Liberté, Egalité, Fraternité - Le Billet des Auteurs de Théâtre

Transcription

Liberté, Egalité, Fraternité - Le Billet des Auteurs de Théâtre
Trinité sur un rocher
Scène 1
Trois soldats français, Liberté, Egalité et Fraternité, en guenilles autour d’un
feu. Deux sont allongés et le troisième, Egalité, fait les cents pas. Il monte la
garde.
Egalité : Liberté…
…
Egalité : Liberté…
Liberté : Oui, quoi ?
Egalité : Tu dors?
Liberté : Tu me réveilles pour me demander si je dors ?
Egalité : Quelque chose bouge.
Liberté : Le vent, une branche, ton esprit agité.
Egalité : Pas de vent, pas un souffle. J’ai vu l’ombre…
Liberté : L’ombre ?
Egalité : Une ombre.
Liberté : La lune, l’ombre de la lune. Pleine ce soir. Pleine. Mon ventre, creux.
Un tambour, Mes entrailles dansent. J’ai faim et toi tu me réveilles.
Egalité : Les branches craquent et elles s’agitent. Ca bouge en bas. Ca vit, ça vit
salement.
TRINITE SUR UN ROCHER de Alain FOIX Septembre 2007
Déposé à la SACD
Liberté : Egalité, Egalité, mon cher Egalité, redis-moi le dicton.
Egalité : Lequel ? Ventre affamé n’a pas d’oreille ?
Liberté : Non, celui-là ne vaut rien. La preuve : des oreilles d’éléphant viennent
de pousser cette nuit sur ton ventre ballonné. Non, pas celui-là.
Egalité : Qui dort dîne ?
Liberté : C’est ça ! Qui dort dîne. Tu sais ce que ça veut dire ?
Egalité : Ben oui.
Liberté : Alors, laisse-moi dormir. J’ai faim.
Un moment de silence…
Egalité : Liberté…
…
Egalité : Liberté
Liberté : Quoi encore ?
Egalité : Ca bouge vraiment. Un vrai remue-ménage. Ca vit, ça grouille, là, endessous de l’arbre.
Liberté : Un homme ?
Egalité : Je ne sais pas. Je tire ?
Liberté : Oui, mais ne le rate pas. Il n’y en a plus beaucoup. Qu’est-ce que c’est ?
Un homme, une bête ?
Egalité : Une bête peut-être. Possible. Sans doute une bête.
Liberté : Un cabri ? Un cochon sauvage ? Un sanglier ? Oh ! Oui, un sanglier,
ça serait bien, un sanglier, pas vrai ?
Egalité : Un sanglier ? bien rôti avec des baies sauvages ?
Liberté : Et arrosé de vin. Un bon vin rouge. Du bourgogne peut-être. Oui, du
bourgogne. Que dirais tu d’un bon verre de bourgogne ?
TRINITE SUR UN ROCHER de Alain FOIX Septembre 2007
Déposé à la SACD
Egalité : Hum… bourgogne et gibier, beau mariage, pas vrai ? Mon père disait
« Bourgogne, c’est le sang de la terre ».
Liberté : Ouais…Trop de sang. Trop de sang sur cette terre. Dis moi, Egalité,
Depuis combien de temps n’avons nous pas bu une seule goutte de vin ?
Egalité : Oh ! Des lustres, des lunes ! Une pleine brassée de lunes.
Liberté : Combien, Egalité, combien exactement ?
Egalité : Je ne sais pas… La dernière goutte, ce n’est pas nous qui l’avons bue.
Tu te souviens ?
Liberté : Si je m’en souviens ? Je le vois encore, comme si c’était hier, le chef
de ces sauvages, siffler cette bonne bouteille. Cul sec. Salopard ! Bourré comme
un cochon, et le village avec. Tout un village d’ivrognes. Tout ce bon vin... Mais
que pouvait-on faire ? C’était le plan, pas vrai ?
Egalité : C’était ton plan, un sacré plan. Ca a marché et nous sommes libres.
Liberté : Libres ? Tu appelles ça la liberté ? Depuis combien de temps sommes
en haut de ce rocher? Assiégés, pris au piège, enfermés comme des rats.
Combien de temps ?
Egalité : Je ne sais pas… Un an peut-être…
Liberté : Un an ! Un an à manger des racines, des baies sauvages et des lézards
et boire de l’eau de pluie. Un an !
Egalité : Tu préfèrerais peut-être rester esclave de ces sauvages.
Liberté : Bon Dieu, Egalité, nous étions les derniers. Ils nous auraient tués
jusqu’au dernier. Toute une armée. Tu te rends compte ? Nous étions une armée.
Que reste-t-il de cette armée ? Trois pauvres damnés coincés tout en haut d’un
rocher.
TRINITE SUR UN ROCHER de Alain FOIX Septembre 2007
Déposé à la SACD
Egalité : Les trois derniers. Liberté, Egalité, Fraternité. Le dernier carré de toute
l’armée française.
Liberté : Triangle !
Egalité : Quoi ?
Liberté : Triangle, bougre d’idiot. Trois, ça fait un triangle, pas un carré.
Egalité : Triangle ou carré, qu’est-ce que ça fait ? Nous sommes bien là tous
trois et bien vivants.
Liberté : Ca fait que trois, ce n’est pas quatre. Et si nous sommes là et encore
bien vivants, c’est grâce à ce serment qui nous unit comme un seul homme. Ne
l’oublie jamais, n’oublie jamais ce serment là, soldat deuxième classe Egalité.
Egalité : Deuxième classe ? Ah ! Ca, sergent, tu ne rates pas une occasion de me
rappeler mon grade, sergent ! Sergent Liberté. Fais le malin, sergent, mais l’idée,
la belle idée, ce n’est pas dans ton petit cerveau qu’elle aurait pu germer.
Liberté : Quelle idée ?
Egalité : Quelle idée ? Tu as déjà oublié ? Liberté, Egalité, Fraternité. Ces trois
noms qui nous unissent comme un seul homme. Ces trois noms qui nous ont
permis d’endurer tout ce qu’on a enduré. Qui nous ont tellement collé à la peau
que je ne sais plus quel est ton nom, le vrai, et que le mien je l’ai presque oublié.
Cette idée là, ce n’est pas toi.
Liberté : Tu parles d’une idée. Une idée de jésuite. Ouais, une idée de jésuite.
Egalité : Tu dis ça parce qu’il roupille.
Liberté : Il dort tout le temps. Regarde le, cet air béat. Vois comme il sourit dans
son sommeil. Il vole avec les anges, cet hypocrite. Mais soulève sa soutane, et tu
découvres une rame de galérien bien en action, bien agitée sur l’océan de tous les
TRINITE SUR UN ROCHER de Alain FOIX Septembre 2007
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vices. Le Père Fraternité ! Tu parles. Tout juste bon à vous faire des sermons.
Mais quand il s’agit de l’action…
Egalité : N’empêche que cette idée, cette idée là, elle est de lui. Tous trois unis
comme la sainte trinité. C’est grâce à ça qu’on a tenu.
Liberté : On a tenu grâce à l’action et à la volonté, et parce qu’il y a un chef et
un serment.
Egalité : Cause toujours.
Liberté : Quoi ?
Egalité : Rien. Là, ça bouge encore.
Liberté : Tire bougre d’idiot. Tire ! (Il tire et Fraternité se réveille en sursaut)
Scène 2
Fraternité : Qu’est-ce que c’est ?
Egalité : Ca ne bouge plus. Je l’ai touché, tu crois ?
Liberté : Peut-être bien. J’ai cru le voir tomber.
Fraternité : Qu’est-ce que c’est ? Une attaque ?
Liberté : Rien. Ce n’est rien. Tu peux dormir tranquille. Replonge dans tes rêves.
Fraternité : Mais, vous avez tiré. Sur qui ?
Liberté : Une ombre.
Fraternité : Une ombre ?
Egalité : Un homme peut-être. Un animal sûrement.
Fraternité : Un animal ? Un gros ?
Egalité : La taille d’un sanglier.
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Fraternité : On pourrait donc manger, mon Dieu ! On pourrait donc manger !
Liberté : On verra ça demain. En attendant, dormez. Je vais prendre la relève.
On entend les pleurs d’un bébé
Liberté : Eh bien voilà ! Il fallait s’y attendre. Et c’est parti pour toute la nuit.
Faites le donc taire, bon Dieu ! Faites le donc taire !
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Scène 3
Le jour se lève, les trois hommes sont debout autour d’un mât de fortune.
Liberté : Garde à vous ! Présentez armes ! Repos ! Hissez couleurs !
Egalité hisse un drapeau bleu blanc rouge déchiqueté le long du mât
Liberté : Clairon, sonnez !
Egalité sort un vieux clairon de sa besace et sonne une marseillaise
épouvantable tandis que les deux autres se mettent au garde à vous.
Liberté : Soldats, rompez !
Fraternité (sortant son missel): Une petite prière peut-être ?
Liberté : Euh… plus tard. On va d’abord voir ce qu’on a tué cette nuit en bas du
rocher.
Fraternité (rangeant son missel) : Bonne idée !
Liberté : Soldat Egalité, descends en bas de ce rocher et dis-nous ce que nous
avons tué cette nuit.
Egalité : Ce que j’ai tué.
Liberté : Exécution ! Nous te couvrons.
Egalité descend en maugréant
Liberté : Alors ?
Egalité : Rien
Liberté : Quoi rien ?
Egalité : Rien de rien. Du sang. Je l’ai touché.
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Liberté : Suis ses traces. S’il est blessé. Il ne peut être loin.
Egalité : Peine perdue.
Liberté : Comment peine perdue ?
Egalité : Des plumes et une sagaie. C’était un homme.
Fraternité : Oh ! Mon Dieu.
Un long silence
Liberté : Alors Fraternité, et cette prière ? Elle vient ?
Scène 4
Il fait nuit. Les 3 hommes sont autour d’un feu. Un bébé crie non loin.
Egalité : Encore un peu de soupe ?
Fraternité : Non merci, je suis rassasié (Il rit nerveusement).
Liberté : Tu appelles ça de la soupe ? Un demi lézard, bouilli dans de l’eau
chaude croupie?
Egalité : L’autre moitié, je la garde pour demain. Après, c’est fini. Plus rien à se
mettre sous la dent. Même les lézards ont fui notre présence. Bon Dieu, mais
qu’est ce que j’ai les crocs. Mon ventre braille encore plus fort que cette
morveuse.
Liberté : Bon sang. Mais pourquoi donc braille-t-elle ainsi ? Elle me rend fou.
Fraternité : Elle n’a plus de lait. On lui a tout pris. Les seins sont secs.
Liberté : Secs, secs et plats.
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Egalité : Elle était ronde, pas vrai? Une marie-jeanne de bon vin, on aurait dit.
Et ses seins ! Ses seins ! Deux outres pleines de lait qui giclaient dans la bouche.
Deux fontaines d’abondance.
Fraternité : La dernière goutte, nous l’avons bue, j’en ai bien peur.
Egalité : C’est la fin, je crois que c’est la fin. La dernière goutte de vin, et puis la
dernière goutte de lait. Ne reste que le sang. Notre sang. Un sang tourné, tout
bleu, à force d’être affamé.
Fraternité : Et si on la rendait ?
Egalité : Oui. Et si on la rendait ?
Fraternité : Le chef serait reconnaissant de notre geste et nous accorderait peutêtre la vie sauve.
Liberté : Vous délirez, vous perdez la raison. La faim vous rend complètement
dingues.
Egalité : C’était ton idée, c’était ton plan. Voilà où il nous mène. Nous sommes
coincés depuis un an sur ce rocher avec la fille du chef et même plus un lézard à
se mettre sous la dent. Il a raison. Ramenons la et mettons fin à ce cauchemar.
(Fraternité et Egalité se dirigent comme un seul homme vers l’endroit d’où
viennent les cris du bébé)
Liberté (saisissant son arme) : Un geste de plus et je vous grille. Vous êtes
complètement cinglés! La fille du chef est notre seule garantie. Sans cet otage,
nous serions morts depuis longtemps. Mais qu’est-ce que vous croyez ? Que
c’est notre position sur un piton rocheux et quelques balles qui suffiraient pour
arrêter cette armée de sauvages ? Des sauvages assoiffés de sang? Réfléchissez
un peu. Si on a tenu si longtemps, c’est grâce à elle…
Egalité : Et à ses seins.
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Fraternité : Mais ils sont secs.
Egalité : A quoi sert-elle maintenant ? De toute façon, on va mourir de faim.
Pire encore : ce bébé-là qui braille et qui a faim et aura encore faim, il va nous
rendre fous. On ferait bien d’en finir une bonne fois pour toutes avant qu’elle
nous rende complètement barjots.
Liberté : Tu tuerais donc ta fille ?
Egalité : Ma fille ? Pourquoi ma fille ? Et pourquoi pas la tienne ?
Liberté : La mienne peut-être aussi. Et celle de Fraternité sans doute.
Fraternité : La mienne ?
Liberté : Oui, monsieur le jésuite, ta fille. Tu crois que je ne t’ai pas bien
observé ? Depuis un an tu ne rates pas une seule occasion d’aller faire ta prière
auprès de la gamine. A lui apprendre sans doute la position du missionnaire.
Fraternité : Je ne te permets pas…
Liberté : Ce bébé-là est à un de nous trois. Et dans le doute je dirais bien qu’elle
a trois pères. La fameuse trinité, n’est-ce pas, Fraternité ?
Fraternité : Tu blasphèmes !
Liberté : Non, la vérité, Fraternité, la simple vérité. Cette enfant a trois pères.
Lequel des trois va l’étrangler ?
Scène 5
Le soleil se lève, les trois hommes autour du mât.
Liberté : Garde à vous ! Fixe ! Présentez armes ! Repos ! Hissez couleurs !
Garde à vous ! Clairon, sonnez !
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Sonnerie épouvantable d’une horrible marseillaise sur un clairon cabossé et
rouillé.
Liberté : Rompez les rangs !
Fraternité : Une petite prière ?
Liberté : Oui, une petite prière.
Ils se mettent en attitude de recueillement. On entend les cris d’un bébé au loin
et la voix de sa mère qui lui chante une berceuse.
Fraternité : Mon Dieu, dans votre grande miséricorde, accordez nous notre pain
quotidien. Une fois, au moins une fois…
Egalité : Du vin aussi.
Fraternité : Silence ! Pardonnez à ceux qui vous ont offensés, accordez nous
votre grâce, pardonnez nous nos offenses. Pardonnez nos pêchés. Soyez
indulgents auprès de ceux qui ont si faim et pardonnez nous, humbles pêcheurs,
qui serons peut-être obligés de commettre un outrage, de commettre l’indicible,
de commettre le pire, si votre main bénite ne nous accorde pas le pain qui nous
est dû. Amen.
Liberté et Egalité : Amen.
Fraternité : Vous croyez que c’est la solution ?
Liberté : Si tu as mieux, je suis preneur.
Egalité : Mais le chef, et la rançon ?
Liberté : On l’a toujours, la rançon. Sûr qu’à ses yeux c’est le même prix. Sa
fille aura seulement un peu rétréci.
Fraternité : Et rajeuni aussi.
Egalité : Sa fille, sa petite fille, toute, toute petite.
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Liberté : Un tour de magie. On lui vole sa fille de 16 ans et hop ! On lui rend la
même à l’âge de 3 mois. S’il nous attrape, il nous prendra pour des sorciers et sûr
qu’on lui fichera la frousse. S’il nous attrape. Parce qu’avec la petite, ce sera un
jeu d’enfant de filer de nuit à l’anglaise.
Egalité : Il faudrait l’empêcher de brailler, parce que ses cris, sûr qu’on les
entend à des lieues à la ronde.
Liberté : Ne t’inquiète pas pour ça. Il y des moyens efficaces. Bon, on y va ?
Fraternité : On y va quoi ?
Liberté : Ben, faire ce qu’on a dit.
Egalité : Ben, ce n’est pas toi qui ?… c’est ton idée.
Liberté : Comment c’est mon idée ? On était tous d’accord, pas vrai ?
Fraternité : Et si on attendait encore un peu ? Un jour pas plus. Après tout, on
vient de faire une prière. On ne sait jamais…
Egalité : Un miracle ? Pourquoi pas un miracle.
Liberté : Un miracle ? Ce n’est pas vrai ! Vous croyez aux miracles ? Bon
puisque vous croyez aux miracles. Attendons le miracle. Je vous accorde 24
heures, et pas une heure de plus. Après, on n’aura plus la force, ni même la
volonté.
L’enfant s’est tu. On n’entend plus que le chant de sa mère.
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Scène 6
Le jour se lève. Les 3 sont harassés. Le bébé pleure et la mère chante.
Liberté : Garde à vous… Fixe… Présentez armes… hissez couleurs…clairon
sonnez (sonnerie chétive et fausse, Egalité, de rage, jette son clairon). C’est
mieux ainsi. Rompez… Prière.
Fraternité : Notre père qui êtes aux cieux et qui n’entendez pas le cri de nos
entrailles, priez pour nous, pauvres pêcheurs, et pardonnez nous nos offenses et
nos pêchés et ce crime innommable…
Liberté : Bon ça va. Amen. On y va maintenant.
Fraternité : J’ai fait un rêve.
Liberté : Quoi ?
Fraternité : Un rêve étrange et pénétrant…
Egalité : C’est drôle, moi aussi, pénétrant…Très pénétrant…
Fraternité : Un rêve, sur des collines rouges… le monde entier, sauvages,
esclaves et maîtres, se rendaient à ma table partager le bon pain, avec moi,
Fraternité.
Egalité : Ah ! Celui-là? Je l’ai fait moi aussi. J’ai rêvé d’un monde sans aucun
besoin d’avidité ou de faim.
Fraternité : Une fraternité humaine…
Liberté (à Fraternité): Un paradis ? Mais imagine qu’il n’y a pas de paradis.
C’est facile, si tu essaies. Pas d’enfer au-dessous de nous, et au-dessus de nous
que du ciel. Et pas de religion non plus.
Fraternité (à Liberté): C’était beau. Imagine un monde sans aucune possession.
Je me demande si tu le peux. Imagine tous les gens partageant tout le monde…
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Egalité (à Liberté): Imagine qu’il n’y a pas de pays, rien au nom duquel tuer et
mourir.
Fraternité (à Liberté) : Imagine le monde entier vivant la vie en paix.
Egalité (à Liberté) : Tu peux dire que je suis un rêveur, mais je ne suis pas le
seul.
Liberté : Ok ! Ca a été la nuit d’une dure journée (it’s been a hard day’s night).
Vous délirez tous les deux. C’est la fatigue, la faim ou la trouille ou les trois à la
fois. Bon, ça suffit maintenant, vous voulez gagner du temps, mais on n’a pas de
temps à perdre. On y va.
Egalité : Non.
Liberté : Quoi non ?
Egalité : Je ne le ferai pas.
Liberté : Comment tu ne le feras pas ? Nous le ferons, et tous ensemble. C’est
un ordre.
Egalité : Elle est si belle, si douce, si jeune… non, je ne le ferai pas.
Liberté : Une rébellion ?
Egalité : Appelle ça comme tu voudras. Je ne le ferai pas.
Liberté : Fraternité…
Fraternité : Chacun selon sa conscience.
Liberté : Mais qui parle de conscience ? Il s’agit du ventre, de la survie.
N’oubliez pas le pacte : « Un pour tous, tous pour un. » Et ta fameuse trinité,
fraternité, tu l’as donc oubliée ? C’est en son nom, pas vrai, qu’on a survécu.
Fraternité : Mais il ne s’agissait pas de…
Liberté : Bon, d’accord. Ce sera tout le monde et personne. Deux balles à blanc
et une balle rouge (il sort deux balles à blanc et une vraie balle, les mélange dans
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son dos et les présente à ses comparses). Choisissez. (Ils choisissent à l’aveugle
en tapant dans chacune des deux mains). Maintenant, tous coupables ou tous
innocents. C’est selon sa conscience. On y va.
Ils sortent. Le chant se tait, le bébé crie. On entend 3 détonations. Silence. Les
cris du bébé reprennent de plus belle.
Scène 7
La nuit, les 3 hommes mangeant autour du feu.
Liberté : Avec un peu d’imagination, on pourrait croire du sanglier, un peu plus
tendre.
Fraternité : Silence ! (Il se lève pour aller vomir dans un coin)
Liberté : Tu y reviendras, c’est sûr. La faim est une maîtresse impitoyable.
Egalité : Ca serait mieux avec un peu de vin, pas vrai ?
Liberté : Oui, du bourgogne. Ca se marie bien avec le gibier.
On entend le bébé pleurer.
Liberté (à fraternité) : Tu vas lui donner sa bouillie ?
Fraternité : Dieu nous pardonne (il sort).
Liberté : Il faut le comprendre, après tout. Il vient ici pour apporter la foi, la
démocratie et la civilisation aux sauvages, mais non seulement il baise la fille du
chef, mais en plus, il la mange.
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Fraternité revient avec le bébé dans un linge.
Fraternité : Au fait comment s’appelle-t-elle ?
Egalité : Elle n’a pas encore de nom, je crois.
Fraternité : Il faudrait la baptiser, en faire une bonne chrétienne. Mais il lui faut
un nom. Vous avez une idée ?
Liberté (après un silence) : France, on pourrait l’appeler France.
Egalité : France, oui, c’est joli, France.
Liberté (rêveur): France, fille de Liberté, Egalité et de Fraternité…
Fraternité : Non, non, pas France. Ca ne va pas. On pourrait l’appeler… comme
sa mère.
Egalité : Solitude ?
Liberté : Oui, c’est joli, Solitude.
Introduction de Imagine de John Lennon… et Fraternité berçant Solitude chante:
“ you may say I’m a dreamer, but I’m not the only one.”
Scène 8
Autour d’un feu, la nuit, les 3 hommes et un berceau. Fraternité et Egalité sont
endormis. Liberté qui mène la garde, songe à haute voix.
Liberté : J’ai faim. J’ai encore faim. J’ai toujours faim. Nous sommes coincés.
On ne passera pas. Ils nous attendent en bas, dans les fourrés. Nuit et jour, jour et
nuit. Ils ont le temps. Ils ont tout leur temps. Il faut tenir, tenir encore. Combien
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de temps encore ? Et ces deux là. Il faut les surveiller. Cet imbécile d’Egalité, ce
gros naïf, toujours prêt à croire toutes les sornettes qu’on lui raconte. Il boit
comme du bon vin toutes les paroles du père Fraternité. Dangereux, Fraternité.
Ils vont finir par se liguer contre moi. Il faut que je prenne les devants. Les temps
vont être durs. Plus rien à manger.
On entend Solitude gazouiller dans son berceau
Non, non, pas toi ma Solitude. Pas toi. Tu es si belle. Plus belle de jour en jour.
Plus belle que ta maman. Et ces yeux clairs. Ces beaux yeux clairs. Les yeux de
ton papa. Pas ceux de ce nigaud, encore moins ceux du Tartuffe, cet hypocrite.
Non, de beaux yeux francs et bien ouverts, de celle qui sait voir loin, au-dessus
de l’horizon. Tu es ma fille, c’est sûr. Ma fille ! Liberté a une fille, elle est belle.
Elle s’appelle Solitude. Je n’aime pas comme ils te regardent. Ne t’inquiète pas,
ma petite chérie. Je vais te protéger contre ces deux là. J’ai mon plan. Egalité me
craint et me respecte. Je suis son chef. Le jour venu, quand il aura bien faim, je
le retournerai contre fraternité. On va se le bouffer, le père Fraternité. Ca nous
fera tenir un bon moment. Et puis après on verra. Oui, on verra. Et puis s’il le
faut, eh bien… Egalité… ce ne sera pas compliqué… Et après ? Eh bien, après,
on verra. On sera seuls au monde, toi et moi, oui toi et moi. Toi tout contre
moi. Ne t’inquiète pas, ma petite fille. On les aura. On les aura. Ne t’inquiète pas.
Fais dodo, mon ange, fais dodo, ma chérie. Ne t’inquiète pas.
Fin
Alain Foix
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