Message - Association Lire et écrire

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Message - Association Lire et écrire
Message des apprenants au Président de la Confédération
M. Pascal Couchepin, le 14 novembre 2008
à l'occasion du 20ème anniversaire de l'Association Lire et Ecrire
Monsieur le Président,
Nous, les apprenants des cours Lire et Ecrire, nous vous remercions de vous
être déplacé pour cette journée festive des 20 ans de l’Association Lire et
Ecrire.
Mot personnel de Corinne
Je suis valaisanne comme vous. J’ai suivi mes classes en Valais comme vous.
Mais à la fin de l’école, je ne savais pas lire et écrire comme vous.
Je ne savais pas comment voter, car pour aller voter il faut savoir lire et
comprendre ce que l’on nous propose. Comme on n’est pas sûr de
comprendre les sujets de vote, on a toujours l’impression de faire faux.
Je ne pouvais pas lire facilement des histoires à mes enfants. C’était très
douloureux pour moi. Je leur disais : attendez papa. Il va vous lire une histoire.
Mot personnel de Danièle
Mon parcours scolaire a été très perturbé et morcelé. C’était durant la période
de la guerre de 39. J’ai maintes fois dû changer de pays ou de région
linguistique : de France d’abord en Suisse allemande, puis italienne et enfin
romande. Quelquefois, je logeais chez mes parents, mais aussi dans
différentes familles d’accueil ou au pensionnat. Du fait de ce parcours
chaotique, je n’ai pas pu réaliser mon rêve qui était d’entrer aux Beaux-Arts.
Concernant les votations, j’adhère pleinement à ce que Corinne vient de dire :
c’est un véritable casse-tête de voter selon nos convictions.
Une autre difficulté à laquelle je me suis beaucoup heurtée, c’était ma difficulté
à m’exprimer. D’une part, le vocabulaire me manquait et d’autre part, je
n’avais pas confiance en moi. Ces situations m’angoissaient beaucoup.
Monsieur le Président, nous ne sommes pas ici aujourd’hui pour vous raconter
notre vie. Nous sommes ici pour vous transmettre le message de l’ensemble
des participants des cours Lire et Ecrire de Suisse romande.
Car nous avons demandé à tous les apprenants de réfléchir et de nous
envoyer leurs textes.
Qui sommes-nous ?
Je n'ai pas peur de dire que je suis une personne illettrée. Dire cela, c'est
reconnaître qu'on ne sait pas bien lire et écrire, mais surtout ça ouvre la porte
qui nous permet de nous en sortir !
Nous les personnes illettrées, nous avons besoin d'être comprises et non pas
d'être rejetées ou humiliées.
Nous sommes des personnes normales avec nos qualités. Nous sommes
mêmes plutôt intelligentes puisque nous sommes obligées de trouver des
astuces pour vivre comme les autres. Notre intelligence ne peut pas être mise
en doute, elle est souvent égale et même supérieure à celle de certains
intellectuels. Il n'est pas permis de confondre intelligence et instruction.
Ne pas savoir lire et écrire rend la vie difficile
Pour quelqu’un qui ne l’a pas vécu, c’est difficile de se rendre compte de ce
que cela signifie de ne pas savoir lire et écrire.
Un apprenant de Genève a trouvé une belle image :
Ne pas savoir lire et écrire c’est comme rouler sans permis sur une autoroute
à 200km/h. On ne sait pas comment on va finir.
Cela est bien vrai.
Combien de fois nous avons risqué d'être trompés et escroqués parce que
nous n'avions pas la possibilité de comprendre les écrits, les contrats que l'on
nous demande de signer. En voulant ignorer notre handicap, nous nous
sommes parfois engagés sans comprendre. Par la suite, nous n'avons pas eu
les moyens de nous défendre ou de nous rétracter.
La non-maîtrise de l'écrit rend difficile tout ce que nous entreprenons. Par
exemple, chercher un emploi ou suivre une formation continue en entreprise.
La lecture et l'écriture sont présentes partout dans la société d'aujourd'hui :
modes d'emploi, Internet, journaux, rapports de travail, etc.
Nous nous interrogeons aussi sur l’avenir des personnes qui ne savent pas
lire ni écrire. Elles n'ont pas le choix de leur profession, même si elles
acquièrent des compétences dans leur travail. Elles font ce qu’elles peuvent,
pas ce qu’elles veulent.
D’une manière générale, les apprenants sont très inquiets par rapport à leur
situation professionnelle. Voici le témoignage d’un apprenant de Genève :
« Je travaille depuis plus de 20 ans chez le même employeur et mon travail y
était bien apprécié jusqu’au jour où le salaire au mérite y a été instauré. A
partir de ce moment, on m’a baissé d’une catégorie, car je ne peux pas remplir
seul les bons de travail. De ce fait, mon salaire a diminué alors que mon travail
a toujours la même valeur »
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Une apprenante de Fribourg répond : c’est injuste ! On ne peut pas baisser le
salaire pour un même travail !
Elle trouve cela même doublement injuste car elle est convaincue que celui
qui ne sait pas lire et écrire doit même travailler plus que les autres. Son
témoignage :
Si on ne sait pas lire, on doit mémoriser plus.
Je travaille à la chaîne, à la chocolaterie.
Je dois régler le robot moi-même,
et je dois lire quel chocolat va sur quel tapis.
J’ai dû tout mémoriser, parce que je ne sais pas lire.
Mais personne n’est au courant.
Donc je travaille plus.
Savoir lire et écrire est fondamental
Monsieur le Président, nous les apprenants des cours Lire et Ecrire aimerions
aussi vous dire à quel point pouvoir apprendre à lire et à écrire est
fondamental.
Nous sommes tous reconnaissants de bénéficier des cours dans le cadre de
notre association ; ces cours nous permettent d’avancer dans notre vie, de
suivre une formation professionnelle et de trouver une place de travail pour
gagner notre vie et être autonomes et libres.
Les cours nous offrent la possibilité de comprendre ce qui nous entoure, de
nous exprimer et de nous intégrer.
En bref, nous suivons ces cours pour avoir une vie sociale comme tout le
monde.
Apprendre à lire, ça sert à mieux comprendre, quand les autres gens nous
parlent. Ca nous sert à surmonter une certaine timidité quand on veut
exprimer notre opinion.
Maintenant nous osons dire "non" et les relations sont meilleures. Nous osons
aussi demander des explications.
Apprendre à lire et à écrire ça sert pour être autonomes. Une participante de
Lausanne l’a résumé dans son témoignage :
"Avant, à Lausanne, je ne savais pas me déplacer seule. J'avais toujours
besoin que mon mari m'accompagne. Il est même arrivé qu'il doive quitter son
travail brusquement parce que j'étais perdue ! Maintenant, je voyage seule,
partout, même à l'étranger !"
Lire et écrire est important aussi pour nous les parents : quand nous savons
lire et écrire et que nous aimons le faire, les enfants apprennent mieux à
l’école.
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Quand on sait lire et écrire, les démarches administratives sont plus faciles :
chercher une place de travail, une pension, une aide sociale, et même des
démarches avec la justice.
Apprendre à lire, ça sert aussi à connaître d’autres cultures, et ceci sans qu’il
soit nécessaire de voyager vers des pays étrangers.
La formation – un droit
Monsieur le Président, vous êtes certainement d’accord avec nous :
la compétence des habitants fait la richesse du pays.
Une civilisation riche doit donner la possibilité à chacun d’apprendre à lire et à
écrire, à tout âge.
Tout le monde doit avoir le droit d’apprendre autre chose par le biais de la
formation continue et pouvoir améliorer sa culture générale quel que soit son
niveau de scolarité.
Il y a des personnes qui ont besoin de plus de temps pour apprendre. Tout le
monde n’a pas la même facilité à étudier.
Il y a aussi des gens qui n’ont pas eu la possibilité d’aller à l’école dans leur
pays d’origine. S’ils viennent en Suisse, le droit d’apprendre devrait leur être
garanti.
Demandes à Monsieur Couchepin
Les apprenants des cours Lire et Ecrire font appel à vous pour garantir à tous
de pouvoir apprendre la lecture et l’écriture, quels que soient leur âge et leur
origine.
Avant tout, nous avons besoin de votre appui pour exhorter la population à plus
de tolérance et de respect de la part de "ceux qui savent", car les moqueries et
les injustices démotivent les personnes en difficultés. Et chaque jour nous y
sommes confrontés.
Les apprenants de Lire et Ecrire souhaitent que vous mettiez tout en œuvre
pour rendre les cours accessibles à tous ceux qui le veulent, même quand il y
a très peu d’apprenants, dans les petites villes et dans les campagnes.
Les apprenants vous demandent de subventionner les cours pour qu’ils soient
financièrement accessibles à tous, sachant que beaucoup d’entre nous ont un
revenu modeste.
Nous aimerions aussi attirer votre attention sur le fait que dans beaucoup
d’endroits il y a des listes d’attente parce que les cours sont pleins.
Attendre une année pour pouvoir participer au cours : c’est trop long et cela
détruit la motivation de tous ceux qui ont finalement trouvé le courage de
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s’inscrire. S’il y avait plus de moyens à disposition, nous ne serions pas
obligés d’attendre si longtemps. Il faut nous aider.
Nous aimerions avoir la possibilité de rester dans les cours jusqu’à ce que nos
objectifs soient atteints. Nous aimerions avancer encore plus dans le domaine
de l’écrit et dans le domaine de la lecture pour pouvoir préparer des examens
reconnus afin de casser le cercle de l’illettrisme et de montrer que nous
sommes capables d’apprendre.
Beaucoup d’entre nous ne travaillent pas à plein temps. Ils aimeraient suivre
des cours plus intensifs. Mais il y a déjà des listes d’attente et l’Association
Lire et Ecrire ne peut pas nous offrir ces cours intensifs qui nous permettraient
d’avancer beaucoup plus vite.
Quand on a des enfants, on a envie d’apprendre pour pouvoir les aider.
Beaucoup de mères de famille ne peuvent pas en même temps s’occuper de
leurs enfants et suivre les cours. Il serait donc utile d’avoir un accueil pour les
enfants pendant que les parents sont au cours, avec une soupe ou un goûter
et un soutien pour les devoirs…
Les entreprises devraient aussi être encouragées à donner du temps à leurs
employés pour aller aux cours. Quand nous savons lire et écrire, nous
pouvons apprendre beaucoup de choses nous-mêmes et nous travaillons
mieux.
Nous, les apprenants, nous encourageons d’autres gens qui ne savent pas
bien lire et écrire à venir apprendre avec nous. Il faudrait que tous ceux qui ont
des difficultés pour lire et écrire puissent ne pas avoir honte de le dire.
Encourager d’autres personnes, c’est cela notre contribution pour faire
connaître le problème. De votre part, nous attendons une campagne de
sensibilisation.
Il serait bien de faire une publicité orale, car c'est la seule publicité accessible
pour celui qui ne sait pas lire.
Nous demandons des lois qui donnent le droit d’apprendre.
Les apprenants vous demandent, Monsieur le Président de la Confédération,
d’interpeller les cantons et les communes pour qu’elles financent les cours Lire
et Ecrire.
Nous les parents, nous sommes inquiets pour nos enfants. Nous aimerions
leur épargner les mêmes souffrances. Il faut offrir plus d’appui dans les écoles
pour les enfants en difficulté : nous étions de ceux-là.
Permettez-nous finalement de vous adresser encore une demande
particulière : l’année passée, nous avons été invités à une rencontre
internationale entre apprenants organisée par une association belge. Cela a
été une expérience très enrichissante. Nous, les apprenants de Suisse
romande aimerions aussi pouvoir accueillir des apprenants d’autres pays
francophones et organiser une grande rencontre internationale des
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apprenants en Suisse. Nous espérons que la Confédération contribuera à
l’organisation de cette rencontre.
Pour conclure
Nous vous remercions de nous avoir écoutés et d'avoir accordé un moment de
votre journée et vous exprimons notre vive reconnaissance.
Pour terminer, Monsieur le Président, nous souhaiterions vous inviter dans un
de nos cours pour que vous ayez une idée plus précise de notre situation et
que vous vous rendiez compte de toute l’énergie que nous mettons pour
apprendre.
Permettez-nous de terminer ce discours avec deux témoignages :
"Avant, je ne savais même pas lire mon nom. Aujourd'hui, j'ai cherché mon
badge avec mon nom inscrit dessus et je l'ai trouvé ! J'aimerais que tout le
monde qui ne sait pas lire et écrire puisse apprendre."
« Je dis que l’illettrisme n’est pas irréversible. Moi, à 74 ans, j’éprouve enfin du
plaisir dans la lecture et de la satisfaction de pouvoir oser exprimer mes
pensées par écrit. Que de temps perdu ! »
Pour vous remercier de votre venue et de votre attention, nous vous offrons ce
recueil de textes1. Tous les textes ont été écrits par des participants aux cours.
Ils vous feront découvrir un peu plus notre réalité mais aussi notre envie de
nous exprimer.
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Ecrire pour mieux se faire entendre, Association Lire et Ecrire, 2008, ISBN 978-2-9700634-0-7
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