Quand té charroye le mort

Transcription

Quand té charroye le mort
Quand té charroye le mort
Extrait du 7 Lames la Mer
http://7lameslamer.net/Quand-te-charroye-le-mort.html
Zistoir dedan
Quand té charroye le mort
- Lames de fond - Zistoir dedan / Zistoir déor -
Date de mise en ligne : jeudi 11 avril 2013
Description :
Sa in zistoire terribe, sa. In zistoire vrai. En 1988, na vingt-cinq-an de sa, Jean-Valentin Payet la écrit in live té i appelle « Récits et traditions de la Réunion ».
Dann live-là même, li raconte kosa l'arrivé la Réunion l'année 1919.
Copyright © 7 Lames la Mer - Tous droits réservés
Copyright © 7 Lames la Mer
Page 1/6
Quand té charroye le mort
Sa in zistoire terribe, sa. In zistoire vrai. En 1988, na vingt-cinq-an de sa, Jean-Valentin Payet
la écrit in live té i appelle « Récits et traditions de la Réunion ». Dann live-là même, li raconte
kosa l'arrivé la Réunion l'année 1919.
Dessin extrait du Mémorial de la Réunion, tome 5, page 98.
1 " Dans la terre navé de cheveux ec le zo...
Navé trois mois la guerre de 14-18 té fini. Le 11 novanm 1918 lavé signe l'Armistice. Sergent Pierre Puiné, ec
deux-mille-quate-cent soldat la Réunion té i attann in bateau pou rente zot case. Zot té dans inn caserne, Marseille.
Copyright © 7 Lames la Mer
Page 2/6
Quand té charroye le mort
In premier bateau, té i appelle Madona, la embarque mille-sept-cent soldat. Le bateau la fait escale Dakar, pou
dépose in contingent de soldat sénégalais. Li l'arrive la Réunion le 24 mars 1919. In deuxième bateau lé parti de
Marseille le 8 mars 1919, in vieux rafiot, té i appelle l'Orénoque. Navé sept-cent soldat pou rapatrié. Sergent Pierre
Puiné té dans l'Orénoque. Le voyage la dure in mois. Zot la passe Port-Saïd en Egype, zot la traverse Canal de
Suez, après-là Djibouti, Monbassa, Dar-es-Salam, Majunga, Nossi-Bé, Diégo-Suarez, Tamatave. Le 8 avril 1919, zot
la débarque le port de la Pointe-des-Galets.
Au Port, navé deux train té i attann azot, inn té sar Saint-Pierre, l'ote té sar Sainnis par le tunnel sous la montagne.
Sergent Puiné la prend le train pou Sainnis, et pendant trois jour la famille la fait la fête. Le 12 avril, in télégramme
l'arrive la case Puiné : tonton Marcel, le chef de gare de Saint-Paul, té mort. Là-même de monn la commence avoir
peur. In peu té i dit comme sa, quand le Madona lavé passe Dakar, li lavé embarque la terre pou fait le lest. Et la
terre té i sorte dann in cimetière, où sa que té i enterre de moune té mort ec la grippe espagnole. Le 24 mars, lavé
tire bann condamné dans la prison de Sainnis, lavé amène azot le Port pou décharge bateau. Zot même lavé
décharge la terre et na de témoin la dit dans la terre navé de cheveux ec le zo. Kosa zot la fait ec la terre ? Lé
possibe zot la dépose dann cimetière le Port, la Possession ec Saint-Paul.
Deux-heure de l'après-midi, la famille Puiné la prend le train pou allé l'enterrement, Saint-Paul. Zot la dort Saint-Paul,
l'enterrement té le 13. Dann cimetière, la tradition té respecté : chaquinn la prend inn poignée la terre, la jette su le
cercueil. Zot té doute pas, quand zot la repris le train pou rente Sainnis, quo sa zot té ramène dans zot main, sous
zot zong, dans zot linge, dessous zot soulier.
La case Puiné navé la grann soeur, té i appelle Anita, té i sorte la Rivière Saint-Louis, et navé la tite soeur cadette,
de moune té i criye à elle " Cada ", té sorte Salazie. Le deux soeur lavé monte Sainnis pou vacances Pâques. Zot té
ni rode la mort.
Photo extraite du Mémorial de la réunion, tome 5, page 102., coll. madeleine Gérard.
2 " « Faudra ou applique compresse chaud ec ventouse su zot poitrine... »
In soir, Pierre Puiné la trouve son manman ec son soeur Anita, té allongé dann lit, zot té arrête pas de toussé, zot
navé la fiève. Pierre la court rode docteur, li té pas là. Li la parti rode toute docteur Sainnis, na point inn té la. Toute
Copyright © 7 Lames la Mer
Page 3/6
Quand té charroye le mort
té parti soigne de monn malade. L'épidémie té fine commencé.
Déjà, depuis le 3 avril, dann journal « Le Progrès », Dr Archambaud té fine dire navé quatre-vingt condamné lavé
gaingne la grippe, mais té pas sûr si té la grippe espagnole. Par-le-faite, toute de moune té i dit « la grippe espagnole
», mais en réalité la grippe té i sorte en Chine, té « la grippe asiatique ». Té i dit la grippe espagnole, à cause la
famille le roi en Espagne lavé gagné. Depuis l'année 1918, la grippe, modèle H1N1, lavé sorte en Chine pou arrive
en Amérique. Après-là li lavé passe en Europe, en Afrique, en Amérique du Sud.
Quand le sergent Puiné la rente son case, asteure son papa aussi té malade. Pierre la parti rode Dr Archambaud. Dr
Archambaud la dit ali la vérité :
— Pierre, sa la grippe espagnole sa ! Depuis l'année dernière l'épidémie la fine arrive en France. Et même en
France bann médecin la pas ni à bout trouve le remède. Ma fait aou in l'ordonnance, espérons ou va trouve inn
pharmacie rouvert. Lé pas loin de dix-heure. Mais en plus que le médicament, faudra ou applique compresse chaud
ec ventouse su zot poitrine. Après-demain, ma ni oir azot.
Pierre té connaît in pharmacien, la bien voulu rouve la pharmacie pou donne ali son médicament. Pendant inn
semaine, la nuite comme le jour, Pierre la soigne son famille. Cinq-heure de matin li té tire le lit dehors, li té aère la
chanm, li té arfait le lit, li té nettoye toute. Li té fait pareil bann z'infirmière l'hôpital, quand lavé soigne ali pendant la
guerre. Et li té lave toute son famille malade, malgré bonna lavé honte. Dann quartier Butor, sergent Puiné la
gaingne acheté de bois pou fait la cuisine, li la rempli inn charrette, plus in panier de zoeuf ec deux volaille. La bonne
té fait cuit manger. Pierre té fait bouillir de l'eau dans inn grann bassine, li té plonge serviette dann l'eau bouillante, li
té perce bien, et li té entoure le bann malade avec. Té i fume encore, bonna té i gémit seulement. Après-là, li té
donne azot zot médicament et li té fait piqûre de sérum physiologique.
Troisième jour, in monn té i sorte Sainte-Clotilde, la ni dire sergent Puiné toute la famille son tonton Hyacinthe té
malade zot aussi. Navé rien que belle-soeur tonton Hyacinthe té encore deboute : elle té tout seul pou soigne son
beau-frère, sa soeur, té i appelle Laure, ec sa nièce. Navé point de médecin, navé point de médicament, et té trouve
pu rien pou manger. Navé in médecin l'armée, Dr Kérébel, té court partout, depuis Sainnis, jusqu'à Sainte-Marie,
Sainte-Suzanne. Na de fois li té sar jusqu'à Saint-André, à cause Dr Martin té vient pas à-bout li tout seul.
3 " A cause pendant deux-an, créole l'arrête mange cochon...
Alors Pierre Puiné la décide occupe aussi la famille tonton Hyacinthe. Tous-les-matins, quand li té fini ec son famille
Sainnis, li té sar Sainte-Clotilde, six kilomète à pied. Et quand li té fini Sainte-Clotilde, li té court la pharmacie, la
boutique, bazar. Navé la queue partout. Mais inn après l'ote, bann commerce té i rouve pu. De moune té i batte su la
porte, mais té resse fermé. Quatrième jour, Puiné la énervé : li la prend son l'élan, in coup de zépaule, li la défonce la
porte inn boutique chinois. Le commerçant té à terre, devant le comptoir, son zyeux grand rouvert. Puiné la enjanm
le cadave, li la passe derrière le comptoir et li la commence serve de moune. Toute la bann té tellement épouvanté,
personne la pas crié, la pas fait de ralé-poussé, et chaquinn la paye son marchandise tranquillement, sans protesté.
Dann bazar, de moune té bataille pou in boute la viann, pou in paquet de brède. Pou gaingne de lait, i fallait allé
jusqu'à Chaudron, grand matin. Huitième jour, Puiné té i sorte Sainte-Clotilde, arrive côté Butor, dans inn ruelle, son
cheveux la dresse su son tête : navé inn douzaine cochon t'après dévore le cadave inn vieille femme. Li la fait court
azot, mais li té pressé pou rente son case. Li té sûr le bann cochon té i sar revenir. A cause sa même de moune i dit
pendant deux-an créole l'arrête mange cochon. Pierre Puiné la soigne son tonton Hyacinthe coup de piqûre sérum
physiologique, mais la pas serve rien. Le bougue lé mort sans rien dire, sans gémissement. Sa femme, Laure, la levé
de son lit, la ni embrasse son mari et la reparti allongé. Inn heure de temps après-là, elle té mort. Lannmain matin, té
le tour de la fille. Pierre la parti commann trois cercueil ec in menuisier de Sainte-Clotilde. Li té obligé rode volontaire
pou amène le trois cercueil jusqu'à le cimetière.
Copyright © 7 Lames la Mer
Page 4/6
Quand té charroye le mort
Anita, morte de la grippe espagnole... "In soir, Pierre la trouve son manman ec son soeur Anita, té allongé
dann lit, zot té arrête pas de toussé, zot navé la fiève."
Sainnis, in camion té i passe dann chemin pou ramasse le mort, in peu su le trottoir, in peu dans zot case. Sa té
camion l'enfer : li té chargé cadave, le blanc, le noir, le riche, le pauve, le jeune, le vieux, le zomme, le fanm, le
zenfant, toute qualité, toute mélangé. Le camion té i charroye le mort jusqu'à le cimetière de l'Est, mais navé pu
assez de main-d'oeuve pou fouille le trou. Le bann cadave té aligné conte le mur, à la fin té éparpillé n'importe
comment. La nuite, cochon ec le chien té vient fait le bal dann cimetière. Pou ramasse toute le bann cadave en ville,
lavé prend encore in coup bann condamné, surtout sa que té condamné à mort. Lavé promette à zot la vie sauve ec
la liberté. La point inn la profité. Inn par inn, toute la bann lé mort.
In matin, Pierre té obligé ferme le zyeux son manman. Deux-heure après-là, té le tour sa grann soeur, Anita. Pierre la
parti la mairie pou fait la déclaration l'état-civil. L'employé té au-boute :
Copyright © 7 Lames la Mer
Page 5/6
Quand té charroye le mort
— Mi gaingne pu, mi gaingne pu ! Hier moin la enregisse cent soixante-trois décès !
— Té fait bon peu, pou inn commune trente mille habitant : cent soixante-trois mort, rien que dans inn journée.
4 " Le coup-de-vent la balaye toute le bann microbe...
Et alala, dimanche 11 mai, huit-heure de matin, sans prévenir, le vent la levé. In cyclone la passe su la Réunion,
surtout su la côte Ouest. Li la pas dure longtemps, tout jusse inn heure de temps, mais li té violent. In peu comme
cyclone Jenny en février 62. Sa que té sûr, c'est que le coup-de-vent la balaye toute le bann microbe. Le cyclone,
malgré li té pas gros, in seul coup, li la nettoye la Réunion. Vitement le nonm de mort la baissé. Dix jour après-là,
l'épidémie té fini.
En in mois-et-demi, la grippe espagnole lavé fait quinze mille mort la Réunion. Toute famille la Réunion té marqué
pou la vie, et jusqu'à coméla, de moune lé né dann zannée trente i souvient encore, sa que zot parent té i raconte
azot.
La grippe espagnole la fait soixante million de mort dans le monn. En France, quate cent mille. En 1918, na deux
poète français lé mort ec la grippe espagnole : Edmond Rostand ec Guillaume Apollinaire.
Jean-Claude Legros
Au seuil des cases
<dl class='spip_document_603 spip_documents spip_documents_left' style='float:left;'> <a
href="IMG/jpg/capture_d_e_cran_2013-04-11_a_22.29.02.jpg" title='JPEG - 24.8 ko' type="image/jpeg">
Jean-Valentin Payet en 1925
En 1928, Jean Valentin Payet publie « Au seuil des cases », à Madagascar. C'est soixante ans plus tard qu'il reprend
la majorité des récits de ce premier recueil, les retravaille, y ajoute de nouveaux récits et présente le manuscrit à
L'Harmattan, sous le titre : « Chroniques réunionnaises recueillies au seuil des cases ». Le manuscrit sera accepté
par l'éditeur mais le titre sera changé pour un « Récits et traditions de la Réunion » beaucoup moins inspiré.
7 Lames la Mer
Copyright © 7 Lames la Mer
Page 6/6

Documents pareils