La jeune fille à la perle ou la leçon d`anatomie
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La jeune fille à la perle ou la leçon d`anatomie
La jeune fille à la perle ou la leçon d’anatomie - Mais arrête de t’agiter comme ça ! Tu n’as donc rien à faire ? Où en es ta broderie ? Fais comme tes sœurs, regarde, Maria raccommode les draps, Béatrix aide à éplucher les légumes, Cornélia est partie rendre visite à ta grand-mère…. Mais déjà Catharina n’écoute plus la litanie de sa mère. Oui, elle le sait, ses six sœurs sont toutes plus sages et plus obéissantes qu’elle. Quant aux frères, bien sûr, ils n’ont pas de compte à rendre, et font ce qu’ils veulent. Elle, c’est la petite dernière, l’indocile, mais aussi la plus jolie. Et la préférée de son père ! Ne l’a-t-il pas prise pour modèle pour son dernier tableau ? Pour l’occasion, il lui a accroché aux oreilles les perles de sa mère, et a entouré ses cheveux d’un turban neuf. « La jeune fille au turban », c’est comme ça qu’il a appelé ce tableau. Ses autres frères et sœurs sont jaloux d’elle depuis. Mais aujourd’hui, même l’évocation de ce souvenir ne fait plus sourire Catharina. Si sa mère ne la regardait pas d’un œil soupçonneux alors qu’elle s’est assise et a repris son aiguille, elle se laisserait aller à sangloter. La vie est tellement triste ! Elle n’a que seize ans, et déjà, les soucis l’accablent. D’abord, son ventre qui s’arrondit, et qu’elle tente de cacher sous des jupons et des robes amples. Mais surtout, le pire de tout, c’est le jour de la pendaison ! Jusqu’au dernier moment, elle a espéré une mesure de clémence… mais non. Les juges ont été inflexibles. Aris sera pendu ce matin. Et dès l’après-midi, son corps sera sur la table de dissection de l’infâme Dr Tulp, le représentant de la guilde des chirurgiens… Bien sûr, elle n’est pas censée être au courant de tout ça, mais au marché, elle a bien entendu les commentaires, qui l’ont tant fait souffrir. - Bien fait pour lui, ce sale voleur ! Comme ça, il ne recommencera plus. Depuis le temps qu’on cherchait à l’attraper, cette fois, c’est fini pour lui ! …… S’ils savaient…. Et ses parents ! Qui prétendent descendre d’une bonne famille…. Elle a pourtant entendu des histoires peu reluisantes sur ses grands-parents. Le père de sa mère, impliqué dans un trafic de fausse monnaie, celui de son père, condamné à la suite d’une rixe au couteau, qui a coûté la vie à un homme… C’est son oncle, encore un violent, celui-là, qui lui a raconté tout ça un jour qu’il était plus saoul que de coutume …. Mais peut-être est-ce ce côté sombre qui l’a attiré chez Aris ? Aris, son cher amour, il va finir le ventre ouvert, sous l’œil de tous ces pervers qui se disent chirurgiens… C’est là, au marché justement, qu’elle a fait sa connaissance. Elle avait bien vu qu’il avait volé un jambon entier et l’avait adroitement dissimulé sous sa cape, mais elle n’avait rien dit. Elle n’avait aucune sympathie pour le marchand, toujours prêt à la tripoter si elle passait trop près de lui. Et elle avait fait un clin d’œil au voleur, accompagné d’un grand sourire… Depuis, ils se rencontraient en secret chaque fois qu’elle le pouvait, avec la complicité d’une de ses sœurs chargée de lui servir de chaperon. Et voilà qu’elle est enceinte, et bientôt veuve ! La vie est vraiment injuste…. Oui, la vie est injuste, c’est aussi ce que pense Pierre. Lui, héritier direct de Vermeer, en est réduit à manger aux restos du cœur ! Et à faire la manche dans le métro pour finir le mois, sa maigre allocation chômage ne lui permettant pas de payer son loyer. Pourtant, la voyante le lui a affirmé, il compte bien parmi ses ancêtres Vermeer lui-même ! La preuve, son nom de famille, Dulac, qui est la traduction exacte du hollandais Van der Meer, autrement dit Vermeer ! Oui, cette révélation valait bien les cent euros que lui avait coûtés la consultation. Michelle le lui avait promis : - Ecoute, viens avec moi, tu verras, elle est formidable, cette femme. Elle m’a prédit que je rencontrerai le grand amour, et depuis hier, mon collègue Patrick n’arrête pas de me faire des sourires. Alors ? Mais que faire de ce glorieux ancêtre ? Il s’est plongé sur internet, et a appris par cœur la vie de Vermeer, le nom de ses onze enfants, se demandant duquel il pouvait bien descendre…. Et il avait choisi. Celle que Vermeer avait peinte, et qu’on appelait maintenant « la jeune fille à la perle ». En examinant bien ce portrait, il avait trouvé des airs de ressemblance : les yeux par exemple, et peut-être aussi le nez…. Il doit maintenant faire valoir ses droits…. Il a d’abord songé voler le tableau, mais c’est trop difficile. Il a bien volé de temps en temps un peu de nourriture ou un CD au supermarché, mais là, c’est autre chose ! Michelle l’a assuré connaître un ami de son cousin, gardien au musée Maurithuis. Alors, ils ont pensé à quelque chose de plus simple, pas vraiment illégal, qui attirerait l’attention du monde entier, et lui permettant de faire valoir ses droits. Un échange. Entre deux tableaux. Le Vermeer, bien sûr, mais l’autre ? Il ne connaît pas ce musée, et ce n’est pas maintenant qu’il est au chômage qu’il peut se payer le voyage. A moins de rentabiliser le trajet ? Trouver une marchandise pas chère à Amsterdam, à revendre pour se faire un peu d’argent… Oui, c’est une idée. En attendant, il a cherché sur internet les tableaux les plus connus du musée, et il est tombé sur « la leçon d’anatomie » de Rembrandt. Qui aurait pu être un des maîtres de Vermeer. Le cadavre sur la table de dissection, un nommé Aris Kindt, l’a troublé. Quelle époque, où l’on pouvait être pendu pour quelques larcins, et disséqué juste après. Même les morts n’avaient pas la paix. Oui, c’était décidé, avec l’aide du copain du cousin, et de Michelle, qui les accompagnera en voiture, ils vont procéder à l’échange des tableaux. Et on verra bien si ses droits ne sont pas enfin reconnus !