Clotilde Proust - Laboratoire de conservation de Draguignan

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Clotilde Proust - Laboratoire de conservation de Draguignan
INTERVENTION DU CONSERVATEUR-RESTAURATEUR
SUR UNE FOUILLE PRÉVENTIVE
Auteur : Clotilde PROUST, Musée d’Archéologie Nationale
Coordonnées : [email protected]
Résumé :
Sur une fouille archéologique préventive, le travail du conservateur-restaurateur est conditionné
par la nature du terrain, le type de mobilier mis au jour, le caractère urgent de la fouille, les priorités scientifiques, mais aussi les moyens mis à disposition. La fouille de Bonneuil-en-France (95)
sur le site « Les Pieds humides » en est un bon exemple. Recrutée spécialement pour cette mission, l’objectif de mon travail sur ce terrain argileux gorgé d’eau était d’assurer la conservation du
mobilier archéologique in situ, pendant et après les prélèvements. Il a fallu ainsi s’adapter quotidiennement aux nouvelles découvertes, réévaluer les objectifs et les priorités de conservation et
proposer des techniques de conservation rapides, peu coûteuses et efficaces.
1. INTRODUCTION :
Dans le cadre d’une prescription de fouille sur le site « Les Pieds humides » à Bonneuil-en-France
(95), les équipes de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) sont
intervenues sur le terrain de septembre à décembre 2006. S'agissant d'un aménagement du
Conseil général du Val d'Oise (déviation de la route départementale RD84), le Service départemental d’archéologie du Val d’Oise (SDAVO) a mis à disposition son topographe et un conservateur-restaurateur.
L’objectif de cet article est de présenter, à travers un exemple concret, les conditions de travail du
conservateur-restaurateur sur une fouille préventive, d’expliquer certains choix et techniques de
conservation qui dépendent entièrement du caractère urgent de la fouille, et de définir la place que
peut prendre le conservateur-restaurateur au sein de l’équipe.
2. PRÉSENTATION DU CONTEXTE DE TRAVAIL
Situé sur un terrain vague de la commune de Bonneuil-en-France (95), le site bordait le ru du
Croult. Etant ainsi en pleine zone inondable, le terrain a livré un mobilier organique important sur
lequel s’est centré mon travail de conservation.
Outre le caractère marécageux de la zone, la proximité immédiate des pistes du Bourget et l’éloignement géographique des trois pôles de fouille (une zone funéraire, une zone de forge et une
zone d’habitat datant de l’Age du Fer à la période Gallo-romaine) ont rendu les conditions de travail plus difficiles (bruit, inconfort, matériel a déplacer constamment, etc.).
Clotilde PROUST - Intervention du conservateur-conservateur sur une fouille préventive - 1
La première étape de ma mission a consisté en la mise en place d’un espace de travail adapté aux
conditions de terrain et au mobilier archéologique découvert. Aménagé dans un des Algeco® de la
base vie, cet espace de conservation préventive a permis principalement de mettre en place le
séchage contrôlé de certaines céramiques à faible cohésion, d’effectuer le conditionnement provisoire des objets sortis de terre, en particulier du mobilier organique, et de stocker l’équipement
nécessaire aux interventions.
L’impossibilité d’avoir de l’eau courante sur le chantier et le manque d’espace de stockage pour
les bois (pieux, coffrages, etc.) ont compliqué le travail de conservation préventive sur le terrain. Il
s’avérait impossible de mettre en place un dispositif de stockage des bois en eau dans des bacs
adaptés, à vidanger et à renouveler. L’option choisie a été le conditionnement hermétique (sous
vide partiel) du mobilier organique, en présence d’une source d’humidité, le tout dans un environnement à basse température. L’utilisation d’une soudeuse à sac faisant vide d’air, ainsi qu’un rouleau de gaine plastique en polyéthylène (PE) épais et transparent dans lequel était versée un peu
d’eau claire, a permis d’assurer la préservation du mobilier organique durant la période de fouille.
Les conditions thermohygrométriques naturelles dans le conteneur de stockage se sont avérées
satisfaisantes à partir de la mi-octobre, la température restant majoritairement basse et le taux
d’humidité relative (HR) assez élevé.
3. PRÉLÈVEMENTS ET CONDITIONNEMENT
Mon intervention pour les prélèvements a surtout été nécessaire pour le mobilier organique qui
était très fragile à la manipulation. Les deux paragraphes suivants décrivent les prélèvements des
objets parmi les plus inédits de la fouille : des chaussures en cuir cloutées et un coffrage de sépulture en bois.
Un petit élément de cuir avait été repéré durant la fouille de la sépulture I.004 ; il fut protégé par
un film PE et par une feuille d’aluminium. Près de cet élément, d’autres traces organiques ont été
observées durant la fouille, ainsi qu’un autre objet s’apparentant en premier lieu à du bois, plongeant sous le squelette. Le milieu gorgé d’eau et les fluctuations quotidiennes du niveau de l’eau
dans la tombe ont recouvert l’ensemble de sédiments boueux, apportant cependant une protection naturelle à ces matériaux organiques. Afin de les préserver au mieux, il a été décidé de ne pas
trop dégager ces objets jusqu’à leur prélèvement, et de me confier le travail de dégagement. Le
nettoyage progressif des surfaces durant ce dégagement a permis de se rendre compte, d’une
part, que la planche de bois était en fait du cuir épais, plutôt bien conservé, et que, d’autre part,
nous étions en présence de plusieurs éléments de cuir en connexion. La fin du dégagement a mis
au jour un ensemble de cinq semelles de cuir cloutées, de l’époque gallo-romaine. Les dessus
(tiges) des chaussures s’étaient également conservés, mais le cuir étant beaucoup plus fin et en
mauvais état, ils restaient extrêmement fragiles. La tige d’une des chaussures était repliée sur ellemême, sous la semelle, l’autre était sur le côté, noyée dans le sédiment. Les clous de chaussure
étaient également en place dans les semelles et les trous étaient parfaitement visibles (fig.1 et fig.2).
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Le prélèvement des chaussures s’est fait en trois étapes :
- relevé in situ à l'échelle 1 : 1 sur feuille PE épaisse, à l’aide d’un marqueur indélébile, avec attribution d’une lettre pour chaque élément distinct de chaussure à prélever : A, B, C, D et E ;
- prélèvement de chaque élément séparément, avec une partie du sédiment, en levée directe pour
les éléments les mieux conservés, ou en glissant une plaque de polystyrène extrudé (Styron®)
pour les éléments les plus complexes et les plus fragiles (fig.3) ;
Le conditionnement sur le terrain : objets enroulés avec le sédiment et le Styron® dans plusieurs
épaisseurs de film PE (type film alimentaire), puis conditionné dans un sac PE épais avec un peu
d’eau claire, le tout soudé sous vide partiel.
Un long travail de nettoyage des sédiments a ensuite été entrepris à l’atelier du SDAVO, avant
d’emmener les chaussures au laboratoire UTICA (Saint-Denis) pour traitement de conservationrestauration.
Le prélèvement du coffrage en bois de la sépulture I.005 (fig. 4) a soulevé d’intéressantes problématiques. Plusieurs facteurs ont du être pris en compte :
- la rareté de ce type de vestige conservé ;
- l’intérêt scientifique du coffrage ;
- l’intérêt muséographique de l’ensemble de la sépulture ;
- l’analyse dendrochronologique et xylologique du bois.
La priorité a été accordée à l’étude dendrochronologique du bois, une fois les observations et les
prélèvements pour l’étude générale du coffrage effectués.
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La conservation immédiate en vue d’une présentation muséographique nécessitait un prélèvement
en motte, et donc le développement de moyens très importants, ce qui n’était pas envisageable
avec ceux mis à disposition. Deux moulages de cette sépulture exceptionnelle, avec et sans la
planche supérieure, ont donc été effectués par l’INRAP, ce type de vestige étant très rare car la
plupart du temps retrouvé à l'état de traces.
Le bois de la sépulture I.005 était en très mauvais état de conservation. Très mou, partiellement
séché, il présentait de nombreuses fissurations, crevasses et fragmentations, lui conférant une
importante fragilité mécanique. La fouille de la sépulture et les deux moulages successifs ont provoqué quelques cassures et des arrachements du bois, en particulier au niveau des parois.
Afin de permettre un prélèvement rapide avec peu de moyens et en vue de son étude dendrochronologique, le coffrage, dont les planches n’étaient pas assemblées mais simplement apposées les
une contre les autres, a été découpé en quatre parties. La découpe s’est faite en fonction des
zones de fragilité du bois. Le coffrage peut être en théorie entièrement reconstitué à la manière
d’un puzzle, à l’aide des indications d’orientation reportées sur les prélèvements lors du conditionnement et à l’aide d’un schéma explicatif (fig. 5).
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La planche du fond monoxyle, plus grande, mieux conservée et plus épaisse que les parois latérales, représentait la partie la plus intéressante pour le futur sondage dendrochronologique. L’objectif
du travail de conservation a été de prélever cette planche en maintenant la structure du bois en
place, afin de pouvoir observer un maximum de cernes, et d’assurer la bonne conservation du bois
et de ces structures durant le stockage et le transport jusqu’au laboratoire Dendronet, en
Allemagne.
Afin de préparer ce prélèvement, il a fallu d’abord prélever les parois du coffrage, puis décaisser
le sédiment tout autour de la planche du fond. Le prélèvement a ensuite été effectué en quatre
fois, à l'aide de plaques en acier inox permettant de couper le sédiment 2 à 3 cm en-dessous de
la planche du fond (fig. 6).
Chaque élément a ensuite été retourné sur une autre plaque, afin de nettoyer la face externe du
coffrage, puis emballé sur son support dans plusieurs épaisseurs de film PE enroulé, ce conditionnement hermétique restant très provisoire (le temps du transport). Les indications sur l’orientation
de chaque élément dans le coffrage ont été reportées sur les prélèvements (étiquettes) afin de
pouvoir reconstituer la planche du fond et effectuer le carottage.
4. CONSERVATION DES OBJETS APRÈS LES PRÉLÈVEMENTS
Sur le site de Bonneuil, le mobilier de nature organique était particulièrement abondant et de toutes tailles: planches, planchettes, piquets, pieux, bois flottant, poutres (!), etc.
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Les prélèvements les plus délicats ont été effectués par le conservateur-restaurateur, les autres
par toute l’équipe. L’étude de ce mobilier ne pouvant pas être entreprise avant l’obtention du budget nécessaire (délais très longs), il était indispensable d’assurer la préservation de ce mobilier en
attendant l’étude. L’objectif était donc d’éliminer ou de diminuer les facteurs d’altérations des
matériaux organiques, et de relever un maximum d’informations archéologiques sur les objets.
Un post-fouille s’est ainsi mis en place directement sur la base vie du chantier, sous le contrôle du
conservateur-restaurateur :
- nettoyage du sédiment argileux à l’eau de pluie, au pinceau, à la spatule en bois, à l’éponge, etc. ;
- relevé à l’échelle 1 :1 sur feuille plastifiée pour les plus gros vestiges ;
- prises de vue photographiques, mesures et annotations ;
- conditionnement : emballage dans plusieurs épaisseurs de film PE, le tout dans un sac PE épais
avec un peu d’eau claire, soudé sous vide partiel.
L’étude a pu se faire un an après ce conditionnement ; il a été constaté à l’ouverture des sachets
que les objets en bois ne s’étaient pas beaucoup altérés depuis la fouille. Le conditionnement a
donc bien joué son rôle.
5. CONCLUSION :
A travers cet exemple, il est possible de définir la place et le rôle du conservateur-restaurateur sur
une fouille préventive:
- proposer des techniques de prélèvement et de conservation adaptées :
• aux délais du chantier
• aux moyens matériels et financiers
• aux priorités scientifiques de la fouille
- réévaluer les objectifs et les priorités de conservation au quotidien
- conseiller (voire encadrer) les archéologues lors de manipulations délicates
- effectuer le suivi des objets et établir le lien avec les laboratoires de conservation-restauration
D’autre part, d’après l’expérience décrite ici et d’après plusieurs témoignages d’archéologues de
l’INRAP, la présence du conservateur-restaurateur sur une fouille préventive semble se justifier
particulièrement si le site livre une importante quantité de mobilier organique. En effet, ces objets
particulièrement fragiles et sensibles sont alors directement confiés au conservateur-restaurateur
dès la mise au jour, ce qui apporte une réelle aide aux archéologues, leur permettant ainsi de se
concentrer sur l’avancement de la fouille.
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