Vers un scandale du bitume - scandale bitume - Pollution

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Vers un scandale du bitume
Francisco Serrano Andrade est mort en 2008 des suites d'un cancer attribué au bitume. Après l'amiante, un
nouveau drame de santé publique en perspective.
"Par principe et pour l’honneur", la famille d’un ancien salarié de la société Eurovia assigne lundi cette entreprise pour
"faute inexcusable" devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) de Bourg-en-Bresse (Ain). La veuve et
les quatre enfants de Francisco Serrano Andrade, décédé des suites d’un cancer de la peau après avoir travaillé
durant une vingtaine d’années au contact du goudron et du bitume, veulent que la responsabilité de son ancien
employeur soit reconnue. "C’est un scandale comparable à celui de l’amiante!", lance Me Jean-Jacques Rinck.
L’avocat lyonnais de la famille Serrano Andrade en est d’autant plus convaincu que le comité régional de
reconnaissance des maladies professionnelles de la CPAM a retenu "un lien direct entre la maladie et l’activité
professionnelle" du salarié, pris en charge au titre d’une maladie professionnelle.
La société Eurovia, par l’intermédiaire de son conseil, Me Franck Dremeaux, entend bien à l’audience "contester toute
faute ayant conduit à la maladie puis au décès de M. Serrano Andrade". Et demander au tribunal un nouveau renvoi.
Une position qui ne surprend pas Me Rinck, pour qui "les multinationales des travaux publics vont devoir dépenser des
milliards pour indemniser les victimes et changer leurs méthodes de travail et de protection des employés".
Après le travail, "il était noir comme un charbonnier"
En cause: le bitume, un résidu du raffinage des pétroles bruts, qui contient des substances toxiques, en particulier des
hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), dont certains sont cancérogènes. Après la catastrophe de l’Erika, en
1999, de nombreux toxicologues, dont Henri Pezerat, directeur de recherches honoraire au CNRS, se sont ainsi
inquiétés de la santé des bénévoles ayant nettoyé les plages souillées par un mélange de résidus de distillation du
pétrole fortement chargé en HAP. "S’il doit apparaître des cancers liés aux expositions à la cargaison de l’Erika, ils ne
surviendront qu’au-delà de l’an 2010 ou 2020", écrivait notamment celui qui fut une figure emblématique du combat
contre l’amiante.
Francisco Serrano Andrade a, lui, travaillé des années comme épandeur régleur puis comme conducteur d’engins à
l’arrière d’un camion de bitume. Perché sur une nacelle ou une lance à la main, sa tâche consistait à pulvériser du
bitume liquéfié pour coller des gravillons sur les routes, sans aucune autre protection à part des gants de manutention.
"Lorsqu’il rentrait le soir, il était noir comme un charbonnier", se souvient Maria de Lourdes, son épouse. En août 2006,
Francisco remarque sur son nez une sorte de grain de beauté qui grossit et le démange. Diagnostic: un carcinome,
une petite tumeur cancéreuse de la peau. La maladie se révèle, chez Francisco, extrêmement agressive. Les
spécialistes doivent procéder à l’ablation du nez et effectuer une greffe. Parallèlement, il entame une curiethérapie.
Mais les rayons et la chirurgie ne font que ralentir l’invasion. En juin 2007, suivi par le professeur Luc Thomas,
dermatologue à l’hôpital de Lyon-Sud, Francisco doit subir une troisième intervention, l’ablation de sa mâchoire
gauche. "Il avait des douleurs intracrâniennes insupportables", se souvient sa femme. Pour de s’occuper lui, son
épouse arrête de travailler. Les quatre enfants du couple se relaient dans le modeste pavillon de Leyment (Ain) pour la
soutenir. Le carcinome évolue vers une tumeur de la face avec envahissement de la base crânienne. Quelques
semaines avant son décès, défiguré par la maladie, Francisco refuse une quatrième intervention chirurgicale
comprenant une trépanation. Il décédera le 3 juillet 2008, à l’âge de 56 ans.
En France, 4.200 salariés sont exposés 1.000 heures par an
"Le cas était gravissime et exceptionnel, suffisamment pour que l’on fasse une enquête et que l’on détermine les
causes du décès", explique au JDD le professeur Luc Thomas. Pour ce spécialiste en dermatologie, "le problème des
carcinomes est sous-estimé chez les personnes exposées aux hydrocarbures en général". Or en France, 4.200
salariés sont directement exposés, à raison de 1.000 heures par an, aux fumées de bitume, estime l’Institut national de
recherche et de sécurité (INRS). "Si on fait porter un masque ou une combinaison de protection, on admet qu’il y a un
risque", explique un délégué syndical d’Eurovia Alpes.
Malgré la colère grandissante des syndicats, les industriels du secteur nient toute implication du bitume dans la
surmortalité des ouvriers de la route. Les statistiques sont en fait difficiles à établir, soulignait déjà Henri Pezerat, "en
raison de l’action négative des employeurs qui bloquent tout accès des chercheurs aux données médicales concernant
en particulier les travailleurs chargés de l’épandage du bitume lors des travaux routiers". D’autant plus que la plupart
sont des immigrés résidant en France quelques années avant de rentrer dans leur pays d’origine, où ils sont isolés.
Depuis le décès de Francisco Serrano Andrade, Eurovia a modifié ses procédures d’épandage du bitume. La lance a
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disparu de l’arrière du camion et les ouvriers ne sont plus, en principe, au contact du produit, rapporte un représentant
du personnel. Il déplore cependant toujours le manque d’information du personnel sur les risques et l’absence de
mesures de protection.
Thierry Boinet - Le Journal du Dimanche
Dimanche 11 Avril 2010
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