William Klein - pdf

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Anthropogénies Locales - Phylogenèse
Histoire photographique de la photographie (1992)
William Klein (U.S.A., 1928)
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ANTHROPOGENIES LOCALES – PHYLOGENESE
HISTOIRE PHOTOGRAPHIQUE DE LA PHOTOGRAPHIE
21.
WILLIAM KLEIN (U.S.A., 1928)
L'immixtion photonique
En raison de son œil de cyclope, qui fait qu'elle regarde droit devant elle, et accroche
mal l'aller et retour dans la profondeur, la photographie est peu douée à l'égard du lieu, et de ses
introréverbérations, mais aussi à l'égard des rencontres, qui sont multidirectionnelles
latéralement et frontalement.
En ce qui concerne le lieu, nous avons vu les solutions « introréverbérantes » de Brassai
et de Robert Frank. Mais elles ne nous montrent pas comment rendre photographiquement cette
irruption imprévue d'un individu dans le champ d'un autre, qui lui-même parfois intervient
brusquement dans le champ du premier, et qu'on appelle une rencontre. Il faudra attendre les
années 1970 pour que William Klein résolve la question, et du même coup la pose, car elle avait
été comme forclose précédemment, sans doute en raison du cyclopéïsme photographique
congénital.
Le cinéma savait comment faire. Il avait en effet par le montage des plans en séquence
la possibilité de montrer un cheval qui court de face, puis brusquement de côté, puis
brusquement de dos, et à nouveau de face. Notre cerveau visuel de primate non seulement tolère
ce genre de discontinuité, mais il l'exige presque, parce que la ré-approche incessante d'un
même donné sous des angles différents est la seule façon pour lui d'échapper à ses habituations
très rapides, et donc de réactiver ses attentions courtes, de l'ordre de la seconde. La photographie
n'a pas cette ressource séquentielle. Mais elle en a d'autres. Et William Klein, qui fut parfois
partagé entre photographie et cinéma, en a fait son sujet photographique.
La recette comprend évidemment quelque brusquerie, et même quelque catastrophe, au
sens du passage d'une forme à une autre. Mais elle veut aussi que cette catastrophe, pour être
ressentie comme une irruption dans un territoire, une immixtion, soit située dans une
perspective circulaire, où les individus en intrusion réciproque soient englobés chacun par les
autres, sans oublier le regardeur. Rien donc de la perspective circulaire de Jan Dibbets, à
distance et abstraite. Mais une perspective circulaire immédiate, aussi tactile, auditive, olfactive
que possible.
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Henri Van Lier
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Trois ressources techniques ont alors été requises. D'abord, le grand angulaire employé
à bout portant, pour que les phénomènes jaillissent de l'environnement comme d'une capsule
éclatée. Puis, l'open flash faisant que la lumière éclabousse autour d'elle sans jamais rien
pointer. Enfin, le bougé qui, dans cet «entourement» de formes et de lumières, fait que les
matières, au lieu de se brouiller, deviennent au contraire hirsutes, elles aussi intrusives ou
extrusives, comme la situation qu'elles révèlent.
Les thèmes se sont adaptés à cette topologie et à cette cybernétique, et parfois les ont
appelées. Ce furent assurément surtout les rencontres mammaliennes, puisque seuls les
mammifères, et en particulier les mammifères signés que sont les hommes, ont cette capacité
d'immixtions réciproques incessantes. Et si William Klein a pu prendre aussi des «rencontres»
de bâtiments, c'était en les traitant comme des mammouths en rut.
Les histoires de la photographie ont donc retenu ses photos de rues et de parcs, comme
étant les lieux où les éruptions et immixtions physiques et sémiotiques sont les plus variées et
les plus fréquentes. C'est là qu'on peut voir sur une ligne de fuite oblique une dame assise à
l'arrière-plan à droite (elle rattache son soulier), plus près de nous au milieu un monsieur assis
(il sommeille), puis à bout portant à gauche une adolescente qui explose sur nous (en riant) de
toutes ses dents (LP,181).
Mais rappelons-nous qu'autrefois, la rue se condensait elle-même dans la ruelle, cet
espace étroit entre le lit et le mur, où se pressaient (au sens propre) les visiteurs d'une vedette.
Eh bien, le correspondant aujourd'hui de la ruelle classique est la cabine de mode juste avant le
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défilé, dans l'ultime et paroxystique moment de confrontation des actants échangeant leurs
chaleurs et leurs volontés entre deux espaces, celui du we-group de la boutique et celui du outgroup de la clientèle ; et entre deux moments, l'avant, chargé d'une force potentielle énorme, et
l'après (catastrophique), qui sera le basculement dans la défaite ou dans la gloire. Nous devions
donc prendre notre illustration dans Cabine Azzedine Alaïa mars 85, à l'instant-moment décisif
(*).
En grec, il y a un mot pour rendre cela, l’ormè. Pas le mouvement mais l'assaut, l'attaque,
exactement le premier élan du mammifère. Cela est aussi essentiel que la physiologie selon
Nadar.
* © William Klein.
Henri Van Lier
Histoire Photographique de la Photographie
in Les Cahiers de la Photographie, 1992
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Henri Van Lier

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