une chambre au sud - Cours de theatre Paris

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une chambre au sud - Cours de theatre Paris
UNE CHAMBRE AU SUD
de Christophe VIEU
PERSONNAGES : ROSA et LA DAME
Une dame dans une maison de retraite.
Et son aide soignante, Rosa qui refuse de lui attribuer une chambre exposée au sud…
LA DAME - Je ne veux pas passer ma vie dans cette chambre sans soleil, vous ne comprenez
pas ça !
ROSA - Votre vie, c'est quoi aujourd'hui, votre vie ?
LA DAME - Une grosse réserve de vitalité.
ROSA - S'il vous en reste encore assez pour être méchante, pour vouloir ce qui n'est pas pour
vous, pour nous empêcher de travailler et nous user les nerfs avec vos histoires, alors souhaitez
qu'elle dure encore longtemps. Mais à votre âge, les années ne se gagnent qu'à la condition
qu'on devienne un cloporte. Qu'on en paye le prix.
LA DAME - Ici vous ne savez que me priver de ce qui ferait mon bonheur. Vous êtes des tueurs.
Rachetez-vous. Parlez pour moi... Allez... Qu'est-ce que cela vous coûte, à vous ? Dites à la
direction que toute ma vie est suspendue à cet espoir.
ROSA - Toute votre vie ! Cette petite chose misérable et insipide !
LA DAME - Vous ferez acte de charité en donnant à cette misère ce qu'elle réclame.
ROSA - Que savez-vous de la misère, vous ?
LA DAME - Laissez-moi parler... Que je sois au nord ou au sud, qu'est-ce que cela change pour
vous ? Voulez-vous mon bonheur ? Avez-vous déjà entendu de la bouche d'un être humain qu'il
ne dépend que de cela? Moi, j'exige ce rayon de soleil, et je ne le veux même pas pour moi toute
seule. Je suis prête à le partager.
ROSA - Que savez-vous du partage ?
LA DAME - II suffit de transporter deux valises au bout d'un couloir. Deux valises, tout ce qu'il me
reste.
ROSA - Je n'ai pas que vous à m'occuper. Maintenant assez causé, dormez!
LA DAME - Non. Je n'ai pas envie de dormir.
ROSA: Tenez, prenez ça et dormez ! (Elle lui donne un cachet).
LA DAME - Je pourrais tout aussi bien le jeter à la poubelle devant vous votre médicament.
ROSA - Faites ça et vous vous en souviendrez.
LA DAME - Empoisonneuse ! (Elle avale le cachet. Boit le verre d'eau que Rosa lui tend).
ROSA - Encore un mot et j'appelle!
LA DAME - Appelez ! Donnez-moi ma chambre au sud et je vous donne ce que vous voudrez.
ROSA - De l'argent ? Vous n'en avez plus. Vous n'en voyez plus la couleur.
On vous prend tout, ici, tout ! On vous plume comme des oies ! Vous êtes une chauve souris qui
a fait son nid dans une grotte. Elle sort, elle meurt. Alors elle doit se contenter de battre
fébrilement des ailes dans le noir... Réfléchissez un peu. Où irez vous puiser cette chère humidité
si nécessaire à vos yeux ? Vous qui aimez tant mouiller vos mouchoirs... Ah, la belle vie!
Terminé! Les soirées, les bijoux, les villas, adieux! Le soleil, il faut être fort, et jeune! Vous
fondrez sous le feu. Votre sang, ce qu'il en reste, va s'évaporer. Ce n'est pas pour vous. On
préfère vous conserver au frais. Vous durerez plus longtemps.
LA DAME - Je vous souhaite de devenir vieille un jour à votre tour. De vous morfondre dans un
cachot !
ROSA - Moi, je n'irai jamais dans une maison de retraite. C'est bon pour les richards, ça.
LA DAME - Tant mieux. Comme cela, vous n'aurez même pas le choix, vous, entre le chaud et le
froid. Entre le nord et le sud. Entre le paradis et l'enfer.
ROSA - Ce sera le sud, pour sûr que ce sera le sud, ne vous en déplaise. J'ai des projets.
LA DAME - Qu'elle croit!
ROSA - Oui. Qu'elle croit la petite Portugaise!
LA DAME - Et comment allez-vous faire ?
ROSA - José et moi nous nous saignons aux quatre veines depuis quinze ans pour acheter une
maison au Cap Vert. Vous connaissez, le Cap Vert ? C'est au large de l'Afrique. C'est portugais.
LA DAME - Nous préférions l'Asie, mon mari et moi. L'Afrique, c'est si sale! C'est si vulgaire!
ROSA - Nous, nous avons renoncé à tout. Même à avoir des enfants... Vous avez déjà renoncé à
quelque chose, vous, dans votre vie facile de femme de diplomate ? Au Cap Vert, il fait toujours
beau. Oh ! Le Cap Vert! Vous n'avez pas vu ça, alors vous avez tout raté. C'est tellement beau
que vous avez envie de vivre de toutes vos forces, de toute votre âme... Vous n'avez plus besoin
de lutter, non, de vous convaincre que cela en vaut la peine... Vous vous laissez aller... La mort
n'existe pas là-bas. C'est comme une veille amie qui ne vous a pas téléphoné depuis des
années. Qui vous a oublié. Voilà ce que je nous réserve pour nos vieux jours. Et nous serons
heureux! Mais pour ça, il faut travailler dur! Quand j'ai fini ici, je fais des ménages. Et mon José,
ce sont quinze heures par jour qu'il passe sur ses chantiers.
LA DAME - (Commence à s'endormir) La vie vous punira... vous n'irez jamais... vous n'aurez
jamais assez d'argent pour cela... ce que je souhaite... (S'endort).
ROSA - Je me fous ce que tu souhaites, vieille folle! Dors à présent, poison! Dors! Qu'est-ce que
tu en sais, toi, d abord ? Pourquoi on ne l'aurait pas, notre maison au sud ? Parce que le
Cap Vert, c'est pour les riches, hein, peut-être? Le soleil, c'est pour les Milliardaires? C'est ça?
Dors, tu ne connais pas ton bonheur. On se casse tellement la tête avec ces histoires d'argent...
Si nous avons des enfants, alors c'est fini, qu'il a dit, José. Des enfants ou la maison au Cap Vert,
il faut choisir. Tu t'es vue? Dors, sorcière! Qu'est-ce que tu veux de mieux? Tu sais ce qu'elle fait,
la nuit, la petite Rosa, celle qui écoute à longueur de journée tes histoires d'ex-femme de
diplomate? Elle tourne en rond dans sa chambre. Je ne dors pas. Je cherche le sommeil… Des
heures sur mon lit pendant que mon José ronfle à côté de moi. Et quand je me glisse à nouveau
sous les draps, aux premières lueurs, je sens sa chaleur à lui, et de mon côté, là où c'est resté
vide si longtemps, c'est comme un grand manteau humide qu'il faut enfiler coûte que coûte pour
qu'il croie, lui, que je n'ai pas bougé d'un poil. Alors tout mon corps se contracte et se
recroqueville. Je suis devenue toute menue, toute fragile, toute vieille. Je suis une fleur rabougrie
qui tend sa tête frêle au matin glacé. Grande douleur partout, des pieds jusqu'à la pointe des
cheveux. Mon âme est toute pliée... Après, José, il se lève, et tu sais ce qu'il fait, dès qu'il a une
jambe à terre, mon homme? Eh bien... il regarde par la fenêtre. Et il me dit, parfois, tiens, il fait
beau. Juste ça. Mais moi, la petite Rosa, j'ai si froid, j'ai si froid, j'ai si froid... (Elle fond en larmes)

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