Dosage des antibiotiques en réanimation : quand et comment

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Dosage des antibiotiques en réanimation : quand et comment
Réanimation 15 (2006) 187–192
http://france.elsevier.com/direct/REAURG/
Mise au point
Dosage des antibiotiques en réanimation :
quand et comment demander et interpréter les tests ?
Antibiotic dosages in Intensive Care Unit:
when and how should we ask for and perform tests?
G. Potel *, J. Caillon, C. Jacqueline, D. Navas, M.-F. Kergueris, E. Batard
Laboratoire de thérapeutique, équipe d’accueil EA 3826, « thérapeutiques cliniques et expérimentales des infections »,
faculté de médecine, 1, rue Gaston-Veil, 44000 Nantes, France
Résumé
Le monitorage des concentrations sériques d’antibiotiques revêt une importance toute particulière en réanimation, où les malades présentent
des perturbations graves des constantes physiologiques venant modifier la pharmacocinétique des molécules utilisées. Parmi les antibiotiques
administrés, il faut distinguer ceux ayant une activité de type « temps-dépendant » (bêtalactamines, glycopeptides, linézolide), de ceux ayant
une activité de type « concentration-dépendant » (aminosides, fluoroquinolones). Le monitorage des concentrations au pic, en résiduelle, ou à
l’état d’équilibre permet d’ajuster les doses quotidiennes et les intervalles d’administration, en adaptant le traitement aux exigences pharmacodynamiques et toxicologiques de l’antibiotique utilisé.
© 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
The monitoring of the serum antibiotic concentrations is very important in intensive care patients, with serious disturbances modifying the
pharmacokinetics of the molecules used. Among them, it is necessary to distinguish those exhibiting a "time-dependent" activity (beta-lactam
antibiotics, glycopeptides, linezolid), vs those exhibiting a "concentration-dependent" activity (aminosides, fluoroquinolones). The monitoring of
the concentrations to the peak, residual, or at the steady-state makes it possible to adjust the daily amounts and the intervals of administration, by
adapting the treatment to the pharmacodynamic and toxicological requirements of antibiotic used.
© 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Antibiotiques ; Monitorage ; Réanimation
Keywords: Antibiotics; Monitoring; ICU
1. Introduction
Dans un numéro récent de cette même revue (Réanimation,
juin 2005), Garraffo et al. ont rappelé les différents paramètres
pharmacologiques (dynamiques et cinétiques) associés à l’activité des antibiotiques [1]. En résumé, le bon usage des antibio-
* Auteur
correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (G. Potel).
tiques en thérapeutique suppose un minimum de connaissances :
● pharmacocinétiques : volume de distribution, demi-vie de la
molécule ;
● bactériologiques : concentrations actives (CMI) sur la (ou
les) bactérie(s) responsable(s) de l’infection, qu’elle(s) soi
(en)t identifiée(s) ou suspectée(s) et mécanismes de la bactéricidie (pharmacodynamie), de type « temps » ou
« concentration » dépendante.
1624-0693/$ - see front matter © 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.reaurg.2006.03.011
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G. Potel et al. / Réanimation 15 (2006) 187–192
Les dosages sériques d’antibiotiques ont pour but :
● d’éviter les sous-dosages ou les surdosages inutiles dans les
situations à risques ;
● de réduire le risque toxique (lorsque le seuil de concentration toxique de la molécule est connu) ;
● d’interpréter un échec.
Depuis les années 1980, nos connaissances dans ce qu’il est
convenu d’appeler le « PK/PD » ont abouti à de nouvelles propositions aussi bien dans le choix des doses que dans le mode
d’administration des antibiotiques. Aujourd’hui, même si cette
optimisation n’a que rarement pu démontrer son impact sur les
critères de jugement cliniques, il est permis de se demander si
les posologies et les modes d’administration conventionnels
ont encore un rationnel justifiable.
Historiquement, les dosages sériques d’antibiotiques étaient
pratiqués essentiellement dans le but de prévenir la toxicité,
notamment rénale de ceux-ci (aminosides et vancomycine).
La prise en compte des données PK/PD de ces molécules a
conduit à proposer la dose uniquotidienne pour les aminosides,
et la perfusion continue pour la vancomycine [2,3]. Progressivement, les objectifs des dosages se sont déplacés, d’un souci
de prévention de la toxicité, vers un objectif de concentrations
sériques garantissant une efficacité antibactérienne. Dès lors,
les questions qui se posent au clinicien sont les suivantes :
● quels malades sont susceptibles de bénéficier réellement
d’un dosage sérique d’antibiotique ?
● quels sont les objectifs thérapeutiques qu’il est raisonnable
de se fixer, et en fonction de quelles modalités d’administration ?
2. Les dosages : pour quels malades, et pour quoi faire ?
2.1. Les patients de réanimation et les brûlés
Chez les patients de réanimation et les brûlés, la perturbation et le caractère très imprévisible du volume de distribution
et de la clairance des molécules ont été largement documentés
au cours des 30 dernières années. Des coefficients de variation
du volume de distribution et de la clairance de 40 à 60 % ont
été rapportés, soulignant la grande variation interindividuelle
des données pharmacocinétiques [4]. Cette variabilité, d’abord
mise en exergue chez les brûlés avec les aminosides [5],
concerne en fait toutes les classes thérapeutiques. Ainsi dans
une étude portant sur 50 patients de réanimation chirurgicale
traités par imipénème, la grande variabilité de la pharmacocinétique de cet antibiotique a été démontrée, avec des pics plasmatiques variant de 1,56 à 58,8 mg/L, et des concentrations
résiduelles variant de 0 à 15,6 mg/L. Seulement la moitié des
patients avaient une concentration résiduelle supérieure à 4 mg/
L. Le volume de distribution et la demi-vie d’élimination de
l’imipénème sont donc imprévisibles chez les patients de réanimation chirurgicale [6]. D’autres travaux, portant également
sur les malades de réanimation traités par ceftazidime (2 g toutes les huit heures) ou céfépime (2 g toutes les 12 heures) vont
dans le même sens, ne permettant pas d’obtenir des concentrations suffisantes en résiduelle, suggérant la supériorité de la
perfusion continue pour ces molécules [7,8]. Dans une étude
randomisée en réanimation, comparant les mêmes doses (6 g/
24 h) de ceftazidime administrées, soit en discontinu (2 g/8 h),
soit en perfusion continue, la perfusion continue de ceftazidime
permet à chaque fois d’atteindre une concentration à l’équilibre
de 40 mg/L (soit cinq fois la CMI des germes les moins sensibles) pendant toute la durée de l’étude, alors que ce seuil n’est
dépassé que pendant 20 à 30 % du temps chez les patients
traités en bolus [9].
Chez les brûlés, il existe une littérature très abondante démontrant l’extrême variabilité des données pharmacocinétiques
pour toutes les molécules. Chez ces patients, l’ajustement posologique par le monitorage des taux sériques apparaît absolument indispensable [10].
2.2. Les patients neutropéniques fébriles
Dans une étude portant sur 78 épisodes de neutropénie fébrile traités par bêtalactamines, on a pu montrer que les posologies usuelles d’imipénème, de ceftazidime ou de céfépime
administrées selon les recommandations de l’AMM (perfusion
discontinue) ne permettent pas d’obtenir des concentrations résiduelles suffisantes [11]. Rappelons qu’il s’agit là de patients
pour lesquels une dose responsable de concentrations bactéricides tout au long du nycthémère revêt probablement une importance cruciale.
2.3. Les patients en épuration extrarénale continue
en réanimation
Les situations faisant intervenir des méthodes de suppléance
rénale nécessitent probablement la plus grande attention, du
fait de la perturbation de la pharmacocinétique des antibiotiques consécutive à l’insuffisance rénale, mais aussi aux méthodes de substitution. Autant que possible, le traitement des infections graves dans ces conditions doit faire l’objet d’un
monitorage attentif [12]. Récemment, une revue complète des
données pharmacocinétiques observées avec les méthodes
d’épuration continues veinoveineuses a été publiée, qui
concerne la quasi-totalité des anti-infectieux (antibiotiques,
antifongiques et aciclovir) utilisés en réanimation [13], assortie
de recommandations posologiques. Les recommandations
jusqu’ici disponibles pour l’hémodialyse discontinue ne s’appliquent pas aux malades en épuration continue.
À titre d’exemple, la pharmacocinétique de l’imipénème a
été étudiée chez les patients de réanimation en épuration extrarénale (hémofiltration veinoveineuse continue ou hémodiafiltration). Les résultats indiquent que des concentrations suffisantes sont obtenues à la posologie d’un gramme par jour
pour des bactéries dont les CMI ne dépassent pas 2 mg/L. En
revanche, une dose de 2 g/j, voire davantage, est nécessaire
pour traiter des infections dues à des bactéries vis-à-vis desquelles les CMI de l’imipénème sont égales à 4 ou 8 mg/L
[14].
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La pharmacocinétique de la vancomycine a également été
étudiée en réanimation chez les patients en hémodiafiltration
veineuse continue. L’élimination est plus rapide qu’avec les
autres modes d’épuration extrarénale continue, pour une
concentration sérique cible à 15 mg/L, une dose de 450 mg
toutes les 12 heures paraît suffisante. Néanmoins, la grande
variabilité nécessite là encore un monitorage approprié [15].
2.4. La réanimation néonatale
Les nouveau-nés hospitalisés en unité de réanimation néonatale présentent des risques importants d’infection nosocomiale. Le risque de prendre en charge ces infections de façon
non optimale est plus grand que chez l’adulte, du fait de la
méconnaissance de la pharmacocinétique sur ce terrain, les études précliniques étant jusqu’à présent vierges de toute information dans ces indications. Ainsi, dans une étude de population
concernant le céfépime, 55 enfants d’âge gestationnel 30,5
+ 5,3 semaines ont été inclus. Les résultats montrent qu’une
dose de 30 mg/kg toutes les 12 heures est suffisante chez les
enfants âgés de moins de 14 jours, avec des concentrations
sériques équivalentes, voire plus élevées que celles observées
avec une dose de 50 mg/kg toutes les huit heures chez les enfants plus âgés [16]. Ainsi, le monitorage des concentrations
d’antibiotiques apparaît nécessaire sur ce terrain où le prescripteur est particulièrement démuni pour proposer des posologies
adéquates, avec un fort risque de sous-dosage ou de surdosage.
3. Les dosages sériques. À quel moment ?
Avec quelle(s) cible(s) ?
Les dosages sériques sont pratiqués à des moments différents selon que la molécule utilisée exerce une bactéricidie de
type temps ou concentration-dépendant, et selon que l’on cher-
189
che à optimiser la bactéricidie ou s’exposer au moindre risque
de néphrotoxicité.
Pour des raisons pratiques évidentes, il est impossible en
routine de mesurer les aires sous la courbe des concentrations,
ce qui supposerait de multiplier les prélèvements. Ne sont donc
utilisables en clinique que les objectifs de pharmacodynamie
faisant appel à un seul (ou deux) prélèvement(s) : concentration
maximale (Cmax) ou résiduelle (Crés) pour les antibiotiques
administrés en discontinu, concentration à l’équilibre (Css)
pour les antibiotiques administrés en perfusion continue à débit
constant.
Pour une molécule à activité temps-dépendante (bêtalactamines, glycopeptides, linézolide), c’est la Crés qui est prédictive du niveau de bactéricidie. Celle-ci doit être supérieure à la
CMI (ou à un multiple de la CMI) pour garantir le caractère
permanent de la bactéricidie. Pour les molécules à activité
concentration-dépendante (aminosides et fluoroquinolones),
c’est la Cmax qui doit être optimisée pour ne pas descendre
au-dessous d’un seuil (exprimé en multiple de la CMI) dont
les études cliniques et/ou expérimentales ont montré qu’il entraînait un risque d’échec. Le Tableau 1 résume, par classe thérapeutique, les principaux paramètres de monitorage de la bactéricidie
3.1. Les antibiotiques concentration-dépendants
3.1.1. Les aminosides
Depuis la célèbre étude de Moore en 1987, il est acquis avec
les aminosides qu’un rapport Cmax/CMI inférieur à 8–10 est
associé à une augmentation de la probabilité d’échec dans les
infections graves à bacilles à Gram négatif [17]. Cela a conduit
à de multiples essais dans lesquels la traditionnelle dose fractionnée en trois injections par jour a été remplacée par la dose
uniquotidienne permettant de garantir une Cmax bien supérieure à ce seuil.
Tableau 1
Principes d’ajustement posologique des antibiotiques en réanimation
Famille
d’antibiotiques
Aminosides
Bactéricidie
Mode d’administration
Objectif thérapeutique
Concentration-dépendante
i.v. 1 inj/24 h
Cmax : huit à dix fois la CMI
Fluoroquinolones
Bêtalactamines
Concentration-dépendante
Temps-dépendante
Cmax : 12 fois la CMI a
Crés : quatre à six fois la CMI a
Css : au moins six fois la CMI a
Glycopeptides
Temps-dépendante
i.v. 1 ou 2 inj/24 h
i.v. 2 à 3 inj/j
i.v. continu après dose de charge
Vancomycine :
i.v. 2 inj/j
ou i.v. continu
(après dose de charge)
Teicoplanine :
i.v. ou i.m. 1 inj/j
(après dose de charge)
i.v. 2 inj/j
ou i.v. continu b
ou per os
Linezolide
Temps-dépendante
Objectif toxicologique
a
Crés < 1,5 mg/L (gentamicine,
tobramycine, netilmicine)
Crés < 5 mg/L (amikacine,
isepamicine)
Inconnu
Variable
Inconnu
Crés : 10–15 mg/L
Css : 20–30 mg/L
Crés : 20–30 mg/L
Inconnu
Css: 20–30 mg/L ?
b
Inj : injection.
a
CMI : tenir compte d’abord de la CMI la plus élevée, puis ajustement en fonction des résultats bactériologiques.
b
Données purement expérimentales.
Inconnu (surveillance
hématologique)
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La méta-analyse de M. Barza en 1996, portant sur 21 essais
randomisés réunissant plus de 3000 patients a confirmé la
moindre néphrotoxicité de la dose uniquotidienne, mais sans
pour autant démontrer de façon éclatante la supériorité de la
méthode en termes de résultats cliniques [2]. Plus récemment,
la néphrotoxicité et l’ototoxicité de la dose uniquotidienne vs
biquotidienne des aminosides ont fait l’objet d’une étude portant sur 123 patients traités pour des infections respiratoires,
urinaires ou cutanées. Cette étude a confirmé la moindre néphrotoxicité de la dose unique. En analyse multivariée, l’administration concomitante de vancomycine et l’aire sous la courbe
des concentrations des aminosides sont les facteurs associés à
la néphrotoxicité [18].
Pour la gentamicine, une dose de 7 mg/kg en injection uniquotidienne est recommandée [19] chez le patient à fonction
rénale normale. Chez l’insuffisant rénal, la dose unitaire ne doit
pas être diminuée, et il vaut mieux préférer un espacement des
doses.
La concentration au pic (Cmax) doit être mesurée dès la première injection de la dose totale uniquotidienne, environ 30 minutes après une perfusion d’une demi-heure, et la Crés doit être
mesurée à la vingt-quatrième heure, juste avant l’injection suivante. L’objectif de Cmax doit être voisin de dix fois CMI pour
les bactéries les moins sensibles, c’est-à-dire entre 20 et 25 mg/L
pour gentamicine, tobramycine et nétilmicine, et d’environ
60 mg/L pour amikacine et isépamicine. Lorsque les aminosides
sont administrés en aérosols, c’est le poumon qui devient le
compartiment central à partir duquel l’antibiotique va diffuser
en systémique. Les dosages sériques de la concentration résiduelle restent néanmoins utiles pour prévenir la néphrotoxicité.
L’utilisation de la Colimycine® en aérosols (jusqu’ici réservée
aux patients mucoviscidosiques) redevient d’actualité pour la
prise en charge d’infections respiratoires à bactéries multirésistantes en réanimation. Aucun seuil prédictif de l’activité ou de la
toxicité (rénale ou neurologique) n’a encore été établi.
3.1.2. Les fluoroquinolones
Même si le dosage des fluoroquinolones n’est pas encore
développé dans beaucoup d’hôpitaux, il a pu être démontré
expérimentalement, mais aussi par des études cliniques, qu’une
Cmax (réalisée cinq minutes après la fin de la perfusion) supérieure à 12 fois la CMI du germe à traiter permettait d’optimiser les résultats cliniques et bactériologiques des maladies infectieuses graves. Cet objectif n’a aucun intérêt dans les
infections de l’appareil urinaire, mais semble raisonnable pour
toutes les infections systémiques [20]. Certains laboratoires de
pharmacologie (comme à la Pitié-Salpêtrière à Paris) proposent
le calcul d’une aire sous courbe des concentrations à partir de
trois points de pharmacocinétique sérique. Il suffit ensuite de
rapporter la valeur ainsi calculée à la CMI du germe identifié
pour s’assurer que la valeur optimale (> 100) est atteinte.
3.2. Les antibiotiques temps-dépendants
3.2.1. Les bêtalactamines
Tenant compte du caractère temps-dépendant de leur activité bactéricide, de nombreuses études ont cherché à évaluer
l’intérêt de la perfusion continue de ces molécules, dont la plupart ont une demi-vie courte. Sur le modèle d’endocardite expérimentale à Pseudomonas aeruginosa, la comparaison de la
perfusion continue de ceftazidime par rapport à l’administration discontinue traditionnelle a montré l’efficacité au moins
égale de la perfusion continue en termes de bactéricidie dans
les 24 premières heures. Quand la souche de Pseudomonas ne
possède aucun mécanisme acquis de résistance, la perfusion
continue chez l’adulte de quatre grammes par 24 heures qui
permet d’obtenir une concentration à l’équilibre à 30 mg/L,
est aussi efficace que le dosage intermittent à deux grammes
toutes les huit heures. En revanche, dès lors que la souche produit un mécanisme de résistance responsable d’une élévation
de la CMI (8 mg/L), la perfusion continue doit être de 6 g/
24 h pour être équivalente à l’administration intermittente.
Dès lors que la souche produit une céphalosporinase (responsable d’une CMI à 8 mg/L), aucun mode d’administration de la
ceftazidime ne démontre un intérêt en termes de bactéricidie
précoce [21]. Ainsi l’objectif d’obtenir des concentrations sériques entre quatre et six fois la CMI des germes sensibles, soit
en Crés (administration discontinue), soit à l’état d’équilibre
(Css, perfusion continue) est généralement admis [22]. Cet objectif initial correspond à une concentration d’environ 40 mg/L
pour les germes les moins sensibles (CMI à 8 mg/L), qu’il
convient ensuite d’adapter à la CMI du germe identifié, lorsqu’il est connu L’objectif est le même pour ceftazidime et céfépime [23]. Dans une méta-analyse récente portant sur neuf
études randomisées, il existe une tendance non significative à
la diminution des échecs cliniques avec la perfusion continue,
et un rapport coût/efficacité favorable à la perfusion continue, y
compris en prenant en compte le coût des dosages sériques
[24]. Le principal avantage de cette méthode réside dans la
possibilité de mesurer une concentration sérique qui est stable
à l’état d’équilibre. Dans une étude portant sur 50 patients de
réanimation, la même dose de céfépime (4 g/j) administrée en
perfusion continue sur 24 heures permet de garantir des
concentrations sériques d’antibiotique supérieures à cinq fois
la CMI, alors que l’administration discontinue conventionnelle
de deux grammes toutes les 12 heures ne permet d’atteindre cet
objectif que pendant 72 % du temps [25]. D’une façon plus
générale, si l’on prend en compte les données cinétiques
moyennes des patients de réanimation, à dose quotidienne
égale, c’est la perfusion continue qui permet d’atteindre les cibles de concentrations suffisantes pour céfépime, aztréonam,
ceftazidime et pipéracilline–tazobactam, au moins pour les entérobactéries [26,27].
L’un des reproches fréquemment formulés aux dosages sériques est leur insuffisance à prédire la concentration d’antibiotique dans les tissus. Dans plusieurs études ouvertes portant sur
des patients de réanimation porteurs d’une pneumopathie nosocomiale, il a pu être montré qu’à l’état d’équilibre, après une
dose de charge initiale de deux grammes suivie d’une perfusion continue de 4 g/24 h, les concentrations obtenues dans le
liquide alvéolaire étaient suffisantes, avec une concentration
sérique atteignant 40 mg/L en perfusion continue, au moins
pour le céfépime [28]. La pénétration alvéolaire est moindre
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pour la ceftazidime administrée dans les mêmes conditions
[29].
À l’heure actuelle, seule la ceftazidime fait l’objet d’une
AMM pour la perfusion continue, mais pratiquement toutes
les bêtalactamines à demi-vie courte ont fait l’objet d’études
cliniques publiées. L’utilisation de la perfusion continue doit
néanmoins être réfléchie par rapport aux données concernant
la stabilité des solutions à température ambiante, et leur compatibilité avec d’autres médicaments possiblement employés en
réanimation par voie veineuse. La prudence fait recommander
de perfuser l’antibiotique sur une voie veineuse séparée en cas
de doute. À titre d’exemple, la perfusion continue de céfépime
a fait l’objet d’études pharmacologiques visant à tester sa stabilité et sa compatibilité avec d’autres médicaments habituellement perfusés en réanimation ou au cours de la mucoviscidose.
À 25° Celsius, le céfépime peut être considéré comme stable
pendant 24 heures, mais cette stabilité tombe à 14 heures à
30° Celsius. Des incompatibilités ont été observées avec l’érythromycine, le propofol, le midazolam, la phénytoïne, la théophylline, la nicardipine, la N-acétylcystéine, ainsi que les
concentrations élevées de dobutamine. Il faut donc utiliser le
céfépime en perfusion continue avec précaution en milieu de
réanimation, dans des conditions de température et de coadministration de médicaments strictement contrôlées [30].
3.2.2. Les glycopeptides
Pour la vancomycine, un objectif de concentration sérique à
l’état d’équilibre de l’ordre de 20 à 25 mg/L en perfusion continue, et de 10 à 15 mg/L en concentration résiduelle pour l’administration intermittente est généralement retenu. L’étude
prospective et randomisée la plus récente comparant les deux
modes d’administration et portant sur 119 malades de réanimation n’a pas montré de différence d’efficacité, mais un rapport
coût/efficacité en faveur de la perfusion continue [3].
La teïcoplanine est un antibiotique à demi-vie longue, administrable en une seule injection quotidienne après dose de
charge. C’est la Crés qui constitue le paramètre pharmacodynamique prédictif de l’activité. L’objectif varie de 10–15 mg/L
à 20–25 mg/L en fonction de la gravité de l’infection.
3.2.3. Le linézolide
Les concentrations sériques et intrapulmonaires de linézolide ont été mesurées chez des patients de réanimation présentant une pneumopathie acquise sous ventilation assistée. Les
résultats montrent l’équivalence des concentrations entre le liquide alvéolaire et le sérum aux posologies usuelles (600 mg
toutes les 12 heures), et des concentrations résiduelles à
12 heures à 2,4 et 2,6 mg/L dans le sérum et le liquide alvéolaire, respectivement. Le linézolide est dosé en HPLC, et
compte tenu de la toxicité potentielle de cette molécule, notamment sur le plan hématologique, et du risque d’accumulation
déjà décrit, son monitorage apparaît souhaitable [31]. Ses caractéristiques pharmacocinétiques suggèrent une activité supérieure à celle de la vancomycine [32]. Une étude expérimentale
sur le modèle d’endocardite à Staphylococcus aureus résistant
à la méticilline a montré la supériorité de l’administration
continue vs discontinue avec les doses usuelles de 1200 mg/j,
191
avec des concentrations sériques à l’équilibre entre 20 et
30 mg/L [33].
4. Les méthodes de dosage
Le résultat des dosages d’aminosides et de glycopeptides
peut être obtenu par méthode immunologique en une à deux
heures dans tout laboratoire de pharmacologie moyennement
équipé, ce qui permet d’ajuster la dose dès la deuxième administration pour les aminosides. Pour la vancomycine, après une
dose de charge d’un gramme (en une heure) chez l’adulte, le
dosage sérique peut être effectué quelques heures après le début de la perfusion continue.
Les bêtalactamines, le linézolide et les fluoroquinolones
sont dosés par chromatographie liquide haute performance.
Un laboratoire de pharmacologie suffisamment équipé peut
rendre le résultat dans la demi-journée, permettant ainsi un
ajustement avant la vingt-quatrième heure qui suit le début du
traitement.
Quels que soient la méthode utilisée et l’antibiotique faisant
l’objet d’un dosage, une réponse rapide est indispensable chez
les malades pour lesquels aucun sous-dosage ni aucun surdosage ne sont a priori acceptables. Pour les molécules à activité
concentration-dépendante (aminosides, fluoroquinolones), la
mesure du pic peut être faite dès la première injection. Pour
les molécules à activité temps-dépendante (bêtalactamines, glycopeptides, linézolide), la réalisation d’une dose de charge
préalable à la perfusion continue rend interprétable le résultat
d’un prélèvement effectué cinq ou six heures après le début de
la perfusion continue. Quand l’administration discontinue est
utilisée, la mesure de la concentration résiduelle peut être effectuée juste avant la deuxième injection, en sachant que le
résultat sous-estime légèrement la concentration à l’équilibre
qui ne sera obtenue qu’après cinq demi-vies.
5. Conclusion
La littérature des 20 dernières années est riche en enseignements concernant la pharmacodynamie des antibiotiques. Le
respect de ces données remet sérieusement en question les
schémas posologiques traditionnels, notamment (voire exclusivement ?) chez les patients à la pharmacocinétique imprévisible, comme c’est souvent le cas en réanimation. Néanmoins,
il existe peu d’articles résultant de travaux cliniques permettant
d’affirmer la réalité du rapport coût/bénéfice du monitorage,
même si sur le plan de la toxicité, il semble que le rapport
coût/efficacité soit favorable [34].
Références
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