Dominique de Colonia
Transcription
Dominique de Colonia
Dominique de Colonia Cet éminent jésuite, professeur au Collège de la Trinité de Lyon, est l’auteur d’une imposante œuvre, autant par le nombre des publications que la variété des sujets étudiés. À ce propos, Jacques Pernetti, son contemporain, observe : « L’amour des lettres était une passion chez lui [P. de Colonia]. Je l’ai beaucoup connu dans ma jeunesse. Il était pour moi et pour ceux de mon âge un secours toujours présent, un objet d’émulation ; on avait envie de devenir savant quand on l’entendait » (1). Dans l’article chronologique, intitulé « Éloge du P. de Colonia, de la Compagnie de Jésus », paru dans les Mémoires de Trévoux (novembre 1741, pp. 2101-2106), on y apprend que le défunt journaliste possédait une érudition peu commune : « Rien n’échappa à ses recherches : il paraissait avoir tout lu, et sa mémoire qui n’oubliait rien lui rendait présent ce qu’il avait étudié avec tant de netteté, qu’on eût dit qu’il savait par cœur tous les livres qui lui étaient passés par les mains » (p. 2102). Son Histoire littéraire de la ville de Lyon (1728-1730) illustre ici l’étendue de son savoir. Aussi les travaux érudits du P. de Colonia, académicien lyonnais, lui conférait une solide notoriété au sein de l’Europe savante. F. Z. Colombet, l’un des rares commentateurs du prêtre jésuite, ne tarit pas d’éloges à son égard : « Dans toute sa durée, et en ses meilleurs jours, le Collège de la Trinité n’a pas eu, selon nous, de religieux plus véritablement lettré que le P. de Colonia » (Revue du Lyonnais, 1838, t. VII, p. 161). Ces témoignages sont éloquents. Or, le P. de Colonia, figure de proue du premier XVIII e siècle, demeure aujourd’hui un auteur méconnu. Point de travaux exhaustifs, ni d’études d’ensemble. L’apport du P. de Colonia à la rhétorique et son enseignement est loin d’être négligeable. Quant à sa Bibliothèque janséniste (1722, 1 vol., in-12), qui deviendra, après maintes rééditions et surtout augmentations du P. Louis Patouillet, Dictionnaire des livres jansénistes (1752, 4 vol., in-12), elle offre aux disciples de SaintIgnace un outil efficace dans leurs controverses avec les amis de Port-Royal. Par ailleurs, Paul Mech († 1999) dans sa notice biographique consacrée au P. de Colonia et publiée dans le Diccionario histórico de la Compañía de Jesú (Rome, 2001), présente le savant jésuite comme un humaniste, historien et théologien. La polyvalence de ses compétences (poésie, théâtre, journalisme, archéologie, etc.) en dit long sur la richesse de sa pensée, foisonnante et créative. Outre les investigations dans les bibliothèques et fonds d’archives, l’infatigable professeur jésuite procédait à des fouilles archéologiques : « Le P. de Colonia a fait part à l’Académie d’une découverte faite en creusant dans le jardin des religieuses de Sainte Claire de cette ville. On a trouvé, à vingt-huit pieds dans la terre, une jambe de bronze qui paraît avoir fait partie de la statue colossale d’un soldat romain, qui doit avoir eu neuf pieds de hauteur» (2). Famille Lorsqu’on consulte les notices biographiques consacrées au P. de Colonia, on constate la mention de deux dates de naissance. Pour Paul Mech, le P. de Colonia est né à Aix, le 25 août 1660. On lit cette information dans le Grand dictionnaire historique de Louis de Moreri, édition augmentée et corrigée par l’abbé Goujet (Paris, Libraires associés, 1759). Pour sa part, Sommervogel (t. II, col. 1320), une référence incontournable, signale la date du 31 mai 1658. Cette information est reprise dans le Dictionnaire de biographie française (Paris, 1961, t. IX, col. 335). Les archives paroissiales d’Aix-en-Provence conservent l’acte de baptême de Dominique de Colonia. Le futur académicien lyonnais est né le 25 août 1660, paroisse Sainte-Madeleine, où il fut baptisé le lendemain. Signalons aussi que Dominique de Guidi, trésorier de France, fut son parrain. Sa marraine se nomme Marguerite de Vitalis. Issu d’une ancienne famille de Provence, armes : « de gueules à une colonne d’or », le parcours du futur prêtre jésuite rompt, en quelque sorte, avec une tradition établie depuis plusieurs générations. Les Colonia ont exercé diverses charges parlementaires, plus particulièrement celle d’avocat à la cour d’Aix-en-Provence. C’est le cas entre autres du père de Dominique de Colonia, Reynaud de Colonia (1623-1708), lequel a épousé Jeanne de Sollier le 4 février 1651. Portrait par Seraucourt (B. M. de Lyon, Fonds Coste). (1) Recherches pour servir à l’histoire de Lyon, ou les Lyonnais dignes de mémoires, Lyon, Frères Duplain, 1757, t. II, pp. 299-300. Voir aussi A. Hamy, Chronologie biographique de la Compagnie de Jésus, Paris, H. Champion, 1900, p. 62 ; (du même auteur), Essai sur l’iconographie de la Compagnie de Jésus, Paris, Rapilly, 1875, notices 526-530 ; J. Tricou, Armorial et répertoire lyonnais, Paris, Gaston Saffroy, 1975, t. VI, p. Le P. de Colonia eut trois frères : Louis de Colonia (1656-1681), Guillaume de Colonia, avocats à la cour, Joseph de Colonia et deux sœurs : Marguerite et Anne de Colonia. (2) Registre de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon, séance du 5 avril 1740, f° 10 (graphie modernisée). Ce document est conservé à la Bibliothèque de l’Académie de Lyon. Acte de naissance : Famille (Archives départementales des Bouches-du-Rhône). Professeur Paul Mech précise dans sa notice biographique que l’entrée du P. de Colonia chez les jésuites d’Avignon date du 18 septembre 1675. Après son ordination en 1688 et quelques mois d’enseignement au niveau d’élèves des basses classes du Collège de la Trinité de Lyon, le P. de Colonia obtient la chaire de rhétorique (1689-1699), puis celle de théologie (1699-1728). Son traité, De arte rhetorica libri quinque, imprimé à Lyon en 1704, avait connu d’innombrables rééditions (3). Le P. de Colonia publie ce livre à l’usage de ses confrères de l’ordre des jésuites. Si Cicéron et les figures de style occupent une place prépondérante, le P. de Colonia n’abandonne pas pour autant l’usage du français, la langue de l’action ou exercice de théâtre. Leur présentation, lors de la cérémonie de clôture de l’année scolaire, constitue une fête solennelle et fastueuse pour les élèves, leurs parents et l’ensemble des notables lyonnais. Collège. On lit aussi la mention : « Ex dono P. de Colonia » sur la page de garde de la livraison de juin 1721 (cote 808217, t. 116). Nous avons recensé dans la collection des Mémoires de Trévoux quatorze volumes portant l’ex-libris du P. de Colonia. Ces livraisons sont tomées 107-121. Enfin, le P. de Colonia ne s’est pas contenté des chaires de professeur au sein du Collège de la Trinité de Lyon, il y a aussi exercé la fonction de bibliothécaire, « une promotion remarquable pour celui qui est désigné » (6). Livres Comme le P. Ménestrier, le P. de Colonia avait collaboré aux Mémoires de Trévoux. Lecteurs et possesseurs de cette feuille, les Pères Ménestrier et de Colonia étaient aussi rédacteurs. Quoique occasionnelles, leur collaboration, sollicitée par le directeur de ce périodique (4), avait contribué au rayonnement de ce journal dans l’Europe savante. Quant aux articles publiés par le P. de Colonia dans les Mémoires de Trévoux, ils portent, dans une large mesure, sur l’histoire ancienne (5). La bibliothèque du P. de Colonia n’avait bénéficié jusqu’ici que de succincts commentaires. Son ex-libris n’est pas répertorié par les auteurs de l’Armorial des bibliophiles Lyonnais, Forez, Beaujolais et Dombes (W. Poidebard, J. Baudrier, L. Galle, Lyon, Société des bibliophiles lyonnais, 1907). La collection des Mémoires de Trévoux, conservée à la Bibliothèque municipale de Lyon, nous fournit ici de très précieuses informations. En effet, l’ex-libris du P. de Colonia consiste en une étiquette imprimée : « Bibliothecam Collegii Lugdunensis S.S. Trinit. Soc. Jesu hoc munere benigne Locupletavit », à laquelle les prêtres conservateurs y avaient ajouté le nom du possesseur et l’année d’enregistrement (1726) des Mémoires de Trévoux au registre de la Bibliothèque du (3) Voir A. Clapasson, éd. annotée et illustrée par G. Chomer et M.-F. Pérez, Seyssel, Champ Vallon, 1982, p. 101 ; B. Beugnot, Les Muses classiques. Essai de bibliographie rhétorique et poétique (1610-1716), Paris, Kincksieck, 1996, Première partie, notice 269 ; J.-P. Sermain, « Le code du bon goût (1725-1750) », in Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne 1450-1950, sous la dir. de M. Fumaroli, Paris, PUF, 1999, p. 884. (4) Voir Jean M. Faux, « La fondation et les premiers rédacteurs des Mémoires de Trévoux (1701-1739), d’après quelques documents inédits », in Archivum Historicum Societatis Jesu, 1954, vol. XXIII, p. 133 : « L’appel à la collaboration est une lettre adressée aux Provinciaux le 26 mars 1701 […]. La recommandation est ferme et précise, et pour orienter le zèle de chacun, on joint à la lettre une circulaire composée pour les journalistes où sont détaillés les aspects de la collaboration désirée ». (5) Voir Sommervogel, t. II, col. 1322-1328 ; Cioranescu, Dix-septième siècle, notices 20146, 20153-20154, 20156, 20161. Livre (B. M. de Lyon). Conclusion L‘encyclopédisme du P. Colonia le rattache à l’humanisme de l’âge classique, plutôt que celui des Lumières ; une œuvre sous-tendue par la pensée des Anciens. Par ailleurs, Lyon représente aussi le second pôle de ses travaux : de l’histoire de la Gaule à ses contemporains, tel Claude Gros de Boze, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions, le P. de Colonia s’avère un insatiable lecteur à l’affût des nouveautés de la République des Lettres. Samy BEN MESSAOUD (6) Y. Jocteur-Montrozier, « Des jésuites et de la bibliothèque municipale de Lyon », in Les Jésuites à Lyon XVIe-XXe siècle, sous la dir. de F. Fouilloux et B. Hours, Lyon, ENS Éditions, 2005, p. 100. Voir aussi l’Histoire des bibliothèques françaises. Les Bibliothèques sous l’Ancien Régime 1530-1789, sous la dir. de Cl. Joly, Paris, Promodis, 1988, p. 62-63 : « Le bibliothécaire, en exerçant sa charge, poursuit par ailleurs ses travaux personnels et ses publications […]. Tels à Lyon, le Père Claude-François Ménestrier, puis le P. Dominique de Colonia ».