Dosage des antibiotiques en réanimation : quand et comment
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Dosage des antibiotiques en réanimation : quand et comment
Réanimation 15 (2006) 187–192 http://france.elsevier.com/direct/REAURG/ Mise au point Dosage des antibiotiques en réanimation : quand et comment demander et interpréter les tests ? Antibiotic dosages in Intensive Care Unit: when and how should we ask for and perform tests? G. Potel *, J. Caillon, C. Jacqueline, D. Navas, M.-F. Kergueris, E. Batard Laboratoire de thérapeutique, équipe d’accueil EA 3826, « thérapeutiques cliniques et expérimentales des infections », faculté de médecine, 1, rue Gaston-Veil, 44000 Nantes, France Résumé Le monitorage des concentrations sériques d’antibiotiques revêt une importance toute particulière en réanimation, où les malades présentent des perturbations graves des constantes physiologiques venant modifier la pharmacocinétique des molécules utilisées. Parmi les antibiotiques administrés, il faut distinguer ceux ayant une activité de type « temps-dépendant » (bêtalactamines, glycopeptides, linézolide), de ceux ayant une activité de type « concentration-dépendant » (aminosides, fluoroquinolones). Le monitorage des concentrations au pic, en résiduelle, ou à l’état d’équilibre permet d’ajuster les doses quotidiennes et les intervalles d’administration, en adaptant le traitement aux exigences pharmacodynamiques et toxicologiques de l’antibiotique utilisé. © 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The monitoring of the serum antibiotic concentrations is very important in intensive care patients, with serious disturbances modifying the pharmacokinetics of the molecules used. Among them, it is necessary to distinguish those exhibiting a "time-dependent" activity (beta-lactam antibiotics, glycopeptides, linezolid), vs those exhibiting a "concentration-dependent" activity (aminosides, fluoroquinolones). The monitoring of the concentrations to the peak, residual, or at the steady-state makes it possible to adjust the daily amounts and the intervals of administration, by adapting the treatment to the pharmacodynamic and toxicological requirements of antibiotic used. © 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Antibiotiques ; Monitorage ; Réanimation Keywords: Antibiotics; Monitoring; ICU 1. Introduction Dans un numéro récent de cette même revue (Réanimation, juin 2005), Garraffo et al. ont rappelé les différents paramètres pharmacologiques (dynamiques et cinétiques) associés à l’activité des antibiotiques [1]. En résumé, le bon usage des antibio- * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (G. Potel). tiques en thérapeutique suppose un minimum de connaissances : ● pharmacocinétiques : volume de distribution, demi-vie de la molécule ; ● bactériologiques : concentrations actives (CMI) sur la (ou les) bactérie(s) responsable(s) de l’infection, qu’elle(s) soi (en)t identifiée(s) ou suspectée(s) et mécanismes de la bactéricidie (pharmacodynamie), de type « temps » ou « concentration » dépendante. 1624-0693/$ - see front matter © 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2006.03.011 188 G. Potel et al. / Réanimation 15 (2006) 187–192 Les dosages sériques d’antibiotiques ont pour but : ● d’éviter les sous-dosages ou les surdosages inutiles dans les situations à risques ; ● de réduire le risque toxique (lorsque le seuil de concentration toxique de la molécule est connu) ; ● d’interpréter un échec. Depuis les années 1980, nos connaissances dans ce qu’il est convenu d’appeler le « PK/PD » ont abouti à de nouvelles propositions aussi bien dans le choix des doses que dans le mode d’administration des antibiotiques. Aujourd’hui, même si cette optimisation n’a que rarement pu démontrer son impact sur les critères de jugement cliniques, il est permis de se demander si les posologies et les modes d’administration conventionnels ont encore un rationnel justifiable. Historiquement, les dosages sériques d’antibiotiques étaient pratiqués essentiellement dans le but de prévenir la toxicité, notamment rénale de ceux-ci (aminosides et vancomycine). La prise en compte des données PK/PD de ces molécules a conduit à proposer la dose uniquotidienne pour les aminosides, et la perfusion continue pour la vancomycine [2,3]. Progressivement, les objectifs des dosages se sont déplacés, d’un souci de prévention de la toxicité, vers un objectif de concentrations sériques garantissant une efficacité antibactérienne. Dès lors, les questions qui se posent au clinicien sont les suivantes : ● quels malades sont susceptibles de bénéficier réellement d’un dosage sérique d’antibiotique ? ● quels sont les objectifs thérapeutiques qu’il est raisonnable de se fixer, et en fonction de quelles modalités d’administration ? 2. Les dosages : pour quels malades, et pour quoi faire ? 2.1. Les patients de réanimation et les brûlés Chez les patients de réanimation et les brûlés, la perturbation et le caractère très imprévisible du volume de distribution et de la clairance des molécules ont été largement documentés au cours des 30 dernières années. Des coefficients de variation du volume de distribution et de la clairance de 40 à 60 % ont été rapportés, soulignant la grande variation interindividuelle des données pharmacocinétiques [4]. Cette variabilité, d’abord mise en exergue chez les brûlés avec les aminosides [5], concerne en fait toutes les classes thérapeutiques. Ainsi dans une étude portant sur 50 patients de réanimation chirurgicale traités par imipénème, la grande variabilité de la pharmacocinétique de cet antibiotique a été démontrée, avec des pics plasmatiques variant de 1,56 à 58,8 mg/L, et des concentrations résiduelles variant de 0 à 15,6 mg/L. Seulement la moitié des patients avaient une concentration résiduelle supérieure à 4 mg/ L. Le volume de distribution et la demi-vie d’élimination de l’imipénème sont donc imprévisibles chez les patients de réanimation chirurgicale [6]. D’autres travaux, portant également sur les malades de réanimation traités par ceftazidime (2 g toutes les huit heures) ou céfépime (2 g toutes les 12 heures) vont dans le même sens, ne permettant pas d’obtenir des concentrations suffisantes en résiduelle, suggérant la supériorité de la perfusion continue pour ces molécules [7,8]. Dans une étude randomisée en réanimation, comparant les mêmes doses (6 g/ 24 h) de ceftazidime administrées, soit en discontinu (2 g/8 h), soit en perfusion continue, la perfusion continue de ceftazidime permet à chaque fois d’atteindre une concentration à l’équilibre de 40 mg/L (soit cinq fois la CMI des germes les moins sensibles) pendant toute la durée de l’étude, alors que ce seuil n’est dépassé que pendant 20 à 30 % du temps chez les patients traités en bolus [9]. Chez les brûlés, il existe une littérature très abondante démontrant l’extrême variabilité des données pharmacocinétiques pour toutes les molécules. Chez ces patients, l’ajustement posologique par le monitorage des taux sériques apparaît absolument indispensable [10]. 2.2. Les patients neutropéniques fébriles Dans une étude portant sur 78 épisodes de neutropénie fébrile traités par bêtalactamines, on a pu montrer que les posologies usuelles d’imipénème, de ceftazidime ou de céfépime administrées selon les recommandations de l’AMM (perfusion discontinue) ne permettent pas d’obtenir des concentrations résiduelles suffisantes [11]. Rappelons qu’il s’agit là de patients pour lesquels une dose responsable de concentrations bactéricides tout au long du nycthémère revêt probablement une importance cruciale. 2.3. Les patients en épuration extrarénale continue en réanimation Les situations faisant intervenir des méthodes de suppléance rénale nécessitent probablement la plus grande attention, du fait de la perturbation de la pharmacocinétique des antibiotiques consécutive à l’insuffisance rénale, mais aussi aux méthodes de substitution. Autant que possible, le traitement des infections graves dans ces conditions doit faire l’objet d’un monitorage attentif [12]. Récemment, une revue complète des données pharmacocinétiques observées avec les méthodes d’épuration continues veinoveineuses a été publiée, qui concerne la quasi-totalité des anti-infectieux (antibiotiques, antifongiques et aciclovir) utilisés en réanimation [13], assortie de recommandations posologiques. Les recommandations jusqu’ici disponibles pour l’hémodialyse discontinue ne s’appliquent pas aux malades en épuration continue. À titre d’exemple, la pharmacocinétique de l’imipénème a été étudiée chez les patients de réanimation en épuration extrarénale (hémofiltration veinoveineuse continue ou hémodiafiltration). Les résultats indiquent que des concentrations suffisantes sont obtenues à la posologie d’un gramme par jour pour des bactéries dont les CMI ne dépassent pas 2 mg/L. En revanche, une dose de 2 g/j, voire davantage, est nécessaire pour traiter des infections dues à des bactéries vis-à-vis desquelles les CMI de l’imipénème sont égales à 4 ou 8 mg/L [14]. G. Potel et al. / Réanimation 15 (2006) 187–192 La pharmacocinétique de la vancomycine a également été étudiée en réanimation chez les patients en hémodiafiltration veineuse continue. L’élimination est plus rapide qu’avec les autres modes d’épuration extrarénale continue, pour une concentration sérique cible à 15 mg/L, une dose de 450 mg toutes les 12 heures paraît suffisante. Néanmoins, la grande variabilité nécessite là encore un monitorage approprié [15]. 2.4. La réanimation néonatale Les nouveau-nés hospitalisés en unité de réanimation néonatale présentent des risques importants d’infection nosocomiale. Le risque de prendre en charge ces infections de façon non optimale est plus grand que chez l’adulte, du fait de la méconnaissance de la pharmacocinétique sur ce terrain, les études précliniques étant jusqu’à présent vierges de toute information dans ces indications. Ainsi, dans une étude de population concernant le céfépime, 55 enfants d’âge gestationnel 30,5 + 5,3 semaines ont été inclus. Les résultats montrent qu’une dose de 30 mg/kg toutes les 12 heures est suffisante chez les enfants âgés de moins de 14 jours, avec des concentrations sériques équivalentes, voire plus élevées que celles observées avec une dose de 50 mg/kg toutes les huit heures chez les enfants plus âgés [16]. Ainsi, le monitorage des concentrations d’antibiotiques apparaît nécessaire sur ce terrain où le prescripteur est particulièrement démuni pour proposer des posologies adéquates, avec un fort risque de sous-dosage ou de surdosage. 3. Les dosages sériques. À quel moment ? Avec quelle(s) cible(s) ? Les dosages sériques sont pratiqués à des moments différents selon que la molécule utilisée exerce une bactéricidie de type temps ou concentration-dépendant, et selon que l’on cher- 189 che à optimiser la bactéricidie ou s’exposer au moindre risque de néphrotoxicité. Pour des raisons pratiques évidentes, il est impossible en routine de mesurer les aires sous la courbe des concentrations, ce qui supposerait de multiplier les prélèvements. Ne sont donc utilisables en clinique que les objectifs de pharmacodynamie faisant appel à un seul (ou deux) prélèvement(s) : concentration maximale (Cmax) ou résiduelle (Crés) pour les antibiotiques administrés en discontinu, concentration à l’équilibre (Css) pour les antibiotiques administrés en perfusion continue à débit constant. Pour une molécule à activité temps-dépendante (bêtalactamines, glycopeptides, linézolide), c’est la Crés qui est prédictive du niveau de bactéricidie. Celle-ci doit être supérieure à la CMI (ou à un multiple de la CMI) pour garantir le caractère permanent de la bactéricidie. Pour les molécules à activité concentration-dépendante (aminosides et fluoroquinolones), c’est la Cmax qui doit être optimisée pour ne pas descendre au-dessous d’un seuil (exprimé en multiple de la CMI) dont les études cliniques et/ou expérimentales ont montré qu’il entraînait un risque d’échec. Le Tableau 1 résume, par classe thérapeutique, les principaux paramètres de monitorage de la bactéricidie 3.1. Les antibiotiques concentration-dépendants 3.1.1. Les aminosides Depuis la célèbre étude de Moore en 1987, il est acquis avec les aminosides qu’un rapport Cmax/CMI inférieur à 8–10 est associé à une augmentation de la probabilité d’échec dans les infections graves à bacilles à Gram négatif [17]. Cela a conduit à de multiples essais dans lesquels la traditionnelle dose fractionnée en trois injections par jour a été remplacée par la dose uniquotidienne permettant de garantir une Cmax bien supérieure à ce seuil. Tableau 1 Principes d’ajustement posologique des antibiotiques en réanimation Famille d’antibiotiques Aminosides Bactéricidie Mode d’administration Objectif thérapeutique Concentration-dépendante i.v. 1 inj/24 h Cmax : huit à dix fois la CMI Fluoroquinolones Bêtalactamines Concentration-dépendante Temps-dépendante Cmax : 12 fois la CMI a Crés : quatre à six fois la CMI a Css : au moins six fois la CMI a Glycopeptides Temps-dépendante i.v. 1 ou 2 inj/24 h i.v. 2 à 3 inj/j i.v. continu après dose de charge Vancomycine : i.v. 2 inj/j ou i.v. continu (après dose de charge) Teicoplanine : i.v. ou i.m. 1 inj/j (après dose de charge) i.v. 2 inj/j ou i.v. continu b ou per os Linezolide Temps-dépendante Objectif toxicologique a Crés < 1,5 mg/L (gentamicine, tobramycine, netilmicine) Crés < 5 mg/L (amikacine, isepamicine) Inconnu Variable Inconnu Crés : 10–15 mg/L Css : 20–30 mg/L Crés : 20–30 mg/L Inconnu Css: 20–30 mg/L ? b Inj : injection. a CMI : tenir compte d’abord de la CMI la plus élevée, puis ajustement en fonction des résultats bactériologiques. b Données purement expérimentales. Inconnu (surveillance hématologique) 190 G. Potel et al. / Réanimation 15 (2006) 187–192 La méta-analyse de M. Barza en 1996, portant sur 21 essais randomisés réunissant plus de 3000 patients a confirmé la moindre néphrotoxicité de la dose uniquotidienne, mais sans pour autant démontrer de façon éclatante la supériorité de la méthode en termes de résultats cliniques [2]. Plus récemment, la néphrotoxicité et l’ototoxicité de la dose uniquotidienne vs biquotidienne des aminosides ont fait l’objet d’une étude portant sur 123 patients traités pour des infections respiratoires, urinaires ou cutanées. Cette étude a confirmé la moindre néphrotoxicité de la dose unique. En analyse multivariée, l’administration concomitante de vancomycine et l’aire sous la courbe des concentrations des aminosides sont les facteurs associés à la néphrotoxicité [18]. Pour la gentamicine, une dose de 7 mg/kg en injection uniquotidienne est recommandée [19] chez le patient à fonction rénale normale. Chez l’insuffisant rénal, la dose unitaire ne doit pas être diminuée, et il vaut mieux préférer un espacement des doses. La concentration au pic (Cmax) doit être mesurée dès la première injection de la dose totale uniquotidienne, environ 30 minutes après une perfusion d’une demi-heure, et la Crés doit être mesurée à la vingt-quatrième heure, juste avant l’injection suivante. L’objectif de Cmax doit être voisin de dix fois CMI pour les bactéries les moins sensibles, c’est-à-dire entre 20 et 25 mg/L pour gentamicine, tobramycine et nétilmicine, et d’environ 60 mg/L pour amikacine et isépamicine. Lorsque les aminosides sont administrés en aérosols, c’est le poumon qui devient le compartiment central à partir duquel l’antibiotique va diffuser en systémique. Les dosages sériques de la concentration résiduelle restent néanmoins utiles pour prévenir la néphrotoxicité. L’utilisation de la Colimycine® en aérosols (jusqu’ici réservée aux patients mucoviscidosiques) redevient d’actualité pour la prise en charge d’infections respiratoires à bactéries multirésistantes en réanimation. Aucun seuil prédictif de l’activité ou de la toxicité (rénale ou neurologique) n’a encore été établi. 3.1.2. Les fluoroquinolones Même si le dosage des fluoroquinolones n’est pas encore développé dans beaucoup d’hôpitaux, il a pu être démontré expérimentalement, mais aussi par des études cliniques, qu’une Cmax (réalisée cinq minutes après la fin de la perfusion) supérieure à 12 fois la CMI du germe à traiter permettait d’optimiser les résultats cliniques et bactériologiques des maladies infectieuses graves. Cet objectif n’a aucun intérêt dans les infections de l’appareil urinaire, mais semble raisonnable pour toutes les infections systémiques [20]. Certains laboratoires de pharmacologie (comme à la Pitié-Salpêtrière à Paris) proposent le calcul d’une aire sous courbe des concentrations à partir de trois points de pharmacocinétique sérique. Il suffit ensuite de rapporter la valeur ainsi calculée à la CMI du germe identifié pour s’assurer que la valeur optimale (> 100) est atteinte. 3.2. Les antibiotiques temps-dépendants 3.2.1. Les bêtalactamines Tenant compte du caractère temps-dépendant de leur activité bactéricide, de nombreuses études ont cherché à évaluer l’intérêt de la perfusion continue de ces molécules, dont la plupart ont une demi-vie courte. Sur le modèle d’endocardite expérimentale à Pseudomonas aeruginosa, la comparaison de la perfusion continue de ceftazidime par rapport à l’administration discontinue traditionnelle a montré l’efficacité au moins égale de la perfusion continue en termes de bactéricidie dans les 24 premières heures. Quand la souche de Pseudomonas ne possède aucun mécanisme acquis de résistance, la perfusion continue chez l’adulte de quatre grammes par 24 heures qui permet d’obtenir une concentration à l’équilibre à 30 mg/L, est aussi efficace que le dosage intermittent à deux grammes toutes les huit heures. En revanche, dès lors que la souche produit un mécanisme de résistance responsable d’une élévation de la CMI (8 mg/L), la perfusion continue doit être de 6 g/ 24 h pour être équivalente à l’administration intermittente. Dès lors que la souche produit une céphalosporinase (responsable d’une CMI à 8 mg/L), aucun mode d’administration de la ceftazidime ne démontre un intérêt en termes de bactéricidie précoce [21]. Ainsi l’objectif d’obtenir des concentrations sériques entre quatre et six fois la CMI des germes sensibles, soit en Crés (administration discontinue), soit à l’état d’équilibre (Css, perfusion continue) est généralement admis [22]. Cet objectif initial correspond à une concentration d’environ 40 mg/L pour les germes les moins sensibles (CMI à 8 mg/L), qu’il convient ensuite d’adapter à la CMI du germe identifié, lorsqu’il est connu L’objectif est le même pour ceftazidime et céfépime [23]. Dans une méta-analyse récente portant sur neuf études randomisées, il existe une tendance non significative à la diminution des échecs cliniques avec la perfusion continue, et un rapport coût/efficacité favorable à la perfusion continue, y compris en prenant en compte le coût des dosages sériques [24]. Le principal avantage de cette méthode réside dans la possibilité de mesurer une concentration sérique qui est stable à l’état d’équilibre. Dans une étude portant sur 50 patients de réanimation, la même dose de céfépime (4 g/j) administrée en perfusion continue sur 24 heures permet de garantir des concentrations sériques d’antibiotique supérieures à cinq fois la CMI, alors que l’administration discontinue conventionnelle de deux grammes toutes les 12 heures ne permet d’atteindre cet objectif que pendant 72 % du temps [25]. D’une façon plus générale, si l’on prend en compte les données cinétiques moyennes des patients de réanimation, à dose quotidienne égale, c’est la perfusion continue qui permet d’atteindre les cibles de concentrations suffisantes pour céfépime, aztréonam, ceftazidime et pipéracilline–tazobactam, au moins pour les entérobactéries [26,27]. L’un des reproches fréquemment formulés aux dosages sériques est leur insuffisance à prédire la concentration d’antibiotique dans les tissus. Dans plusieurs études ouvertes portant sur des patients de réanimation porteurs d’une pneumopathie nosocomiale, il a pu être montré qu’à l’état d’équilibre, après une dose de charge initiale de deux grammes suivie d’une perfusion continue de 4 g/24 h, les concentrations obtenues dans le liquide alvéolaire étaient suffisantes, avec une concentration sérique atteignant 40 mg/L en perfusion continue, au moins pour le céfépime [28]. La pénétration alvéolaire est moindre G. Potel et al. / Réanimation 15 (2006) 187–192 pour la ceftazidime administrée dans les mêmes conditions [29]. À l’heure actuelle, seule la ceftazidime fait l’objet d’une AMM pour la perfusion continue, mais pratiquement toutes les bêtalactamines à demi-vie courte ont fait l’objet d’études cliniques publiées. L’utilisation de la perfusion continue doit néanmoins être réfléchie par rapport aux données concernant la stabilité des solutions à température ambiante, et leur compatibilité avec d’autres médicaments possiblement employés en réanimation par voie veineuse. La prudence fait recommander de perfuser l’antibiotique sur une voie veineuse séparée en cas de doute. À titre d’exemple, la perfusion continue de céfépime a fait l’objet d’études pharmacologiques visant à tester sa stabilité et sa compatibilité avec d’autres médicaments habituellement perfusés en réanimation ou au cours de la mucoviscidose. À 25° Celsius, le céfépime peut être considéré comme stable pendant 24 heures, mais cette stabilité tombe à 14 heures à 30° Celsius. Des incompatibilités ont été observées avec l’érythromycine, le propofol, le midazolam, la phénytoïne, la théophylline, la nicardipine, la N-acétylcystéine, ainsi que les concentrations élevées de dobutamine. Il faut donc utiliser le céfépime en perfusion continue avec précaution en milieu de réanimation, dans des conditions de température et de coadministration de médicaments strictement contrôlées [30]. 3.2.2. Les glycopeptides Pour la vancomycine, un objectif de concentration sérique à l’état d’équilibre de l’ordre de 20 à 25 mg/L en perfusion continue, et de 10 à 15 mg/L en concentration résiduelle pour l’administration intermittente est généralement retenu. L’étude prospective et randomisée la plus récente comparant les deux modes d’administration et portant sur 119 malades de réanimation n’a pas montré de différence d’efficacité, mais un rapport coût/efficacité en faveur de la perfusion continue [3]. La teïcoplanine est un antibiotique à demi-vie longue, administrable en une seule injection quotidienne après dose de charge. C’est la Crés qui constitue le paramètre pharmacodynamique prédictif de l’activité. L’objectif varie de 10–15 mg/L à 20–25 mg/L en fonction de la gravité de l’infection. 3.2.3. Le linézolide Les concentrations sériques et intrapulmonaires de linézolide ont été mesurées chez des patients de réanimation présentant une pneumopathie acquise sous ventilation assistée. Les résultats montrent l’équivalence des concentrations entre le liquide alvéolaire et le sérum aux posologies usuelles (600 mg toutes les 12 heures), et des concentrations résiduelles à 12 heures à 2,4 et 2,6 mg/L dans le sérum et le liquide alvéolaire, respectivement. Le linézolide est dosé en HPLC, et compte tenu de la toxicité potentielle de cette molécule, notamment sur le plan hématologique, et du risque d’accumulation déjà décrit, son monitorage apparaît souhaitable [31]. Ses caractéristiques pharmacocinétiques suggèrent une activité supérieure à celle de la vancomycine [32]. Une étude expérimentale sur le modèle d’endocardite à Staphylococcus aureus résistant à la méticilline a montré la supériorité de l’administration continue vs discontinue avec les doses usuelles de 1200 mg/j, 191 avec des concentrations sériques à l’équilibre entre 20 et 30 mg/L [33]. 4. Les méthodes de dosage Le résultat des dosages d’aminosides et de glycopeptides peut être obtenu par méthode immunologique en une à deux heures dans tout laboratoire de pharmacologie moyennement équipé, ce qui permet d’ajuster la dose dès la deuxième administration pour les aminosides. Pour la vancomycine, après une dose de charge d’un gramme (en une heure) chez l’adulte, le dosage sérique peut être effectué quelques heures après le début de la perfusion continue. Les bêtalactamines, le linézolide et les fluoroquinolones sont dosés par chromatographie liquide haute performance. Un laboratoire de pharmacologie suffisamment équipé peut rendre le résultat dans la demi-journée, permettant ainsi un ajustement avant la vingt-quatrième heure qui suit le début du traitement. Quels que soient la méthode utilisée et l’antibiotique faisant l’objet d’un dosage, une réponse rapide est indispensable chez les malades pour lesquels aucun sous-dosage ni aucun surdosage ne sont a priori acceptables. Pour les molécules à activité concentration-dépendante (aminosides, fluoroquinolones), la mesure du pic peut être faite dès la première injection. Pour les molécules à activité temps-dépendante (bêtalactamines, glycopeptides, linézolide), la réalisation d’une dose de charge préalable à la perfusion continue rend interprétable le résultat d’un prélèvement effectué cinq ou six heures après le début de la perfusion continue. Quand l’administration discontinue est utilisée, la mesure de la concentration résiduelle peut être effectuée juste avant la deuxième injection, en sachant que le résultat sous-estime légèrement la concentration à l’équilibre qui ne sera obtenue qu’après cinq demi-vies. 5. Conclusion La littérature des 20 dernières années est riche en enseignements concernant la pharmacodynamie des antibiotiques. Le respect de ces données remet sérieusement en question les schémas posologiques traditionnels, notamment (voire exclusivement ?) chez les patients à la pharmacocinétique imprévisible, comme c’est souvent le cas en réanimation. Néanmoins, il existe peu d’articles résultant de travaux cliniques permettant d’affirmer la réalité du rapport coût/bénéfice du monitorage, même si sur le plan de la toxicité, il semble que le rapport coût/efficacité soit favorable [34]. Références [1] Garrafo R, Lavrut T. 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