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Diane CASSAYRE. - C’est jeudi, je t’attends
C’est jeudi, je t’attends.
Assise sur le perron, ma petite valise en carton rouge sur les genoux. Deux ou trois jouets,
un mouchoir brodé, parfumé de quelques gouttes d’eau de Cologne.
J’ai quatre ans, je suis prête depuis longtemps. Une journée rien que pour moi. Ma sœur de
deux ans ma cadette ne peut pas marcher jusqu’à chez toi.
Je n’ai aucun souvenir du programme de ces jeudis. Je sais juste que je me régale des
tomates et du jambon, que je te demande invariablement. Plusieurs de tes enfants doivent
encore habiter chez toi, je ne me rappelle d’aucun jeu avec eux.
C’est jeudi, je suis avec toi.
Un lien particulier nous unit. Tu as toujours préféré tes garçons. Je suis la fille aînée de ton
fils aîné. Ta première petite-fille. Je parle de toi en disant MA grand-mère. Ma petite sœur
dit : « On va chez la grand-mère de Danielle. »
J’adore me glisser furtivement dans ta chambre à coucher. Et regarder ton portrait. Une
photo en noir et blanc dans un cadre ovale en bois foncé. Un chapeau cloche années 1930,
revers incliné sur un côté, te donne l’air mystérieux d’une actrice de cinéma muet.
Je suis fascinée.
A chacune de mes visites chez toi, seule ou avec mes parents, je me faufile dans la
chambre. Dès tes treize ans, plus d’école pour toi. Tu gardes les vaches dans ton Auvergne
natale. Comment as-tu fait pour graver dans ma mémoire l’aura d’une photo de mode…
Tu as déménagé. Je viens te voir. Trop rarement. Des images du lit cosy en chêne clair, la
machine à coudre à pédale de marque Singer inscrite en lettres dorées.
Je ne vois pas ton portrait dans mes souvenirs de cette chambre.
Tu me racontes ta fuite à Paris avec ton petit frère, les moments difficiles de ton mariage. Je
ne pense plus à ton portrait. Comment ai-je pu oublier, ne pas te demander ?
C’est jeudi, je viens te voir avec mon fils. Ton regard se perd, loin dans tes chagrins. Tu
téléphones à mes parents. « Une gentille dame blonde est venue me voir avec un bébé. »
Qui a vidé ton ultime appartement ? Où est ton portrait ? Je questionne inlassablement mon
père. Ne reste que l’estompe de mes souvenirs.
J’ai acheté la réplique de ma valise en carton rouge. Dedans, la photo en noir et blanc d’une
petite fille assise sur un perron.
C’est jeudi, elle attend.