Un exercice de TVA sociale - Conseil d`orientation pour l`emploi
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Un exercice de TVA sociale - Conseil d`orientation pour l`emploi
Un exercice de TVA sociale Stéphane Gauthier, Université de Caen et CREST http://www.crest.fr/pageperso/gauthier/tvasociale.pdf Thème général Quels sont les effets sur l’emploi de modifications des assiettes fiscales en équilibre général ? I Une application à la TVA sociale Cette politique propose de modifier la structure du financement de la protection sociale tout en maintenant les transferts sociaux inchangés. Précisément, elle propose de substituer la TVA à des cotisations sociales ; soit, une taxe reposant pour l’essentiel sur la consommation des ménages à une taxe sur la masse salariale, acquittée pour une part par les entreprises. Données de cadrage : la protection sociale en 2003 Les prestations sociales s’élèvent à 465 mds d’euros ; un petit peu moins de 1/3 du PIB. Les ressources de la protection sociale sont composées pour l’essentiel de cotisations sociales (323 mds d’euros) et d’impôts et taxes affectées à la protection sociale (91.5 mds d’euros). L’importance des impôts et taxes s’est accentuée : ils représentaient moins de 5% des ressources au début des années 90. On peut rendre compte de cette évolution de deux façons : I Coı̈ncidence des champs des contributeurs et des bénéficiaires de ce système I Composante de la politique de l’emploi en France Données de cadrage : la TVA en 2003 L’assiette de la TVA est composée de : I Consommation finale des ménages (868 mds d’euros) I Formation brute de capital fixe des ménages (88 mds d’euros) I Formation brute de capital fixe des APU (50 mds d’euros) I Consommation intermédiaire des APU (82 mds d’euros) Dans la sphère marchande, la TVA ne taxe donc pas la formation brute de capital fixe des sociétés financières et non financières (160 mds d’euros). La TVA collectée est de 110 mds d’euros ; l’assiette de la TVA s’élève donc à 1090 − 110 = 980 mds d’euros ; le taux moyen de TVA est de 110/980 = 11.2%. Deux intuitions rivales ? Intuition 1. Une taxe sur les facteurs de production s’apparente à une taxe sur la production. Si la production est proche de la consommation, elle s’apparente à une taxe sur la consommation. Si la valeur de la production est égale à celle des coûts de production, la substitution devrait être neutre : une taxe sur la consommation est équivalente à une taxe sur le coût de production. Cf. McLure, Journal of Public Economics, 1975. Intuition 2. La valeur de la masse salariale étant plus faible que celle de la consommation, une baisse de 1 point du taux de cotisations sociales sera financée (au premier ordre) par une hausse moindre du taux de TVA. Le coût du travail devrait baisser pour l’employeur alors que la consommation sera peu affectée : l’effet sur l’emploi devrait alors être plutôt positif. Cf. Rapport du Sénat 55, novembre 2003. Comprendre le résultat de neutralité : le cadre Un cadre très rudimentaire dans lequel coexistent une entreprise, un ménage et l’Etat. L’entreprise produit un bien de consommation à partir de travail, elle paye les cotisations sociales et s’acquitte de la TVA sur ses ventes. Le ménage consomme, offre du travail et reçoit des transferts sociaux. L’Etat reçoit la TVA et les cotisations sociales, et les reverse au ménage sous la forme d’un transfert forfaitaire. Comprendre le résultat de neutralité : les comportements L’entreprise produit y = αl biens à partir de l unités de travail. En notant p le prix-consommateur, t le taux de taxe sur la consommation, τ le taux de cotisations sociales, et w le salaire, son profit s’écrit py /(1 + t) − (1 + τ )wl. Le ménage consomme c biens et reçoit le transfert réel T ; sa contrainte budgétaire s’écrit pc ≤ wl + pT . Soit c(w /p, T ) sa fonction de consommation. L’Etat reçoit tpy /(1 + t) + τ wl et verse le transfert réel. Comprendre le résultat de neutralité : l’équilibre En prenant le bien de consommation comme numéraire (p = 1), un équilibre est un vecteur (y , l, w , T ) associé à (t, τ ) tel que : y = αl, y = (1 + t)(1 + τ )wl, y = c(w , T ), T = ty /(1 + t) + τ wl. Comprendre le résultat de neutralité : la TVA sociale Supposons, pour simplifier, que les taux de taxe sont suffisamment proches de 0 initialement. La TVA sociale s’interprète comme une paire (dt, dτ ) telle que dT = 0. La fonction de production implique que ŷ = l̂. Le coût du travail ne doit donc pas changer : t̂ + τ̂ + ŵ = 0. Comme y = wl initialement, la contrainte de l’Etat implique que t̂ = −τ̂ . Il s’ensuit immédiatement que ŵ = 0, et donc ĉ = ŷ = l̂ = 0. La politique est neutre. Ce qui est crucial ici, c’est la coı̈ncidence des assiettes des deux prélèvements (y = wl), qui oblige l’Etat à augmenter le taux de TVA du même nombre de points que le taux de cotisations baisse : si l’on avait t̂ < −τ̂ , le salaire réel augmenterait et conduirait à une hausse de la consommation, de la production et de l’emploi. L’effet de la TVA sociale 1 : un effet de demande agrégée La production demande du capital et l’investissement n’est pas soumis à TVA. Soit k le stock de capital, i l’investissement, r le taux d’intérêt, et δ le taux d’usure du capital. Le cadre d’analyse reste le même que précédemment, mais le comportement de l’entreprise est maintenant décrit par y = l α k 1−α , αy = (1 + t)(1 + τ )wl, (1 − α)y = (r + δ)k. Les revenus du patrimoine rk sont perçus par le ménage, et les prélèvements s’écrivent t(y − i)/(1 + t) + τ wl, où i = δk (hypothèse de long terme). L’effet de la TVA sociale 1 : un effet de demande agrégée Lorsque la politique est mise en place, le taux de croissance de la production doit être égal, pour un coût d’usage du capital donné, au taux de croissance du stock de capital. Il s’ensuit que le travail doit croı̂tre à ce même taux, et donc, que le coût du travail ne change pas : la TVA sociale n’induit aucun effet de substitution capital/travail. Si y − i > wl, c’est-à-dire si l’assiette de la TVA est plus large que la masse salariale, alors t̂ < −τ̂ , et ainsi le salaire réel s’élève, ce qui conduit à une hausse de la demande, de la production, et de l’emploi : l’effet de la TVA sociale sur l’emploi passe par un effet de demande agrégée, d’autant plus important que (y − i)/wl est grand et que la consommation est sensible au salaire réel. Des hypothèses très caricaturales Les taux d’imposition ne sont pas nuls initialement (les assiettes réagissent à la politique), du chômage subsiste sur le marché du travail et touche préférentiellement la main-d’oeuvre peu qualifiée, l’élasticité de l’offre de travail est souvent considérée comme faible, les ménages épargnent, l’économie n’est pas fermée. Le cadre est une variante du modèle à trois biens de Barro et Grossman, American Economic Review, 1971 ; il est proche de Salanié, Economie et Prévision, 2000, mais prend en compte explicitement la sphère de la demande agrégée. On introduit une demande de monnaie, et on distinguera deux types de main-d’oeuvre différant selon leur qualifications, la moins qualifiée, rémunérée au SMIC ou à un salaire proche du SMIC, étant touchée par du chômage classique. Une maquette analytique : l’équilibre Un équilibre est un vecteur (y , k, wq , lnq , p, i, c) associé à (l̄q , w̄nq , g , γ, t, τ ) tel que : α α y = lq q l̄nqnq k 1−αq −αnq , (1 − αq − αnq )py = (r + δ)k, αq py = (1 + t)(1 + τq )wq l̄q , αnq py = (1 + t)(1 + τnq )w̄nq lnq , y = c + i + g + γ, c = ηp −ξ , i = δk, La TVA sociale est définie par d(tp(c + γ)/(1 + t)) + d(τq wq l̄q + τnq w̄nq lnq ) = 0. Ici, les transferts nominaux sont supposés inchangés. Données de calibration Toutes les données agrégées sont issues des Comptes Nationaux 2003. Le champ est composé des ménages, des sociétés financières, et des sociétés non-fiancières. Les données par type de qualification sont issues de Skalitz, INSEE Résultats, 2004. La main-d’oeuvre non-qualifiée comprend les ouvriers non-qualifiés et tous les employés ; certaines grandeurs sont imputées au prorata des salaires bruts du champ. lq lnq wq lq wnq lnq py pc pγ pi 12.2 6.3 283 104.5 1151.5 868 220 278 t τq τnq αq αnq ξ 0.112 0.57 0.52 0.43 0.15 0.5 Eléments de chiffrage Exercice 1. Une baisse ex ante des cotisations sociales de 15 mds d’euros conduit sur un horizon de 10 ans à une hausse de l’emploi de 480 000 individus lorsqu’elle bénéficie seulement à la main-d’oeuvre non-qualifiée, et de 130 000 individus lorsqu’elle bénéficie uniformément à l’ensemble de la main-d’oeuvre. Exercice 2. Une hausse ex ante des recettes de la TVA de 15 mds d’euros conduit sur un horizon de 10 ans à une baisse de l’emploi de 80 000 individus. Exercice 3. Une baisse ex ante des cotisations sociales de 15 mds d’euros, financée par la TVA, conduit sur un horizon de 10 ans à une hausse de l’emploi de 400 000 individus lorsqu’elle bénéficie seulement à la main-d’oeuvre non-qualifiée, et de 50 000 individus lorsqu’elle bénéficie uniformément à l’ensemble de la main-d’oeuvre. Variante 1 : Elasticités de substitution Les effets de la TVA sociale sur l’emploi sont les mêmes pour une fonction de production α y = lnqnq A1−αnq avec, pour ρ < 1, ¡ ¢1/ρ A = lqρ + υk ρ , où l’élasticité de substitution σ entre le travail qualifié et le capital est égale à 1/(1 − ρ). Variante 2 : Balance commerciale Les exportations x dépendent positivement du rapport e(1 + t)p ∗ /p tandis que les importations f dépendent négativement de ep ∗ /p, où e est le taux de change et p ∗ le prix-consommateur des biens étrangers. Dans un système de taux de change fixe, et pour p ∗ donné, l’emploi augmenterait de 520 000 individus lorsqu’elle bénéficie seulement à la main-d’oeuvre non-qualifiée, et de 115 000 individus lorsqu’elle bénéficie uniformément à l’ensemble de la main-d’oeuvre. L’emploi baisserait de 30 000 individus en concentrant l’allègement de charges sur la main-d’oeuvre qualifiée. Variante 3 : Cotisation sur la valeur ajoutée Taxer la valeur ajoutée revient à taxer le travail et le capital ; formellement, on a (1 − αq − αnq )py = (1 + t)(r + δ)k, αq py = (1 + t)(1 + τq )wq l̄q , αnq py = (1 + t)(1 + τnq )w̄nq lnq . La politique induit alors une substitution capital/travail, mais en réduisant l’investissement, elle affecte négativement la demande agrégée. Dans le même cadre que précédemment, ces deux effets se compensent approximativement, et les effets sur l’emploi sont sensiblement les mêmes. Conclusion Une politique qui semble avoir des effets positifs sur l’emploi si elle est suffisamment concentrée sur une petite partie de la main-d’oeuvre pour laquelle les ajustements se font plutôt par les quantités sur le marché du travail. Les ménages dans leur ensemble voient leur salaire réel s’élever, mais l’équité de ce type de politique reste incertaine : tendent par exemple à être avantagés les entreprises employant relativement plus de main-d’oeuvre, celles qui se situent en amont dans le processus de production, ou les ménages salariés du secteur privé par rapport à la fonction publique ou aux retraités.