Dieu est mort, vive Dieu.
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Dieu est mort, vive Dieu.
« Dieu est mort, vive Dieu. Vers une nouvelle idée du sacré pour le IIIème millénaire : l'anathéisme ». Richard Kearney, NiL,2011, 361 p. Pour commencer. "ana ?", "après ? 1". Ce qui en l'espèce, voudrait dire qu'il y a un "après" Dieu et donc avec Nietzsche ("Dieu est mort"), après Auschwitz ("la mort de Dieu"), la possibilité d'un autre Dieu , d'un Dieu qui a de nouveaux traits, d'un Dieu auquel se risquer, d'un pari sur Dieu. Disons-le de suite, ce Dieu a les traits de l’Étranger. L'auteur est Irlandais. Il a vécu les guerres atroces entre Protestants et catholiques puis l'accord du Vendredi Saint (1998) permettant aux citoyens irlandais d'être "anglais ou irlandais ou les deux"2. Le récit qui nous est proposé raconte des histoires existentielles vécues par l'auteur qui rencontre l'autre, l'étranger... chez les moines d'Irlande, les philosophes français (Ricoeur), dans les œuvres littéraires (Joyce, Proust, Woolf,..), les expériences de Vanier, Day, Gandhi,... Dieu après Dieu. Introduction. Nuit du « je ne sais pas », débarrassé de « Dieu » mais continuant à le chercher. Rejet des extrêmes que sont l'athéisme militant et le théisme dogmatique, pari de la foi au-delà de la foi, anathéisme. Un premier chapitre : « Dieu comme étranger » (36). Chapitre 2. Le pari anathéiste : imagination, humour,.. Chapitre 3. Avec Bonhoeffer, Ricoeur . Que voulons-nous dire quand nous disons « Dieu » ? Chapitre 4. Contre le dualisme. La chair revisitée par le verbe sacré. Chapitre 5. Dans le texte. Le verbe sacré se lit dans les existences ordinaires (Joyce, Proust,Woolf). Chapitre 6. Dans le monde . Le sacré « est » dans le séculier. Chapitre 7. En acte. Jean Vanier et al. Le sacré dans le monde profane. En résumé. Comment tous ces chapitres forment-t-ils unité et justifient-ils ce terme étrange (que stigmatise mon correcteur d'orthographe !) : l'anathéisme3 ? Ana4: de bas en haut, à l'inverse. De bas en haut ? Rejeter un dualisme qui se nourrit d'oppositions glacées. Il n'y a pas un « bas » qui serait à mille lieues d'un « haut » mais un échange constant, un nourrissement réciproque. Le sacré est dans le séculier et dans le profane, dans les existences ordinaires. R. Panikkar se demande pareillement : « comment allier institution et prophétisme ? »5. Sont-ils miscibles ? Importance du petit « et ». A l'inverse ? Il s'agirait ici, de l'étranger. Notre première réaction serait la peur, voire l'hostilité. A l'inverse, pratiquer l'hospitalité. L'étranger devient l'étranger sacré. L’Étranger devant moi « est » Dieu (comme hôte transcendant) en même temps qu'il n'est pas 1 Une acception du mot « anathéisme » : Frédéric Lenoir, dans sa préface parle de « Dieu après Dieu »(13). 2 A l'instar de Gandhi qui se qualifiait lui-même d'hindou, musulman,chrétien et juif. 3 Le préfixe ana est défini dans le dictionnaire grec-français Bailly comme : « en haut, dans l'espace ou dans le temps, de bas en haut, en remontant, de nouveau » (N.d.T., 49) 4 http://cm1cm2.ceyreste.free.fr/paulbert/prefix.html 5 En préface au livre de P.-F. De Béthune, "l'hospitalité sacrée entre les religions", Albin Michel, 2007,216 p. « Dieu » (comme écran de mes projections et présomptions) (57). Chapitre 1. : « Dieu comme étranger ». Commencer par l'histoire d'Abraham. Assis au-devant de sa tente. Il broie du noir. Sarah, plus de cent ans, n'aura pas d'enfants. Soudain, levant les yeux, 3 hommes étranges, étrangers devant lui. Terreur? Non, il ne s'arme pas, court à leur rencontre, les invite à un repas...Chose étrange, à leur départ, les 3 hommes se transforment en un unique « invité », Yahvé en personne qui annonce à Sarah... qui « rit ». Hostilité et hospitalité. Soit on accueille l'étranger, soit on le refuse (69). Sentiments et attitudes qui se succèdent ? Des exemples, plein la bible hébraïque. Ruth l'étrangère, le roi Salomon qui courtise la Sulamite du Cantique des Cantiques.Trente-six fois, il nous est dit d'aimer l'étranger. Deux fois seulement, son voisin. Dieu se révèle « après coup », à la suite de la rencontre. Quand l'homme se rend compte, Dieu est déjà parti, Il a seulement laissé une trace. Continuer par l'histoire de Marie. A nouveau, un ange. Terrifiant. Marie pleine d'effroi. Recule, fait quelques pas en arrière, s'arrête, écoute la voix qui murmure « sois sans crainte !». Elle s'ouvre à l'étranger, choisit de dire oui avec son corps, courageusement, conçoit un fils. C'est le premier acte d'un anathéisme chrétien. D'autre scènes avec Jésus : la transfiguration, Emmaüs, le Samaritain,... ... et par le pari Islamique. (79). Un commerçant respecté du nom de Mahomet se retire dans une grotte au sommet du mont Hira. Mois du ramadan (610 après J.-C.). Mahomet prie, jeûne, fait l'aumône... Mais cette fois-ci quelque chose d'extraordinaire arrive. Il est tiré de son sommeil par une présence étrange dans la grotte. Il peut à peine respirer..., convulsions..., sudations... Il lutte, craignant que sa vie soit en péril... puis soudain s'arrête, écoute. Il décide de faire confiance à la présence qui vient. A peine a-t-il dominé sa terreur et s'est soumis (islam) à l'étranger devant lui qu'il entend une voix qui parle à travers lui. La voix de l'ange Gabriel. A nouveau, crainte et tremblement lors de la première expérience de l'étranger puis cet enseignement saint du prophète : « l'islam commença comme étranger et il redeviendra étranger. Donc, bénis ceux qui sont étrangers »(81). Il y eut aussi des lectures belliqueuses de l'islam (6ème siècle et mouvements wahhabistes) mais bien des récits contredisent les postulats fondamentalistes et correspondent plus à l'héritage intellectuel des philosophes andalous (Al Farabi et Ibn Rushd ou Averroes). Ce dernier fut un ardent défenseur de la lecture métaphorique du Coran. Un poète persan, Hafez de Chiraz ( XIVème siècle) écrivait : « si Dieu vous invitait à une fête ? Comment traiteriez-vous les autres invités à votre arrivée ? ». Kabir (XV ème siècle), de l'Inde du Nord. Il choisit d'évoquer Dieu sous les traits d'un étranger qui frappe à la porte, d'un visiteur venu de loin, d'un amant pèlerin : « il y a une chose au monde qui apporte satisfaction, c'est la rencontre avec l'invité ». Les trois religions abrahamiques attestent de l'ambivalence constitutive des réponses humaines à l'étranger divin. Hostis et hospes ont une racine commune , liée à un concept unique, l'étranger, écrit Benvéniste. Le premier a évolué vers celle d'étranger hostile, l'autre vers celle d'étranger favorable, l'invité (92). Chapitre 2. « Le pari anathéiste : imagination, humour,... ». Imagination. Voir l'autre comme un étranger à accueillir ou à rejeter. Seule l'imagination nous donne le pouvoir d'ouvrir nos yeux et nos oreilles à l'étranger qui vient. Ibn Arabi « Mon bien-aimé, combien de fois t'ai-je appelé et tu ne m'as pas entendu ? Combien de fois je me suis montré à toi et tu ne m'as pas aperçu? Pourquoi ne m'aperçois-tu pas? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Chagall, artiste moderne de l'épiphanie. Édith Stein : « l'empathie, l'expérience de l'état de conscience d'autrui » . Elle se transforme en sympathie. « A moins d'imaginer ce que c'est d'être eux, nous ne pouvons assassiner les étrangers ». La sympathie : se sentir avec l'autre comme si l'on était l'autre (98). Humour La capacité de croiser et de conjuguer les opposés. Le rire de Sarah quand elle entend qu'elle aura un fils. Jésus qui taquine la samaritaine à propos de ses 5 maris . Jésus en visite posthume sur les rives du lac de Tibériade et sous les traits d'un cuisinier. Un ghazal6 de Hafez s'intitule : « j'ai entendu le rire de Dieu ». Maître Eckhart : « Dieu m'a raconté une blague et le voir rire m'a appris plus que les Écritures ». Un moine égyptien du IVème siècle : « vraiment abba Joseph a trouvé le vrai chemin. En effet, il a dit : « je ne sais pas ». L'humour, l'humilité , l'humanité ont une racine latine commune : humus. Engagement Notre réponse à l'étranger, c'est un choix même si l'on choisit de ne pas choisir. Dire oui, dire non. Moment de vérité. Sans rien savoir de la vérité, nous la faisons . L'action précède l'abstraction. Discernement. Distinction entre un acte de foi aveugle et un acte de foi avisé. « Lire l'étranger » comme amour ou comme haine, vie ou mort.Il est difficile de lire le visage de l'autre7. Tout étranger n'est pas divin. Il y a l'autre qui tue , l'autre qui donne la vie.L'autre qui aime, l'autre qui ment. Alors que certains « autres » apportent la paix, d'autres « autres »apportent les croisades, les progroms, les génocides, prétendent avoir Dieu dans leur camp.L'histoire regorge cependant d'exemples d'hommes qui ont fait le bon choix. Hospitalité. Le rôle de la connaissance dans l'hospitalité est complexe. Quand nous discernons l'étranger-à l'instant où nous parions devant son visage-nous courons toujours le risque d'être trompés, de nous méprendre. Risque en effet, car l'amour de l'hôte pour l'invité précède et excède toujours la connaissance. Ricoeur parle du « moi privé du secours de la mêmeté ». (Ah ! Qu'il serait bon, rassurant de constater qu' « ils sont comme nous, les mêmes que nous »!).Nous accueillons l'autre comme autre et non seulement comme le même que moi. L'hospitalité inconditionnelle8 est divine et non pas humaine (110). 6 Chant poétique de Perse et d'Inde: chagrin, beauté, amour, tristesse. 7 "Le tueras point" est la première parole du visage. Or c'est un ordre. Il y a dans l'apparition du visage un commandement, comme si un maître me parlait. Pourtant, en même temps, le visage d'autrui est dénué; c'est le pauvre pour lequel je peux tout et à qui je dois tout.Et moi, qui que je sois, mais en tant que "première personne", je suis celui qui se trouve des ressources pour répondre à l'appel". (E. Levinas, Ethique et Infini, Biblio essais, Fayard, 1982,p.83). 8 Il y a ces mots de J. Derrida qui prennent un sens tragique en ces jours. "Or, dans l'hospitalité pure, sans garantie, cette possibilité que l'autre vienne faire la révolution, voire une forme pire de l'imprévisible, et que l'on soit débordé doit être acceptée. Du fait même que cette menace habite de façon essentielle et irréductible le pur principe d'hospitalité, celui-ci induit des comportements d'angoisse et de haine..... Les situations de pure hospitalité comportent donc une tragédie interne. Le passage au droit, à la politique et au tiers constitue d'une certaine manière, une sorte de chute, mais, en même temps, c'est lui qui garantit l'effectivité de l'hospitalité... La responsabilité consiste donc à donner le meilleure conditionnalité, la meilleure loi possible à une hospitalité que l'on veut aussi grande que possible". (Jacques Derrida. Manifeste pour l'hospitalité, éditions paroles d'aube, 1999,pp. Hospitalité entre les religions9. Moïse prenant une épouse africaine. Salomon embrassant le Sulamite. Jésus saluant la samaritaine près du puits...La rencontre d'Assise en 1986, les pèlerinages de Jean-Paul II en Inde et au mur des lamentations.La rencontre du Grand Mufti et du patriarche grec à Sarajevo ; le fameux accord de Belfast entre catholiques et Protestants (1998)10. Des lectures parallèles de textes religieux : invocations bouddhistes au « vide », références à Élie (bible), à Mahomet (dans sa grotte), à Jonas (dans sa baleine), à Jésus dans la tombe,... Pour cela, il faut abandonner le vieux Dieu de la théodicée11 et de la souveraineté. Un Dieu « maître » doit mourir pour que le Dieu de l'hospitalité interconfessionnelle (ou Dieu postdogmatique) puisse naître.C'est pourquoi l'anathéisme apprécie la rigueur avec laquelle la critique athée dénonce les perversions théistes de la religion (115). Impuissance du divin Notion classique de la kénose. Le retrait de Dieu comme cause première ou comme Être suprême.Mais Dieu comme promesse ou comme appel : « oh ! mon Dieu, tu ne peux être Dieu à moins que nous ne te ménagions un abri de fortune dans nos cœurs »(Etty Hillesum). De Jésus, le lavement des pieds, l'épreuve de l'abandon et de la mort. Paradoxe : c'est dans la faiblesse de Dieu que peut s'épuiser le mal. Le Dieu d'E. Hillesum est un Dieu de l'impuissance qui lui donna le pouvoir d'oser vivre face à la mort (125). Ignorance, « je ne sais pas ». Doute de Jésus : « au dires des gens, qui suis-je ? ». Au contraire, seuls les démons prétendent le connaître (119). Il faut un espace vacant, vide de la connaissance, une perte de la foi (comme Sœur Teresa), pour qu'il y ait saut d'amour, de foi (122). Le pari anathéiste. Chapitre 3. Avec Arendt, Bonhoeffer, Ricoeur,.... Que voulons-nous dire quand nous disons « Dieu » ? Les maîtres du soupçon12 (Nietzsche, Marx, Freud,.) ont arraché à la foi les oripeaux qui s'appellent soumission, peur,.. • non à la lâcheté mais redressement orgueilleux • non à la soumission mais révolte de l'opprimé, • non à l'infantile besoin de protection mais liberté assumée. Dieu a disparu de camps de concentration. Il n'était plus possible de croire à une théodicée, à un plan de Dieu, à une conduite divine de l'histoire.L'idée que Dieu orchestre le bien et le mal n'est plus supportable (125). Hannah Arendt avec sa réflexion (dans « Eichmann à Jérusalem ») sur la banalité du mal, écrit : « notre monde est un monde sécularisé du point de vue de l'esprit, parce que précisément, c'est un monde du doute...La façon dont on a pensé Dieu pendant des siècles ne convainc personne. Si quelque chose est mort, ce ne peut être que la manière traditionnelle de le penser ». Greenberg, rabin, ancien président du CA du mémorial de l'Holocauste aux Etats-Unis écrit pour sa part: « aucune affirmation théologique ne peut être soutenue qui soit convaincante en présence 100-101). 9 P.-F.de Béthune y consacre un livre: "l'hospitalité sacrée entre les religions", Albin Michel, 2007,216 p. "Autour du feu, il n' y a plus hôte ni invité" 10 Plus près de nous, en République Centre Africaine: Aidés par des chrétiens, des musulmans reconstruisent des mosquées en ruines à l’approche du mois saint de Ramadan (mi-juin). 11 Théodicée : une histoire conduite par Dieu 12 Voir Jacques Musset, Repenser Dieu dans un monde sécularisé, Karthala, 2015, 246p. et ma lettre 40. d'enfants jetés dans les flammes. Où Dieu était-il à Dachau ? Il souffrait avec son peuple ». Le Dieu qui est mort à Dachau était le Dieu de la théodicée. Jacques Derrida. « Les formes les plus extrêmes et les plus conséquentes de l'athéisme auront toujours témoigné du plus intense désir de Dieu ».Mais cette foi déconstruite, n'est-ce pas une foi « vide » ? En ce sens qu'elle perd l' ici et le maintenant, le visage de l'autre (la veuve, l'orphelin , l'étranger) dans lequel Levinas voyait la trace de Dieu(138). Dietrich Bonhoeffer est ce pasteur protestant pendu par Hitler en 1944.Il réfléchissait à la possibilité d'une « foi non religieuse » opposée à une foi bouche-trou en réponse aux malheurs et à la faiblesse humaine. Il était en ce sens proche de Nietzsche pour lequel le religion était infantilisme , malhonnêteté intellectuelle, fuite hors du monde. A un Dieu belliqueux correspondait une humanité faible (139). Bonhoeffer reprochait un dualisme fondé sur la supériorité de l'âme par rapport au corps, du sacré par rapport au séculier. La religion nie la vie, ce n'est qu'un vêtement. Il en appelle à une réintégration de la foi chrétienne dans le monde séculier. « Comment parler de Dieu laïquement?13 Comment être des chrétiens irréligieux et profanes ? Comment former une Église ... appartenant pleinement au monde ? ». Dieu absolument non puissant libère notre puissance et nous rend capables de vivre, de résister, de renaître (140). La foi est une injonction à tendre la main à la personne non religieuse, à l'étranger hors la loi, hors la tribu, hors la nation(141). Pour Bonhoeffer et Hillesum, « seul le Dieu souffrant peut aider ». Cet abaissement de Dieu (loin du Dieu dogmatique ou métaphysique), presque une négation de Dieu (la mort d'un certain Dieu)est dans la ligne de la démarche anathéiste qui est en attente d'une alternative. Un autre Dieu est possible, celui de Jésus-Christ. Paul Ricoeur. Une foi post religieuse (148) A la sortie de la guerre, deux aspects de la religion exigent une critique radicale, le tabou et le refuge.Sous le premier, l'antique sentiment de peur . Sous la seconde, la crainte de la punition et le besoin de protection et de consolation.De ce point de vue, l'athéisme se justifie comme une force de destruction et de libération qui peut aider à trouver une foi qui a sa place au-delà de l'accumulation (des bonnes œuvres) et du désir de trouver un refuge, une foi libérée en un mot, une foi qui accueille le message libérateur de l'Exode (qui existe avant la Loi) : « Je suis Yahve, ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude ». Cette parole accueille aussi la parole de l'existence, le désir d'être, elle s'avance dans les ténèbres, dans une nouvelle nuit de l'entendement,.. devant un Dieu qui n'aurait pas les attributs de la Providence. Au contraire, le Dieu anathéiste est un Dieu qui dit « vous êtes capables »,désavouant ainsi toutes les formes de théodicée et rendant aux humains le pouvoir et la responsabilité(165).Dieu devient ainsi un Dieu après Dieu, un Dieu qui n'est plus mais qui pourrait être à nouveau sous la forme de la vie renouvelée. Chapitre 4. Contre le dualisme. La chair revisitée par le verbe sacré. Ce chapitre difficile pourrait sans doute s'ouvrir sur cette phrase de Th.d'Avila : « sachez que Dieu est dans les casseroles » qui ajoutait « le Créateur doit être recherché dans les créatures »(171). En d'autres termes, repérer le transcendant dans l'immanence du présent, accueillir l'étranger dans l' ici et le maintenant, rétablir l'extraordinaire dans l'ordinaire, élargir le terme « sacramentel14 » à ces réveils singuliers du divin dans le pain et le vin de l'existence quotidienne. Le but du chapitre est de repérer les signes étranges du divin au-delà de la dichotomie entre théisme et anathéisme.. « Le 13 C'est dans ce sens que je parlais d'une lecture"non religieuse" de l'encyclique "laudato si" (lettre 37). 14 C'est-à-dire les médiations entre le sacré et l'homme. verbe se fait chair quotidiennement »(172). Que peut la philosophie ? Que d'à priori, de dires par rapport à la chair!Selon les points de vue : de la science (physique, chimie,biologie,sciences humaines ...) à l'ensemble des dogmes et doctrines religieuses. Avec Husserl, au contraire, laisser parler les phénomènes, la chair, en leur nom propre, dans leur quotidienneté simple et ordinaire(173). Avec Merleau-Ponty (difficile!), la chair dans toute sa profondeur ontologique « comme la chair elle-même ».La phénoménologie dépasse les dualismes traditionnels entre le corps et l'esprit, le réel et l'idéal, le sujet et l'objet (177)15. Sartre, un athée convaincu, dans un essai nécrologique sur son ami Merleau-Ponty, athée lui-même, écrit : « n'est-il pas arrivé de temps à autre, que Merleau, renversant les termes et tournant à l'envers, crût apercevoir en nous, insaisissable, dans l'immanence, je ne sais quel mandat transcendant... Dieu, tâche de l'homme» (185). Est-ce qu'il y a une forme de sacré dans l'univers profane du quotidien?Laquelle?Ce questionnement met en cause tous les dualismes théocratiques du pur et de l'impur, du sauvé et du damné, de l'indigène et de l'étranger, car de tels dualismes conduisent à faire des boucs émissaires et donc des guerres(J. Kristeva16) (191). Contre les dualismes encore. Des mystiques comme François d'Assise et Claire considèrent la nature, les animaux, les humains...comme un sacrement, une médiation entre Dieu et l'homme. François s'adressait à la fois au feu et à l'eau, au soleil et à la lune, aux animaux et aux plantes comme à ses frères et sœurs. Chapitre 5. Dans le texte.Le verbe sacré se lit dans les existences ordinaires (Joyce, Proust,Woolf)17. Il s'agit, nous dit l'auteur,dans ces 3 cas, de la consécration de moments ordinaires, de chair et d' os, dont la singularité, s'impose comme quelque chose d'étrange et de persistant.Ces actes de transfiguration, l'auteur les appelle avec Joyce, des Épiphanies. Elles se manifestent dans un espace et un temps incarnés, à mille lieux des formes métaphysiques de la spiritualité. Un seul exemple?Chez Joyce. Dedalus dans le Portait, se décrit comme le prêtre de « l'imagination éternelle ».Son but est de transmettre le pain de l'expérience quotidienne dans la « matrice » de l'art. Curieuse adaptation païenne de la transsubstantiation : « tu ne trouves pas qu'il y a une certaine ressemblance entre le mystère de la messe et ce que je veux faire ? ». On peut lire « Ulysse » comme une série d'anti-eucharisties ou de pseudo-eucharisties(202). Pour finir, cette question posée au début d'Ulysse. « Qu'est-ce que Dieu ? ». Réponse : « un cri dans la rue » (214).Épiphanie du quotidien, entremêlement du sacré et du quotidien. Le pain et le vin de l'existence quotidienne sont célébrés en tant qu'épiphanies eucharistiques. En conclusion de ce chapitre difficile(251). En somme, l' anathéisme ne vise pas à vider le sacré du profane, mais à rétablir le sacré dans le profane. Ce que je comprends : • Non à un sacré que l'on voudrait purifié des bassesses (des contingences, des lourdeurs) du profane et de la chair. • Mais oui à un profane lourd,terrestre, glébeux, enceint ... du sacré et ... de l'étranger. 15 Merleau-Ponty en appelle à la reconnaissance d'un moment authentiquement athée dans l'histoire chrétienne de l'incarnation et de la crucifixion, quand le Christ fait l'épreuve d'un abandon radical devant le père: "mon Dieu, mon Dieu,pourquoi m'as-tu abandonné?". ...Voyez l'aventure malheureuse des prêtres ouvriers, comme prise de conscience que nous pouvons placer Dieu à part de l'humanité souffrante dans l'histoire.. (183). 16 Julie Kristeva qui consacre tout un livre: "Etrangers à nous-mêmes". Folio Essais, Gallimard, 1988,294p. Avec notamment un chapitre qui traite de l' "inquiétante étrangeté" selon Freud. 17 Je ne détaillerai pas car je n'ai lu que les premières pages (il y a longtemps) d' "Ulysse ", que quelques extraits ( à l'intention des potaches) de "à la recherche du temps perdu " et rien du tout de Virginia Woolf. Ni l'un ni l'autre n'étaient croyants. Chapitre 6. Dans le monde . Le sacré « est » dans le séculier. Mais plus concrètement (255). • que veut dire accepter l'étranger sacré dans l'univers profane ? Des étrangers réels, des migrants réels, des adversaires réels. • qu'est-ce qu'implique la traduction des épiphanies de la transcendance dans l'immanence de l'action de tous les jours ? Dans à une époque sécularisée, la question des anathéistes est : « que dois-je faire ? » . Que ne faut-il pas faire d'abord ? Éviter à tout prix d'utiliser la religion pour dominer la politique. Guerres de religion, croisades, inquisitions, massacres... Plus près de nous, stalinisme et nazisme sont des exemples de messianisme perverti.Hier, l'Irlande du Nord, l’ex-Yougoslavie...Ces joursci ...les Twin towers, Daech, Al-Qaïda. G. Bush utilise explicitement le langage évangélique pour diaboliser l' « axe du mal ». Il parlait de croisade, de justice infinie. Il invoquait « the Jesus factor ». On affirmait publiquement la supériorité métaphysique du Dieu chrétien sur l'ennemi musulman. Au contraire ! Avec Stanislas Breton. Au paroxysme de l'abaissement, c'est-à-dire de l'ignominie de la croix, la mort... comme un choc négatif...et puis, l'exaltante remontée vers le point d'orgue18. Remontée s'appuyant sur des « anonymes » , les oubliés de la société, en particulier les « prêtres ouvriers ». Mais comment passer de la théophanie (la relation entre le sacré et le profane)en évitant le piège de la théocratie et de la théodicée ?, Le sécularisme est devenu la vision dominante dans notre culture occidentale. « Les illusions de la religion tomberont en désuétude ». Il n'y a plus la moindre place pour le sacré dans les démocraties occidentales sauf peut-être dans le domaine privé. La laïcité s'oppose radicalement à toute inclusion du sacré dans les affaires publiques. Raymond Panikkar forge le terme de cosmothéandrisme pour désigner la cohabitation créative de l'humain et du divin dans le monde écologique.La foi migre du temple vers la rue, de l'obéissance institutionnelle à l'initiative de la conscience. Les gens ignorent les disputes doctrinales entre les Églises et le monde. Ce qui est important pour eux, du point de vue de la foi, « c'est la faim, l'injustice, l'exploitation de l'homme et de la terre, l'intolérance, la guerre, le déni des droits de l'homme, le colonialisme et le néo-colonialisme.. ». Panikkar invite à une fertilisation croisée des différentes traditions humaines du monde , séculières ou modernes. Faire entendre différentes notes de la même symphonie, parcourir des sentiers différents vers la même sommet. La foi ? L'expérience de la symphonie. L'anathéisme c'est cela, une réconciliation du sacré et du séculier. Attention ! Sommes-nous vraiment en dialogue avec les autres en tant qu'autres (par opposition à des autres qui seraient seulement comme nous-mêmes, les mêmes que nous, comme nous l'avons dit plus haut ?)19. Il s'agit de reconnaître l'autre comme différent de nous-mêmes, radicalement étranger(religion, culture,... et pourquoi pas, sexe, âge,santé, capacités,histoire,...), irréductible à nos horizons familiers. L'anathéisme. L'hôte s'expose personnellement à l'invité. L'invité s'expose personnellement à l'hôte. Entrerons-nous (avec H. Küng20) dans une éthique universelle de la compassion qui a une règle d'or, l'hospitalité envers l'étranger ? (285). 18 Chez les Musulmans (Ibn Arabi), la notion d'abnégation sacrée est le prélude à l'expérience sacrée de l'intime.Chez les Soufis, un auto-anéantissement(fana) est suivi d'un retour à la glorieuse subsistance de la vie de tous les jours.Il en est de même chez les grands mystiques juifs, dans les enseignements hindous et bouddhistes(263). 19 On a l'impression de se répéter. 20 Manifeste pour une éthique planétaire.Présenté et commenté par Hans Küng et Karl Josef Kuschel,Cerf,1995,112 p. Chapitre 7. En acte. Jean Vanier et al. Le sacré dans le monde profane. Le sacré est dans le monde mais n'est pas du monde. L'étranger est sacré car il incarne quelque chose de différent, quelque chose de plus, quelque chose d'autre. S'il était le même que moi, il ne serait ni sacré ni étranger. Il y a un moment "sacramentel" au sens du mot « sacrement » de ce qui fait trait d'union entre le sacré et le séculier". C'est selon l'auteur, le partage du pain avec les autres et les étrangers qui sont au milieu de nous. Chaque fois qu'un autochtone rencontre un étranger, il ouvre sa porte au Messie qui est parmi nous. Passons du texte à l'action.Des exemples?Doris Day, Gandhi, Jean Vanier. (Mais mille autres héros singuliers, ordinaires). Jean Vanier, fondateur de l'Arche, dédiée à l'accueil des handicapés graves. En ouvrant les portes de la société sécurisée aux aliénés, il pense que nous apprendrons à grandir en acceptant non seulement les blessures des autres mais aussi nos propres blessures.Nous exposer à l'insécurité, c'est nous laisser instruire par l'étranger, sacré parmi nous.Ainsi, continue Jean Vanier, nous passons de la vision de la pyramide hiérarchique à celle du "corps partagé".La venue de l'étranger nous fait passer de la souveraineté au service, de la volonté de puissance à l'émerveillement devant la vie qui renaît sans fin. Avec eux, dit Vanier, « nous pouvons abattre les barrières et tourner le dos à la soif de pouvoir. Nous découvrons une vie où les faibles et les forts peuvent danser ensemble ». Ici encore, nous sommes devant un choix anathéiste entre hospitalité et hostilité, devant un pari, celui de dire oui ou non à l’étranger parmi nous.Allons plus loin et évoquons les soins palliatifs, les hôpitaux de bénévoles pour les victimes de génocides, de famines, de catastrophes naturelles. Un même esprit d'hospitalité vis-à-vis de l'étranger, du différent. Gandhi.Pour lui, il n'est pas question de séparer les prières (Puja, cérémonies d'adoration par les brahmanes)du dharma de nourrir les affamés ou d'accueillir les castes exclues. Le sacré doit se manifester dans le quotidien. Le séculier a besoin du sacré autant que le sacré a besoin du séculier. La vie sociale est une vie sacramentelle. Vanier, Gandhi et d'autres ont fait le choix d'un Dieu de l'hospitalité contre un Dieu de la toute puissance. Leur vie porte témoignage de l'incarnation de la divinité dans la chair du monde. Un Dieu invite : le pauvre urbain,l'opprimé, handicapé ou le blessé (Vanier), les multitudes en lutte de l'Inde (Gandhi). Épilogue Pourquoi l’étranger devrait-il être un Autre divin ? Pourquoi l'anathéisme nous entraîne-t-il au-delà de marques de sagesse envers nos voisins?Des gestes que les athées font certainement aussi bien que les théistes ou les anathéistes. Qu'est-ce que Dieu a à voir avec cela ? La réponse ? Reconnaître dans l'étranger quelque chose de plus que l’humain est une façon de reconnaître une dimension de transcendance dans l'autre qui – en partie du moins-dépasse la présence finie de la personne qui est devant moi. Le fond du problème. L'Autre qui est dans l'autre apporte-t-il une vie plus abondante ? Nous invitet-il à plus d'espoir, de charité ? Ces rencontres peuvent se produire au quotidien , à tous les niveaux. Pensons par exemple aux drogués et aux alcooliques qui renoncent à leur addiction en reconnaissant qu'ils ne pourront le faire seuls. Vanier, Gandhi,... avaient conscience que quelque chose de plus grand qu'eux-mêmes ( le sacré) leur donnait l'audace de transformer l'injustice en justice. Ce quelque chose de plus, d'inattendu,...les différentes religions l’appellent « Dieu »21. 21 En effet, nous dit l'auteur(p.346), l'objet de ce livre n'est pas la question de l'hypothèse scientifique (ou L'étranger est plus que moi, plus que ce que nous attendons, il annonce une dimension d'espoir, d'amour, d'émerveillement (348). métaphysique ou pseudo scientifique) de l'existence de Dieu.