Isabelle Mergault « La beauté, c`est la vie, c`est le sang qui bout »

Transcription

Isabelle Mergault « La beauté, c`est la vie, c`est le sang qui bout »
Interview
Isabelle
Mergault
« La beauté, c’est la vie,
c’est le sang qui bout »
L’éMOTION n’est jamais bien
loin sous les éclats de
rire de CETTE FEMME
SENSIBLE QUI se nourrit
de la scène. CONVERSATION
SUR LE THéâTRE, LE CINéMA,
LES FEMMES ET L’AMOUR
à L’OCCASION DE SA PIECE,
OUH, OUH, À l’affiche
EN SEPTEMBRE.
Propos recueillis par Murièle Roos
et Véronique Guichard
Ouh, ouh met en scène l’histoire
d’un revenant. Est-ce que la vie
après la mort, la rédemption, vous
préoccupent ?
Pas du tout. Je ne crois pas à l’au-delà.
Je n’ai pas reçu le don de la foi. Moi, j’irradie plutôt à 19 heures, à l’heure de
l’apéritif ! Je cherchais un rôle où je
pouvais passer pour une folle et l’idée
d’un personnage que je serais la seule à
voir m’amusait. Dans la vie, je suis une
hypocondriaque de l’AVC. Régulièrement, je demande à mon frère qui est
médecin de ne pas me laisser comme
un légume le jour où… Même si je sais
qu’il ne le fera pas, mais cela me rassure
pour un temps.
Dans la pièce, Ramona doit
pardonner à son mari pour que son
fantôme n’erre plus pour l’éternité.
Accordez-vous aisément votre
pardon ?
Pour ce qui est du pardon, soit on m’a
fait une telle crasse que la personne
devient une étrangère pour moi, tout se
brise comme si rien n’avait existé entre
nous, soit on me fait une vacherie en
respectant sa personnalité et du coup,
j’oublie. Je ne suis pas du tout rancunière. Mais j’ai très mauvais caractère
et j’envoie péter beaucoup de monde.
J’aime la solitude et je m’ennuie assez
vite avec les gens. Je n’invite jamais
personne. Il est vrai que je ne suis pas
une maîtresse de maison accomplie.
J’ai reçu une fois Laurent Ruquier pour
une raclette… j’avais oublié le fromage !
Les gens qui comprennent ce que je suis
vraiment, je les compte sur les
photos pascal ito
Notre invitée est une femme pleine de
contradictions. Profondément touchée
par le malheur du monde, elle préfère
faire rire les spectateurs. Solitaire, elle
fuit même les amitiés mais aime à
écrire des histoires profondément humaines où l’émotion et l’amour se
mêlent. Elle peut se sentir totalement
déprimée alors que tout est rose dans sa
vie. La comédienne, auteure et réalisatrice nous reçoit chez elle. Dans la vaste
pièce à vivre, où quelques jouets attendent le retour de sa fille, nous avons
devisé en passant du sérieux aux francs
éclats de rire.
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Interview
Bio
doigts d’une main, mais je n’ai pas
pour autant besoin de les voir. Il me suffit de savoir qu’ils existent, au même
titre qu’il y a des pièces dans ma maison
dont je ne me sers pas forcément mais
les savoir là me rassure.
N’est-ce pas contradictoire d’être
en empathie avec le monde et
d’être solitaire ? Vous avez l’âme
triste ?
Je me sens en souffrance avec les gens,
mais je ne désire pas forcément les côtoyer. Je suis assez contemplative.
J’aime bien regarder par la fenêtre…
Ainsi, je m’entraîne pour la maison de
retraite ! J’ai vu une maman cygne qui
a mis ses petits sur son dos, a refermé
ses ailes et les a emmenés faire une
balade sur la Marne. Devant un tel tableau, je pleure. Je ne veux pas entendre d’histoires tristes alors je ne
regarde pas les nouvelles car toutes les
catastrophes me meurtrissent, me dépriment. C’est peut-être par pudeur
que je préfère rire. Mais je suis sensible
au fait que les femmes sont victimes de
violences conjugales. Je pense qu’on
n’en parle pas suffisamment et qu’on ne
se mobilise pas assez. Je trouve que les
femmes font changer les choses, sont
de tous les combats, et que les hommes
ne leur rendent pas souvent la pareille.
Être féministe, ce n’est pas être contre
les hommes, c’est juste demander la
parité. On devrait ne plus avoir d’enfants, faire la grève du ventre et du sexe
pendant un an !
Vous écrivez pour les femmes
plus particulièrement, mais vous
ne jouez pas dans vos films…
J’adore servir les femmes car je connais
bien leur psychologie. Un groupe de
filles, c’est joli. C’est toujours la rigolade,
ça rit, ça éclate, ça pétille entre filles. Je
Après de multiples rôles
au cinéma, elle devient
scénariste. Son sens de la
repartie et son cheveu sur la
langue la font connaître du
grand public lors de
l’émission radio Les Grosses
Têtes. En 2003 et 2005,
elle joue deux pièces de son
complice Laurent Ruquier,
La Presse est unanime et
Si c’était à refaire. Elle passe
derrière la caméra pour
Je vous trouve très beau,
qui attire trois millions
de spectateurs et remporte
le César du meilleur premier
film en 2005. Suivent
Enfin veuve avec Michèle
Laroque (2007) et
Donnant-Donnant (2010).
Pour sa première pièce en
tant qu’auteur, L’Amour
sur un plateau en 2011,
elle partage la scène avec
Pierre Palmade et en 2012
pour Adieu je reste !, forme
un duo hilarant avec
Chantal Ladesou. Elle
entamera le tournage de
son quatrième film, Tes
mains sur moi, en avril 2015.
ne joue pas dans mes films parce que
j’écris différemment pour le cinéma et
pour le théâtre. Je commence à écrire
un rôle drôle, puis le personnage se met
à pleurer, ce que je ne sais pas faire et il
est évident que je ne vais pas faire de
progrès. À mes débuts, je n’avais aucune
ambition ni l’intention de faire une carrière. Je voulais gagner de l’argent tout
de suite pour ne pas dépendre de
quelqu’un, alors j’ai étudié la sténodactylo, travaillé en intérim, puis j’ai rencontré une apprentie comédienne. J’ai
débuté dans La Dérobade de Daniel
Duval, je jouais une prostituée. En un
jour, je gagnais la même chose qu’en
deux semaines d’intérim. J’ai enchaîné
des rôles où je n’étais pas toujours toute
nue, où même j’avais des dialogues…
Puis vers 30 ans j’ai commencé à entendre « trop vieille pour le rôle ».
Qu’aimeriez-vous dire à nos
lectrices ?
Je trouve qu’on vieillit mieux quand on
a de l’humanité ou de l’empathie mais
je ne crois pas que cela s’acquiert avec
l’âge. On l’a ou on ne l’a pas. La beauté,
c’est la vie, c’est le sang qui bout, c’est
quand on dégage quelque chose et qu’on
est bien dans sa peau. Là où je me sens
vraiment belle, c’est quand je monte sur
scène. J’adore faire rire. Je suis très
égoïste et narcissique, je me donne à
moi-même. Je me nourris de tout ce
que je reçois et je reçois énormément.
C’est comme une drogue. Pour moi,
jouer, c’est comme être amoureux ou
inspiré. En coulisses, j’ai le cœur qui
bat comme avant un premier rendezvous, puis j’entre en scène comme je me
jette dans les bras de l’être aimé. Je me
sens portée par quelque chose, l’enthousiasme ! J’aime ce mot qui vient du
grec et signifie « Dieu qui brûle à l’intérieur ». De la même façon que le regard
et le désir d’un homme changent tout et
donnent l’éclat de la beauté, quand je
sors de scène et que j’ai reçu tous ces
applaudissements, je suis vraiment
belle. Je suis heureuse, nourrie comme
quand je suis amoureuse. C’est la vie
qui m’habite. ✦
C’est pour cette raison que vous
avez opté pour l’écriture ?
Je suis devenue scénariste puis réalisatrice parce qu’on m’a poussée, pas par
ambition. Ce que j’aime, c’est m’élever
au-dessus du quotidien, rêver. Même si
mes pièces ne délivrent pas de message,
elles élèvent quand même puisque pendant une heure et demie, les spectateurs sont emmenés hors de leurs problèmes. Comme ce n’est ni la gloire ni la
notoriété qui me guide, je n’ai pas besoin du jugement des autres. Je suis
trop pessimiste, trop prétentieuse ou
trop fière, mais je crois qu’il n’y a pas
mieux que moi qui puisse me donner
une certaine reconnaissance. C’est moi
face à moi, dans la glace.
Est-ce que vous demandez au miroir
si vous êtes toujours la plus belle ?
Je crois avoir renoncé à la séduction,
même si je crois en la beauté de la vieillesse qui vient. Ça m’attriste mais ça ne
m’angoisse pas. Je préfère dire que ça
ne m’intéresse plus pour avoir peutêtre une belle surprise… Claude Sarraute m’a dit : « Un jour, on est le centre,
et puis un jour, on est transparente. » Si
la jeunesse n’est pas une vertu, la vieillesse n’est pas une tare. Ce qui est une
tare, c’est de s’accrocher à une jeunesse
qu’on ne peut retenir. Mais je pourrais
tomber dans ce travers car c’est quand
même une souffrance de vieillir. Je me
cloître de plus en plus. Je comprends
qu’on se retire du monde comme l’a fait
Greta Garbo. J’aime discuter souvent
avec des jeunes garçons et des jeunes
filles parce que je trouve que la jeunesse
a la grâce. Ce quelque chose qui finit par
s’enfuir est magnifique et me ravit.
Vous écrivez des films où l’humour
est présent mais toujours empreint
d’émotion…
J’adorerais écrire une comédie pure
comme Y a-t-il un pilote dans l’avion ? où
il n’y a pas une once d’émotion. Pour moi,
c’est l’élégance suprême. Mais comme je
travaille la psychologie pour que l’histoire tienne la route, j’arrive à l’émotion.
Je tiens beaucoup à ce que la psychologie de mes personnages soit juste. Je
calque très rarement les rôles sur des
gens qui existent. Je crois que l’on a en
soi tous les gens de la terre. Si tel personnage est humain, il est le réceptacle
de toutes les émotions, les failles, les
forces, les lâchetés de l’homme.
Actu
Dans sa troisième pièce
en tant qu’auteure, Isabelle Mergault est Ramona, une ancienne
star de la chanson, qui vient de perdre son
mari. Quelques jours après ses funérailles, il
lui apparaît et elle est la seule à le voir. Pour
disparaître, le fantôme doit se faire pardonner une faute grave commise ici-bas. Ramona acceptera-t-elle ou préférera-t-elle le
laisser la hanter jour et nuit ?
Ouh ouh d’Isabelle Mergault et Daive Cohen, mise en scène de
Patrice Leconte, avec aussi Jean-Louis Barcelona, Jean-Luc
Porraz & Julien Cafaro, au Théâtre des Variétés à partir du
19 septembre. Réservations 01 42 33 09 92
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