Des obstacles à surmonter
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Des obstacles à surmonter
DOSSIER Les assurances POUR LES MUSÉES Le montage du panneau Guerre de l’exposition « Guerre et paix », Teatro municipal do Rio de Janeiro, décembre 2010 ©PROJECTO PORTINARI spécifiques, qui varient beaucoup d’un pays à l’autre ou d’un musée à l’autre, en raison de la nature diverse des collections ainsi que des pratiques et des règlements nationaux et internationaux. Toutefois, à l’échelle mondiale, les garanties accordées par la couverture d’objets et d’œuvres d’art uniques, dans l’éventualité d’une perte ou d’un dommage, ne peuvent se substituer aux objets eux-mêmes, qui sont irremplaçables. Dans de nombreux pays, la pratique courante est de ne pas assurer les collections des musées gérés par l’État, ceux-ci faisant plutôt le choix de concentrer leurs efforts sur des mesures de sécurité ou de prévention pour la conservation. Des obstacles à surmonter Les divers aspects de l’assurance pour les musées par Sara Heft D ans la perspective globale de la gestion des risques, les besoins des musées en termes d’assurance sont multiples. Ils vont de la couverture des risques élémentaires propres à tous les établissements ouverts au public jusqu’aux risques extrêmement spécifiques liés aux pièces rares et aux œuvres d’art de grande valeur. L’assurance ne doit en aucun cas être un moyen de prévention des dommages, de la perte d’objets et de services ou encore de préjudices corporels mais plutôt une mesure visant à assurer un dédommagement financier convenable au cas où un sinistre se 10 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°2 2012 produirait. La couverture relative au fonctionnement quotidien des musées englobe tant la responsabilité civile générale et l’assurance des biens que celle du personnel et des visiteurs – des besoins partagés à divers degrés avec un certain nombre de structures autres que les musées, comme les hôtels ou les bureaux. Cependant, concernant l’assurance au sein du secteur muséal, ce qui vient en premier à l’esprit c’est l’assurance des collections – la couverture fournissant une protection financière pour les objets qui se trouvent au cœur de la mission et de l’identité du musée. Ce domaine est complexe dans la mesure où il se caractérise par des besoins très de grande envergure (comme Leonardo: Painter at the Court of Milan qui s’est tenue à la National Gallery à Londres de novembre 2011 à février 2012), une grande variété de lieux ont ainsi la possibilité de proposer des expositions passionnantes et stimulantes qu’il serait difficile de produire autrement en raison des coûts d’assurances qu’elles impliquent ». Questions éthiques Les garanties et compensations financières ou substitutions qui surviennent à la suite de demandes d’indemnisation dépendent de la déclaration de la valeur précise des objets de la collection, laquelle est Les objets prêtés constamment sujette à des fluctuations, ce qui rend nécessaire une En cas de prêt d’objets ou d’expositions itinérantes, que ce soit dans mise à jour régulière de l’estimation afin que l’indemnisation soit le plus des musées d’État ou des musées privés, il est de règle que l’institution juste possible. Les professionnels des musées et les assureurs insistent qui emprunte prenne en charge l’assurance pour toute la durée de régulièrement sur la nécessité d’un flux transparent d’informations et l’exposition. Le transport est également assuré selon la politique « clou d’expertises concernant les œuvres afin que ces mises à jour puissent à clou », qui, d’après Marc Rome, assureur d’expositions auprès de la être réalisées, garantissant ainsi une réaction appropriée aux pertes ou compagnie française AXA Art, est choisie « en règle générale » pour aux dommages. Pour M. Lemoine, « les musées doivent être capables les expositions que couvre cette société. Assureurs commerciaux de jouer le rôle de filtre » dans l’estimation de la valeur pour éviter une et courtiers spécialisés dans la couverture inflation trop forte. La détection de dommages des œuvres d’art occupent un créneau antérieurs ou d’éventuelles fragilités soulève Les professionnels des d’importance diverse dans le paysage également une question délicate d’ordre mondial : selon Jacques Lemoine, Directeur juridique et éthique, à savoir « comment musées et les assureurs de Gras Savoye Fine Arts, un courtier les responsabilités quant à la insistent régulièrement sur déterminer spécialisé qui travaille pour AXA Arts dans dégradation progressive d’une œuvre d’art ». la nécessité d’un flux l’établissement de polices d’assurances pour Les implications éthiques sont quelque 2 000 expositions par an en France transparent d’informations particulièrement importantes dans une et à l’étranger, il s’agit d’un micro-marché autre branche de l’assurance sollicitée par et d’expertises concernant en France, tandis qu’au Royaume-Uni les musées : celle de l’assurance titres, qui les œuvres où le gouvernement fournit une garantie touche surtout le domaine des beaux-arts et d’assurance pour la plus grande partie le marché des objets de collection et qui sert des expositions, « le marché est encore plus restreint ». Le courtier à prouver que l’objet possédé appartient légitimement à la personne est l’interlocuteur qui détermine les conditions d’assurance les plus assurée. Selon Sherri North Cohen, Directrice de la souscription chez adaptées aux besoins du musée pour une exposition donnée : elles Aris Title Insurance Corporation, une compagnie New-Yorkaise et qui sont « fixées en accord avec les conservateurs, les régisseurs et le fait autorité dans ce domaine, une telle couverture aide les musées à département juridique de l’institution », précise Jacques Lemoine. faire face aux conflits qui se présentent « quand ils achètent des objets En réaction aux coûts souvent exorbitants liés à de tels échanges, sur le marché, quand ils vendent ou cèdent des objets lors de ventes dans la mesure où les prix de l’assurance s’envolent dans le monde aux enchères ou de ventes privées, quand ils acceptent des donations entier en raison du gonflement des valeurs du marché de l’art, des ou des dons d’objets, ou encore quand ils acceptent des pièces à programmes gouvernementaux de dédommagement existent dans des fins d’exposition. » De telles mesures se trouvent en conformité un certain nombre de pays pour faciliter les prêts de collections entre les avec le Code de déontologie de l’ICOM pour les musées concernant musées d’un même pays ou les expositions internationales. Le US Arts l’acquisition des collections, et notamment avec l’article 2.3 : « Avant and Artifacts Program, par exemple, a assuré plus de 1 000 expositions l’acquisition d’un objet ou d’un spécimen offert à l’achat, en don, en prêt, depuis sa création en 1975, assurant une couverture jusqu’à 1,2 en legs ou en échange, tous les efforts doivent être faits pour s’assurer milliards de dollars par exposition de pièces prêtées par des institutions qu’il n’a pas été illégalement acquis. […] À cet égard, une obligation étrangères ou américaines. Cette mesure permet aux musées d’investir de diligence est impérative pour établir l’historique complet de l’objet davantage dans la production de l’exposition puisqu’ils n’ont pas à depuis sa découverte ou création. » souscrire une police d’assurance coûteuse. De la même façon, le UK Malgré le contexte actuel de crise économique, les marchés Government Indemnity Scheme a été fondé en 1980 pour optimiser les de l’assurance de l’art ne connaissent pas de baisse notable, et conditions de coopération des institutions nationales et étrangères de grandes expositions internationales continuent de parcourir pour l’accueil d’expositions itinérantes ; quelque 300 expositions sont le paysage muséal mondial. Dès que les expositions passent assurées chaque année grâce à ce programme. Selon Rhiannon les frontières et échappent alors aux spécificités nationales de Davies, Directeur du UK Government Indemnity Scheme, « que ce soit l’assurance, des divergences linguistiques et juridiques ainsi que des des structures de petite taille gérées par des bénévoles qui, sans cela, points de friction surgissent inévitablement, mais l’optimisation des n’auraient pas les moyens de monter une exposition, ou les grandes conditions de tels échanges va de pair avec un dialogue constant entre institutions, financées par l’État capables d’organiser des expositions, les musées et les professionnels du secteur de l’assurance. n N°2 2012 | LES NOUVELLES DE L’ICOM 11