JDD 4mai2013 PuntaCana-SaintTrop
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JDD 4mai2013 PuntaCana-SaintTrop
Le Journal du Dimanche samedi 04 mai 2013 Punta Cana-Saint Trop', ligne de coke L'avion s'apprêtait à décoller de République dominicaine avec 680 kg de drogue à bord. Des cartels mexicains à la jet-set franco-roumaine, enquête sur les acteurs du "Falcon de la cocaïne". Près de 700 kg de cocaïne, le jet d'un grand patron saisi, un quartet de Français en détention provisoire en République dominicaine, un douanier et un homme d'affaires au parcours étonnant écroués en France… Si l'affaire du "Falcon de la coke", intercepté le 20 mars dernier sur l'aéroport de Punta Cana, offre tous les ingrédients d'un passionnant roman policier, c'est aussi une procédure judiciaire complexe qui se joue des deux côtés de l'Atlantique. En République dominicaine d'abord où l'arraisonnement du jet appartenant à Alain Afflelou a servi de flagrant délit - grâce à l'infiltration de policiers et d'agents de l'agence anti-drogue américaine - pour mettre au jour un énorme système de corruption de l'appareil militaro-policier en charge de la surveillance de cet aéroport : plus de 30 policiers, douaniers et militaires ont été écroués en même temps que les quatre Français. À Marseille ensuite, où la juridiction inter-régionale spécialisée (Jirs) a chargé l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS) d'enquêter sur ce dossier transatlantique. Le cartel Plaque tournante du trafic de cocaïne, la République dominicaine inquiète de plus en plus les acteurs de la lutte anti-narcotique. La raison? Elle vient du Mexique, où sévissent de puissants cartels. Une des branches du cartel de Sinaloa est d'ailleurs particulièrement bien implantée sur l'île. Elle serait le fournisseur des 680 kg de coke saisis dans l'avion des Français. Le Falcon Alain Afflelou reverra-t-il son Falcon 50 immatriculé F-GXMC? Rien n'est moins sûr. Même s'il n'est absolument pas impliqué dans le trafic puisque l'avion était loué à un tiers via une société lyonnaise - SN Trans Hélicoptère Services -, celui-ci a été confisqué par les autorités dominicaines. "Nous avons mandaté un avocat dominicain pour effectuer toutes les démarches en vue d'obtenir la restitution de l'avion", indique au JDD Me Hervé Temime, l'avocat de l'homme d'affaires. Le 20 mars, l'appareil devait s'envoler pour le petit aéroport de Saint-Tropez (Var) après une escale prévue aux Açores. Mais pour les enquêteurs, la destination finale des quelque 700 kg de poudre était l'Italie voisine. Les pilotes Simples "chauffeurs de taxi" ou complices avertis? Victor Odos, 54 ans, et Pascal Fauret, 43 ans, sont les deux pilotes du Falcon. Deux anciens de l'aéronavale et de l'armée de l'air reconvertis dans l'aviation d'affaires, en l'occurrence la société SN THS. Commandants de bord, pouvaient-ils ignorer le contenu des 26 valises, pour un seul passager, transportées dans leur avion? "Non", a répondu la justice dominicaine en prononçant leur maintien en détention provisoire pour un an, mais une procédure d'appel doit être examinée d'ici à dix jours. "J'ai bon espoir, confie Me Jean Reinhart, leur avocat. Il n'y a rien dans le dossier qui laisse à penser que ces pilotes auraient mis en danger leur carrière et leur famille en entrant dans la combine. Je rappelle que les commandants de bord n'ont pas le droit de faire ouvrir les bagages, dont l'enregistrement se fait sous le contrôle de la douane." Le logisticien "Il y a plein de gens qui font appel à Castany pour organiser des vols discrets. C'est son métier…" Cette confidence d'une source proche de l'enquête situe le rôle prêté à Alain Castany, le "logisticien" du voyage. Cet ancien assureur, condamné en 2002 pour abus de confiance au préjudice d'AXA, est un passionné d'aéronautique. Plusieurs de ses sociétés sont basées à Paris. Allure martiale et portant beau malgré ses 67 ans, Castany s'est présenté aux autorités dominicaines comme le troisième pilote du Falcon. "Son nom figure sur les documents de vol comme membre de l'équipage, insiste Me Karim Beylouni, son avocat. Ce type est un pilote. Punta Cana et Saint-Tropez ne sont pas des pistes clandestines mais des aéroports contrôlés par les douanes. Ce qui est en jeu, c'est le statut des pilotes, qui ne sont pas responsables de la défaillance et de la corruption de certains agents locaux." L'homme de main Il venait juste d'atterrir en provenance de Roumanie et, officiellement, était le seul passager du jet privé. Pourtant Nicolas Pisapia, 38 ans, n'a pas vraiment le profil d'un businessman capable de s'offrir un tel voyage en Falcon. Marié à une Roumaine employée comme réceptionniste dans une clinique et qui gagne 300 euros par mois selon la presse roumaine, ce jeune papa est sourtout présenté comme l'ami et l'"homme à tout faire" d'un homme d'affaires français installé en Roumanie. Un Toulonnais comme lui, un certain Frank Colin. Le commanditaire Sa vie ressemble à un roman. Et depuis son mariage en 2009 avec la belle Maria Marinescu, une créatrice de mode très en vue à Bucarest, il s'affiche dans tous les magazines people de Roumanie. Frank Colin, 40 ans, débarque à Paris à la fin des années 1990 dans les valises d'un autre enfant de Toulon, Jean Roch, qui ouvre alors dans la capitale le Bash, puis le VIP Room, sur les Champs-Élysées. "Il assurait la sécurité", se souvient un témoin qui décrit "un charmant garçon, toujours poli, jamais vu avec de la drogue". Selon ce proche, Colin a ensuite joué les gardes du corps pour le fils d'un ponte de L'Oréal installé en Suisse, avant que les deux ne s'associent en Roumanie dans les affaires. "Il a alors changé de vie. Il a su acheter des terrains au bon moment, juste avant le boom des centres commerciaux en Roumanie !" Une réussite rapide et un goût pour le monde de la nuit qui lui permettent d'intégrer la jet-set locale. Frank Colin est-il un ancien de la Légion étrangère engagé dans la lutte anti-terroriste, comme le raconte son épouse dans certaines interviews ? Cela relève-t-il de la légende, comme le suggère une source policière? Colin aurait déjà sollicité Alain Castany pour organiser des vols, pour lui et sa famille, entre Le Bourget et Saint-Trop', avant de lui demander de préparer ce fameux vol transatlantique pour son "ami" Pisapia. Frank Colin a été arrêté peu après l'arraisonnement du Falcon alors qu'il s'apprêtait à vider le coffre dont il disposait dans une banque parisienne. Mais pour les enquêteurs, Colin, dont l'avocat n'a pu être joint, n'a pas les épaules assez larges pour avoir mené seul une telle opération ; les 680 kg sont estimés à 20 millions d'euros ! D'autant qu'au moins deux autres vols similaires à destination de l'Europe sont dans le collimateur des Stups. Le douanier Son identité n'a pas été communiquée mais l'homme, âgé d'une cinquantaine d'années et présenté comme un "ami" de Frank Colin, a été écroué courant avril. En poste à Toulon, ce fonctionnaire avait été remarqué à l'aéroport de Saint-Tropez. Il est aussi soupçonné de faux en écriture qui auraient facilité des transferts d'argent importants vers l'étranger. De l'argent liquide a été retrouvé chez lui lors de son arrestation. Stéphane Joahny - Le Journal du Dimanche samedi 04 mai 2013