Extrait d`une lettre de Mme de Graffigny à la fille du comte de
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Extrait d`une lettre de Mme de Graffigny à la fille du comte de
Extrait d’une lettre de Mme de Graffigny à la fille du comte de Cobenzl 28 mars 1756 1 Je crois, Mademoiselle, qu’il est temps de vous demander ce que vous pensez de L’Histoire universelle 2. Avez-vous eu bien du plaisir à voir le monde se former, les peuples se disperser, et les empires se partager ? Sans doute cette multitude de différentes nations et de royaumes vous a donné une idée de la vaste étendue de la terre, mais avouez que, l’ayant parcourue des yeux de l’imagination, vous avez trouvé que par rapport au tout chaque particulier occupe un petit espace dans cette immensité ! Cette réflexion paraît d’abord humiliante : on se trouve petit et resserré dans des bornes fort étroites. Mais une autre réflexion nous relève et nous encourage : rien n’est perdu du bien que nous faisons ; nos vertus ne peuvent être ignorées des gens qui nous entourent. Il est bien plus sûr et bien plus doux d’être aimée et admirée de sa famille, de ses amis, de la société où l’on vit, que d’occuper dans la postérité une grande place sur le théâtre du monde ; ces places ne s’acquièrent point sans beaucoup de travail, de fatigues et de dégoût. C’est pour moi, Mademoiselle, une grande consolation, que la facilité avec laquelle nous pouvons nous distinguer. Si les lois nous excluent des charges du ministère et de tous les emplois, elles nous laissent mille moyens faciles de nous faire un nom par notre bonne conduite et nos petites vertus de société. 1 Correspondance de Mme de Graffigny, éd. J. A. Dainard, English Showalter (Oxford, 1985- 2016), t.15, lettre 2347. 2 Titre de l’édition originale de l’Essai sur les mœurs de Voltaire.