Barnett NEWMAN : « L`Heure est au Sublime ! »

Transcription

Barnett NEWMAN : « L`Heure est au Sublime ! »
Barnett NEWMAN : « L’Heure est au Sublime ! »
Privé de tout fond de sublimité, l’art moderne a été incapable de créer une image
nouvelle du sublime, aussi bien que de se dégager de l’imagerie des formes objectives, héritée
de la Renaissance, sinon par leur distorsion et leur complète dénégation dans un monde évidé
de formalismes géométriques – pure rhétorique de relations mathématiques – ; il s’est empêtré
dans un conflit sur la nature du beau, à savoir : si le beau est dans la nature, ou susceptible
d’être révélé sans la nature.
Je suis persuadé qu’ici en Amérique, certains d’entre nous, libres du poids de la culture
européenne, sont en train de trouver la réponse, en refusant totalement à l’art d’avoir à se
soucier du beau et de sa visée. La question qui surgit à l’heure actuelle est de savoir comment,
si nous vivons une époque sans légendes ni mythes qui puissent être dits sublimes, si nous
refusons tout caractère d’exaltation à de purs rapports, si nous refusons de vivre dans
l’abstraction – par quels moyens pouvons-nous être en train de créer un art sublime ?
Nous réaffirmons le désir naturel de l’homme pour l’exaltation, pour un souci de notre
rapport aux émotions absolues. Nous n’avons nul besoin des accessoires désuets d’une
légende démodée et caduque. Nous créons des images dont la réalité est évidente d’ellemême, et délestées de ces accessoires, de ces béquilles évoquant une parenté à l’imagerie
démodée du sublime ou du beau. Nous nous émancipons des infirmités de la mémoire, de la
filiation, de la nostalgie, de la légende, du mythe, ou de ce qu’on voudra ayant pu constituer
un procédé propre à la peinture occidentale européenne. Au lieu de bâtir des cathédrales à
partir de Christ, de l’homme, de la « vie », nous bâtissons à partir de nous-mêmes, à partir de
nos propres sentiments. L’image que nous produisons est celle, d’elle-même évidente, de la
révélation, réelle et concrète, intelligible par quiconque la considérera sans les nostalgiques
bésicles de l’histoire.
D’après The sublime is now ! (extrait),
in Selected Writings and Interviews,
Los Angeles, University of California Press, 1984, p. 172.