danseuse, qui virevolte aux sons des folles guitares, amoureux
des plis mystérieux de sa robe cramoisie, amoureux de ses chevilles qui
apparaissent furtivement, vous faisant monter le goût du sang dans la bouche,
amoureux de son corps si dissimulé et en même temps si présent, si
bouleversant, comme la dose en mirage dans les yeux du drogué proche du
trou. J'aimerais tous les tuer ces autres rien, d'un seul coup, sans bruit, les
écraser dans ma paume pour les réduire en une fine poussière rouge que je
soufflerai aux vents du passé.
Laissez-moi seul avec la Danseuse, que disparaissent les musiciens dans le
bois de leurs instruments, que seule la mélodie entêtante subsiste encore, que
tout s'efface, sauf ses mains qui déploient l'éventail, avec force arabesques, ses
mains qu'on a envie de mettre dans les siennes, autour de son corps, sur son
cœur, pour mourir moins vite. Que le temps se fige, qu'il s'étire jusqu'au fin
fond des âges, car jamais plus je ne ressentirai cette renaissance dans chacune
de mes cellules. Elle danse pour moi, seulement pour moi, et elle me regarde, à
travers la fumée lourde, immobile, elle me sourit. Ses lèvres me rendent
amnésique de tout. J'ai besoin de la serrer, de la comprimer, d'enfermer son
mouvement, sa danse, la capturer, l'engloutir, envie, besoin de la faire danser
en moi, rien qu'en moi, jusqu'à la fin.
Tout s'accélère, elle se rapproche, ou peut-être est-ce moi ? mais le charme
est brisé, pour elle en tout cas, car je vois sur son visage se former un nuage de
cendres. Mais elle est si proche maintenant, si proche que je peux voir les
grains sombres de son maquillage qui décore ses hautes paupières, j'oublie le
nuage inquiétant et lui prend la main, avant que le temps ne reprenne sa traque.
La laideur blafarde déferle autour de nous deux, le brouillon de la réalité s'abat
comme un gros rideau mortuaire, et la musique s'arrête, avec quelques notes
échappées du chaudron. On me saisit violemment par la taille, on me frappe,
car je ne lâche pas la main de la Danseuse. Elle me regarde toujours, peut-être
qu'elle sait, elle sait tout, son éventail lui a tout soufflé, j'en jurerai. On me tire
de force et elle s'éloigne de moi, avant de disparaître. Je rue comme un
possédé, mais les monstres qui me ceinturent ne faiblissent pas.
Je retrouve le froid de la rue, la tête vibrante comme un amas de tôle
accidentée, les paumes en sang, et un arrière-goût de bile au fond de la gorge.
Mais je la vois encore, à travers les murs effondrés du bâtiment, je la sens, et je
comprends que, au fond, tout n'est question que de vie ou de mort.
J'avais compris que l'amour avait deux faces, un côté pile, un côté farce, et
qu'on ne pouvait tomber sur la tranche de la pièce, sauf miracle. Je savais déjà
que j'allais devoir entrer en guerre pour asservir cette danseuse, ou me faire
asservir, car l'amour n'est que ça, une servitude plus ou moins totale de l'un à
l'autre. Je ne le savais pas encore. De grandes choses nous attendaient, des
choses bouffies d'éternel, et je n'en pouvais déjà plus d'attendre. Mais pour la
première fois depuis le début de ma course, j'étais sûr de quelque chose.
J'étais amoureux de la Danseuse de Flamenco.
FIN
Thomas desmond © 2007
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