Décryptage d`une œuvre mystérieuse
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Décryptage d`une œuvre mystérieuse
Culture 1 29 mardi 7 avril 2009 Kandinsky, la leçon de peinture ARTS Pour la première fois depuis vingt-cinq ans à Paris, une centaine d’œuvres majeures racontent l’épopée européenne de cet artiste russe, pionnier de l’abstraction, qui fit vibrer la matière en musique. SUR LE MUR vierge de peinture, un homme réservé et sûr de son fait regarde le visiteur, ses lunettes pincées sur le nez, le dos bien droit dans son gilet cintré, le col tenu par une cravate noire. « Le peintre W. Kandinsky, un des plus importants représentants de la peinture russe actuelle, qui s’est installé à Berlin comme beaucoup d’autres artistes russes », mentionne le Berliner Illustrierte Zeitung, le 15 janvier 1922, sous ce portrait choisi par l’artiste pour marquer son retour de Moscou à Berlin. Aujourd’hui comme hier, les présentations de cet original, devenu un classique de la peinture, se font avec une certaine réserve. Comme d’ailleurs Vassily Kandinsky le goûtait, « ce monsieur qui mettait une distance avec ses contemporains », souligne, après trente ans de vie commune, son exégète émérite, Christian Derouet, le commissaire français de cette rétrospective internationale. « Montrer Kandinsky à grande échelle », c’est retracer une vie européenne où les artistes se côtoient, où les disciplines s’entremêlent. Voyage en cent tableaux, de Paris à Munich d’avant la Grande Guerre, de Moscou la révolutionnaire au Bauhaus de Weimar et Dessau, de Berlin des Années folles à Neuilly l’occupée où le peintre meurt, en décembre 1944, usé par la maladie, trois mois après la Libération de Paris. « Improvisations » numérotées comme des sonates ou des fugues en couleurs « Montrer tout Kandinsky », c’est faire entendre le vocabulaire musical du peintre en s’appuyant sur ses tableaux mythiques, ses Improvisations et ses Compositions fougueuses et splendides, numérotées comme des sonates ou des fugues en couleurs. Elles sont presque toutes là, à quelques exceptions près comme Composition VI, exposée l’an dernier dans Traces du sacré, ou Composition VII (galerie Tetriakov, Moscou) dont on ne voit ici que deux grandes esquisses. Par un jeu de murs en grisé, cette rétrospective éclaire la chronologie dense d’une carrière commencée tardivement, malmenée par les guerres, les exils et les retours. Elle souligne les liens avec Paris de ce Russe polyglotte qui ne parla jamais anglais. Le Tableau avec archer du MoMA, l’Improvisation 7 (Sturm) de la galerie Tetriakov et l’Improvisation 9 de Stuttgart marquent ainsi l’importance de la période Murnau. L’Impression III (Konzert) note l’influence de la musique, et Lyrique le mouvement du cavalier emporté par la couleur bleue. Didactique et grand public, la scénographie laisse parler la peinture, cette reine d’un autre siècle. Spacieuse et limpide, elle veut le plus possible « laisser respirer » chaque tableau, souvent seul invité sur un mur entier où le cartel est placé très haut, comme un accent. Lire, mais après voir et ressentir. Un vieux rêve de Beaubourg « Réunir les trois plus grandes collections au monde de Kandinsky, c’est un très vieux rêve de Beaubourg », rappelle Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne, dont la bibliothèque s’appelle justement Kandinsky, par fidélité à l’une de ses grandes donatrices. Grâce au fonds créé par sa veuve, Nina, puis à son legs en 1980, le Centre Pompidou s’enorgueillit de son ensemble majeur de Kandinsky, enrichi depuis par le soutien fervent de la Société Kandinsky. Elle permet de combler les manques de cet héritage miraculeux pour un musée français (acquisition des aquarelles et des dessins de la collection Alexandre Kojève, en 2001). Cette célébration de la peinture sur le chemin nouveau de l’abstraction a déjà séduit le public de Munich (Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau), fière de célébrer « l’un des derniers grands artistes du XXe forgés en sa ville ». Après Paris, elle devrait faire salle comble, cet automne, au Guggenheim de New York, dont les collections Kandinsky sont presque aussi célèbres que la rotonde blanche de Frank Lloyd Wright. VALÉRIE DUPONCHELLE ■ Du 8 avril au 10 août, au Centre Pompidou, www.centrepompidou.fr Décryptage d’une œuvre mystérieuse SE LIBÉRER DE L’OBJET. UNE PLUIE DE CRITIQUES. « C’était l’heure du crépuscule naissant. J’arrivai chez moi avec ma boîte de peinture après une étude (…) lorsque je vis soudain un tableau d’une beauté indescriptible, imprégné d’une grande ardeur intérieure. Je restai d’abord interdit, puis je me dirigeai rapidement vers ce tableau mystérieux sur lequel je ne voyais que des formes et des couleurs et dont le sujet était incompréhensible. Je trouvai la clé de l’énigme : c’était un de mes tableaux qui était appuyé au mur sur le côté. J’essayai le lendemain de retrouver à la lumière du jour l’impression éprouvée la veille (…) Je n’y arrivai qu’à moitié : même sur le côté je reconnaissais constamment les objets et il manquait la fine lumière du crépuscule. Maintenant, j’étais fixé, l’objet nuisait à mes tableaux.» Ainsi s’explique Kandinsky (Regards sur le passé et autres textes, 1912-1922). Lorsque Kandinsky présente huit huiles à Munich, en 1909, avec ses amis, l’exposition est violemment critiquée. La seconde exposition de 1910, l’est au point que le peintre Franz Marc prend la défense de son collègue russe. À Paris, en mars 1912, le Salon des artistes indépendants lui vaut la critique d’Apollinaire : « Kandinski (sic) expose des Improvisations qui ne sont pas sans intérêt, car elles représentent à peu près seules les influences de Matisse. Mais Kandinski pousse à l’extrême la théorie de Matisse sur l’obéissance à l’instinct et n’obéit plus qu’au hasard », fustige le poète d’origine slave dans L’Intransigeant. LE LANGAGE DES FORMES. Le premier titre de ce tableau était Avec l’arc noir. L’arc noir est un signe lié à une pièce du harnachement d’un cheval, faite de bois d’orme, la douga. Cette même forme apparaît en haut à gauche d’une toile de 1919, V serom (En gris), aussi au Centre Pompidou. LA NOUVELLE DIMENSION DES COULEURS. Kandinsky ne se contente pas, dit-il, de disposer des couleurs sur une surface, mais bien dans les différents plans d’un tableau, introduisant un mouvement de rotation dans l’espace. « Je répartissais les masses de manière à ne faire apparaître aucun centre architectonique. Souvent l’élément lourd était en haut et l’élément léger en bas (…) Je posais une masse pondéreuse, d’un effet oppressant entre des parties légères. Ainsi, je faisais ressortir le froid et je refoulai le chaud », écrit-t-il dans Mon développement. Volonté de dissimuler le sens et souci de la polyphonie restent sa devise, analyse le Dr Annegret Hoberg de Munich (Vassily Kandinsky : abstrait, absolu, concret ). UN CHEF-D’ŒUVRE À PETIT PRIX. Lorsque Kandinsky Mit dem Schwarzen Bogen, 1912 (Tableau avec l’arc noir, 1912), huile sur toile 189 × 198 cm. Philippe Migeat-ADAGP Paris 2009/Donation Nina Kandinsky,1976/Centre Pompidou/Musée national d’art moderne, Paris écrit, le 20 septembre 1912, au directeur de la galerie et de la revue berlinoise Der Sturm (La Tempête), il lui propose d’exposer ce Tableau avec l’arc Noir en échange de l’Improvisation 27 (Jardin de l’Amour II), aujourd’hui trophée du Met (New York). Il indique son prix très modeste : 1 500 marks. Ce grand tableau carré est devenu le chef-d’œuvre emblématique de la collection Nina Kandinsky. Et depuis 1976, celui du Centre Pompidou. Quatre toiles du maître privées de rétrospective à Paris ■ Pourquoi donc les quatre Kandinsky révélés, il y a deux mois, à l’ambassade d’Ouzbékistan, à Paris (nos éditions du 23 janvier), ne font-ils pas partie de la rétrospective de Beaubourg ? Deux tableaux, Composition 1920, et deux aquarelles, Composition 1915 et 1918, de ce pionnier de l’art abstrait étaient, en effet, présentés pour la première fois hors du Musée national des beaux-arts de Tachkent, la capitale, dont ils ornaient les murs depuis quatre-vingt-dix ans. Sortis à l’initiative de l’ambassadrice d’Ouzbékistan auprès de l’Unesco, Lola Karimova-Tillyaeva, l’on s’attendait à revoir ces chefsd’œuvre au Centre Pompidou : « Après des négociations qui n’ont pas abouti, nous avons découvert la venue des tableaux à Paris en lisant Le Figaro», argue Alfred Pacquement. Réponse désolée du côté ouzbek : « Le commissaire de l’exposition à Beaubourg ne s’est déplacé que quelques heures avant qu’on ne remballe les toiles pour Tachkent. On avait bien averti Beaubourg, et aussi le Louvre, mais d’un côté comme de l’autre, ils n’ont d’abord pas cru en la valeur des œuvres et ont réagi trop tard. » Kandinsky séjourna en Ouzbékistan après la Première Guerre mondiale. Le peintre enseignait à l’École d’art de Moscou quand il fut envoyé dans cette république soviétique comme une sorte d’émissaire du gouvernement russe, de délégué aux arts plastiques. VALÉRIE SASPORTAS EN BREF MUSIQUE. Le chef d’orchestre israélien Daniel Barenboïm donnera à l’Opéra du Caire un concert exceptionnel le 16 avril, deux mois après l’annulation de sa venue en raison de la guerre de Gaza. Il interprétera au piano des œuvres de Franz Liszt, avant de conduire l’Orchestre symphonique du Caire sur la Cinquième symphonie de Beethoven. Sharon Stone et Bill Clinton à Cannes GALA DE CHARITÉ L’ancien président Bill Clinton et l’actrice Sharon Stone présideront le gala annuel de l’Amfar, la fondation américaine contre le sida, qui aura lieu le 21 mai à l’Eden Roc, palace du Cap d’Antibes, lors du Festival de Cannes. Sharon Stone a déjà animé avec succès ces soirées de luxe et de charité. C Daniel Barenboïm en Égypte